[01/13/2023] Day 3: Multiple charges, multiple photographs
Audition de JTC (suite)
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : ordonner et diriger un transport forcé par des civils de Foya à Solomba, et de là à la frontière guinéenne
La Cour questionne JTC :
Sur question, JTC a indiqué qu’il avait su que des soldats d’Alieu Kosiah l’avaient réquisitionné pour le premier transport car ces derniers avaient dit son nom. Interrogé sur la manière dont le prévenu avait dirigé le transport, JTC a déclaré qu’au moment où les civils ont pris les charges, il a lancé l’injonction : « Till go, no bush shake, straight to the border ».
Le Président a indiqué à JTC que le prévenu avait déclaré n’être jamais allé à pied de Foya à Solomba. Sur question, JTC a confirmé qu’il avait vu Alieu Kosiah à pied durant le transport. JTC a également confirmé avoir entendu le prévenu proférer la menace : « Any bush shake, you die ».
Interrogé sur l’arme que portait Alieu Kosiah lorsqu’il leur a ordonné de se mettre en ligne, JTC a indiqué avoir vu le prévenu avec un AK dans les mains.
Me Gianoli et le MPC n’ont pas eu de questions.
Me Werner questionne JTC :
Interrogé sur les photographies produites (i.e vue du fleuve et des canoës), JTC a identifié l’endroit comme étant la frontière de Solomba. Il a précisé que la douane de Ma se situait de ce côté de la rivière et que Solomba se trouvait un peu avant. Sur question, il a indiqué avoir également identifié la rivière Makona, qui était selon lui la seule rivière dans cette zone.
Interrogatoire d’Alieu Kosiah
Invité à se déterminer sur les déclarations de JTC en lien avec le transport forcé, Alieu Kosiah a déclaré que JTC et lui ne se connaissaient pas et ne s’étaient jamais rencontrés. Selon lui, la seule raison pouvant expliquer le fait que JTC prétende le connaître était le fait qu’il soit passé par l’ONG. Le prévenu a ajouté que JTC avait déclaré qu’Alieu Kosiah avait habité à trois endroits différents à Foya, alors qu’en réalité, il n’a habité qu’à un seul endroit et n’a jamais passé plus d’une semaine à Foya. Alieu Kosiah a précisé qu’il habitait à trois ou quatre pâtés de maisons du quartier-général qui se situait sur la gauche lorsqu’on arrivait depuis Kolahun.
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur l’ordre « Till go », Alieu Kosiah a déclaré que selon sa compréhension, il s’agissait d’une expression utilisée sur le front pour indiquer aux soldats de se diriger vers le lieu où l’attaque était menée.
Questionné sur l’expression « Any bush shake, you die », le prévenu a indiqué qu’il s’agissait d’une expression utilisée au sein des AFL. Selon lui, cette expression s’adressait à l’ennemi pour lui signaler qu’on ouvrirait le feu au moindre mouvement étant donné qu’il y avait souvent des embuscades.
Interrogé sur l’expression « If anyone tries ULIMO, we eat your heart », Alieu Kosiah a déclaré n’avoir personnellement jamais utilisé cette expression, sans néanmoins exclure que d’autres soldats en aient fait usage. Il a ajouté qu’il n’avait jamais vu un soldat dire cela à un civil sans défense. A la question de savoir s’il avait déjà entendu un soldat dire cela à un autre soldat, le prévenu a déclaré qu’il ne s’en souvenait pas. Il a ajouté qu’il fallait garder à l’esprit que tout dépendait de chaque individu. Certains étaient fous et de mauvaises choses pouvaient se produire. Selon lui, la guerre n’est jamais quelque chose de facile.
A la question de savoir si Ugly Boy était quelqu’un de fou selon lui, Alieu Kosiah a déclaré l’avoir rencontré une seule fois. La seule chose qu’il savait était que la fois où Ugly Boy a tué 3-4 soldats NPFL, Deku a voulu le tuer et lui a tiré dessus, ce qui l’a contraint à prendre la fuite dans la brousse.
Me Gianoli et le MPC n’ont pas eu de questions.
Me Werner interroge Alieu Kosiah :
Invité à se déterminer sur le témoignage d’Abraham Towah qui a déclaré que quand ils allaient à Foya, lui dormait dans la maison de Kundi, tandis qu’Alieu Kosiah dormait au quartier-général où se trouvait Deku jusqu’à ce qu’on lui donne un maison, le prévenu a déclaré que la première fois qu’ils sont allés à Foya, ils ont dormi chez Deku. Ensuite, Deku leur a donné une pièce située à trois pâtés de maison du quartier-général. Selon le prévenu, Abraham Towah a également déclaré qu’Alieu Kosiah n’était pas resté à Foya, mais était allé à Voinjama. Alieu Kosiah a ajouté qu’à chaque fois qu’il se rendait à Foya, il restait un ou deux jours puis repartait.
A la question de savoir s’il avait vu les corps des prisonniers NPFL exécutés par Ugly Boy, Alieu Kosiah a répondu qu’il n’avait pas assisté à la scène et s’est demandé comment il aurait pu voir les corps puisqu’il n’était pas présent. Me Werner a cité le témoignage d’Abraham Towah qui a déclaré : « Alieu Kosiah et moi n’étions pas présent à Foya lors de l’exécution, mais nous avons vu les corps en arrivant quelques jours plus tard ». Invité à se déterminer à cet égard, Alieu Kosiah a déclaré que Me Werner ne pouvait pas le tromper car il connaissait le dossier mieux que lui. Selon lui, Abraham Towah faisait référence aux trois personnes tuées par le général Dombuyah à Massakolahun. Il a reproché à Me Werner d’avoir donné des extraits des déclarations d’Abraham Towah et non des citations complètes.
Audition de JTC (suite)
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : ordonner le pillage de la centrale électrique de Foya
La Cour questionne JTC :
Le Président a demandé quand et de quelle manière il était arrivé à la centrale électrique le jour du pillage. JTC a déclaré que certains civils avaient été rassemblés par EP, qui avait été désigné chef des civils, alors que d’autres avaient été rassemblés par des soldats. Sur question, JTC a indiqué qu’à son arrivée, la plupart des choses avaient déjà été démontées.
Le Président lui a alors rappelé qu’il avait déclaré avoir vu Alieu Kosiah donner l’ordre de démonter les choses. Sur question, JTC a précisé que le prévenu avait donné l’ordre aux civils de prendre toutes les pièces, dont certaines avaient déjà été démontées, et de les rassembler à un endroit. Il a ajouté que les pièces du générateur Blackstone qui étaient encore entières ont été tirées à l’extérieur.
Le Président a fait part à JTC des arguments d’Alieu Kosiah. Ce dernier a indiqué que rien ne permettait d’établir qu’il y avait une centrale électrique à Foya en se référant aux déclarations d’Emmanuel Fayiah Taylor, qui a indiqué qu’il y avait uniquement des générateurs privés à Foya, à l’exclusion d’un générateur central.
