[01/30/2023] Day 8: Alieu Kosiah speaks
Questions procédurales
Le Président a invité les parties à se déterminer sur les requêtes formées par Me Gianoli, qui a notamment sollicité l’audition de deux nouveaux témoins. Le Procureur et les avocats des parties ont civiles ont renvoyé la Cour aux courriers qu’ils lui ont adressés. Me Jakob a reproché à la défense d’avoir formé ces requêtes dans le seul but de retarder les débats et leur issue et a affirmé qu’il y avait lieu de s’y opposer fermement vu leur nature dilatoire.
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Interrogatoire d’Alieu Kosiah
Questions relatives à l’ethnie Mandingo
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Invité à définir les Mandingos, Alieu Kosiah a expliqué qu’il s’agissait de l’une des quinze ethnies du Libéria et que les Mandingos faisaient partie, au même titre que les Lormas, les Kissis et les Gbandis, du groupe ethnique Mende. Selon lui, les Mandingos sont majoritairement des commerçants vers qui il faut se tourner notamment pour vendre des diamants. Alieu Kosiah a expliqué que les Mandingos contrôlaient 95% du système de transport avant la guerre et contrôlent à ce jour 99.9% des garages. Il a ajouté qu’il y avait également des Mandingos dans les pays voisins, tels que le Sénégal, la Gambie, le Mali, la Côte d’Ivoire et la Guinée.
Le Président a demandé au prévenu quelle était la différence essentielle entre les Kissis et les Mandingos. Alieu Kosiah a répondu que la différence principale était que Mandingos et Kissis ne pratiquaient pas la même religion. Les Mandingos sont musulmans, alors que les Kissis sont chrétiens et pratiquent les rites de la Poro Society. Le prévenu a néanmoins déclaré avoir vu des mosquées dans des villages Kissis du Lofa, de sorte que certains Kissis sont musulmans selon lui.
Interrogé sur la différence essentielle entre les Mandingos et les Lormas, Alieu Kosiah a indiqué que, comme pour les Kissis, les Lormas ne parlent pas le même dialecte, sont chrétiens à 99% et pratiquent des rites traditionnels.
Questionné sur la différence essentielle entre les Mandingos et les Krahns, le prévenu a expliqué que les Krahns étaient plus éloignés des Mandingos puisqu’ils ne faisaient pas partie du même groupe ethnique. Interrogé sur les caractéristiques physiques permettant d’identifier l’appartenance à un groupe, Alieu Kosiah a déclaré qu’il était possible de reconnaître un Mandingo d’après son apparence physique.
Le PrĂ©sident a demandĂ© au prĂ©venu s’il se considĂ©rait comme un Mandingo typique. Alieu Kosiah a rĂ©pondu qu’il Ă©tait Mandingo, bien qu’il ne soit pas un bon musulman, et que tous les Mandingos avaient le sens des affaires. Il a ajoutĂ© qu’il n’était pas un bon commerçant, contrairement Ă son frère. Sur question, Alieu Kosiah a indiquĂ© qu’il ne se considĂ©rait pas comme un bon commerçant car lorsque quelqu’un lui demande de l’argent, il lui en donne au lieu de dire non.
Invité à expliquer comment il était arrivé à la conclusion que les Mandingos avaient été victimes d’un génocide, le prévenu a affirmé qu’il n’était pas un expert juridique et qu’il s’était fondé sur ses émotions. Il a ajouté qu’il n’entrevoyait aucune justification au fait que les Mandingos aient été pris pour cibles en 1990. S’agissant des victimes Krahns en revanche, Alieu Kosiah a indiqué que cela pouvait s’expliquer par le fait que Samuel Doe était au pouvoir et que les Krahns ont tué de nombreuses personnes en 1984, notamment des Gios.
Sur question, Alieu Kosiah a confirmé que des membres de sa famille avaient été victimes du NPFL, notamment son frère Musa Kosiah tué en 1990. Invité à donner davantage de détails sur la mort de son frère, le prévenu a expliqué que ce dernier avait été capturé alors qu’il se rendait à Basso et était porté disparu depuis ce jour. Le prévenu a également évoqué l’un de ses grands cousins du nom d’Alieu Kosiah tué par des Gios dans une embuscade, ainsi que son oncle aveugle qui a disparu avec sa femme et ses enfants. Alieu Kosiah a ensuite mentionné son ami Mohamed, surnommé Nelson Mandela car il était très intelligent. Ce dernier vivait chez son grand-oncle lorsque les NPFL sont arrivés, ont pris leur maison et les ont tués.
Le Président a demandé au prévenu si la seule solution était pour lui la fuite face à l’arrivée des NPFL. Alieu Kosiah a répondu que dans la mesure où les Mandingos étaient tués partout dans le Nimba, le bon sens appellerait à traverser la frontière guinéenne pour se mettre en sécurité. Cela étant, certains Mandingos sont restés dans leurs villages. Selon le prévenu, parmi les 800 personnes tuées, certaines auraient pu éviter la mort en prenant la fuite. Il a ajouté que la commandante responsable de cette attaque n’était pas Martina Johnson contrairement aux accusations de Civitas Maxima qui l’a prise pour cible en raison du fait qu’elle vivait en Belgique.
Le Président a rappelé au prévenu ses déclarations selon lesquelles les Mandingos avaient été pris pour cibles car ils travaillaient dur et faisaient prospérer leur pays et lui a demandé si les Mandingos représentaient une élite selon lui. Alieu Kosiah a répondu que 90% des Mandingos faisaient partie de la classe moyenne avant la guerre. A titre d’exemple, il a indiqué que lui et sa famille mangeaient trois fois par jour avant la guerre, alors que leurs voisins Manos ne cuisinaient que tous les deux jours.
Le Président a rappelé au prévenu qu’il a déclaré devant le MPC que les Mandingos disposaient de davantage de richesses (moyens de transport, générateurs, diamants) et que la région de Foya était surnommée le Koweït. A la question de savoir si les Mandingos étaient l’élite de Foya avant l’arrivée des NPFL, Alieu Kosiah a répondu qu’il était établi que les Mandingos dominaient l’économie. Il a ajouté que lorsque Taylor a attaqué le Sierra Leone en 1990, il y avait trois villes prospères : Foya, Guéckédou et Kwandu. Selon le prévenu, tout ce que les NPFL ont pillé à Kwandu a été apporté à Foya, raison pour laquelle Foya était surnomée le Koweït.
