[01/17/2023] Day 5: Routine forced transports
Questions procédurales
Me Gianoli a sollicité l’admission au dossier de divers e-mails émanant de sources externes concernant la manière dont sont conduites les procédures diligentées par Civitas Maxima et le GJRP. Les autres parties se sont réservé le droit de plaider l’incident.
S’agissant de l’application de l’art. 344 CPP, la Cour s’est référée à sa jurisprudence (CA.2021.2) et a rappelé qu’elle était liée par l’état de faits décrit dans l’acte d’accusation, mais pouvait s’écarter de la qualification juridique. Le Président a indiqué que la requalification d’auteur à co-auteur, respectivement de complice à instigateur, était controversée selon la doctrine. Il a déclaré que la Cour était disposée à réserver une qualification juridique que celle retenue dans l’acte d’accusation et statuera sur le fond si l’état de faits décrit dans l’acte d’accusation couvre également ces qualifications.
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Audition de KK (suite et fin)
Invité à se déterminer sur les déclarations du prévenu faites la veille, KK a déclaré que tout ce qu’avait dit Alieu Kosiah était un mensonge. KK a ajouté qu’Alieu Kosiah ne se souvenait pas du mal qu’il avait fait, mais que ses victimes s’en souviendraient pour toujours. Selon lui, le prévenu ne dira pas du mal sur lui-même, mais uniquement des choses positives, notamment qu’il n’a jamais maltraité de civils.
Sur question, KK a indiqué que personne ne lui avait offert de l’argent ou promis de pouvoir habiter dans un autre pays en échange d’un faux témoignage.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : avoir ordonné et dirigé un transport forcé de munitions, par des civils, de Gondolahun à Fassama entre novembre et décembre 1993, respectivement entre mars 1994 et fin 1995
La Cour questionne KK :
Le Président a rappelé à KK ses déclarations faites en première instance selon lesquelles la marchandise devait être transportée jusqu’à Fassama en raison des combats et lui a demandé qui l’avait informé que des combats faisaient rage à Fassama. KK a répondu qu’à ce moment-là , la scission entre les ULIMO-K et les ULIMO-J avait déjà eu lieu et qu’il y avait des combats entre les deux factions. Selon KK, les munitions provenaient de Guinée et les civils de Kolahun devaient les transporter jusqu’à Gondolahun, le siège du clan Mbé [phon.] qui compte 12 villages. KK a ajouté que lorsque les munitions arrivaient, un messager était envoyé pour rassembler les hommes de tous les villages du clan Mbé.
Interrogé sur la fréquence de ces transports, KK a indiqué se souvenir d’avoir participé à trois transports de munitions.
Question sur la raison pour laquelle des civils avaient été enfermés avant le transport, KK a expliqué que trois soldats ULIMO sont arrivés à Pasolahun dans la soirée et ont rassemblé les hommes pour transporter les munitions. Selon KK, si les ULIMO avaient laissé les civils dehors pendant la nuit, ces derniers auraient probablement tenté de s’échapper. Les soldats ULIMO ont donc séparé les hommes en deux groupes et les ont enfermés dans des maisons pendant la nuit.
Invité à se déterminer sur les déclarations du prévenu, selon lesquelles il ne faisait aucun sens d’aller de Voinjama à Kolahun pour se rendre à Fassama dans la mesure où cela équivalait à faire un grand détour et qu’il était plus logique d’aller à Kolahun, puis à Vahun, Kumba et Tubmanburg, KK a déclaré qu’Alieu Kosiah mentait. KK a répété que les munitions arrivaient de la Guinée à Kolahun et que, de là , les ULIMO rassemblaient des gens pour faire le transport jusqu’à Gondolahun. Ils rassemblaient ensuite d’autres personnes pour transporter les munitions jusqu’à Sassahun.
Invité à se déterminer sur les déclarations du prévenu, selon lesquelles Gondolahun était un village très éloigné et impossible d’accès pour un soldat, KK a déclaré que lorsque les ULIMO ont pris le pouvoir, ils étaient dans tous les villages et a ajouté qu’Alieu Kosiah mentait.
Sur question, KK a indiqué qu’il n’avait jamais vu Alieu Kosiah à Gondolahun, mais uniquement entendu son nom. Il a ajouté que les soldats y étaient très nombreux et qu’il n’avait pas cherché Alieu Kosiah.
Questionné sur l’identité du soldat le plus haut gradé en poste à Gondolahun, KK a indiqué qu’il y avait beaucoup de soldats – beaucoup trop pour qu’il se souvienne de tous leurs noms – et que ces derniers ne précisaient pas leur grade. KK a cité les noms suivants : Alhaji, Senegali et Scarface Kabbah. Il a ajouté que de nombreux soldats venaient de la route de Vahun pour aller combattre à Fassama.
Me Gianoli questionne KK :
A la question de savoir s’il y avait des combats entre les ULIMO-K et les ULIMO-J à Fassama, KK a répondu avoir entendu dire que les deux factions se battaient à Fassama et qu’il fallait donc acheminer des munitions sur place.
Le MPC questionne KK :
Sur question, KK a déclaré que le convoi parti de Pasolahun pour transporter des munitions n’était pas allé en direction de la Guinée. Le Procureur a indiqué qu’il y avait plusieurs Fassama sur la carte du Libéria et a rappelé que le MPC avait expliqué dans ses réquisitions de première instance qu’il pourrait s’agir du Fassama situé au sud-est de Gondolahun et Pasolahun.
Me Wavre questionne KK :
Invité à citer les noms des villages qu’il a traversés entre Gondolahun et Sassahun, KK a indiqué être passé par Gegewa, Selahun, Papahun, puis Konehun où il est possible de traverser la Lofa River. Selon KK, il y avait ensuite un endroit où se trouvait une société d’exploitation forestière avant d’arriver à Sassahun.
Me Gianoli questionne Ă nouveau KK :
A la question de savoir s’il avait entendu des coups de feu en raison des combats à Sassahun, KK a déclaré qu’il n’habitait pas à Sassahun, mais à Pasolahun et qu’il ignorait si les habitants de Sassahun entendaient des coups de feu. Il a ajouté qu’il s’était rendu à Sassahun uniquement pour apporter des munitions et qu’il était ensuite rentré chez lui.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : avoir tué le civil MoK aux abords de la rivière Lofa
La Cour questionne KK :
A la question de savoir s’il connaissait MoK avant le transport, KK a répondu par l’affirmative. Interrogé sur le lien entre MoK et AS, KK a déclaré qu’AS lui avait dit avant le transport que MoK était son oncle.
Le Président a donné lecture des déclarations de KK devant le MPC, selon lesquelles AS et AK ne lui avaient jamais donné le nom de celui qui avait tué MoK. Le Président a demandé à KK si AS et AK lui avaient dit qu’ils ignoraient qui avait tué MoK ou qu’ils ne voulaient pas le lui dire. KK a expliqué qu’à ce moment-là , chacun était préoccupé pour sa propre survie et a ajouté que voir le corps d’un ami qui venait d’être tué était un événement marquant.
A la question de savoir si, lorsqu’il a revu AS et AK à Pasolahun le lendemain du meurtre de MoK, ce derniers lui ont dit qui avait tué MoK, KK a répondu qu’il ne s’en souvenait pas. Sur question, il a confirmé qu’à ce jour, AS et AK ne lui ont pas donné de nom et qu’il avait identifié lui-même MoK en tant que victime lors du transport.
Le Président a indiqué à KK que selon le prévenu, le chef du village avait déclaré qu’il y avait un seul MoK dans le village de Pasolahun et aucune famille S. KK a contesté ces propos et a confirmé qu’il avait plus d’un MoK à l’époque dans le village de Pasolahun. Il a ajouté qu’il connaissait les MuK et MoK qui étaient venus témoigner sous le nom de Kamara et qu’il était commun au Libéria qu’un même nom de famille soit porté par plusieurs familles différentes de sorte qu’il était possible de trouver plusieurs personnes portant le même nom et le même prénom mais issues de familles différentes.
Me Gianoli questionne KK :
Sur question, KK a indiqué avoir participé à trois transports de munitions pour les ULIMO-K. Invité à préciser la période, KK a répété qu’il n’était pas allé à l’école et a déclaré qu’il ignorait en quelle année ces transports avaient eu lieu. Interrogé sur la scission des ULIMO, KK a indiqué qu’il ignorait à quel moment elle était intervenue.
Sur question, KK a indiqué que le transport de la génératrice était intervenu avant les trois transports de munitions auxquels il a participé. Il a confirmé que Scarface Kabbah était présent lors du transport de munitions. Sur question, il a indiqué avoir vu Scarface Kabbah pour la première fois lorsque les soldats sont venus chercher la machine.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Wavre questionne KK :
Invité à adresser un dernier mot à la Cour, KK a remercié la justice et le gouvernement suisse pour le travail fourni en vue d’apporter la justice au Libéria. Il s’est demandé pourquoi Alieu Kosiah avait fui son pays s’il n’a rien fait de mal et a ajouté que le prévenu n’avait dit que du bien de lui-même et nié connaître ses victimes. Selon KK, il est évident qu’Alieu Kosiah affirme ne pas le connaître, car à l’époque il était au sommet de la pyramide. KK a terminé sa déclaration en réitérant ses remerciements à l’égard des autorités suisses et en indiquant qu’il se tenait à disposition s’il était nécessaire de revenir en Suisse à n’importe quel moment.