Selon JTC, tout cela est un mensonge dans la mesure où une centrale électrique a bel et bien été construite à Foya avant l’arrivée d’Alieu Kosiah. Il a ajouté qu’il était possible aujourd’hui encore de voir les restes de la structure qui a été vandalisée à l’époque, y compris des éléments qui n’ont pas été démontés. Selon JTC, il y avait peut-être des générateurs privés, mais il n’y a aucun doute sur le fait qu’il y avait une centrale électrique générale à Foya.
Le Président a ensuite indiqué à JTC qu’Alieu Kosiah prétendait qu’il n’avait pas ordonné le pillage et qu’il se trouvait dans le Lofa entre juillet et décembre 1993, respectivement entre mars et décembre 1995. Le prévenu a déclaré qu’il se trouvait dans la région autour de Foya et qu’il se rendait à Foya pour se détendre en revenant de la ligne de front. Invité à se déterminer à propos de ces déclarations, JTC a affirmé que tout cela n’était pas vrai.
Me Gianoli n’a pas eu de questions.
Le MPC questionne JTC :
Le Procureur a présenté à JTC une série de photographies prises par les enquêteurs français lors de la remise en situation en 2019. JTC a déclaré qu’il s’agissait de la centrale électrique sur Kpormbu Road, qui a été construite vers la fin des années 80. Selon JTC, il est possible de voir sur la photo que la porte a été vandalisée et que tout a été pillé, y compris sur le toit. Il a ajouté que le pillage s’était déroulé sur plus d’une journée. Alors que les pièces principales ont été pillées le jour du transport, les ULIMO ont pillé les matériaux de valeur (aluminium, cuivre) dans un second temps pour les revendre en Guinée.
Sur question, JTC a confirmé qu’il s’agissait bien de lui sur les photos. A la question de savoir où se trouvait Alieu Kosiah lorsque les pièces ont été pillées et chargées sur le camion, JTC a répondu qu’il y avait une distance assez courte jusqu’à la route principale qui va en direction de Tengya. Il a expliqué qu’ils avaient fait rouler les éléments les plus lourds sur des rondins et que les éléments plus légers ont été portés jusqu’au truck. Selon JTC, Alieu Kosiah était au bord de la route.
Interrogé sur le comportement du prévenu, JTC a déclaré qu’il était très dur avec les civils car il s’agissait d’une opération importante. Invité à préciser ce qu’il entendait par « très dur », JTC a expliqué qu’Alieu Kosiah allait et venait pour forcer les civils à charger les éléments le plus vite possible.
Sur question, JTC a indiqué ne pas être resté à un endroit précis puisqu’il était toujours en mouvement. Il roulait certaines choses et en portait d’autres.
Le Procureur a ensuite présenté une autre photo à JTC. Ce dernier a déclaré qu’il s’agissait du même endroit mais sous un autre angle et qu’il était possible de voir la « security gate » de la centrale électrique. Selon JTC, la centrale était entourée d’une clôture en barbelés. Il fallait passer par la guérite de sécurité pour accéder à la centrale.
Sur question, JTC a indiqué que le truck se situait à l’endroit où se trouvait la personne sur la photo. Il a ajouté qu’il n’était pas facile de faire tourner le truck pour le faire entrer dans le périmètre de la centrale. Dès lors, il avait été laissé devant la « security gate ».
Interrogé sur la position d’Alieu Kosiah, JTC a indiqué qu’il n’était pas posté à un endroit de manière fixe, mais faisait des allées et venues en s’assurant que tout ce qui avait été rassemblé était chargé sur le truck. JTC a insité sur le fait que le bâtiment était encerclé d’une clôture et qu’il y avait un seul passage pour y accéder.
Me Werner questionne JTC :
Interrogé sur la raison pour laquelle EP n’était pas parvenu à convaincre les ULIMO de ne pas utiliser des civils pour ce transport, JTC a expliqué qu’EP aurait risqué sa vie s’il avait essayé de les convaincre. Selon JTC, il est arrivé à EP de se faire battre pour avoir tenté de défendre les intérêts des civils. Lorsque EP a fait part des griefs des civils à Alieu Kosiah, cela n’a rien donné. JTC a ajouté que ce que disait EP n’avait aucun impact et que les soldats faisaient comme bon leur semblait.
Me Jakob questionne JTC :
Interrogé sur la présence de la sécurité privée lors du pillage de la centrale, JTC a déclaré qu’il faisait référence aux personnes affectées à la surveillance de la centrale électrique. Il a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’officiels du gouvernement mais du personnel de la LEC (Liberian Electricity Corporation). Selon JTC, partout où la LEC avait des centrales, elle affectait des personnes pour la sécurité. Il a ajouté qu’au moment des faits, tout le monde était parti loin de sorte que les personnes affectées à la sécurité n’étaient pas présentes.
Me Gianoli questionne JTC :
Sur question, JTC a confirmé être entré dans le bâtiment de la centrale électrique lors des faits. Il a indiqué qu’il n’y avait en revanche jamais pénétré auparavant dans la mesure où seules personnes qui y travaillaient pouvaient y accéder.
Interrogé sur l’état de la route au moment du transport, JTC a indiqué que la route était dans un état acceptable. Selon lui, des motos et des voitures pouvaient passer. Ce n’était pas une route goudronnée, mais elle était carrossable.
Invité à expliquer comment il était possible que le camion n’ait pas pu être amené devant la centrale électrique alors qu’il était vide, mais qu’il ait pu être amené jusqu’à Solomba sur une route accidentée alors qu’il était chargé, JTC a répété que la centrale était entourée d’une clôture. Il a ajouté que la route d’accès à la centrale était jalonnée de fossés, de sorte qu’il aurait été difficile de faire traverser ces fossés à un véhicule qui n’était pas en état de fonctionner. Selon JTC, la route jusqu’à Solomba était utilisée notamment par des voitures. Compte tenu du nombre de civils réquisitionnés, il a été possible de pousser le véhicule jusqu’à Solomba.
Interrogatoire d’Alieu Kosiah
Invité à se déterminer sur les déclarations de JTC relatives au pillage, Alieu Kosiah s’est étonné qu’il soit plus facile de pousser un truck jusqu’à Solomba que de le pousser jusqu’à l’endroit où les pièces doivent être chargées. Selon lui, si les ULIMO ont été capables de faire pousser un véhicule sans moteur sur 18 miles, alors ils auraient pu le faire pousser jusqu’à l’endroit où se trouvait le générateur. S’agissant de EP, Alieu Kosiah a déclaré que ce n’était pas lui qui l’avait désigné chef de Foya, car le prévenu n’était pas le commandant de Foya. Selon Alieu Kosiah, EP a été nommé chef de Foya par le commandant local ou par Pepper & Salt. Il a ajouté que lorsqu’il a témoigné en France, SFC a donné un nom différent pour désigner le chef de la ville de Foya.