Interrogé sur un certain Kromah qui aurait été à l’origine des accusations contre lui selon ses précédentes déclarations, Alieu Kosiah a déclaré qu’il s’agissait de « l’un de nos frères » qui parlait parfois un peu trop mais qui n’avait rien à voir avec cette affaire.
Le Président a indiqué au prévenu que selon HB, les Mandingos le considéraient comme un héros. Alieu Kosiah a affirmé que HB était un individu spécial qu’il avait rencontré 4 ou 5 fois à résidence d’Alhaji Kormah. Le prévenu a déclaré : « S’il dit que j’étais un héros, alors lui aussi en était un car nous faisions le même travail. Il y a plusieurs manières de mener une guerre, parfois avec des armes, parfois avec un stylo. HB était sur le front des écrits ».
Me Gianoli interroge Alieu Kosiah :
Me Gianoli a demandé à Alieu Kosiah s’il était juste de comprendre que les Mandingos étaient connus pour être des commerçants. Le prévenu a confirmé que les Mandingos travaillaient en tant que commerçants avant, pendant et après la guerre et que même les livres d’histoire se référaient aux Mandingos comme étant des commerçants.
A la question de savoir s’il pensait que les Mandingos étaient supérieurs aux autres ethnies, Alieu Kosiah a répondu par la négative. Il a indiqué que selon lui, les Libériens considéraient les Mandingos comme des étrangers et les appelaient les citoyens de 1990, car Samuel Doe avait ordonné d’arrêter de tuer les Mandingos lorsque les tueries faisaient rage en 1990 en affirmant qu’ils étaient aussi des citoyens du pays. Alieu Kosiah a tiré des parallèles avec le génocide des Tutsis et la guerre en Côte d’Ivoire. Il a indiqué que le président Ouattara était Mandingo et que lorsque ce dernier a gagné les élections, Gbagbo a déclaré qu’il ne pouvait pas donner le pouvoir à un Mandingo. Selon le prévenu, la tension est toujours présente et est liée à des aspects économiques plutôt que religieux.
A la question de savoir si les Mandingos ont été considérés comme des citoyens dès 1990, Alieu Kosiah a répondu par la négative et a expliqué que les journaux avaient déformé les propos de Doe en désignant les Mandingos comme les citoyens de 1990. Selon le prévenu, les Mandingos se faisaient huer et interpeller dans les rues. Les gens leur demandaient : « Si vous vous considérez comme des citoyens de ce pays, pourquoi vous le fuyez ? ».
Me Gianoli a demandé à Alieu Kosiah si, selon lui, tous les citoyens du Libéria étaient égaux, indépendamment de leur culture, ethnie et religion. Le prévenu a déclaré que tel n’était pas le cas avant la guerre, puisque les Mandingos étaient discriminés. Il a donné l’exemple des contrôles aux checkpoints : alors que les Mandingos devaient attendre trois heures avant de pouvoir passer, les autres n’attendaient qu’une dizaine de minutes.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Werner interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur le nom de la commandante NPFL qui a attaqué Backédou, Alieu Kosiah a déclaré qu’il ne connaissait pas son nom mais qu’il pouvait donner un description. Selon lui, il s’agissait d’une femme Gio, mince et de peau claire. Il a ajouté que Martina Johnson n’était pas 100% Mandingo, mais seulement du côté de son père, et qu’elle n’avait pas pu commettre des crimes à Callway alors qu’elle combattait dans le cadre de l’opération Octopus.
Me Jakob interroge Alieu Kosiah :
Questionné sur les relations entre les Mandingos du Libéria et les Mandingos de Guinée, Alieu Kosiah a expliqué que lorsque le pays a été divisé, il y avait des cousins et des neveux de chaque côté de la frontière de sorte que les Mandingos ont des membres de leur famille de l’autre côté de la frontière, au même titre que les Kissis, les Krahns, les Manos et les Gios, mais seuls les Mandingos sont considérés comme des étrangers. A la question de savoir si ces liens familiaux étaient de nature à faciliter les échanges commerciaux, Alieu Kosiah a répondu que les échanges entre les deux pays avaient continué pendant la guerre, y compris sous le NPFL.
Invité à préciser le prénom du frère qui parlait un peu trop et dont le nom de famille est Kromah, Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’était selon lui pas nécessaire de donner son prénom et a précisé qu’il n’avait aucun lien avec la procédure.
Me Gianoli réinterroge Alieu Kosiah :
Invité à préciser à quelle faction appartenait Martina Johnson, Alieu Kosiah a indiqué qu’elle faisait partie du NPFL et qu’elle était commandante d’artillerie. Il a ajouté que Chief Varney, le commandant adjoint des INPFL, avait attaqué Monrovia lors de l’opération Octopus. Selon lui, les INPFL étaient commandés par Prince Johnson qui a décidé à la dernière minute de ne pas participer à l’opération Octopus, de sorte que Chief Varney s’est chargé de diriger l’opération.
Questions relatives Ă la faction ULIMO
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur la raison pour laquelle il était l’un des rares Mandingos au sein de l’AFL, Alieu Kosiah a indiqué qu’il n’était pas le seul Mandingo et que toutes les ethnies étaient représentées, sous réserve des Gios et des Manos. Questionné sur la stabilité qu’il pouvait apporter à son peuple en intégrant l’AFL, le prévenu a expliqué qu’à l’époque, il était jeune et avait le sentiment que l’AFL ne protégeait pas les Mandingos, car de nombreux Mandingos ont été tués par les NPFL à cause d’erreurs commises par l’AFL. Ainsi, en rejoignant l’AFL, il pensait que cette faction protégerait son peuple.
Sur question, Alieu Kosiah a confirmé qu’il pensait bien connaître l’histoire de l’ULIMO. Interrogé sur la manière dont il recevait des informations en tant que CO dans l’ULIMO, le prévenu a expliqué que les ULIMO avaient des radios à Voinjama, Zorzor, Fassama, Lofa Brige, Swan [phon.], Monrovia et Conakry.