Interrogatoire d’Alieu Kosiah
La Cour interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir s’il se souvenait des noms de tous ses soldats, Alieu Kosiah a répondu se souvenir des noms des six ou sept soldats qui lui étaient proches ainsi que de certains autres. Il a ajouté que tous les noms qu’il avait donnés dès le départ avaient été confirmés par Lamine et Papa. A l’inverse, aucun des noms cités par les parties plaignantes n’ont été confirmés comme étant les noms de soldats qui lui étaient proches.
Invité à se déterminer sur les déclarations de KK, le prévenu a déclaré qu’il était évident que les parties plaignantes ne répondraient pas par l’affirmative à la question de savoir si elles avaient été payées pour témoigner. Selon le prévenu, il existe en revanche des documents qui prouvent que tel est bien le cas. Alieu Kosiah a déclaré qu’un témoin Mandingo avait obtenu l’asile grâce à Alain Werner dans le cadre de la procédure ouverte contre Agnes Taylor.
S’agissant de la centrale électrique de Nyandehun [phon.] évoquée par KK, Alieu Kosiah a expliqué qu’un Allemand vivait là -bas avant la guerre et avait construit une centrale hydroélectrique permettant aux habitants d’avoir de la lumière. Le prévenu a ajouté que Vahun était la capitale de cette zone, mais était dépourvue d’électricité, tout comme les villages de Papalahun, Bolahun, Massabolahun et Pasolahun. Selon lui, les témoins MoK et MuK ont d’ailleurs confirmé qu’il n’y avait jamais eu d’électricité à Pasolahun.
Alieu Kosiah a ensuite invité la Cour à observer la carte et le trajet le plus logique pour aller de Voinjama à Tubmanburg en répétant qu’il ne faisait aucun sens de passer par Kolahun et en précisant qu’il se référait au Fassama dans le district Kpelle de Bapahun et non au petit Fassama près de Zorzor. Il a ajouté que les ULIMO avaient des trucks pour transporter les munitions jusqu’au Lofa Bridge comme l’a dit LSM. Alieu Kosiah a ensuite cité les noms des villages qu’il fallait traverser, à savoir Kombo, Camp SCS, Timber Village, Lofa Bridge et Pawa. Selon lui, les ULIMO-K n’ont jamais pris le Lofa Bridge et la distance entre le Lofa Bridge et Fassama était d’au moins 200 km.
Alieu Kosiah a déclaré que ce transport correspondait plutôt à un transport organisé par les LURD depuis la Guinée étant précisé que Taylor occupait toute la zone de sorte qu’il aurait eu du sens pour les LURD d’attaquer par les deux côtés, à savoir Vahun et Gondolahun. Selon le prévenu, cela pourrait situer des combats à Fassama. En revanche, ce transport ne peut pas être le fait des ULIMO car Fassama était déjà protégée avant la capture du Lofa et se trouvait au milieu du territoire des ULIMO-K.
Le prévenu s’est ensuite attelé à relever des contradictions dans les déclarations de KK au sujet de MoK, notamment son village de provenance (i.e. Bolahun puis Pasolahun). Selon Alieu Kosiah, les noms des frères et sœurs de MoK cités par KK correspondent par ailleurs aux noms des frères et sœurs du témoin MoK. Le prévenu s’est demandé pourquoi KK n’avait pas été capable de donner une description de MoK alors qu’il pouvait décrire Alieu Kosiah en l’ayant trois ou quatre fois.
Alieu Kosiah a également déclaré que MuK était plus âgé que MoK, alors que KK avait dit le contraire. Il a ajouté qu’en première instance, KK avait identifié les témoins MuK et MoK en tant que tels, puis a évoqué le nom de Kamara lorsqu’il a été confronté à eux.
Alieu Kosiah s’est défendu d’avoir tué MoK et MuK. Il a relevé une autre contradiction dans les déclarations de KK en ce qu’il a déclaré que AS et AK ne lui avaient pas dit qui avait tué MoK et MuK, alors qu’il a indiqué il y a deux que AK lui avait dit qu’Alieu Kosiah avait tué MoK. Le prévenu a déclaré que si la Cour citait AK à comparaître sans passer par l’ONG, alors ce dernier confirmera ses propos. Il a répété que seules les personnes qui étaient passées par l’ONG le connaissaient et l’accusaient d’être un tueur.
Me Gianoli et le MPC n’ont pas eu de questions.
Me Wavre interroge Alieu Kosiah :
Sur question, le prévenu a confirmé que le petit Fassama à proximité de Zorzor était accessible en voiture depuis Zorzor.
Me Werner interroge Alieu Kosiah :
Me Werner a donné lecture des déclarations d’Abraham Towah selon lesquelles l’organisation des ULIMO voulait que les civils soient utilisés pour porter des munitions jusqu’à la ligne de front pendant que les soldats portaient les armes, de sorte que Alieu Kosiah n’était pas le seul à se livrer à de tels transports. Invité à se déterminer à cet égard, le prévenu a déclaré se souvenir de s’être rendu peut-être une ou deux fois sur la ligne de front avec Abraham Towah. Il a expliqué avoir été blessé à la main alors qu’il menait les troupes sur la ligne de front et précisé qu’il n’y avait aucun civil. Selon lui, il n’est pas exclu que d’autres commandants aient emmené des civils sur la ligne de front ou à proximité d’un endroit dangereux, mais tel n’était pas son cas. Il a déclaré qu’il emportait ses charges de base et ses soldats et a ajouté que lorsqu’il était allé à Benefanaye avec Kundi, ils portaient leurs propres munitions.
Invité à se déterminer sur les déclarations d’Abraham Towah, qui a expliqué être passé par Gondolahun pour aller à Fassama par la route qui relie ces deux villages, le prévenu a précisé qu’Abraham Towah avait dit d’une part qu’Alieu Kosiah n’était pas avec lui lorsqu’il s’est rendu à Gondolahun. D’autre part, Abraham Towah avait déclaré plus tard qu’il ne connaissait pas Gondolahun et qu’il ne s’y était jamais rendu. Le prévenu a répété qu’il pensait que ce transport était le fait des LURD et non des ULIMO. Il a ajouté que Papa avait également déclaré sur question que cela ne faisait aucun sens de transporter des munitions.
A la question de savoir si Papa avait combattu pour les LURD lors de la seconde guerre civile, Alieu Kosiah a répondu qu’il ne lui avait jamais posé la question et qu’il pensait que tel n’était pas le cas, car sinon, Papa le lui aurait dit.
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Audition de AS
La personne entendue a déclaré être AS, né le 15 août 1978. Le Président a indiqué à AS qu’il était entendu en tant que personne appelée à donner des renseignements et l’a rendu attentif aux conséquences pénales d’une dénonciation calomnieuse, d’une induction de la justice en erreur et d’une entrave à l’action pénale. Le Président lui a rappelé les faits reprochés à Alieu Kosiah le concernant, à savoir avoir ordonné le pillage de la génératrice de Pasolahun entre octobre et novembre 1993, respectivement entre mars 1994 et fin 1995, avoir ordonné le transport forcé de la génératrice de Pasolahun, par des civils, de Pasolahun à Kolahun, entre octobre et novembre 1993, respectivement entre mars 1994 et fin 1995, et dans ce contexte avoir tué le civil MuK aux abords de la rivière Kehair, avoir ordonné et dirigé un transport forcé de munitions, par des civils, de Gondolahun à Fassama entre novembre et décembre 1993, respectivement entre mars 1994 et fin 1995 et dans ce contexte avoir tué le civil MoK aux abords de la rivière Lofa.
Questions relatives Ă la situation personnelle
La Cour questionne AS :
Le Président a invité AS à indiquer quelles ont été les conséquences de la première guerre civile au Libéria pour lui. AS a déclaré qu’à cause de la guerre, il ne pouvait plus aller à l’école et que cela lui avait demandé beaucoup de courage de retourner à l’école après la guerre, car il était plus âgé. Il a expliqué qu’il était encore à l’université car il n’avait pas pu suivre un cursus régulier. Il a dû prendre soin de lui-même et des siens et suivait des cours de manière sporadique.
Interrogé sur l’importance de la présente procédure pour lui, AS a déclaré : « C’est pour moi le jour que j’ai attendu toute ma vie, pour que justice soit rendue ». Invité à élaborer sur la raison pour laquelle cette justice devait être rendue contre Alieu Kosiah, AS a déclaré que depuis la fin de la guerre, de nombreux Libériens ont souhaité qu’une cour soit établie pour juger les crimes commis, mais d’autres n’étaient pas en faveur de cela et rien n’a été fait. AS a précisé que ce n’était pas seulement à l’encontre d’Alieu Kosiah, mais qu’il irait témoigner de la même manière contre quiconque ayant commis des crimes de guerre.