Le prévenu a ensuite déclaré que cela faisait huit ans qu’il était en prison alors que les photos prouvaient que le générateur était intact. Selon lui, seuls trois éléments manquent : le cuivre, la pompe à injection et le démarreur principal. Alieu Kosiah a ajouté qu’ils avaient initialement parlé du pillage d’un générateur Blackstone. C’est seulement six ans plus tard lorsque ces photos ont été produites qu’ils ont commencé à évoquer le pillage du générateur de secours. Selon Alieu Kosiah, LSM a déclaré tout comme lui que seuls trois éléments avaient été pillés.
La Cour interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir s’il était d’accord avec les déclarations de LSM, Alieu Kosiah a déclaré qu’il se référait à la seconde déclaration de LSM et qu’il était d’accord avec le fait que seuls trois éléments manquaient tel que cela ressortait de la photo. Il a ajouté qu’il n’était pas nécessaire d’utiliser un camion pour amener ces éléments à la frontière et que deux personnes suffisaient pour les prendre. Il a déclaré qu’il espérait que la presse l’écoutait.
Se référant aux précédentes déclarations du prévenu, selon lesquelles il lui arrivait de passer par Foya en revenant du front ou de s’y arrêter lorsqu’il rendait visite à sa petite-amie à Bolahun, le Président a demandé à Alieu Kosiah s’il pouvait exclure qu’il se trouvait à proximité de la centrale électrique. Le prévenu a répondu qu’il ignorait si les juges le croyaient ou non et a affirmé qu’il ne mentait pas. Il a déclaré qu’il ignorait l’existence de cette centrale jusqu’à son arrestation.
A la question de savoir qui avait démonté les trois éléments de la centrale, le prévenu a répondu que c’était une question à laquelle il ne pouvait pas répondre puisqu’il n’était pas là. Il a ajouté qu’il fallait garder à l’esprit que le NPFL avait contrôlé cette zone entre 1990 et mi-1993, bien qu’il ne puisse pas exclure que le pillage ait été commis par les ULIMO dans la mesure où les deux factions se livraient à de tels actes. Les seuls pillages auxquels il avait assisté s’étaient déroulés à Monrovia. Il a également déclaré qu’à son arrivée dans le Lofa, la zone était tranquille et il n’y avait pas de pillage. Selon lui, les pillages se produisaient la plupart du temps juste après la capture d’une ville lorsque la zone n’était pas encore sous contrôle, car lorsque les commandants avaient pris le contrôle, il était plus difficile pour les soldats de commettre des actes répréhensibles.
A la question de savoir comment il savait qu’il manquait trois éléments au générateur alors qu’il avait appris l’existence de la centrale électrique au moment de son arrestation, Alieu Kosiah a répondu qu’il l’avait déduit de la photo versée à la procédure. Il a ajouté que s’il y avait eu deux générateurs, il y aurait eu des plaques. Il n’y avait donc qu’un générateur conformément à ce qu’a déclaré SFC à trois reprises avant de changer de version.
Me Gianoli n’a pas eu de questions.
Le MPC interroge Alieu Kosiah :
Le Procureur a présenté la photo du générateur Blackstone et a demandé au prévenu s’il s’agissait bien du générateur intact qu’il a évoqué précédemment. Alieu Kosiah a répondu qu’il manquait trois éléments principaux, à savoir la partie en cuivre à l’arrière, la pompe à injection et le démarreur principal. Alieu Kosiah a ajouté que s’il y avait eu deux générateurs, il y aurait également eu deux conduits pour l’évacuation de la fumée, ce qui n’était pas le cas.
Le Procureur a cité l’art. 344 CPP et a demandé à la Cour d’informer les parties si elle entendait se réserver la possibilité d’apprécier les faits de manière différente que le MPC et de les inviter à se prononcer.
Me Werner interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir si EP avait été nommé chef des civils à Foya par l’ULIMO, le prévenu a répondu qu’il l’ignorait et qu’il avait dit uniquement que SFC, qui a le même nom de famille que JTC, avait donné un autre nom.
Me Jakob interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir pour quelle raison il revenait au commandant ULIMO de nommer le chef des civils et non aux civils eux-mêmes, Alieu Kosiah a répondu qu’il fallait poser la question à JTC. Il a ajouté que selon lui, il n’aurait pas été logique qu’il (Alieu Kosiah) doive nommer EP comme chef des civils car il n’était pas commandant sur place, contrairement à Deku. Me Werner a rétorqué qu’il n’avait pas entendu JTC dire que EP avait été nommé par Alieu Kosiah. Le prévenu a quant à lui maintenu que JTC l’avait mentionné à plusieurs reprises dans le dossier.
Me Jakob a ensuite demandé à Alieu Kosiah si, selon son expérience, il arrivait que les ULIMO désignent les chefs des civils ou les townchiefs des villes ou villages occupés par les ULIMO. Alieu Kosiah a répondu que, selon son expérience, lorsque les ULIMO capturaient une ville, le townchief en place y restait. A titre d’exemple, il a indiqué que lors de la capture de Todi, le townchief est resté en place.
Audition de JTC (suite et fin)
Le Président a tenu à ce que la photo du générateur soit présentée à JTC, afin de le questionner à ce propos. Sur question, JTC a confirmé qu’il s’agissait bien d’un cliché de la centrale électrique de Foya. Invité à décrire les éléments qui ont été démontés, JTC a déclaré qu’à son arrivée à la centrale le jour du pillage, le générateur n’était pas intact. Les civils ont pris les éléments démontés. JTC a ajouté qu’à l’époque, le générateur Blackstone était trop puissant pour l’alimentation du district et un générateur de secours (stand-by) était utilisé. Selon JTC, le générateur de secours était posé sur un socle dans le même bâtiment. JTC a précisé que les éléments démontés du générateur ainsi que le générateur de secours ont été pillés, de même que les fils de cuivre et d’argent. Il a déclaré avoir transporté des rouleaux de fils, alors que le générateur a été roulé sur des rondins.
Sur question, JTC a confirmé qu’il était présent lorsque les photos ont été prises et qu’il a donné des indications. Le Président l’a ensuite invité à indiquer sur les photographies où se trouvaient chacun des deux générateurs.