QuestionnĂ© sur le nombre de membres fondateurs de l’ULIMO, Alieu Kosiah a dĂ©clarĂ© qu’il n’était pas en mesure de rĂ©pondre Ă cette question, mais qu’il pouvait expliquer la manière dont l’ULIMO a Ă©tĂ© fondĂ© en se rĂ©fĂ©rant aux dĂ©clarations de Kwamex Fofana. Ainsi, Karpeh aurait dit Ă Fofana que le gouvernement sierra-lĂ©onais avait donnĂ© l’autorisation pour la crĂ©ation d’un groupe armĂ© et demandĂ© que Fofana dresse une liste de noms de personnes capables de manier des armes. Selon Alieu Kosiah, les noms de Frikala [phon.], qui a Ă©tĂ© tuĂ© avant l’arrivĂ©e des ULIMO au LibĂ©ria, et Tikala [phon.], le benjamin de Frikala, figuraient sur cette liste. Alieu Kosiah a ajoutĂ© que selon lui, 4’000 combattants ULIMO ont rejoint le LibĂ©ria, alors qu’ils n’étaient que 1’000 au Sierra Leone.
Questionné sur le pourcentage de combattants Mandingos au sein de l’ULIMO, le prévenu a indiqué qu’il estimait les ULIMO composés de 40% de Krahns, 40% de Mandingos et 20% d’autres ethnies.
Interrogé sur les buts visés par la fondation des ULIMO en lien avec les intérêts des Mandingos, Alieu Kosiah a précisé que l’ULIMO (anciennement le LUDF) a été fondé par des Krahns, plus précisément par Albert Karpeh, et non par des Mandingos. Le prévenu a déclaré que l’information selon laquelle les LUDF et les MRN avaient fusionné pour créer les ULIMO était fausse. Il a expliqué que Karpeh avait été tué six ou huit mois après la fondation des LUDF en raison des rivalités entre les deux groupes Krahns : les Krahns Konabo (groupe de Doe) et les Krahns Gbabo (groupe de Karpeh). Selon Alieu Kosiah, Karpeh a été tué par une balle perdue tirée par Kobra. Le Président a invité le prévenu à répondre à sa question. Alieu Kosiah a déclaré que Mandingos et Krahns avaient fait l’objet de tueries et ont fui le pays dès lors qu’il faisait sens que les deux ethnies joignent leurs forces.
Réinterrogé sur les buts visés par la création des ULIMO, Alieu Kosiah a déclaré que les LUDF poursuivaient deux buts : aider la Sierra Leone à combattre les RUF et saisir l’opportunité de revenir au Libéria pour chasser Taylor.
Questionné sur les buts spécifiques des ULIMO au sein du Lofa, le prévenu a répondu qu’il ignorait si des buts spécifiques étaient poursuivis dans le Lofa, mais que l’objectif était de prendre le plus de territoire possible à Taylor. Il a ajouté qu’en Sierra Leone, l’un des buts consistait à prendre Gbarnga afin d’empêcher les RUF d’obtenir des ravitaillements de cette zone.
Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à rejoindre les ULIMO, Alieu Kosiah a répondu qu’il voulait s’assurer que Taylor ne parvienne pas à ses fins après tout ce qu’il avait fait subir à son peuple. Le Confronté à ses déclarations devant le MPC, selon lesquelles il a rejoint les ULIMO car il était un ancien soldat et que cela lui permettait de vivre, Alieu Kosiah a déclaré qu’il avait peur d’être pris pour un NPFL ou un RUF par les forces spéciales sierra-léonaises de sorte que la création des LUDF avait également servi à sa protection en tant qu’ancien soldat. Il a ajouté que ceux qui faisaient partie des LUDF avaient la garantie de ne pas se faire arrêter par les soldats sierra-léonais.
Questionné sur la manière dont les rôles ont été attribués lors de la fondation des ULIMO, le prévenu a répété qu’il n’était pas présent et pouvait uniquement se référer aux déclarations de Fofana. Karpeh a donc fondé le groupe et des problèmes sont survenus lorsqu’il a été question de nommer un field commander. Varney Sigri [phon.] a d’abord été choisi, ce qui a déplu aux Krahns Konabo qui s’attendaient à ce que l’un des leurs soit désigné. Dès lors, Djulu [phon.] a été nommé. Selon le prévenu, Djulu était un des hommes les plus puissants au sein de l’ULIMO puisqu’il décidait de toutes les activités militaires, ainsi que de la planification et des promotions.
Interrogé sur son rôle initial au sein des ULIMO, Alieu Kosiah a indiqué qu’il était sergent opérationnel au sein de l’escadron de War Bus. Questionné sur le nombre d’hommes qu’il avait sous ses ordres, Alieu Kosiah a expliqué qu’un platoon comprenait un commandant et son adjoint, ainsi que quatre escadrons qui ont chacun leur commandant. Selon le prévenu, un platoon comptait 45 hommes.
Questionné sur ses aspirations au sein des ULIMO, Alieu Kosiah a déclaré que tous les soldats voulaient être promus, mais que cela n’était pas entre leurs mains. Invité à préciser de qui dépendaient les promotions, le prévenu a indiqué qu’elles dépendaient de Djulu, puis du major Kamara en Sierra Leone et ensuite d’Alhaji Kromah au Libéria.
Interrogé sur les critères permettant de grader, le prévenu a déclaré qu’il fallait protéger ses hommes de sorte à éviter les pertes en vies humaines. Il a ajouté que certains avaient reçu des promotions sans les mériter.
Le Président a demandé au prévenu qui lui avait donné le titre de floating officer après qu’il a quitté Todi. Alieu Kosiah a déclaré que personne ne pouvait donner le titre de floating officer à qui que ce soit. Il a expliqué que quiconque n’avait plus d’affectation pouvait devenir un floating officer. Le Président a rappelé au prévenu qu’il a déclaré en première instance avoir été floating officer pendant toute l’année 1994 et lui a demandé si l’ULIMO pouvait se permettre d’avoir un soldat sans affectation alors que la faction était en guerre. Alieu Kosiah a répondu qu’il avait été floating officer également en 1995 et que cela ne l’avait pas empêché de se rendre sur la ligne de front.
Le Président lui a demandé qui avait le pouvoir de l’envoyer sur la ligne de front alors qu’il n’était affecté à personne. Le prévenu a tenu à expliquer la signification du terme floating officer. Il a indiqué que cela signifiait qu’il n’était pas commandant dans le Lofa, ni à Zorzor, ni à Foya, ni à Kolahun. Néanmoins, si Pepper & Salt lui ordonnait de se rendre sur la ligne de front, il devait s’exécuter. Alieu Kosiah a expliqué que le terme « floating » signifiait qu’il n’avait ni une zone spécifique sous son contrôle ni une affectation spécifique.