Questionné sur les éventuelles conséquences de son témoignage en Suisse sur lui et sa famille, AS a expliqué qu’après son retour au Libéria en 2021, James M. Kamara, MoK et MuK ont fait circuler l’information selon laquelle il était venu témoigner. Le Président a invité AS à donner plus de précisions sur le courrier produit par son conseil, à teneur duquel il a été contacté par James M. Kamara afin d’obtenir des informations sur le témoin AK. AS a raconté qu’il était avec EK, un ami qui vit à Kolahun lorsque James M. Kamara a contacté EK par téléphone afin de parler à AS. James M. Kamara a demandé à AS où se trouvait AK et AS a répondu qu’il l’ignorait. James M. Kamara a alors déclaré qu’on lui avait donné de l’argent qu’il devait remettre à AK. Sur question, AS a déclaré que James M. Kamara ne lui avait pas dit qui lui avait remis cet argent.
Interrogé sur ses contacts avec les autres parties plaignantes depuis la procédure de première instance, AS a déclaré avoir été en contact uniquement avec KK car le père de ce dernier est décédé et AS s’est rendu aux funérailles.
A la question de savoir si quelqu’un lui avait offert de l’argent pour tĂ©moigner dans le cadre de cette procĂ©dure, AS a rĂ©pondu par la nĂ©gative. Il a ajoutĂ© qu’il Ă©tait un homme indĂ©pendant et que contrairement Ă ce qu’a prĂ©tendu Alieu Kosiah, une personne sans qualification au LibĂ©ria gagne au moins 5 dollars par jour alors qu’une personne qualifiĂ©e gagne entre 10 et 20 dollars grâce Ă la loi pour des salaires dĂ©cents qu’a fait passer le gouvernement.
Questionné sur l’indemnisation pour tort moral allouée en première instance, AS a déclaré qu’il n’était pas au courant de ladite indemnisation.
Me Gianoli questionne AS :
Interrogé sur le nom de famille des témoins MoK et MuK, AS a indiqué que dans son enfance, les gens les appelaient Kamara. Invité à expliquer pourquoi il n’avait jamais identifié les deux témoins sous le nom Kamara avant la première instance, AS a déclaré qu’il se souvenait avoir dit à la Cour que lorsqu’il était petit, les gens les appelaient Kamara et que c’était seulement après la guerre en 1997 ou 1998 qu’ils ont commencé à être appelés K. AS a ajouté qu’ils avaient aussi un nom de danse.
Sur question, AS a déclaré ne pas se souvenir d’avoir vu des photos de MuK et MoK avant de venir témoigner en première instance. Il a confirmé avoir dit la vérité en première instance et a déclaré qu’il continuait de dire la vérité.
Me Gianoli a demandĂ© Ă AS pourquoi il Ă©tait problĂ©matique que les gens de son village sachent qu’il Ă©tait venu tĂ©moigner en Suisse sur les crimes commis durant la guerre civile au LibĂ©ria. AS a rĂ©pondu que beaucoup de gens avaient Ă©tĂ© traumatisĂ©s par la guerre et en souffraient encore aujourd’hui. Il a ajoutĂ© qu’il y avait encore beaucoup d’anciens combattants traumatisĂ©s, dont certains Ă©taient des criminels susceptibles de lui faire du mal car ils ne connaissaient que la guerre. Selon AS, Alieu Kosiah dispose encore de nombreux fidèles qui considèrent que ceux qui sont venus tĂ©moigner les ont exposĂ©s. AS a rappelĂ© que mĂŞme Abraham Towah a dĂ©clarĂ© qu’il ne pouvait pas retourner au LibĂ©ria par peur des reprĂ©sailles. AS a dĂ©clarĂ© qu’il craignait pour sa famille.
A la question de savoir si un ancien fidèle d’Alieu Kosiah s’en était pris à lui, AS a expliqué que personne ne s’en était pris à lui physiquement, ce qui n’enlevait rien à l’extrême prudence dont il fallait faire preuve car si les anciens combattants apprennent qu’une personne est venue témoigner, ils vont la prendre pour cible par crainte d’être exposés.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles James M. Kamara était à la recherche d’AK, AS a répété que James M. Kamara lui avait dit qu’il devait remettre l’argent qu’on lui avait donné à AK. A la question de savoir pourquoi James M. Kamara devait donner de l’argent à AK, AS a répondu que la discussion n’était pas allée plus loin et qu’il n’avait pas posé la question.
Questionné sur l’école qu’il fréquentait avant la guerre, AS a indiqué avoir d’abord été scolarisé à Pasolahun puis à Kolahun et a déclaré qu’il ignorait le nombre d’années durant lesquelles il avait été scolarisé. Sur question, il a indiqué qu’il se trouvait à Kolahun lorsque les écoles ont fermé. Interrogé sur la présence des NPFL, AS a précisé que les écoles étaient encore ouvertes sous les NPFL à Bolahun et Kolahun en 1991-1992. Selon lui, les écoles ont complètement fermé en 1993.
Interrogé sur la destruction des écoles, AS a indiqué que plusieurs écoles ont été détruites, notamment au moyen de tirs de RPG. Il a ajouté que lorsque les ULIMO sont arrivés à Pasolahun, personne n’allait à l’école car tout le monde craignait d’être réquisitionné pour porter des charges. Selon AS, l’ULIMO était une faction terrible. Les ULIMO traitaient les civils comme des animaux et tuaient qui bon leur semblait lorsqu’ils capturaient une ville. Sur question, AS a indiqué que les ULIMO n’avaient tué personne à leur arrivée à Pasolahun. Interrogé sur d’éventuels meurtres commis par les ULIMO au sein du clan Mbé [phon.], AS a indiqué qu’il était à Pasolahun et n’avait pas connaissance de ce qui se passait au sein des douze villages du clan Mbé. Me Gianoli a demandé à AS comment il pouvait dès lors dire que les ULIMO tuaient en arrivant dans les villages. AS a nuancé ses propos et déclaré que les ULIMO ne tuaient pas nécessairement des gens en arrivant quelque part. Il a répété que des écoles avaient été détruites par des tirs de RPG et expliqué que parfois, lorsque les ULIMO arrivaient dans un endroit, les combats ne faisaient pas rage car les NPFL étaient déjà partis. Selon lui, les ULIMO ont combattu les NPFL qui se trouvaient dans le clan Mbé à Lesku [phon.] et un chauffeur du nom de Kpeh [phon.] qui avait été réquisitionné pour porter des munitions a été tué lors de ces combats.
Questionné sur le revenu mensuel moyen au Libéria, AS a déclaré qu’il l’ignorait. Il a indiqué que pour sa part, il avait travaillé pour l’ONG Community Service Initiative (CSI) en tant que superviseur dans le Lofa et gagnait plus de 500 dollars par mois. Sur question, il a indiqué qu’il ignorait s’il gagnait mieux sa vie que les gens qui lui étaient proches. Interrogé sur le salaire mensuel d’un policier, AS a dit qu’il l’ignorait et qu’il fallait poser la question à des officiels libériens.
Le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.
Questions relatives au contexte général
La Cour questionne AS :
Interrogé sur le nombre de transports auxquels il a participé pour le compte des ULIMO, AS a déclaré qu’il était impossible de les compter tellement il y en avait eus et a ajouté que les civils étaient traités comme des esclaves. Questionné sur la fréquence de ces transports, AS a indiqué que tous les jours, au petit matin, les ULIMO rassemblaient les jeunes du village et désignaient cinq ou six personnes qui devaient rester sur place pour le cas où des soldats avaient des charges à leur faire porter.
Questionné sur les raisons pour lesquelles il avait décidé de dénoncer ces deux transports en particulier à la justice, AS a expliqué qu’il ne pouvait pas mentionner chacun des transports effectués, car ceux-ci rythmaient son quotidien. Il a ajouté avoir dénoncé les deux transports qui l’avaient particulièrement marqué en raison des événements qui se sont produits à l’occasion de ces transports et qu’il n’oubliera jamais.
Sur question, AS a confirmé qu’il connaissait bien James M. Kamara qui était capitaine de l’équipe de football pendant la guerre. AS a également confirmé que James M. Kamara était proche des ULIMO. Il a expliqué que ce dernier n’avait jamais été contraint de porter des charges sur sa tête et qu’il approvisionnait les soldats en marijuana. Selon AS, il arrivait que les soldats le chargent de diriger des transports de marchandises par des civils jusqu’à la frontière guinéenne, d’y vendre les marchandises et de leur rapporter l’argent.
Invité à expliquer en quoi il avait finalement été en mesure d’identifier formellement Alieu Kosiah, AS a expliqué avoir eu de la peine à le reconnaître de prime abord car il avait changé, comme n’importe qui aurait changé après 20 ou 30 ans. AS a ajouté l’avoir reconnu au tribunal à cause de la manière qu’il avait de crier sur les gens et de leur donner des coups de pied. Selon AS, Alieu Kosiah était une personne si terrible que les civils ne s’en approchaient pas.