Me Gianoli questionne JTC :
Sur question, JTC a indiqué qu’il n’avait pas participé au démontage du générateur. Me Gianoli lui a demandé comment il pouvait dès lors savoir où se trouvait le générateur. JTC a expliqué que les éléments restants du générateur Blackstone étaient restés dans la même position et qu’ils avaient emporté l’autre générateur. Il a ajouté que les tuyaux d’évacuation de la fumée étaient visibles. Me Gianoli a demandé à JTC comment il pouvait être aussi catégorique alors qu’il a déclaré n’être jamais entré dans le bâtiment avant le pillage et ne pas avoir participé au démantèlement. JTC a répondu qu’il était entré et avait vu les pièces de la machine.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Werner questionne JTC :
Invité à se déterminer sur ses déclarations devant les juges de première instance selon lesquelles des soldats se sont occupés du démantèlement et ont même fait venir des gens de Guinée pour démonter certaines pièces avant de dire aux civils de transporter les parties qui pouvaient l’être, JTC les a confirmées. Il a également confirmé qu’il n’était pas présent lors du démantèlement de la génératrice et que lui et les autres civils sont venus pour transporter la machine sur des troncs.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : ordonner et diriger le transport forcé du moteur de la centrale électrique de Foya, par des civils, de Foya à Solomba, et de là à la frontière guinéenne
La Cour questionne JTC :
Le Président a demandé à JTC s’il fallait déduire de ses déclarations de première instance, selon lesquelles des commandants l’avaient réquisitionné pour ce transport, qu’il ne s’agissait pas de soldats d’Alieu Kosiah contrairement au premier transport. JTC a répondu qu’Alieu Kosiah n’était pas seul, mais était le dirigeant principal avec d’autres commandants. A la question de savoir comment il avait identifié Alieu Kosiah comme étant le commandant principal, JTC a répondu avoir appris par la suite qu’Alieu Kosiah était un officier de liaison important entre Voinjama, Kolahun et Foya. Il a ajouté que le prévenu demandait aux civils de se dépêcher de procéder au chargement, raison pour laquelle il l’avait considéré comme étant le commandant principal.
Sur question, JTC a indiqué que les civils désobéissants étaient fouettés et roués de coups de fusil et de coups de pieds par des soldats. Invité à préciser avec quel instrument les civils étaient fouettés, JTC a déclaré que si les soldats avaient un bâton, il arrivait qu’ils fouettent les civils avec.
Interrogé sur les ordres donnés par Alieu Kosiah, JTC a indiqué que le prévenu avait ordonné que le matériel soit emporté. A la question de savoir s’il avait toujours entendu Alieu Kosiah parler en anglais, JTC a répondu qu’Alieu Kosiah parlait anglais, à savoir la langue officielle au Libéria.
Le Président a ensuite fait part des arguments du prévenu à JTC, afin qu’il puisse se déterminer à cet égard. Tout d’abord, Alieu Kosiah a relevé deux contradictions entre les versions de LSM et de JTC. Premièrement, LSM aurait déclaré qu’un civil avait trouvé la mort durant le transport. Deuxièmement, LSM aurait indiqué qu’il y avait deux véhicules dans le convoi. JTC a répondu que cela était possible dans la mesure où il n’avait pas vu tout ce qui se passait. JTC a ajouté qu’il y avait beaucoup de monde et qu’il était pour sa part occupé à pousser le camion jusqu’à la frontière. Il n’était pas envisageable pour lui de se déplacer à l’avant ou à l’arrière du convoi.
Le Président a indiqué à JTC que selon Alieu Kosiah, il était impossible qu’une voiture puisse être transportée sur le type de bateaux qui se trouvaient à la frontière. En effet, ces bateaux mesuraient entre 10 et 12 mètres de long et 1,5 mètre de large. JTC a rétorqué que cela était faux. Selon lui, la frontière de Solomba était le point de passage majeur des marchandises. Sur place, il y avait de très grands canoës fabriqués en Guinée sur lesquels on mettait des planches pour faire traverser des véhicules.
Me Gianoli questionne JTC :
Invité à préciser la grandeur du convoi, JTC a déclaré que lorsqu’ils ont été rassemblés pour pousser le camion, ils étaient un grand groupe d’environ 50 à 100 personnes. Il a ajouté qu’il fallait tenir compte du fait qu’au fil du transport, des gens avaient été incorporés au convoi. Sur question, JTC a indiqué qu’il ne se souvenait pas de la longueur exacte du convoi. Il a précisé que l’endroit où le truck devait être poussé rassemblait le plus grand nombre de personnes.
Sur question, JTC a confirmé que les canoës étaient semblables à ceux figurant sur la photo produite par Me Gianoli tout en précisant qu’ils étaient plus grands.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Werner questionne JTC :
Invité à se déterminer sur les propos d’Alieu Kosiah selon lesquels il fallait garder à l’esprit que JTC était Kissi pour apprécier son témoignage alors que lui était Mandingo, JTC a déclaré qu’Alieu Kosiah devrait être mieux informé et que cela faisait des années qu’il avait quitté le Libéria. Selon JTC, le Libéria est en paix et il y a des Mandingos à Foya, dont Old Man Fofana, l’un des plus grands propriétaires terriens de la région. JTC a ajouté que son beau-fils avait épousé une fille Mandingo qui vivait chez eux et que personne n’avait de raison de s’en prendre à un Mandingo pour le seul fait de son appartenance à cette ethnie. JTC a déclaré : « Nous sommes ici pour ce qu’Alieu Kosiah a fait personnellement ».
Sur question, JTC a confirmé qu’il serait également présent ici si la personne accusée des mêmes faits que le prévenu était d’ethnie Kissi.
Invité à se déterminer sur les déclarations de GS qui a indiqué qu’à Zorzor, les ULIMO traitaient les civils comme des animaux puisqu’ils en faisaient ce qu’ils voulaient, JTC a confirmé qu’il s’était passé la même chose à Foya entre 1993 et 1995.
Invité à s’adresser une dernière fois à la Cour, JTC a tenu à remercier le Président et le gouvernement suisse d’avoir donné aux parties plaignantes la possibilité de s’exprimer devant la Cour. Il a ajouté que ce qu’il désirait plus que n’importe quoi d’autre était de voir la justice être rendue dans tous les aspects qu’elle peut revêtir. JTC s’est dit reconnaissant qu’une personne ayant commis des crimes aussi haineux ait été arrêtée et a remercié tous ceux ayant œuvré à la conduite de cette procédure.
Interrogatoire d’Alieu Kosiah
Invité à se déterminer sur les déclarations de JTC relatives au transport forcé de la génératrice de la centrale électrique de Foya, Alieu Kosiah a déclaré au sujet des Mandingos et des Kissis à une rivière : « Quand on voit une grande rivière, il ne faut pas se jeter dedans, car on ne sait pas combien de crocodiles peuvent s’y trouver. C’est cela la situation en Afrique ». Alieu Kosiah a reproché à JTC de ne pas avoir reconnu devant le Procureur les persécutions infligées aux Mandingos par le NPFL. Le prévenu a rappelé que sous le NPFL, le simple fait d’être Mandingo était une raison d’être exécuté. Selon Alieu Kosiah, JTC a uniquement reconnu que des Mandingos avaient été tués dans le Nimba après avoir été conseillé par ses avocats.