A la question de savoir qui avait la priorité pour faire appel à ses services, Alieu Kosiah a répondu que Pepper & Salt était encore responsable du Lofa à son arrivée. Le général Dombuyah est arrivé un ou deux mois plus tard et a pris le contrôle en tant que field commander. Le prévenu a ajouté qu’il avait été envoyé à Benefanaye en tant que floating officer pour apporter du renfort à PYJ et qu’ils étaient parvenus à repousser l’attaque grâce à son intervention.
Le Président a demandé au prévenu où se trouvait sa base à cette période. Alieu Kosiah a indiqué avoir été floating officer de Todi à Voinjama jusqu’à sa promotion en 1995 lorsqu’il a été envoyé à Zorzor. Il a précisé que cela a été sa première et unique affectation dans le comté du Lofa.
Interrogé sur la façon dont il subvenait à ses besoins et à ceux de ses hommes à cette période, le prévenu a expliqué qu’il se rendait au quartier-général dont Deku était responsable et soumettait une demande écrite indiquant ce dont il avait besoin (sacs de riz, munitions, etc.).
Le Juge Ros a demandé au prévenu comment il se ravitaillait en matériel et en nourriture lorsqu’il était sur la ligne de front. Alieu Kosiah a expliqué qu’ils avaient deux ou trois voitures et qu’il en utilisait une pour aller chercher du ravitaillement à Voinjama. Il a ajouté qu’il se rendait sur la ligne de front uniquement lorsque cela était nécessaire pour encourager ses hommes. En effet, il allait rarement au front en tant que commandant de Zorzor.
Le Juge Ros a rappelé au prévenu qu’il avait déclaré lors de son interrogatoire avoir passé les six années de la guerre sur la ligne de front. Le prévenu a rétorqué avoir déclaré qu’il se trouvait sur la ligne de front pendant le ramadan et qu’il n’y était donc pas 365 jours par an. Le Juge Ros a cité les déclarations du prévenu, qui a indiqué avoir passé les six ans de la guerre sur la ligne de front alors que les big men restaient en retrait. Alieu Kosiah a répété qu’il n’était pas au combat 365 jours par an et a précisé avoir combattu au front avec War Bus, puis avec Kamara à Todi.
Réinterrogé sur la manière dont il organisait le ravitaillement depuis la ligne de front, Alieu Kosiah a indiqué que tout dépendait des époques. Il a indiqué qu’ils portaient l’équipement de base et les munitions sur le dos et étaient munis d’un RPG. Il fallait contourner l’ennemi, tendre une embuscade et repartir (hit and run). Il a rappelé qu’il s’agissait d’une guérilla et non d’une guerre régulière et que le premier objectif était d’attaquer le quartier-général ennemi pour s’emparer des munitions et de la nourriture. Il a ajouté que s’ils manquaient de nourriture dans la brousse, ils mangeaient du manioc ou de l’igname et jetaient des grenades dans des plans d’eau pour attraper des poissons. Selon lui, ils recevaient du ravitaillement de Sierra Leone lorsqu’ils attaquaient dans cette direction.
QuestionnĂ© sur la manière dont ils transportaient le ravitaillement reçu de Sierra Leone et de GuinĂ©e jusqu’à la zone de guĂ©rilla dans la brousse, Alieu Kosiah a citĂ© l’exemple du Lofa et indiquĂ© que les trucks venaient jusqu’à Voinjama. Le Juge Ros lui a alors rappelĂ© ses dĂ©clarations en première instance selon lesquelles les routes n’étaient plus praticables pendant les six mois que durait la saison des pluies. Alieu Kosiah a rĂ©torquĂ© qu’il n’avait pas dit que le transport Ă©tait impossible pendant six mois, mais qu’il Ă©tait plus difficile, Ă©tant prĂ©cisĂ© qu’il Ă©tait possible d’aller partout avec une jeep 4×4. Il a expliquĂ© que les camions se dĂ©plaçaient jusqu’à Voinjama oĂą les soldats venaient se ravitailler et charger le ravitaillement sur des jeeps 4×4. Il a ajoutĂ© que certaines lignes de front n’étaient pas accessibles en voiture en raison des embuscades ou des mines.
Alieu Kosiah a déclaré qu’il ne pouvait pas exclure que certains commandants aient eu recours à des civils pour transporter du ravitaillement, mais il ne l’avait jamais vu de ses propres yeux. Il a ajouté qu’il n’y avait pas de civils lorsqu’il était à Zorzor. Il a raconté qu’il se rendait à Salaye en voiture et qu’il y avait deux voitures pour transporter les munitions sur la ligne de front. Selon lui, les voitures étaient nécessaires pour transporter les armes anti-aériennes sur la ligne de front. Le convoi était composé de la manière suivante : 3 à 5 escadrons à l’avant, les véhicules et un escadron à l’arrière. Il a précisé que lors de l’attaque de Gbarnga, ils ont utilisé un Bissetti à quatre canons, impossible à transporter à dos d’homme.
Le Juge Ros a rétorqué que le prévenu ne pouvait pas systématiquement disposer d’un Bissetti puisqu’il lui arrivait d’être en dehors de tout sentier ou chemin dans la brousse. Alieu Kosiah a expliqué que les attaques principales se menaient par la route. Il a indiqué que lors de l’attaque de Todi, ils sont passés par la brousse avant de rejoindre la route principale et qu’il était le premier commandant à entrer dans Todi après des combats très difficiles. Il a expliqué avoir trouvé 55 sacs de riz dans la maison du commandant à Todi et avoir divisé le butin en deux : une moitié pour les civils et l’autre pour les ULIMO. Alieu Kosiah a déclaré que : « On considérait que tout ce qui venait du NPFL nous revenait ».
Interrogé sur sa promotion de floating officer à battalion commander, Alieu Kosiah a indiqué que Alhaji Kromah avait donné l’ordre spécial de le promouvoir. Questionné sur les critères lui ayant permis d’être promu en tant que regional commander de Zorzor, le prévenu a déclaré n’avoir jamais demandé à Kromah les raisons pour lesquelles il l’avait promu à ce poste. Il a ajouté que son expérience en tant qu’ancien soldat de l’AFL avait probablement donné confiance en ses capacités à protéger Zorzor.