InterrogĂ© sur son arrestation lors de l’arrivĂ©e des ULIMO Ă Kolahun, AS a expliquĂ© avoir Ă©tĂ© attrapĂ© avec quatre ou cinq autres jeunes par des soldats qui les accusaient d’avoir Ă©tĂ© envoyĂ©s en reconnaissance par les NPFL. AS a ajoutĂ© avoir subi la pratique du « ULIMO taxi » qui consiste Ă se faire attacher les jambes en position assise et se faire traĂ®ner sur le sol. AS a indiquĂ© qu’ils avaient ensuite Ă©tĂ© tabĂ©s sur la route principale qui mène Ă Kolahun et allongĂ© sur le dos en plein soleil. Sur question, AS a prĂ©cisĂ© que Mami Wata – qu’il a dĂ©crit comme petit et trapu – l’avait libĂ©rĂ© alors que les autres avaient Ă©tĂ© conduits au quartier-gĂ©nĂ©ral. InterrogĂ© sur le sort des autres personnes, il a indiquĂ© qu’il ne les avait plus jamais revues et qu’il ignorait ce qui leur Ă©tait arrivĂ©. Il a ajoutĂ© qu’il Ă©tait uniquement prĂ©occupĂ© par sa propre sĂ©curitĂ© et qu’il craignait pour sa vie dès que quelqu’un s’approchait de lui car Kolahun Ă©tait devenu un endroit effrayant. A la question de savoir si le nom d’Alieu Kosiah avait Ă©tĂ© mentionnĂ© lors de cet Ă©vĂ©nement, AS a indiquĂ© avoir entendu le nom « H&H », Ă savoir « headquarter and headquarter commander ». Selon AS, lors de la prise de Kolahun, CO Kobra Ă©tait ground commander et CO Kosiah a Ă©tĂ© appelĂ© par la suite en tant que H&H. Il a ajoutĂ© qu’il n’avait pas vu Alieu Kosiah Ă Kolahun mais seulement entendu son nom.
Le Président a demandé à AS pourquoi il avait déclaré devant le MPC que son souvenir le plus terrible était le travail forcé des enfants. AS a répondu qu’à l’époque, il était lui-même un enfant et que la chose la plus terrible dont il pouvait se souvenir était le travail forcé des enfants.
Le Président lui a ensuite rappelé ses déclarations devant le MPC selon lesquelles il avait vu Alieu Kosiah recevoir de l’argent à Foya et lui a demandé comment il avait reconnu le prévenu. AS a déclaré qu’il se souvenait de son visage et que tout le monde répétait son nom en permanence. Il a ajouté qu’il avait vu Alieu Kosiah recevoir de l’argent. Interrogé sur l’identité de la personne ayant remis de l’argent au prévenu, AS a indiqué qu’il ne se souvenait pas de quel soldat il s’agissait. Il a ajouté qu’il s’était rendu à Foya car Mami Wata lui avait dit d’y aller, mais qu’il était reparti après avoir vu des brouettes remplies de morceaux de cadavres humains.
Me Gianoli questionne AS :
Sur question, AS a confirmé que des soldats vivaient à Pasolahun pendant la guerre et a précisé qu’ils faisaient des rotations et changeaient environ tous les quatre mois de poste. Selon AS, le soldat en charge était le ground commander. Invité à donner les noms des soldats stationnés à Pasolahun, AS a déclaré qu’il se ne souvenait pas de tous les noms et a cité Jungle Rock, Mandingo Devil et Gbandi Boy.
Sur question, AS a déclaré avoir été tabé une seule fois à Kolahun. Interrogé sur l’identité du commandant le plus haut gradé à Foya, AS a indiqué qu’il n’était pas soldat et n’était pas en mesure de reconnaître les grades. Sur question, AS a précisé être resté peu de temps à Foya, peut-être quelques jours, voire même un mois. A la question de savoir s’il avait vu Alieu Kosiah tous les jours lorsqu’il était à Foya, AS a répondu l’avoir vu une fois.
Interrogé sur War Boss, AS a déclaré avoir entendu ce nom, mais ne pas se souvenir d’avoir vu cette personne. Questionné sur les cheveux de Mami Wata, AS a répété que les faits s’étaient déroulés il y a plus de trente ans et qu’il ne se souvenait pas si Mami Wata avait les cheveux longs ou courts. AS a indiqué sans certitude que selon lui Mami Wata avait une coupe « dada », comme des petits dreadlocks.
Le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : avoir ordonné le pillage de la génératrice de Pasolahun entre octobre et novembre 1993, respectivement entre mars 1994 et fin 1995
La Cour questionne AS :
Invité à indiquer qui du townchief ou de Scarface Kabbah lui avait dit que Alieu Kosiah avait donné l’ordre de démanteler le générateur, AS a déclaré avoir entendu Scarface Kabbah dire que son chef l’avait envoyé prendre la machine pour l’envoyer à Kolahun. Selon AS, Scarface Kabbah a également déclaré que CO Kosiah les attendait à Kolahun. A la question de savoir s’il savait qui était Alieu Kosiah lorsqu’il a entendu les propos de Scarface Kabbah, AS a répondu par l’affirmative et a précisé qu’il avait vu le prévenu à Foya avant d’aller à Pasolahun.
Invité à confirmer qu’il n’avait pas assisté au démantèlement, AS a indiqué qu’ils avaient été regroupés à une certaine distance de laquelle ils pouvaient voir les personnes amenées par les ULIMO travailler.
Interrogé sur la présence d’électricité à Pasolahun et l’usage qui en était fait, AS a indiqué que la génératrice avait été apportée par Stephen Kemba [phon.], l’ancien commissaire de Pasolahun et que des poteaux en bois avaient été installés pour essayer de connecter le village lorsque la guerre a éclaté. AS a précisé que l’électricité était utilisée pour l’éclairage et pour la musique.
Sur question, AS a confirmé qu’il y avait une entreprise d’extraction de jus de canne à Pasolahun à l’époque. Selon AS, l’extracteur de jus se trouvait au sein d’une plantation appartenant à un vieil homme nommé Mabu [phon.] et était utilisé uniquement pour broyer des cannes à sucre, non pas pour produire de l’électricité. A la question de savoir si cette machine disposait d’un moteur électrique, AS a répondu qu’il ne s’y connaissait pas en mécanique et a répété qu’à sa connaissance, cette machin n’était pas destinée à approvisionner le village mais uniquement à broyer la canne à sucre.
Me Gianoli questionne AS :
Sur question, AS a indiqué que le démontage de la génératrice était intervenu après qu’il eut été arrêté à Kolahun. Invité à décrire la génératrice, AS a indiqué qu’elle était très grande et aurait pu approvisionner deux villages. Interrogé sur la manière dont la génératrice avait été transportée, AS a indiqué qu’ils étaient venus en voiture par la route qu’a fait construire le commissioner Kemba de Kolahun à Pasolahun. Sur question, AS a déclaré qu’il ne se souvenait pas si la génératrice était démontée lorsqu’elle a été amenée à Pasolahun.
Invité à décrire les poteaux électriques qu’il a évoqués précédemment, AS a indiqué qu’il y avait aussi ce genre de poteaux à Monrovia. Selon lui, ce sont des poteaux en bois, très longs, qu’on plante dans le sol et sur lesquels on met une ampoule. Sur question, AS a déclaré qu’il n’y avait plus de poteaux à Pasolahun depuis la guerre car, depuis le pillage du générateur par les ULIMO, les habitants de Pasolahun ont utilisé ces poteaux comme du bois à brûler.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Wavre questionne AS :
Interrogé sur le fonctionnement des machines pendant la guerre, AS a indiqué qu’elles ne fonctionnaient pas tous les jours, car l’installation du réseau électrique dans le village était en cours. Il a expliqué que la machine était utilisée de manière ponctuelle lors des fêtes.
Me Werner questionne AS :
Sur question, AS a répété qu’il ignorait de quelle manière fonctionnait l’extracteur de jus de canne, en particulier s’il fallait de l’électricité pour la faire fonctionner.
Me Gianoli questionne Ă nouveau AS :
Sur question, AS a indiqué qu’à sa connaissance, la machine était neuve lorsqu’elle a été amenée de Kolahun à Pasolahun.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : avoir ordonné le transport forcé de la génératrice de Pasolahun, par des civils, de Pasolahun à Kolahun, entre octobre et novembre 1993, respectivement entre mars 1994 et fin 1995
La Cour questionne AS :
Invité à confirmer ses déclarations selon lesquelles il n’avait pas vu Alieu Kosiah pendant le transport mais uniquement à la rivière Kehair, AS les a confirmées. A la question de savoir s’il pouvait exclure qu’Alieu Kosiah était présent lors du transport, AS a répondu qu’il ne l’avait pas vu pendant l’ensemble du transport et que Scarface Kabbah répétait continuellement qu’Alieu Kosiah les attendait à Kolahun. AS a expliqué que des soldats étaient répartis sur l’ensemble du convoi pour éviter que quiconque s’échappe. Si les civils ne marchaient pas assez vite, les soldats coupaient un bâton dans la brousse et les fouettaient. Selon AS, les soldats répétaient aux civils qu’il fallait marcher vite car Kosiah les attendait à Kolahun et que s’ils ne se dépêchaient pas, ils mourraient. AS a ajouté que parfois, les soldats leur donnaient des coups de crosse de fusil et que par conséquent, tout le monde s’efforçait de courir.