Alieu Kosiah est également revenu sur les déclarations de JTC devant les autorités néerlandaises. Selon lui, JTC a évoqué Kosiah, Kundi et Ugly Boy en lien avec le transport et déclaré que Deku dirigeait l’opération.
Le prévenu a ensuite déclaré qu’il connaissait le passage à la frontière et qu’il était impossible de faire traverser une voiture. S’agissant des photos des canoës, il a tenu à souligner qu’elles étaient récentes et que la guerre était terminée depuis plus de trente ans. Il a indiqué qu’il lui paraissait difficile que des canoës plus grands que ceux d’aujourd’hui aient été à leur disposition en temps de guerre. Selon lui, il ressort du rapport produit par son avocat que le responsable de la frontière à Solomba a indiqué que les Guinéens apportaient des canoës à la frontière et interdisaient aux Libériens d’en avoir. Il a ajouté avoir déclaré la même chose tout au long de la procédure alors que JTC l’avait mentionné aujourd’hui pour la première fois. Alieu Kosiah a également répété que les canoës mesuraient 12 à 15 pieds et qu’ils correspondaient plus ou moins à ceux sur la photo. Selon lui, il n’y avait pas de ferry.
Le prévenu a ensuite rappelé que LSM avait confirmé qu’il fallait gravir trois collines pour atteindre la frontière. S’adressant avec émotion à la presse, Alieu Kosiah a indiqué qu’il était impossible de pousser un véhicule sans moteur, sans frein et sans direction assistée sur ce type de terrain. Il a déclaré : « Vous répétez les mêmes erreurs que vous avez faites depuis la colonisation. Vous parlez d’un continent que vous ne connaissez pas ». Le prévenu a insisté sur le fait qu’il était impossible selon lui de pousser un véhicule sur 30km et de le faire traverser une rivière sur un canoë. Il s’est référé à l’émission de France 5 intitulée « Les routes de l’impossible » et a martelé qu’il était inconcevable que 50 à 100 personnes aient pu pousser un camion sans direction assistée et sans frein.
Me Gianoli et le MPC n’ont pas eu de questions.
Me Werner interroge Alieu Kosiah :
Invité à se déterminer sur les déclarations d’Abraham Towah, selon lesquelles les canoës étaient très grands et pouvaient être mis ensemble pour transporter une voiture, le prévenu a donné les noms de plusieurs personnes, dont des civils selon lui, ayant confirmé ses propres déclarations. Il a ajouté que tous les ULIMO hormis Abraham Towah disaient la même chose que lui, à savoir que les voitures ne pouvaient pas traverser. A ce titre, il a notamment cité Advisor et Fine Boy. Il a demandé au Président de s’adresser à la police libérienne afin qu’elle demande à 50 personnes de pousser un truck chargé de métal.
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Le Président a proposé de présenter la photo du groupe de soldats ULIMO au prévenu afin qu’il puisse se déterminer. Alieu Kosiah a déclaré que la photo en disait long sur la crédibilité des parties plaignantes puisqu’elles ont indiqué que Dorley était mince avec des cheveux rasta comme Mami Wata. Il a précisé que l’homme portant des lunettes foncées était Samuel Kamara, leur chef à tous, décédé deux semaines après la capture de Po River. A côté de lui se trouvait Steven Dorley. Alieu Kosiah a ajouté que la photo avait été prise 4 ou 5 mois avant la capture de Zorzor et qu’il n’était pas possible de se faire pousser des cheveux rasta en 4 mois. Le prévenu a également déclaré que JTC n’a reconnu aucun des quatre personnages importants du Lofa (Steven Dorley, Abu Keita, PYJ et Pepper & Salt) et qu’il connaissait uniquement Alieu Kosiah.
Invité à expliquer pourquoi plusieurs combattants ULIMO portent du rouge sur la photo, le prévenu a déclaré que les Satou étaient une force spéciale de Doe et portaient des bérets rouges.
Le Président a ensuite invité le prévenu à s’exprimer comme il en avait fait la requête auparavant. Alieu Kosiah a déclaré qu’il avait initialement décidé de ne répondre à aucune question, mais que son avocat l’en avait dissuadé. Il a ajouté que le témoin Wanga Kpandeh était la seule personne pouvant dire si Musa et Morlu sont ses frères. Concernant Me Werner, le prévenu a maintenu qu’il faisait partie d’une organisation criminelle. Selon lui, Alan White qui était ami avec Me Werner est du même avis. Alieu Kosiah a déclaré qu’Alan White s’était présenté à Me Gianoli en qualité d’enquêteur en chef au sein du TSSL et indiqué qu’il disposait d’informations, notamment au sujet du fait qu’Alain Werner et le GJRP forçaient des gens à venir témoigner. Alieu Kosiah a également évoqué une liste de noms dans laquelle figurait notamment celui de Valérie Migeot. Il s’agit selon lui de la personne en charge de l’enquête contre Agnes Taylor, qui a été abandonnée en raison du fait que les témoins n’ont pas été jugés crédibles. Le prévenu s’est aussi référé à l’affaire Massaquoi avant d’évoquer Amos Bond, superintendant de la région de Kakata. Selon Alieu Kosiah, l’ONG a poursuivi Agnes Taylor pour le meurtre d’Amos Bond alors que ce dernier a donné un interview à la BBC. Il a demandé à la Cour d’entendre Alan White avant de statuer.
Me Werner a demandé à ce que le document l’incriminant soit produit et a précisé n’avoir jamais entendu parler des noms cités par le prévenu.
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Le Président a ensuite invité les parties à plaider l’art. 344 CPP. Le Procureur a déclaré qu’il entendait plaider la coactivité, voire la qualité d’auteur direct, dans la mesure où JTC a évoqué différents éléments pouvant justifier cette forme de commission en lien avec le pillage, et pas uniquement la position de donneur d’ordres.
Me Gianoli a rétorqué que la position de son client était claire : il n’était pas présent lors de la commission de l’infraction et il ne s’oppose par conséquent pas à une telle extension.
Les avocats des parties plaignantes s’en sont rapportées aux propos du MPC.
Après avoir délibéré, la Cour a tranché que la qualification juridique retenue était assez large pour apprécier ce point de l’acte d’accusation sous l’angle de l’auteur direct ou du co-auteur.
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Audition de LSM
La personne entendue a confirmé être LSM, né le 22 avril 1972. Le Président a indiqué à LSM qu’il était entendu en tant que personne appelée à donner des renseignements et l’a rendu attentif aux conséquences pénales d’une dénonciation calomnieuse, d’une induction de la justice en erreur et d’une entrave à l’action pénale. Le Président lui a rappelé les faits reprochés à Alieu Kosiah le concernant, à savoir avoir ordonné le traitement cruel de sept civils, dont LSM, à Foya, avoir ordonné le meurtre de six civils à Foya, asséner un coup de couteau au civil LSM à Foya, avoir ordonné et dirigé un transport forcé de café, de cacao et d’huile de palme, par des civils, de Foya à Solomba et de là à la frontière guinéenne, avoir ordonné le pillage de la centrale électrique de Foya et avoir ordonné le transport forcé du moteur de la centrale électrique de Foya, par des civils, de Foya à Solomba et de là à la frontière guinéenne.