Le Président a demandé au prévenu s’il n’aurait pas été plus logique de nommer à ce poste un local commander ou un area district commander qui avait déjà une expérience en tant que commandant. Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’avait pas posé la question à Kromah et a expliqué que Deku avait déjà été nommé adjoint du chief of staff alors que Kobra, basé à Kolahun, n’était pas un ancien soldat.
Interrogé sur sa mission à Zorzor, le prévenu a indiqué qu’il devait s’assurer que Zorzor ne tombe pas entre les mains du NPFL. Questionné sur les moyens mis à sa disposition pour réaliser cette mission, Alieu Kosiah a déclaré qu’il avait à sa disposition des hommes, des voitures, des munitions, des RPG. Il a indiqué qu’il était possible de se ravitailler en munitions à Voinjama et de faire venir des Bissetti en soutien pour repousser les grandes attaques.
Le Président lui a rappelé qu’il a déclaré devant le MPC qu’à son arrivée à Zorzor, il y avait quelques maisons, mais aucun civil. Sur question, Alieu Kosiah a indiqué que les civils avaient fui en Guinée car Zorzor était une zone de combat.
Le Président lui a ensuite demandé si ses déclarations, selon lesquelles les ULIMO avaient plus de ressources que les civils à Voinjama de sorte qu’il n’était pas nécessaire de voler, étaient valables de manière générale ou seulement pour Voinjama. Le prévenu a répondu que les ULIMO recevaient des ravitaillements depuis la Guinée, car dans le Lofa, la guerre civile faisait rage depuis trois ans avant l’arrivée des ULIMO, de sorte que les récoltes n’étaient pas régulières.
Interrogé sur la manière dont il a fait valoir son autorité, alors qu’il a déclaré qu’il n’avait pas été présent lors de la plupart des captures et qu’il était difficile d’établir son autorité (« Where were you when we were here »), Alieu Kosiah a rétorqué qu’il n’avait pas fait de telles déclarations, mais avait dit que Pepper & Salt n’était pas présent lors de la capture de Zorzor et que les soldats disaient cette phrase derrière son dos. Selon le prévenu, Pepper & Salt est allé capturer Voinjama pour prouver à ses soldats qu’il était un bon commandant.
Sur question, Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’avait pas capturé Zorzor. Le Président l’a donc réinterrogé sur la manière dont il a établi son autorité en tant que commandant. Alieu Kosiah a déclaré que PYJ le respectait car il l’avait vu combattre à Benefanaye. Selon lui, pour obtenir le respect des soldats au sein de l’ULIMO, il faut combattre sur le front.
Invité à se déterminer sur le rapport de police, Alieu Kosiah a expliqué qu’il était contradictoire de le désigner à la fois comme floating officer et comme H&H, car il n’était pas possible d’être l’un et l’autre. Il a ajouté que le terme « chief » n’était pas un grade militaire. Le prévenu a ensuite indiqué que Papa avait déclaré qu’il (Alieu Kosiah) était H&H, ce qui l’a beaucoup surpris car il n’a jamais été H&H. A cet égard, Alieu Kosiah a renvoyé la Cour aux témoignages de Lamine Kenneh, Kwamex Fofana et Omaru Musa Kelleh et a indiqué qu’aucun soldat ULIMO n’avait dit qu’il était H&H.
Selon le prévenu, les enquêteurs ne connaissent pas la définition de H&H. Il a indiqué que ses explications à propos de la signification du terme H&H sont corroborées par les déclarations de Fofana, qui a déclaré qu’il n’y avait pas de H&H dans le comté du Lofa avant la scission. Alieu Kosiah a ajouté que le H&H faisait partie du staff du field commander. Selon lui, le H&H désigne le lieu où se trouve le field commander et non une personne. Il a expliqué qu’il y avait des sous-quartiers-généraux partout et que le H&H les regroupait tous en un lieu, à savoir Tubmanburg ou Bomi Hill avant la scission. Le prévenu a expliqué qu’au sein de ce quartier-général se trouvaient le commanding general et son staff, ainsi que la personne appelée H&H commander, dont le rôle était de garder les portes, contrôler les activités des bureaux et surveiller les entrepôts de munitions. Alieu Kosiah a expliqué que pour se ravitailler en munitions, il fallait soumettre un formulaire signé par le field commander au S4, subsidiairement au H&H. Selon le prévenu, le H&H n’avait pas le pouvoir de délivrer un tel document.
Alieu Kosiah a indiqué avoir expliqué au Procureur la signification du terme H&H et la raison pour laquelle il ne faisait aucun sens de dire qu’il y avait un H&H dans le Lofa avant la scission, mais ce dernier a fait la sourde oreille selon lui. Le prévenu a ajouté que LSM l’avait initialement désigné comme étant le H&H avant de changer d’avis et de désigner Pepper & Salt. Alieu Kosiah s’est ensuite efforcé de démontrer que les déclarations de LSM à ce sujet étaient fluctuantes et peu crédibles.
Le PrĂ©sident est revenu sur la nomination du prĂ©venu en tant qu’adjoint de la police civile au LibĂ©ria (Deputy Director of the CID) par le chef des ULIMO et lui a demandĂ© de citer les autres postes auxquels le chef des ULIMO avait le pouvoir de dĂ©signer quelqu’un. Selon le prĂ©venu, les postes du gouvernement d’intĂ©rim Ă©taient rĂ©partis entre les ULIMO-K, les ULIMO-J, les NPFL et les civils. Les ULIMO-K disposaient d’environ 25% des postes.
Interrogé sur les mérites ayant justifié sa nomination à ce poste important, Alieu Kosiah a répété qu’il n’avait pas demandé à Kromah pourquoi il l’avait nommé et a indiqué que seul Junge Jabbah n’avait pas été nommé à un poste. Dombuyah a été nommé chief of staff du nouveau gouvernement et la majorité des commandants ULIMO ont également été nommés à un poste par Kromah.
A la question de savoir s’il était satisfait de cette nomination, Alieu Kosiah a répondu : « C’est le travail le plus important que j’ai eu, car le reste du temps, j’étais utilisé comme un animal dans la brousse ». Le Président lui a demandé pourquoi il avait déjà été remplacé avant l’élection Taylor. Le prévenu a évoqué un problème entre le directeur et lui. Il a expliqué avoir été remplacé lorsque Kromah envisageait de mener une attaque depuis Foya contre les RUF en Sierra Leone, qui n’a finalement pas eu lieu.