Le PrĂ©sident a indiquĂ© Ă AS qu’Alieu Kosiah avait dĂ©clarĂ© connaĂ®tre un militaire du nom de Scarface Kabbah et indiquĂ© qu’il s’agissait de quelqu’un de très important au sein des ULIMO qui Ă©tait assignĂ© Ă Voinjama et qui Ă©tait supĂ©rieur Ă lui. Le prĂ©venu a Ă©galement niĂ© avoir donnĂ© l’ordre de transporter la gĂ©nĂ©ratrice. Sur question, AS a confirmĂ© avoir assistĂ© Ă l’interaction entre Scarface Kabbah et Alieu Kosiah Ă Kolahun. InvitĂ© Ă la dĂ©crire, AS a dĂ©clarĂ© avoir vu Scarface Kabbah se mettre au garde vous et saluer Alieu Kosiah. AS a ajoutĂ© avoir entendu Alieu Kosiah lui rĂ©pondre : « Repos ».
Me Gianoli questionne AS :
Sur question, AS a indiqué que trop de temps s’était écoulé pour qu’il se souvienne à quel moment de la journée ils étaient partis de Pasolahun. Interrogé sur le temps nécessaire pour se rendre de Pasolahun à Kolahun, AS a indiqué qu’en temps de paix, les gens se rendaient de Pasolahun à Kolahun en deux jours environ, surtout les femmes, alors qu’ils avaient rejoint Kolahun en une journée lors du transport en raison de la forte pression exercée par les ULIMO.
Sur question, AS a déclaré qu’il ne se souvenait pas à quel moment Scarface Kabbah était arrivé à Pasolahun ni s’il était allé voir le chef du village le jour du transport ni s’il avait dormi à Pasolahun. AS a également indiqué qu’il ignorait d’où venait Scarface Kabbah lorsqu’il est arrivé à Pasolahun.
Sur question, AS a indiqué que lors du transport, le groupe était grand et qu’il n’était pas dans les premiers à être arrivés au bord de la rivière Kehair.
Interrogé sur la position de Scarface Kabbah lors du transport, AS a indiqué qu’il n’avait pas une position fixe, mais se déplaçait d’avant en arrière pour s’assurer que tout le monde reste en formation et rappeler aux civils que s’ils n’avançaient pas assez vite, les mouches apporteraient le message à leurs parents.
Sur question, AS a déclaré qu’il ne se souvenait pas où se trouvait Scarface Kabbah lorsqu’il est arrivé à la rivière Kehair.
Invité à donner une description de Scarface Kabbah, AS a indiqué qu’il ne l’avait pas beaucoup vu et qu’il ne voulait pas dire n’importe quoi. AS a simplement indiqué qu’il portait une tenue de camouflage et une casquette militaire et a déclaré qu’il ne pourrait pas le reconnaître. Questionné sur le nombre de fois où il avait vu Scarface Kabbah, AS a indiqué que la seule fois qu’il avait interagi avec Scarface Kabbah, c’était lors du transport du générateur. Il a ajouté qu’on entendait son nom un peu partout dans la région. A la question de savoir s’il se souvenait avoir vu Scarface Kabbah à une autre occasion, AS a déclaré que cela était possible mais qu’il ne s’en souvenait pas présentement.
Le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : avoir tué le civil MuK aux abords de la rivière Kehair
La Cour questionne AS :
Invité à partager sa première impression quant à la position qu’occupait Alieu Kosiah au sein des ULIMO, AS a expliqué avoir tout de suite pensé que le prévenu était un gradé de haut rang parce qu’il l’avait vu à Foya et que les gens le désignaient sous le nom de H&H. AS a ajouté que lorsqu’ils sont arrivés à la rivière Kehair, les soldats le saluaient. Il en a donc déduit qu’Alieu Kosiah était un commandant.
InvitĂ© Ă indiquer en quoi il avait constatĂ© qu’Alieu Kosiah Ă©tait en colère lorsqu’il voulait que le gĂ©nĂ©rateur arrive Ă Kolahun pour ĂŞtre transportĂ© en GuinĂ©e, AS a expliquĂ© que le prĂ©venu Ă©tait un homme terrible qui voulait que les choses se dĂ©roulent selon sa volontĂ©. Si quelqu’un lui faisait perdre son temps, il lui donnait un coup de pied ou le battait et si cela se reproduisait, il lui tirait dessus. Selon AS, Alieu Kosiah Ă©tait Ă©motionnel et rĂ©agissait très fort.
Le Président a demandé à AS si le prévenu était muni d’une arme lorsqu’il a dit à MuK : « Si tu ne veux pas continuer, tu vas rester ici ». AS a répondu avec émotion qu’il ne se souvenait pas si Alieu Kosiah portait une arme, mais selon AS, le prévenu a demandé à un enfant soldat de lui en donner une. Interrogé sur la chronologie des événements, AS a expliqué que quand MuK a dit à Alieu Kosiah qu’il était trop fatigué pour continuer, le prévenu a demandé à un enfant soldat de lui donner une arme et a dit à MuK : « Tu vas rester ici ». AS a déclaré que la scène était confuse et difficile à vivre.
A la question de savoir si MuK avait eu l’opportunité de répondre à la menace du prévenu, AS a répondu qu’il ne l’avait pas entendu dire quoi que ce soit car il était trop épuisé après avoir marché toute la journée sans manger ni boire.
Sur question, AS a confirmé avoir entendu deux coups de feu. Il a ajouté que le groupe était grand de sorte qu’il n’avait pas bien vu tout ce qui se passait. A la question de savoir s’il avait vu Alieu Kosiah muni d’un pistolet, AS a répondu qu’il ne s’en souvenait pas.
Invité à se déterminer sur les déclarations du prévenu, selon lesquelles le seul MuK de Pasolahun était encore vivant et qu’il était impossible que deux MuK avec un frère du nom de MoK aient vécu dans le même village au même moment, AS a déclaré que les témoins qui prétendent être MuK et MoK ont dressé une liste des membres de leur famille à leur retour à Pasolahun. Selon AS, MuK et MoK prétendent que sa mère est leur sœur. AS a déclaré que si le nom de sa mère figurait sur cette liste, alors MoK et MuK mentaient.
Me Gianoli questionne AS :
A la question de savoir si le nom de sa mère figurait sur ladite liste, AS a répondu par la négative et a déclaré que MuK et MoK avaient dit que sa mère était la sœur alors que tel n’était pas le cas.
Invité à donner une description du checkpoint de la rivière Kehair, AS a indiqué qu’il fallait traverser la rivière Kehair pour aller de Pasolahun à Kolahun et que les ULIMO avaient attaché une corde de l’autre côté de la route. Il a expliqué qu’ils avaient laissé une ouverture sur le côté de sorte à obliger les gens à passer devant les soldats. A la question de savoir si les soldats se trouvaient à gauche ou à droite de la route, AS n’a pas été en mesure de donner une réponse. Il a expliqué que ce jour-là , ils étaient un grand groupe et qu’à leur arrivée, les soldats ont détaché la corde pour les laisser passer avec la machine.
Sur question, AS a indiqué qu’il y avait un vieux bâtiment au niveau du checkpoint, qui se situait sur la droite en direction de Kolahun, et des maisons aux alentours qui n’étaient plus habitées car les gens avaient fui à cause de la guerre.
Interrogé sur la position d’Alieu Kosiah lorsqu’il est arrivé au checkpoint, AS a indiqué que le prévenu se trouvait sur la route du côté de Kolahun. A la question de savoir si MuK était déjà là lorsqu’il est arrivé au checkpoint, AS a précisé que MuK faisait partie du groupe. Sur question, AS a indiqué qu’il pensait que MuK et lui faisaient quasiment partie du même groupe et a précisé que les gens avançaient en ligne.
Questionné sur l’endroit où se trouvait MuK lorsqu’il a été exécuté, AS a indiqué qu’il était dans l’herbe à côté de la route, du côté droit. Interrogé sur la position des civils et des soldats par rapport à MuK, AS a indiqué que les soldats étaient autour de MuK alors que les civils étaient un peu plus loin car ils avaient reçu l’ordre de se préparer à repartir. Selon AS, l’attention des soldats était portée sur MuK car il se disait fatigué. AS a déclaré que si Chief Kosiah était là , les civils devaient garder leurs distances.
Me Gianoli a demandé à AS où se trouvaient les civils par rapport à Alieu Kosiah et MuK au moment du meurtre. AS a répondu que les civils étaient un peu plus en avant en direction de Kolahun car MuK était fatigué et ne pouvait plus avancer.
Interrogé à plusieurs reprises sur l’emplacement des civils et des soldats, AS a répété que pendant le transport, il y avait des soldats à l’avant, à l’arrière et au milieu du convoi alors qu’une fois la destination atteinte, les civils n’étaient pas dans le groupe des soldats.
Réinterrogé sur l’endroit où il se trouvait lors de l’exécution de MuK, AS a expliqué qu’il était du côté de Kolahun alors qu’Alieu Kosiah était derrière avec MuK. Sur question, AS a confirmé que la rivière et Alieu Kosiah étaient derrière lui et a répété que le prévenu était sur la route.
Me Gianoli a dessiné un croquis de la scène, qu’AS a complété. AS a expliqué que lorsqu’ils allaient au marché, ils devaient déposer leurs marchandises au checkpoint et les soldats prélevaient quatre ou cinq coupes, voire la totalité. Sur question, AS a indiqué que MuK se trouvait avant le checkpoint lorsqu’il a été tué. AS a répété avoir entendu des coups de feu, mais ne pas avoir vu Alieu Kosiah tirer sur MuK car il y avait des soldats autour d’eux.