Questions relatives à la situation personnelle et au contexte général
La Cour questionne LSM :
Le Président a invité LSM à indiquer quelles ont été les conséquences de la première guerre civile au Libéria pour lui. LSM a commencé par remercier la Cour. Il a ensuite déclaré qu’il était en 6ème classe lorsque la guerre a éclaté, ce qui l’avait forcé à interrompre sa scolarité et à fuir à Bolahun dans le Lofa. Il a ajouté qu’il n’avait pas pu reprendre l’école par la suite par manque de moyens. En effet, il a plusieurs enfants à charge et doit travailler pour subvenir à leurs besoins.
Questionné sur son emploi actuel, LSM a déclaré qu’il travaillait pour la Liberian Marketing Association (LMA) en tant qu’agent de sécurité. Il a ajouté qu’à cause de la guerre et des blessures qu’il a subies, il était inapte à effectuer des travaux physiques. Il a précisé que les blessures subies pendant la guerre lui causaient encore des douleurs aujourd’hui aux mains et à la jambe et l’empêchaient de faire un autre travail que celui d’agent de sécurité.
Interrogé sur sa connaissance de la décision des premiers juges, en particulier les passages le concernant, LSM a déclaré que les juges avaient reconnu Alieu Kosiah coupable. Il a ajouté que la décision lui avait été lue et qu’on lui avait expliqué que l’avocat d’Alieu Kosiah avait formé appel.
A la question de savoir comment il savait que les hommes qui l’ont agressé pendant la pandémie de coronavirus étaient des hommes d’Alieu Kosiah, LSM a déclaré qu’il s’agissait d’anciens soldats ULIMO. Questionné sur les éventuelles conséquences subies par lui ou sa famille suite à ses déclarations en première instance, LSM a indiqué qu’il était considéré comme un criminel dans son propre pays. Il a ajouté avoir été pourchassé comme un chien par des gens de l’ethnie des ULIMO depuis le jour où il est venu témoigner et ne plus pouvoir se déplacer librement.
Invité à indiquer si depuis les débats de première instance, les séquelles du tabé et du coup de couteau qu’il a évoquées s’étaient estompées, LSM a répondu par la négative. Il a répété qu’il n’était toujours pas apte à faire un travail physique alors même qu’il devait nourrir sa famille.
Invité à reproduire par des gestes la position du tabé, LSM a placé ses coudes derrière son dos et a indiqué que le tabé consistait à attacher les deux coudes derrière le dos de sorte à étirer la cage thoracique. Il a déclaré que la cage thoracique était tellement tendue qu’elle pouvait exploser. Sur question, il a indiqué que c’était la première fois qu’il avait subi un tel traitement. Il a ajouté qu’il sentait aujourd’hui encore sa poitrine brûler lorsqu’il mangeait ou buvait et qu’il avait dépensé plus d’argent que n’importe qui en traitements hospitaliers.
Me Gianoli questionne LSM :
A la question de savoir comment les gens au Libéria pouvaient savoir qu’il était venu témoigner en Suisse, LSM a répondu qu’il avait perdu son frère, son cousin et d’autres personnes pendant la guerre et avait été forcé à rejoindre les ULIMO. Selon lui, les gens à Monrovia le connaissent et ont lu dans les journaux qu’il est venu témoigner en Suisse. Il a déclaré qu’il avait peur et qu’il était dangereux pour lui de parler à des gens.
Invité à indiquer les personnes qu’il a perdues pendant la guerre, LSM a déclaré avoir perdu son frère et ses deux cousins. Interrogé sur la période à laquelle il a perdu son frère et ses cousins, LSM a expliqué avoir quitté Kolahun où il vivait avec sa mère. Cette dernière l’a envoyé dans la plantation de sa tante à Foya car ils n’avaient plus rien à manger. LSM a déclaré avoir passé une semaine sur place pour récolter le riz et le faire sécher. Il a été surpris lorsqu’il a entendu des coups de feu. Selon lui, les rebelles ont combattu à Foya et des soldats sont arrivés à la plantation quelques jours plus tard. Ils ont rassemblé tout le monde dans le village et ont mis les gens en ligne pour les emmener à Foya. Arrivés à Foya à proximité de l’ancien poste de police, ils ont séparé les gens en trois lignes : hommes, femmes et enfants.
Me Gianoli a invité LSM à préciser la période à laquelle ces faits se sont déroulés. LSM a déclaré qu’il n’oublierait jamais cette journée et que c’était vers la fin de l’année 1993.
Invité à indiquer les noms de son frère et de ses cousins décédés, LSM a déclaré que son frère se dénommait James Marley et son cousin Peter Harley. Questionné sur le deuxième cousin qu’il a évoqué, LSM a indiqué qu’il s’agissait de Kamula Bo Marley, son professeur. Interrogé sur le lien de parenté entre Kamula Bo Marley et Peter Harley, LSM a précisé que Kamula était le fils aîné de la petite sœur de sa mère alors que Peter était le fils de son oncle.
Questionné sur ses agresseurs, LSM a indiqué qu’il s’agissait d’anciens combattants de l’ULIMO, mais qu’il ne connaissait pas leurs noms. Seul le nom de Musa Sissey lui est revenu par la suite. Selon LSM, ils sont partis en Sierra Leone et il n’est pas parvenu à les retrouver. A la question de savoir comment il avait pu les identifier comme étant des anciens combattants de l’ULIMO, LSM a déclaré qu’ils vivaient avec un homme du nom de Fama Kaneh dans une maison habitée par d’anciens soldats ULIMO. Interrogé sur la manière dont il avait pu faire le lien avec Fama Kaneh, LSM a indiqué avoir été mené à Fama Kaneh car ce dernier était councilman des ULIMO.
Questionné sur le moment lors duquel les écoles ont fermé, LSM a déclaré que les écoles avaient fermé à cause de la guerre. Il a ajouté qu’il n’a plus pu aller à l’école dès le moment où des coups de feu ont été tirés, à savoir en 1993. Interrogé sur le nom de son école, LSM a expliqué qu’il s’agissait de l’école St-Mary, rattachée à l’église épiscopale.