Me Gianoli interroge Alieu Kosiah :
Sur question, Alieu Kosiah a indiqué qu’il n’avait pas une connaissance aussi détaillée de la faction ULIMO à l’époque de la guerre civile. Interrogé sur la manière dont il a complété ses connaissances, le prévenu a expliqué avoir lu la déposition de Fofana, qui lui a donné beaucoup d’informations sur la création des ULIMO. Il a ajouté que son ami Dukulé lui avait expliqué en détail la capture de Foya.
Invité à décrire son quotidien à Voinjama, Alieu Kosiah a expliqué qu’il n’y avait eu que deux attaques à repousser à ce moment-là et que le reste du temps, il lui arrivait de se rendre à Foya ou à Kolahun pour rendre visite à sa petite-amie.
InterrogĂ© sur la distance Ă laquelle se trouvaient les lignes de front depuis Voinjama, Alieu Kosiah a indiquĂ© qu’il y avait une entre Zorzor et le pont et une autre au Lofa Bridge entre les ULIMO-K et les ULIMO-J. Me Gianoli lui a demandĂ© sur quelle ligne de front il se rendait Ă cette pĂ©riode. Alieu Kosiah a rĂ©pondu que les gens de Zorzor n’avaient pas besoin de son aide et qu’il Ă©tait restĂ© Ă Voinjama pour repousser les deux attaques.
Interrogé sur la fréquence à laquelle il se rendait sur la ligne de front de 1994 à 1995, le prévenu a indiqué qu’il ne s’y rendait pas très souvent lorsqu’il était à Zorzor et plus fréquemment à partir de 1995, soit environ une fois par mois.
A la question de savoir combien de temps il restait sur la ligne de front, Alieu Kosiah a répondu qu’il fallait procéder à des changements toutes les deux semaines ou tous les mois pour que les soldats restent efficaces. Invité à décrire son quotidien au front, le prévenu a expliqué qu’ils se faisaient attaquer et repoussaient les attaques ou contournaient l’ennemi pour tendre des embuscades. Selon lui, il y avait des combats en permanence.
Me Gianoli a demandé à son client s’ils disposaient d’une base arrière ou s’ils étaient constamment en embuscade. Alieu Kosiah a répondu que les combats avaient lieu la plupart du temps en ville et qu’il arrivait de passer par la brousse pour tendre des embuscades. Il a expliqué que certains hommes étaient déployés à plusieurs endroits pour s’assurer que la zone était sécurisée alors que d’autres restaient en ville pour éviter d’être attaqués. Il a ajouté qu’ils disposaient de RPG et d’armes anti-aériennes, à l’exclusion d’artillerie lourde.
Interrogé sur la distance entre leurs véhicules et la zone de combat, Alieu Kosiah a expliqué qu’il y avait deux types de véhicules : la voiture du commandant avec les munitions qui restait à 25 km de la ligne de front et la voiture du Bissetti qui allait partout. Sur question, le prévenu a indiqué la distance à parcourir par les soldats pour rejoindre la ligne de front dépendait d’où celle-ci se situait et cela pouvait prendre parfois deux heures, parfois toute une journée. Me Gianoli lui a demandé s’ils restaient plusieurs jours ou semaines dans la brousse. Alieu Kosiah a rétorqué qu’ils n’étaient pas dans la brousse mais dans des villages, tels que Salaye.
A la question de savoir s’il choisissait les soldats sous ses ordres en fonction de leur ethnie, Alieu Kosiah a répondu par la négative et a déclaré qu’à chaque fois qu’il se rendait sur la ligne de front, il se trouvait à l’avant.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Werner interroge Alieu Kosiah :
Sur question, Alieu Kosiah a indiqué qu’il n’y avait pas de radio à Foya. Interrogé au sujet de l’igname qu’ils mangeaient en l’absence de ravitaillement, le prévenu a précisé que c’était quelque chose de semblable au manioc.
Me Wavre interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir si les radios étaient des objets rares ou communs au sein de l’ULIMO, Alieu Kosiah a répondu qu’il s’agissait d’objets rares. Il a précisé qu’il n’y avait pas de radio à Zorzor avant la capture de Gbarnga. Selon lui, il n’y avait pas de radio à Foya et Kolahun car ces zones étaient calmes. Or, les radios étaient déployées sur des points chauds. Il a déclaré qu’un témoin avait indiqué qu’il y avait une radio à Foya, alors que cela était faux. Selon le prévenu, l’absence de radio à Foya a permis d’éviter un bain de sang lorsque Pepper & Salt a été délogé.
Interrogé sur les zones où les radios étaient déployées, Alieu Kosiah a indiqué qu’il y avait des radios dans les zones importantes. Il a ajouté que contrairement aux déclarations de LSM, les ULIMO ne disposaient pas de radios satellites. Alieu Kosiah a précisé que les ULIMO avaient des radios fixes de marque Yaesu.
Invité à préciser à quelle ville de Fassama il avait fait référence précédemment, Alieu Kosiah a indiqué s’être référé au Fassama de l’ethnie Kpelle et a précisé qu’il y avait une grande prison à proximité. A la question de savoir s’il y avait d’autres raisons stratégiques – outre la prison – d’avoir une radio dans cette ville, le prévenu a répondu que Fassama était une base pour Dorley et a précisé qu’il n’y avait des radios nulle part avant la capture de Gbarnga.
Me Wavre a demandé au prévenu pour quelle raison un commandant aussi important que Dorley se trouvait dans cette ville. Alieu Kosiah a expliqué que Dorley était passé par Fassama pour capturer Zorzor et qu’après la capture de Zorzor, Fassama n’avait plus la même importance. Me Wavre a insisté pour savoir pourquoi il y avait eu une radio à Fassama. Alieu Kosiah a répété qu’il y avait des radios à Monrovia, Conakry et à Swan alors que ce n’étaient pas des lignes de front. Il a également répété qu’il n’y avait jamais eu de radio à Foya et déclaré que la marque de radio évoquée par LSM n’existait pas à l’époque des ULIMO.
Me Jakob interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur les sources d’approvisionnement en essence des ULIMO hormis la Guinée, Alieu Kosiah a déclaré qu’il y en avait probablement d’autres mais qu’il n’était pas au courant. Il a expliqué qu’à sa connaissance, tout le ravitaillement des ULIMO-K venait de Guinée, qu’il s’agisse d’essence, de nourriture ou de munitions.