InterrogĂ© sur le type d’arme avec laquelle MuK a Ă©tĂ© tuĂ©, AS a indiquĂ© qu’il ne se souvenait pas s’il s’agissait d’un AK47 ou d’un pistolet. AS a ajoutĂ© qu’après avoir entendu les coups de feu, il y avait une grande confusion et ils se sont dĂ©pĂŞchĂ©s d’avancer vers Kolahun car ils pensaient ĂŞtre les prochains Ă y passer.
Me Gianoli a demandé à AS comment il savait que c’était Alieu Kosiah qui avait tiré sur MuK. AS a répondu avoir entendu le prévenu dire à MuK que s’il ne pouvait pas porter sa charge jusqu’à Kolahun, alors les mouches porteraient le message. Il a ensuite entendu MuK dire qu’il n’en pouvait plus et le prévenu demander une arme à un enfant soldat. Il en a donc conclu qu’Alieu Kosiah avait abattu MuK. Sur question, AS a confirmé qu’il s’agissait bien d’une déduction et a ajouté qu’après les coups de feu, Alieu Kosiah avait chanté une chanson en Mandingo.
AS a fredonné la chanson dans la salle d’audience. Selon lui, le sens de cette chanson intitulée Dolimossu [phon.]est le suivant : en 1990, les NPFL sont arrivés et les ULIMO se sont enfuis, puis ils sont revenus comme des lions et personne ne pouvait les empêcher de faire ce qu’ils voulaient.
Questionné sur l’endroit où se trouvait le corps de MuK, AS a indiqué qu’il était sur la route. A la question de savoir s’il avait vu un impact de balle sur le cadavre, AS a déclaré que c’était trop terrible pour qu’il s’arrête et examine le corps. Selon AS, tout le monde ne pensait qu’à quitter Kolahun et à rentrer chez soi.
Sur question, AS a indiqué avoir marché encore 20 à 30 minutes depuis le checkpoint jusqu’au centre de Kolahun. Me Gianoli lui a demandé à quel moment il était reparti à Pasolahun. AS a répondu qu’il ne se souvenait pas si c’était le même jour ou le lendemain. Il a confirmé avoir vu le corps de MuK sur la route près de la rivière en retournant à Pasolahun et a répété qu’il avait eu trop peur de s’arrêter et d’examiner le corps.
A la question de savoir s’il y avait des soldats ULIMO à proximité du corps de MuK à ce moment-là , AS a répondu qu’il n’avait pas vu de soldats ULIMO en retournant à Pasolahun. Me Gianoli lui a demandé pourquoi il ne s’était pas arrêté près du corps dans ce cas. AS a répété qu’il ne pensait qu’à quitter Kolahun et a expliqué qu’il ne voulait pas être à nouveau réquisitionné par exemple pour aller à Foya.
Invité à expliquer pourquoi il avait été beaucoup plus précis lors de sa première audition à Berne, AS a déclaré que sa mémoire n’était pas automatique et qu’il racontait ce dont il se souvenait au moment où il s’exprimait.
Interrogé sur le nom du père de MuK, AS a déclaré qu’il ne connaissait pas le père de MuK et qu’il avait entendu dire qu’il était mort dans les années 80 et qu’il s’appelait Momolu [phon.].
Sur question, AS a indiqué que le nom complet de sa mère était Wanga Kona. A la question de savoir si le nom Kona était masculin ou féminin, AS a répondu que c’était la même chose pour les hommes et les femmes.
Le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.
Interrogatoire d’Alieu Kosiah
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Sur question, le prévenu a confirmé avoir reconnu la chanson chantée par AS. Il a déclaré que certains soldats la chantaient, mais pas lui, et qu’il n’y avait pas d’ULIMO qui se sont enfuis en 1990 contrairement aux explications données par AS. Alieu Kosiah a ajouté que cette chanson s’adressait au NPFL qui tuait des Mandingos partout en 1990. Selon le prévenu, les paroles sont les suivantes : « Vous nous avez tué en 1990, maintenant nous sommes armés et nous pouvons nous défendre ».
Le Président a demandé au prévenu si se battre d’homme à homme équivalait à tuer un civil sans défense. Alieu Kosiah a déclaré qu’au sein des ULIMO, quiconque tuait une personne sans défense devait être tenu responsable de ses actes. Il a ajouté qu’il ne soutenait pas ce genre de comportement.
Invité à se déterminer sur les déclarations d’AS, Alieu Kosiah a déclaré que si MuK et MoK étaient les oncles de AS, alors sa mère devrait porter le même nom de famille. Or, selon le prévenu, AS refuse de donner le nom de famille de sa mère et son grand-père et a déjà menti plusieurs fois à la Cour. Alieu Kosiah a déclaré qu’AS avait indiqué en première instance que le nom de famille de MoK et MuK était K et non Kamara. Selon le prévenu, les oncles d’AS sont vivants. Ils sont venus témoigner ici et ont reconnu leur neveu. Alieu Kosiah a déclaré que c’était pour ces raisons qu’il s’était adressé au Procureur en demandant : « Monsieur l’homme blanc, que cherches-tu à obtenir ? ».
Le prévenu a ajouté qu’AS mentait lorsqu’il prétendait que MoK et MuK venaient de Bolahun. En effet, AS a déclaré devant le procureur qu’il était proche de ses deux oncles et qu’ils vivaient tous à proximité de sa mère, soit à Pasolahun selon le prévenu. Par ailleurs, MuK a dit plusieurs fois que le nom de famille de la mère d’AS était K. Le prévenu a également indiqué que le grand-père d’AS avait probablement eu quatre épouses et que AS savait pertinemment que les témoins Muk et MoK étaient les frères de sa mère. Alieu Kosiah a déclaré que seul dossier pouvait dire la vérité.
Selon le prévenu, il est évident que l’information selon laquelle AS avait renié son propre oncle allait circuler dans un village aussi petit que Pasolahun. Alieu Kosiah a expliqué que les parties plaignantes n’ont pas souhaité que la mère d’AS vienne témoigner car elles ne voulaient pas que la vérité éclate. Le prévenu s’est demandé pourquoi le Procureur n’avait pas autorisé la mère de AS/TS à témoigner s’il cherchait la vérité.
Alieu Kosiah a ensuite souhaité s’exprimer au sujet de l’extracteur de jus de cannes à sucre. Il a expliqué que la plupart de ces machines étaient fabriquées au Japon et étaient pourvues d’une grande courroie sur le côté.
A la question de savoir s’il avait vu la machine en question, Alieu Kosiah a répondu : « Il est difficile de voir quelque chose qui se trouve dans un endroit où vous ne vous êtes jamais rendu ». Le prévenu a ensuite l’audition d’un autre témoin qui a raconté la même histoire que AS concernant Stephen Kemba et son extracteur de jus, mais qui le situait dans une zone différente de Pasolahun. Alieu Kosiah a déclaré : « En lisant l’audition dans son ensemble, on voit bien que c’est la même histoire, mais la guerre c’est cela, différentes versions de la même histoire ».
Le prévenu a abordé le sujet de l’électricité à Pasolahun et a déclaré qu’il ne lui appartenait pas de trancher s’il y en avait ou non. Selon lui, plusieurs témoins ont indiqué qu’il n’y avait ni éclairage public ni électricité à Pasolahun.
Alieu Kosiah a déclaré que AS tentait progressivement de discréditer AK en prétendant que James M. Kamara l’avait contacté pour remettre de l’argent à AK. Selon le prévenu, cela ne fait aucun sens puisque James M. Kamara est l’oncle d’AK. Dès lors, pourquoi passerait-il par AS pour donner de l’argent à son propre neveu ? Alieu Kosiah a indiqué que AK n’était pas passé par l’ONG et n’allait pas donner les mêmes informations que les parties plaignantes, de sorte que ces dernières n’ont pas d’autre moyen que de tenter de le discréditer.
Le prévenu a ensuite déclaré que lorsqu’il était retourné au Libéria en 2012 ou 2014, les soldats gagnaient 100 dollars par mois et un sac de riz, alors que les policiers touchaient 150 dollars par mois. Alieu Kosiah a ensuite évoqué War Boss, que AS connaît beaucoup mieux que ce qu’il prétend selon le prévenu.
Alieu Kosiah a enfin insisté sur le fait que MoK et MuK étaient vivants et qu’il ne les avait pas tués. Il a remis en doute la crédibilité du témoignage d’AS, qui avait d’abord déclaré avoir vu le prévenu tuer MuK avec une AK47 avant de changer de version. Selon le prévenu, une autre personne a prétendu qu’il avait tué MuK avec un pistolet et AS a changé de version. Selon une troisième version, MuK aurait été tué par asphyxie. Il n’est dès lors pas surprenant que MuK soit en vie d’après Alieu Kosiah.
Me Gianoli et le MPC n’ont pas eu de questions.