Le MPC questionne LSM :
A la question de savoir s’il a évoqué l’affaire avec d’autres personnes hormis son avocat et le GJRP depuis son témoignage en 2021, LSM a indiqué en avoir parlé avec sa petite-sœur qui vivait à Foya, et qui réside désormais à Monrovia. Il a expliqué que cette dernière connaissait les anciens soldats de l’ULIMO et lui avait conseillé de quitter Monrovia s’il ne voulait pas risquer sa vie et celle de ses enfants. LSM a déclaré avoir quitté Monrovia et y être revenu uniquement pour témoigner. Il a déclaré avoir dû quitter sa famille pour assurer la sécurité de ses proches.
Le Procureur a demandé à LSM s’il avait été attaqué depuis son séjour à Bellinzone en 2021. LSM a répondu qu’il était resté loin de Monrovia à son retour au Libéria pour sa sécurité et celle de sa famille. D’après lui, il aurait été pourchassé s’il était resté à Monrovia.
A la question de savoir s’il avait ressenti de la pression au Libéria en lien avec sa venue en Suisse pour le procès en appel, LSM a déclaré qu’il était venu ici pour obtenir justice et qu’il avait passé seulement 2 ou jours à Monrovia pour faire le voyage.
A la question de savoir si le nom de Vafray Kamara lui disait quelque chose, LSM a répondu qu’il était député de Kolahun sous le gouvernement de Ellen Johnson Sirleaf.
Me Jakob questionne LSM :
A la question de savoir s’il regrettait de s’être investi dans cette procédure compte tenu de son statut de fugitif, LSM a déclaré qu’il était venu obtenir justice pour son frère et ses cousins et qu’il ne reculerait devant rien.
Sur question, LSM a indiqué que Kamala Marley n’était pas mort le même jour que Peter Harley et James Marley.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : ordonner le traitement cruel de sept civils, dont LSM, à Foya
La Cour questionne LSM :
Sur question, LSM a indiqué que des soldats ULIMO avaient donné l’ordre d’amener les civils de la brousse vers Foya. Il a expliqué que les civils étaient arrivés tous ensemble de la brousse et ont ensuite été subdivisés en trois groupes à leur arrivée à Foya. Sur question, il a indiqué que le S2, à savoir Fine Boy, avait donné l’ordre de diviser les civils. Interrogé sur le sort réservé aux femmes et aux enfants, LSM a déclaré que les hommes avaient été interrogés un par un au bureau S2 et que sept d’entre eux, dont lui, son frère et son cousin, ont été sortis de la colonne. Sur question, LSM a indiqué que les soldats ULIMO avaient désigné les sept personnes à sortir de la colonne en les accusant d’être des rebelles NPFL. LSM a expliqué que les soldats les avaient ensuite emmenés vers le marché où il a entendu le nom de CO Kosiah.
Sur question, LSM a déclaré qu’Alieu Kosiah avait donné des ordres à Kundi ainsi qu’à d’autres soldats. Il a ajouté qu’ils étaient très nombreux, mais qu’il se souvenait uniquement des noms de Kosiah et Kundi.
Questionné sur l’implication du prévenu, LSM a indiqué qu’Alieu Kosiah les avait traités de rebelles et a donné l’ordre de les taber. Sur question, LSM a confirmé que CO Kosiah et CO Kundi ont donné l’ordre de le traîner et que Kundi a fait en sorte de l’exécuter. Il a expliqué avoir continué à protester qu’ils n’étaient pas des rebelles NPFL et avoir été traîné par terre alors qu’il était tabé en raison de ses protestations. Il a ajouté avoir été traîné au point que sa peau s’arrachait.
Me Gianoli, le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : ordonner les meurtres de six civils à Foya
La Cour questionne LSM :
Sur question, LSM a indiqué qu’Alieu Kosiah les avait traités de rebelles après les avoir sortis de la colonne. A la question de savoir si d’autres personnes avaient protesté, LSM a expliqué que son petit-frère s’était tu car il avait peur. Lui en revanche n’avait pas peur car il a grandi à proximité d’une grande caserne et avait l’habitude de voir des soldats.
Questionné sur la manière dont Alieu Kosiah a donné l’ordre de les tuer, LSM a déclaré que le prévenu avait déjà décrété qu’ils étaient des rebelles. Il a ajouté : « Quand vous êtes tabé, vous êtes déjà mort ». Il a expliqué avoir été traîné par terre et avoir vu un homme se faire écraser la tête à coups de pierre. LSM a eu peur et a fermé les yeux.
Le Président a demandé à LSM si le prévenu avait donné un ordre spécifique de les tuer. LSM a indiqué avoir vu des morceaux du cerveau de cet homme et avoir fermé les yeux. Il a ajouté les avoir entendus hurler à la mort. Lorsqu’il a rouvert les yeux, il n’y avait plus personne.
Invité à confirmer ses déclarations devant le Procureur, selon lesquelles Alieu Kosiah avait donné l’ordre de les jeter dans un puits, LSM a répété avoir fermé les yeux et avoir entendu des coups de feu. Lorsqu’il a rouvert les yeux, il savait qu’ils avaient fini de les tuer. C’est plus tard qu’il a appris qu’ils les avaient jetés dans un puits.
Questionné sur le S2, LSM a indiqué qu’il s’agissait de Fine Boy et a confirmé que ce dernier se trouvait à proximité d’Alieu Kosiah. Sur question, LSM a confirmé que d’après lui, Alieu Kosiah et Fine Boy se connaissaient en dépit des dénégations du prévenu.
Sur question, LSM a confirmé qu’Alieu Kosiah était présent au moment des faits. Il a répété que le prévenu avait donné l’ordre de tuer son frère et les autres hommes.
Le Président a signalé à LSM qu’Alieu Kosiah a déclaré n’avoir jamais assisté à une scène lors de laquelle un soldat a fracassé la tête d’une personne avec une pierre ni entendu parler du fait que des gens ont été jetés dans un puits. Invité à confirmer ses déclarations sur la manière dont un homme a été tué, LSM a répété avoir vu des soldats écrasé la tête d’un homme jusqu’à ce qu’elle éclate et avoir ensuite fermé les yeux.
A la question de savoir s’il avait vu les corps dans le puits, LSM a indiqué que des civils lui ont raconté que les corps avaient été jetés dans le puits.
Me Gianoli questionne LSM :
Sur question, LSM a indiqué que James Marley était son petit-frère alors que Peter Harley était le fils de son oncle. A la question de savoir pourquoi il avait auparavant toujours évoqué James et Peter comme étant ses cousins, LSM a répété que Peter était son cousin et James son frère. Invité à se déterminer sur ses précédentes déclarations selon lesquelles ses deux cousins James et Peter faisaient partie du groupe des six hommes qui ont été tués vers le puits, LSM a rétorqué avoir dit qu’il avait emmené James Marley et Peter Harley à la plantation de sa tante près de Foya.
Interrogé sur le puits dans lequel les civils ont été jetés, LSM a indiqué qu’il se trouvait vers le marché et a été scellé à cause des mouches qui en sortaient. LSM a ajouté qu’il était possible de retrouver l’endroit où se trouvait le puits et a répété qu’il avait été démoli. Il a déclaré : « Qui va boire dans un puits où des corps ont été jetés ? ».