Questionné sur l’abondance du ravitaillement en essence, le prévenu a indiqué qu’à son souvenir, ils n’avaient pas manqué d’essence pendant la guerre, mais qu’il ne pouvait toutefois pas exclure qu’il y ait eu une pénurie. Il a ajouté qu’ils avaient eu des problèmes d’approvisionnement en munitions à leur arrivée.
Me Jakob a demandé au prévenu s’il était libre de puiser dans les stocks d’essence de l’ULIMO pour son utilisation personnelle. Alieu Kosiah a répondu par la négative. Interrogé sur la manière dont il se procurait du carburant pour aller rendre visite à sa famille en Guinée en moto, le prévenu a expliqué qu’un litre d’essence coûtait 800 francs (i.e. 8 centimes) et que deux litres suffisaient pour faire l’aller-retour à Macenta, de sorte que cela ne lui coûtait pas cher. A la question de savoir où il achetait cette essence, Alieu Kosiah a répondu qu’il achetait un litre à la frontière.
Me Jakob a demandé au prévenu quelle était selon lui la ville la plus importante pour l’organisation des ULIMO une fois le Lofa sous contrôle. Alieu Kosiah a répondu qu’il s’agissait de Voinjama. Interrogé sur l’organisation des sous-quartiers-généraux et en particulier si cette structure était reproduite dans des villes secondaires qui auraient été par hypothèse subordonnées à Voinjama, Alieu Kosiah a déclaré que Pepper & Salt était responsable du comté du Lofa avant l’arrivée de Dombuyah, de sorte que les gens de Zorzor, Kolahun, Foya et Vahun étaient sous ses ordres. Selon le prévenu, Voinjama était le quartier-général de tous ceux qui étaient sous les ordres de Pepper & Salt et Tubmanburg était le quartier-général de Voinjama, Lofa Birdge, Kakata et Todi.
Me Jakob a demandé au prévenu s’il pouvait exlcure que le terme « H&H » ait été utilisé pour désigner Voinjama vis-à -vis des autres villes secondaires du Lofa. Alieu Kosiah a répondu qu’il ne pouvait pas y avoir deux H&H, de la même manière qu’il n’y avait qu’un seul Pentagone aux USA. Selon lui, se trouvaient au sein du H&H le ministre de la défense, le chief of staff, la direction des armées et le field commander. Il a ajouté que le seul moment où il y a pu y avoir un H&H à Voinjama, c’était lorsque Dombuyah et la totalité de son staff s’y sont rendus.
Sur question, Alieu Kosiah a déclaré qu’il ne connaissait pas Ansu Kromah, mais connaissait en revanche Mansu Kromah.
La Cour réinterroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur l’utilisation des armes lourdes anti-aériennes, Alieu Kosiah a expliqué qu’il n’y avait pas d’attaques aériennes dans la mesure où seul l’ECOMOG disposaient d’aéronefs. Il a ajouté que les armes anti-aériennes étaient des armes très bruyantes utilisées pour faire peur à l’ennemi.
Questions relatives à la première guerre civile
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Le Président a rappelé au prévenu ses déclarations en première instance selon lesquelles il a divorcé car il ne voulait pas que son épouse supporte les conséquences de ses actes. Interrogé sur les faits sous-tendant ces conséquences, Alieu Kosiah a indiqué que sa vie était détruite puisqu’il avait la réputation d’un criminel de guerre et qu’il ne voulait pas que sa femme ait à traverser cela. Il a ajouté que son fils ainsi que le fils de l’un de ses frères s’appelaient Alieu Kosiah comme lui, mais il leur a conseillé d’utiliser un middle name car quelle que ce soit l’issue du procès, tout reste sur internet.
Sur question, Alieu Kosiah a confirmé avoir entendu parler du massacre à l’église luthérienne de Monrovia. Il a indiqué en avoir été informé en tant que soldat de l’AFL. Interrogé sur les informations qu’il a reçues, le prévenu a indiqué qu’un groupe de Satou du Nimba [phon.] (i.e. des soldats Krahns) avait été sévèrement battu par les NPFL lors d’une embuscade. Pour se venger, ils ont tué un grand nombre d’innocents. Selon le prévenu, la plupart des victimes étaient des Gios et des Manos.
Le Président a demandé au prévenu comment il pouvait être certain que ces informations étaient vraies dans la mesure où la première victime de la guerre était la vérité selon ses propres déclarations. Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’y avait pas de guerre propre et qu’il fallait faire attention à distinguer le vrai du faux. Il a expliqué que Moses Right, qui était battalion commander à Camp Suffering, avait été accusé d’avoir commis ce crime par Alain Werner et son équipe, alors que les Satou étaient sous les ordres de Doe. Alieu Kosiah a déclaré avoir du mal à croire aux accusations d’Alain Werner puisqu’il n’est rien arrivé à tous les officiers Gios de Camp Suffering.
InterrogĂ© sur le massacre de 600 personnes Ă Harbel-Carter Camp le 6 juin 1993, Alieu Kosiah a confirmĂ© en avoir entendu parler et avoir vu les civils s’enfuir de cet endroit alors qu’il se trouvait Ă Todi Junction. InvitĂ© Ă raconter ce qu’il avait entendu Ă propos de ce massacre, le prĂ©venu a indiquĂ© qu’en juin ou juillet 1993, entre 3’000 et 4’000 personnes sont arrivĂ©es Ă Todi Junction dans un endroit nommĂ© Division N°7 dans une zone de Firestone. Selon lui, l’endroit oĂą le crime a Ă©tĂ© commis se trouvait Ă moins de 30 km de lĂ oĂą il se trouvait. Les civils ont dĂ©clarĂ© qu’il y avait des combats entre le LPC et le NPFL. Les NPFL ont tuĂ© les civils lorsqu’ils sont venus reprendre la zone au LPC. Selon Alieu Kosiah, le rapport de la TRC et la presse ont accusĂ© faussement les LPC d’avoir commis ce massacre, puisque les responsables Ă©taient les NPFL. Il a ajoutĂ© que les ULIMO savaient dès le dĂ©but que les NPFL Ă©taient responsables et en avaient informĂ© l’ECOMOG ainsi que le gouvernement d’intĂ©rim.