Me Jakob interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir si les paroles chantées par AS correspondaient à la chanson telle qu’il la connaissait, Alieu Kosiah a déclaré que la chanson était en Mandingo et qu’il n’avait compris que deux mots chantés par AS : 1990 et Dolomossu [phon.]. Le prévenu a indiqué que Dolomossu signifiait « ma sœur Mossu » en Mandingo. Me Jakob a demandé à Alieu Kosiah si la mélodie fredonnée par AS était correcte. Le prévenu a répété qu’il n’avait compris que deux mots et indiqué qu’il avait reconnu la chanson car AS en a donné le titre.
Audition de AS (suite et fin)
Invité à se déterminer sur les déclarations du prévenu, AS a déclaré que cela était la situation à laquelle les Libériens faisaient face. Autrement dit, tous ceux qui ont combattu pendant la guerre nient avoir commis des crimes. AS a précisé qu’il ne connaissait qu’une seule personne qui a admis avoir commis des actes répréhensibles et qui accepte d’être punie : un soldat ULIMO appelé Butt Naked.
AS a déclaré que les dénégations d’Alieu Kosiah n’étaient pas surprenantes et que son explication consistait systématiquement à dire qu’il n’était pas là . AS a déclaré : « Qu’il nous explique alors qui les balles qu’il a tirées pendant la guerre tuaient-elles ». Selon AS, Alieu Kosiah n’admettra jamais qu’il a fait quelque chose de mal, alors qu’en réalité, il a fait souffrir des gens et fait du mal. AS a ajouté qu’Alieu Kosiah était un homme terrible qui a causé du tort aux gens du Lofa. Il a déclaré qu’il ne pourrait pas rester assis dans la même pièce que lui si ce n’est dans une salle d’audience. Selon AS, le prévenu doit être jugé pour les crimes qu’il a commis.
AS a ensuite évoqué le témoignage de Kundi, qui a déclaré que la seule capture à laquelle Alieu Kosiah n’avait pas participé était celle de Zorzor. Contrairement à ses dénégations, le prévenu avait donc participé aux captures de Voinjama, Foya et Kolahun. Selon AS, Kundi a également dit qu’Alieu Kosiah ne se souvenait peut-être pas des dates, mais il était là .
La Cour questionne AS :
Invité à se déterminer quant au fait qu’il ne connaissait pas le nom de son grand-père à la grande surprise du prévenu, AS a déclaré avoir uniquement dit le prénom de son grand-père car il ne l’avait jamais rencontré.
Interrogé sur le nom de sa mère, qui est différent de celui de ses oncles, AS a expliqué qu’en Afrique, une personne peut parfois prendre le nom de sa mère et non de son père. Il a précisé avoir une sœur du nom de K alors qu’ils ont la même mère.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : avoir ordonné et dirigé un transport forcé de munitions, par des civils, de Gondolahun à Fassama entre novembre et décembre 1993, respectivement entre mars 1994 et fin 1995
La Cour questionne AS :
Invité à préciser de quelle manière il avait réquisitionné pour le transport de munitions, AS a expliqué qu’un message était envoyé dans les douze villages du clan Mbé pour que des hommes soient envoyés à Gondolahun. Selon AS, les munitions étaient transportées chez le chef traditionnel du clan, Mamadou Kobra, qui portait une tenue de protection empêchant les balles de l’atteindre. AS a précisé que les munitions étaient transportées de Kolahun à Gondolahun, puis jusqu’à Fassama.
Le Président a rappelé à AS ses déclarations de première instance selon lesquelles il savait qu’Alieu Kosiah était responsable de ce transport et l’avait vu donner des ordres aux soldats. Questionné à cet égard, AS a déclaré avoir entendu Alieu Kosiah donner l’ordre de mettre les civils en prison pour éviter qu’ils s’échappent.
Sur question, AS a confirmé avoir vu MoK participer à ce transport et a précisé qu’ils étaient nombreux à Gondolahun. AS a également confirmé que MoK était présent lors de la nuit passée à Gondolahun. Le Président a rappelé à AS ses déclarations selon lesquelles MoK ne devait pas participer au transport à cause de son âge et lui a demandé qui pouvait décider de ne pas respecter cette règle. AS a répondu que les soldats ULIMO décidaient et personne ne pouvait remettre en question leurs décisions.
Sur question, AS a indiqué qu’il ne se souvenait pas avoir expliqué à MoK ce qui était arrivé à MuK.
Interrogé sur les ordres donnés par Alieu Kosiah le matin du départ, AS a déclaré qu’il s’agissait des ordres habituels : « Till go. Any bush shake, you dead ». A la question de savoir d’où il tenait l’information selon laquelle chez les ULIMO, les « Topgrass » étaient en principe à l’arrière, AS a répondu qu’il ne connaissait pas vraiment leur jargon mais que selon sa compréhension, les « Topgrass » étaient les hauts gradés. Il a ajouté avoir vu des soldats à l’avant, à l’arrière et au milieu du convoi, alors que les « Topgrass » fermaient la marche.
Le Président a rappelé les déclarations du prévenu, selon lesquelles le village de Gondolahun était très éloigné de sorte qu’il était impossible pour les soldats d’y accéder, et a demandé à AS s’il était sûr d’avoir vu Alieu Kosiah à Gondolahun. AS a répondu que si Jungle Jabbah pouvait se rendre à Gondolahun, alors Alieu Kosiah aussi. AS a ajouté qu’Alieu Kosiah était là .
Sur question, AS a confirmé que l’itinéraire qu’il avait décrit était correct, à savoir de Gondolahun à Yasselahun, puis Papahun et Konehun à côté de la rivière Lofa. Il a précisé que le transport s’était achevé à Sassahun en ce qui le concernait. A la question de savoir qui avait récupéré les objets qu’il avait transportés, AS a répondu qu’il l’ignorait car il s’était arrêté à Sassahun, puis avait pris la fuite.
Me Gianoli questionne AS :
Me Gianoli a demandé à AS s’il était possible de s’enfuir avant un tel transport, étant donné qu’il avait été emprisonné la veille du transport. AS a répondu que s’il s’était enfui, il aurait pu mourir. Sur question, il a indiqué s’être enfui une seule fois, après être arrivé à Sassahun et avoir déposé ses charges. A la question de savoir si Sassahun était la destination, AS a répondu que les ULIMO évoquaient Fassama. Il a ajouté qu’il ne souhaitait pas s’y rendre en raison des combats et qu’il avait réussi à s’enfuir pendant que les soldats étaient occupés à chercher à manger.
Me Gianoli a demandé à AS comment il savait qu’il y avait des combats à Fassama. AS a répondu l’avoir entendu de la bouche des soldats ULIMO. Sur question, AS a déclaré qu’il ne se souvenait pas si les soldats qui l’avaient accompagné durant ce transport étaient les mêmes que lors d’autres transports, car les soldats étaient très nombreux.
A la question de savoir s’il avait eu peur que des soldats le reconnaissent et le punissent pour avoir pris la fuite, AS a répondu que compte tenu de la distance séparant Sassahun de Gondolahun, il pensait que les soldats ne viendraient pas le chercher. Me Gianoli a demandé à AS si les soldats l’avaient vu s’enfuir. AS a répondu qu’il n’était plus là et que les soldats avaient peut-être remarqué son absence.
Interrogé sur d’éventuelles autres tentatives de fuite, AS a déclaré que prendre la fuite n’était pas quelque chose de normal et que s’il l’avait fait à d’autres occasions, il ne serait pas ici pour en parler.
Me Gianoli a rappelé à AS ses déclarations devant le MPC, selon lesquelles les soldats lui avaient tiré dessus lorsqu’il a essayé de prendre la fuite, sans qu’il n’ait été blessé. AS a déclaré avoir fait de telles déclarations en lien avec un événement qui s’était déroulé à Pasolahun, à l’exclusion d’un transport. Interrogé sur l’événement auquel il faisait allusion, AS a évoqué un épisode lors duquel il a tenté de s’enfuir, mais a été attrapé par les ULIMO. Selon AS, les ULIMO les ont mis, lui et d’autres jeunes, dans le grenier à riz et ont allumé un feu sur lequel ils ont versé du piment. Questionné sur les auteurs de ces actes, AS a indiqué que le commandant était Mandingo Devil et a déclaré se souvenir également de God Walking Devil Walking.
InvitĂ© Ă se dĂ©terminer sur ses dĂ©clarations prĂ©cĂ©dentes selon lesquelles une tentative de fuite Ă©tait synonyme de mort alors qu’il n’a pas Ă©tĂ© tuĂ© en l’occurrence, AS a dĂ©clarĂ© : « Si vous essayez de vous enfuir et que quelqu’un pointe son arme sur vous, vous vous arrĂŞtez ». Sur question, il a confirmĂ© qu’en l’occurrence, le soldat avait pointĂ© son arme sur lui et qu’il s’était donc arrĂŞtĂ©. Il a prĂ©cisĂ© que le soldat n’avait pas tirĂ©, sinon il serait mort.
Le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.