Questionné sur la taille de l’ouverture du puits, LSM a indiqué qu’il s’agissait d’un puits avec une pompe à main. Le puits se fermait grâce à une trappe d’accès de forme carrée. Selon LSM, une personne pouvait y descendre pour le nettoyer. Il a ajouté que la pompe a été pillée. A la question de savoir s’il avait vu les corps au fond du puits, LSM a répondu qu’il n’était pas allé vérifier. Il a répété que les corps avaient été jetés dans ce puits et que des mouches en sortaient, raison pour laquelle le puits a été fermé.
Interrogé par le Président sur la manière dont le puits a été fermé, LSM a indiqué que de la terre a été mise dans le puits pour le boucher. Sur question, LSM a déclaré qu’il y avait deux puits dans la zone du marché à Foya. Le Président a présenté différentes photos de puits à LSM. Sur question, LSM a confirmé qu’il y avait une construction en béton autour du puits en question, afin d’éviter que les enfants tombent dedans. Il a répété que le puits a été complètement fermé et déclaré que tout le monde à Foya savait où il se trouvait. Selon LSM, le puits ressemblait à celui sur la photo n°2. Il a ajouté qu’après rejoint les ULIMO, il est retourné à Foya mais le puits n’existait plus.
A la question de savoir s’il avait vu sur les photos une ouverture similaire à celle qu’il avait décrite dans ses précédentes déclarations, LSM a répondu qu’on ne pouvait pas jeter des corps dans un puits et le laisser ouvert. Il a ajouté qu’il y avait eu des rénovations dans la zone du marché à Foya et que le puits a été fermé.
Le MPC questionne LSM :
Le Procureur a cité les déclarations de LSM au sujet du chant Zo Kele Kele, qui a indiqué que chanter cette chanson lui faisait mal au cœur car elle lui rappelait le moment où il avait perdu ses frères. A la question de savoir à qui il faisait référence en parlant de ses frères, LSM a répondu avoir entendu cette chanson le jour où il a perdu son frère. Selon lui, CO Kosiah, CO Pepper et CO Kundi la chantaient toujours après avoir tué quelqu’un de sang-froid. Invité à préciser de qui il parlait, LSM a expliqué qu’il faisait référence à son frère et à ses cousins.
A la question de savoir s’il faisait la différence entre frères et cousins dans son langage, LSM a expliqué que les fils de son oncle et sa tante étaient ses cousins alors que son frère biologique était son frère.
Me Jakob questionne LSM :
Interrogé sur la signification du terme « brother », notamment s’il pouvait désigner des personnes ayant grandi avec lui, LSM a déclaré qu’il utiliserait plutôt le terme « ami » pour désigner de telles personnes. Il a expliqué qu’un frère était quelqu’un qui portait le même nom de famille.
Sur question, LSM a confirmé avoir un fils nommé LSM Junior et a précisé que ce n’était pas son fils aîné.
Interrogatoire d’Alieu Kosiah
Invité à se déterminer sur les déclarations de LSM, Alieu Kosiah a d’abord déclaré que LSM avait initialement indiqué avoir été agressé car les gens savaient qu’il était un ancien soldat ULIMO. Le prévenu a également considéré qu’il relevait d’une étrange coïncidence que LSM ait initialement cité le nom de Papa comme auteur de l’agression dont il a été victime lorsqu’il est allé voir HB. Aujourd’hui, LSM a mentionné d’autres noms. Alieu Kosiah a ensuite relevé certaines contradictions s’agissant du lien de parenté entre LSM et Kamala Marley. Selon les déclarations de LSM, le lien de parenté est issu une fois du côté de la mère et l’autre fois du côté du père s’agissant du même individu.
Le prévenu a déclaré avoir clamé son innocence dès le premier jour. Selon lui, le seul crime qu’il a commis est de vivre en Occident.
Alieu Kosiah a ensuite relevé que LSM avait déclaré être allé à l’école jusqu’à l’arrivée des ULIMO, comme s’il avait été mieux lotis sous les NPFL. Or, lors d’une précédente audition, il a déclaré que Taylor était responsable de ses problèmes car il avait été empêché d’aller à l’école à cause de lui. Par ailleurs, selon Alieu Kosiah, LSM a évoqué le décès de huit membres de sa famille alors qu’à la connaissance du prévenu, seuls trois des proches de LSM sont décédés.
Alieu Kosiah a ajouté qu’il ne connaissait pas LSM et qu’il avait des doutes sur le fait qu’il ait été un soldat ULIMO. S’agissant du meurtre des six civils, le prévenu a déclaré qu’il ne voyait pas comment il était possible de jeter des êtres humains dans un puits. Selon lui, il n’existe pas d’ouverture de maintenance avec une pompe à main. Il a expliqué qu’il s’agissait de pompes construites par le Ministère des travaux publics ou des organisations humanitaires telles que MSF ou le HCR. Ce ne sont pas des puits selon lui, mais des pompes avec un tuyau en-dessous qui ne se réparent pas de l’intérieur. Le prévenu a ajouté que toutes les personnes de Foya qui n’étaient pas passées par l’ONG avaient dit qu’il n’y avait pas de puits sur le marché à Foya, mais une pompe à main.
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur Fine Boy, que le prévenu connaît selon LSM, Alieu Kosiah s’est demandé pourquoi Fine Boy ne l’avait pas reconnu lorsqu’il est venu, ce qui prouve qu’ils ne se connaissent pas.
Questionné sur la scène lors de laquelle un soldat a fracassé la tête d’un homme avec une pierre, le prévenu a déclaré que cela ne lui semblait pas logique dans la mesure où lui et Kundi portaient tous deux une arme. Il a ajouté qu’il était hiérarchiquement supérieur à Kundi et qu’ils auraient tiré sur l’homme pour le tuer. Alieu Kosiah s’est également demandé pourquoi ils auraient épargné le septième homme alors que c’était le plus arrogant de tous. Selon lui, les déclarations de LSM selon lesquelles Fine Boy est venu à son secours ne sont pas crédibles, puisque Fine Boy a affirmé ne pas le connaître ni d’ailleurs Fina Johnson avec laquelle il était censé avoir une relation.
Alieu Kosiah a maintenu qu’il n’avait pas ordonné le traitement cruel de sept civils à Foya et a déclaré qu’il n’était pas quelqu’un qui faisait ce genre de choses. Selon lui, les seules personnes qui le décrivent comme étant un monstre sont celles qui passent par l’ONG. Il s’est notamment référé aux lettres de son ex-épouse ainsi qu’au témoignage de Melvin Perkins, un ancien soldat du NPFL, qui attestent que le prévenu n’était pas une mauvaise personne.
Me Gianoli, le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.