Questions relatives aux actes reprochés au prévenu : avoir tué le civil MoK aux abords de la rivière Lofa
La Cour questionne AS :
Le Président a demandé à AS à qui MoK s’était adressé en disant qu’il ne sentait plus capable de continuer et qu’il voulait rentrer chez lui. AS a expliqué que tout le monde avait posé les munitions à l’endroit où il fallait traverser la rivière. Lorsque MoK a posé sa caisse de munitions, il s’est assis et a déclaré qu’il ne pouvait plus aller plus loin. Selon AS, Alieu Kosiah lui a dit qu’il n’y avait personne d’autre pour porter ces munitions et que s’il n’était pas capable de traverser, il resterait ici. AS a ajouté que le prévenu a dit à MoK : « Tu sauras que je viens du Nimba ».
Interrogé sur la distance à laquelle il se trouvait de MoK, et notamment s’il était possible de lui faire passer un message ou de l’encourager, AS a déclaré ne pas avoir pu le faire.
Le PrĂ©sident a rappelĂ© Ă AS ses dĂ©clarations Ă teneur desquelles il avait vu Alieu Kosiah se saisir d’un AK47 et entendu deux coups de feu. QuestionnĂ© sur la manière dont Alieu Kosiah s’est saisi de cette arme, AS a dĂ©clarĂ© qu’il l’avait pris Ă quelqu’un.
A la question de savoir s’il avait vu ce qui s’était passé ensuite, AS a répondu qu’il avait évité de se retrouver à proximité des soldats et pensé à sa propre sécurité. Le Président lui a demandé pourquoi il avait regardé à la remise de l’arme mais pas la suite. AS a répondu qu’Alieu Kosiah avait tiré sur MoK, mais qu’il ne se souvenait pas d’avoir regardé la scène.
Invité à se déterminer sur les déclarations du prévenu qui a indiqué que, selon le chef du village James Kamara, il n’y avait qu’une seule famille K à Pasolahun et aucune famille du nom de S, AS a rétorqué que James avait déclaré lors des débats de première instance qu’il n’était pas le townchief. Selon AS, James n’a jamais été le townchief et il n’y avait pas qu’une personne du nom de MoK. S’agissant de l’absence de famille S à Pasolahun, AS a affirmé qu’il s’appelait AS et venait de Pasolahun.
Sur question, AS a réfuté fermement que la personne tuée puisse être une autre personne que MoK.
Me Gianoli questionne AS :
Interrogé sur sa position au sein du convoi durant le transport, AS a indiqué qu’il ne s’en souvenait pas exactement puisque le groupe était grand. Il a ajouté qu’il y avait beaucoup de gens à ses côtés et que ADK était également dans le groupe. Questionné sur KK, AS a indiqué qu’il se trouvait lui aussi au sein du groupe. AS a déclaré qu’il ne se souvenait pas si KK et ADK étaient déjà là lorsqu’il est arrivé à la rivière.
A la question de savoir s’il avait parlé de l’exécution de MoK avec KK, AS a répondu qu’il ne s’en souvenait pas. Il a déclaré qu’il ne se souvenait pas non plus si KK lui avait posé des questions au sujet de la mort de MoK.
Me Gianoli a ensuite demandé à AS depuis quand il portait ce nom. AS a répondu qu’il le portait depuis qu’il était petit. Sur question, il a précisé avoir commencé à le porter après la guerre. Questionné sur la personne qui lui avait donné ce nom, AS a déclaré avoir décidé d’utiliser le nom de son oncle, avec lequel il a vécu à Kolahun pendant la guerre. AS a expliqué que beaucoup de Libériens prenaient le nom de la personne avec laquelle ils ont vécu, par exemple si la personne les a envoyés à l’école.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Wavre questionne AS :
Invité à adresser un dernier mot à la Cour, AS a tenu à remercier le Président et le gouvernement suisse, qui ont fait le nécessaire pour que justice soit rendue. AS a ajouté qu’obtenir justice était sa principale préoccupation. Il a déclaré : « Si je meure demain, je serai heureux de voir que justice a été rendue face à toutes les atrocités commises au Libéria ». AS a terminé en remerciant à nouveau la Cour d’avoir pris le temps d’écouter les deux parties afin d’établir la vérité et pris connaissance de l’ensemble de la documentation.
Interrogatoire d’Alieu Kosiah
Le Président a invité le prévenu à se déterminer sur les déclarations d’AS.
Alieu Kosiah a commencé par déclarer qu’à sa connaissance, il n’y avait pas d’école à Pasolahun, de sorte qu’elle ne pouvait pas avoir été détruite puisqu’elle n’a jamais existé. Le prévenu s’est appuyé sur les déclarations de James M. Kamara qui aurait indiqué qu’il y avait pas de bâtiment scolaire à Pasolahun sous réserve d’une école coranique, ainsi que sur les déclarations de KK qui aurait dit que les enfants allaient à l’école à Gondolahun avant la guerre.
Le prĂ©venu a ensuite rĂ©futĂ© les propos de Kundi rapportĂ©s par AS, Ă teneur desquels Alieu Kosiah Ă©tait un homme brutal. Selon lui, Kundi pensait qu’il Ă©tait quelqu’un de bien. Par ailleurs, Kundi pensait qu’il Ă©tait arrivĂ© après la capture de Zorzor et qu’il n’avait jamais combattu avec Scarface Kabbah.
Concernant la partie plaignante, Alieu Kosiah a déclaré qu’il s’appelait TS et non AS. Il s’est étonné que seules les personnes qui étaient passées par l’ONG l’aient identifié comme AS, alors que les autres l’ont identifié comme TS. Selon lui, TS et KK ont une sœur en commun, mais TS s’est bien gardé d’évoquer son lien de parenté avec KK. Alieu Kosiah a répété que le plus important était d’établir la vérité, afin que les juges puissent se prononcer.
Le prévenu a déclaré être sûr et certain qu’il n’y avait pas de combats à Fassama et que les combats les plus proches de Fassama se situaient à au moins 150 km.
Alieu Kosiah a ensuite affirmé que AK essayait d’induire le tribunal en erreur puisqu’il a décidé de reconnaître AS sous le nom d’A uniquement, alors qu’il était le secrétaire général de l’association de la jeunesse du Lofa et qu’il avait indiqué connaître tous les jeunes garçons venus du Lofa car il avait la liste de tous leurs noms. Selon le prévenu, AS a reconnu que James le connaissait en tant que TS.
Alieu Kosiah a indiqué que c’était l’ONG qui avait donné les noms à inscrire sur les passeports des parties plaignantes. Le prévenu a déclaré : « Si ce nom a été donné à AS pour qu’on ne puisse pas établir de lien avec MoK et MuK, alors il faut se demander quel est le rôle que l’ONG a joué dans tout cela ».
S’agissant du document envoyé par le paramount chief, Alieu Kosiah a indiqué que les noms de MuK et MoK y figuraient et a ajouté que le document précisait qu’ils étaient vivants et venaient de Pasolahun.
Selon le prévenu, James a confirmé que MoK et MuK avaient des frères et sœurs et a donné les noms J et M pour les sœurs qui étaient du même père et de la même mère ainsi que le nom de W s’agissant de la sœur du côté du père.
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Le Président a demandé à Alieu Kosiah si son affirmation selon laquelle il n’y avait pas de combats à Fassama était valable pour toute la guerre civile. Le prévenu s’est défendu d’avoir affirmé cela et a déclaré avoir dit qu’aucun soldat ni aucun historien diraient que les ULIMO-J et les ULIMO-K ont combattu à Fassama.
A la question de savoir si les ULIMO-K avaient combattu à Fassama après 1994, Alieu Kosiah a répondu par la négative. Il a indiqué que les journaux avaient rapporté que les Loma Defense Force (LDF) avaient capturé Fassama, alors que cela était faux. Selon le prévenu, les LDF ont brièvement capturé Zorzor et ont battu en retraite à Fassama. Il a ajouté qu’il n’y avait pas non plus eu de combats à Fassama en 1995. Selon lui, il y a eu des combats à Fassama en 1992 lorsque la ville a été reprise au NPFL. Alieu Kosiah a déclaré : « Comme l’a dit un historien, la première victime de la guerre, c’est la vérité ».
Le Président a demandé au prévenu si, compte tenu de sa position au sein des ULIMO, il aurait su si des combats avaient lieu à Fassama. Alieu Kosiah a répondu que les ULIMO contrôlaient la zone du Lofa Bridge jusqu’au Upper Lofa et qu’il aurait sans doute été informé même s’il n’était pas présent. Il a ajouté que Papa et Fofana avaient tous les deux indiqué qu’il n’y avait pas de combats à Fassama.
Me Gianoli interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur Butt Naked, Alieu Kosiah a déclaré qu’il ne connaissait pas l’existence de cette personne avant de venir ici. Il a indiqué qu’il s’agissait d’un membre du LPC, non des ULIMO et s’est référé à une vidéo sur laquelle on le voyait du côté adverse lors de la dernière guerre des ULIMO le 6 avril. Alieu Kosiah a déclaré que l’on pouvait en déduire que Butt Naked était un Krahn du LPC ou des ULIMO-J, avant d’affirmer qu’il était du LPC.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Wavre interroge Alieu Kosiah :
Me Wavre a demandé au prévenu si les prénoms J, M et K étaient masculins ou féminins. Alieu Kosiah a répondu qu’il fallait poser la question à des personnes de l’ethnie Gbandi. Il a ajouté que les Mandingues et les Gbandis partageaient la même culture et que selon lui, ces prénoms étaient féminins.