Sur question, Alieu Kosiah a confirmé avoir pris connaissance du rapport de la police judiciaire fédérale au sujet de la première guerre civile et du rôle des ULIMO. Le Président lui a demandé s’il avait été surpris de l’ampleur des exactions commises dans le Lofa dont le rapport faisait état. Alieu Kosiah a répondu que ni le procureur ni la police ne s’étaient rendus au Libéria et que le rapport se limitait à citer d’autres sources. Il a répété que les autorités suisses n’avaient rien vérifié de manière indépendante puisqu’elles ne sont pas rendues sur place. Selon le prévenu, le rapport évoque notamment un jugement rendu par une cour martiale à Macenta, alors qu’il n’y a jamais eu de tribunal dans cette ville. Le Président a réitéré sa question et Alieu Kosiah a déclaré qu’il avait bien évidemment été surpris de l’ampleur des violations commises.
Le PrĂ©sident a ensuite indiquĂ© que le rapport faisait Ă©tat de plus de 100 fosses communes avec plus de 8’000 corps pour la pĂ©riode allant de 1989 Ă 2003 et a demandĂ© au prĂ©venu s’il pouvait exclure qu’une ou plusieurs de ces fosses communes soit attribuable aux ULIMO. Alieu Kosiah a dĂ©clarĂ© qu’il l’ignorait car il n’était pas prĂ©sent. Il a rĂ©pĂ©tĂ© qu’il n’y avait pas de guerre propre et a considĂ©rĂ© que la pĂ©riode de rĂ©fĂ©rence Ă©tait longue et avait vu s’affronter diffĂ©rentes factions. Selon lui, il n’y aucun moyen de savoir Ă quelle faction attribuer une fosse commune.
Alieu Kosiah a ensuite raconté l’histoire d’un commandant ULIMO du nom de Famo Kenneh [phon.]. Ce dernier s’est rendu au checkpoint de Fifteen Gate avec sa mère, son frère et ses deux sœurs. Alors que sa mère et ses frères et sœurs ont été placés en détention car ils ont admis être Mandingos, Famo Kenneh a quant à lui déclaré qu’il était Congo. Les membres de sa famille ont été emprisonnés puis tués par les NPFL, alors que Famo Kenneh a pris la fuite avant d’être arrêté à Zorzor. Alieu Kosiah a expliqué que les NPFL considéraient que ceux qui arrivaient jusqu’à Zorzor étaient probablement des Mandingos qui tentaient de rejoindre la Guinée. Selon le prévenu, Famo Kenneh a été emprisonné avec 45 autres personnes. Les NPFL tuaient deux détenus par jour. Famo Kenneh était l’un des deux derniers survivants et a réussi à s’enfuir par le toit de la prison un jour de pluie. Alieu Kosiah s’est demandé où se trouvaient les tombes de ces 43 Mandingos tués à Zorzor. Il a ajouté : « Quand on voit une tombe 40 ans après la fin d’une guerre civile et qu’on déclare qu’il s’agit de victimes des ULIMO, pour ma part, je trouve qu’il est difficile de savoir qui a fait quoi ».
Le Président lui a demandé s’il avait été témoin de ces faits. Alieu Kosiah a répondu par la négative et a indiqué que Famo Kenneh les lui avait racontés.
Le Président a présenté un tableau répertoriant les massacres commis par les ULIMO lors de l’année 1993. A la question de savoir si ces chiffres lui paraissaient plausibles, Alieu Kosiah a répondu que personne ne pouvait mener une guerre propre, mais qu’il ne fallait pas pour autant prendre ces informations pour argent comptant. Le prévenu a remis en cause certains considérants du jugement de première instance concernant le Black Monday et le Black Friday, en particulier le fait que les premiers juges ont retenu que seuls les soldats ULIMO ne se souvenaient pas du Black Monday et du Black Friday en raison des actes horribles qu’ils avaient commis. Selon Alieu Kosiah, la question à se poser est plutôt de savoir pourquoi seules les personnes qui sont passées par l’ONG se souviennent du Black Monday, alors que tous les autres témoins, James Faseukoi compris, n’ont jamais entendu parler ni d’un Black Friday ni d’un Black Monday.
Alieu Kosiah a déclaré qu’on ne pouvait pas l’accuser d’avoir menti en indiquant qu’il n’avait pas connaissance d’un Black Friday ou d’un Black Monday. Il a cité le témoignage de Massa Washington sur la manière dont les enquêtes étaient menées au sein de la TRC. Le prévenu a sous-entendu que les personnes chargées de prendre des dépositions recevaient une somme d’argent pour chaque déposition prise. Il a indiqué avoir lu deux ou trois dépositions à teneur desquelles les responsables du Black Monday seraient les LURD qui sont venus de Kolahun à Voinjama en 2002. Le Black Monday serait ainsi situé à une toute autre date et aurait été commis par une autre faction. Au vu de ce qui précède, Alieu Kosiah a invité les juges à la prudence.
Le Président a évoqué le rapport de MSF selon lequel les habitants étaient utilisés comme esclaves entre juillet 1993 et décembre 1994 à Foya Kamara et dans les villages situés à proximité de Kolahun et Voinjama. Sur question, le prévenu a déclaré qu’il n’avait pas connaissance de ces pratiques. Invité à expliquer pourquoi il n’en avait pas connaissance alors même qu’il était membre de l’ULIMO et basé dans cette zone, Alieu Kosiah a indiqué qu’il ne pouvait ni confirmer ou infirmer que de telles choses se soient produites puisqu’il n’avait rien vu de tel lorsqu’il était basé dans le Lofa. Il a ajouté qu’il n’avait pas non plus vu une seule ONG dans le Lofa. Interrogé sur le vol de Oxfam commis par des soldats ULIMO, le prévenu a déclaré que cet événement s’était produit après le cessez-le-feu.
Questionné sur les tueries perpétrées par Pepper & Salt contre des civils en 1993 au nord du Lofa, tel que cela a été rapporté par des travailleurs humanitaires, Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’était pas avec Pepper & Salt à cette époque. A la question de savoir s’il avait connaissance des aveux faits par l’ULIMO concernant les atrocités commises contre les Kissis dans la région de Foya, Alieu Kosiah a indiqué qu’il n’en avait aucune idée et qu’il fallait s’adresser à Kromah à cet égard.
Le Président a demandé au prévenu d’expliquer les raisons pour lesquelles il n’était pas au courant d’un grand nombre d’informations alors même qu’il se trouvait dans le Lofa. Alieu Kosiah a rétorqué que ces informations étaient de simples ouï-dire et qu’il s’était limité à rapporter à la Cour ce qu’il avait vu et entendu.
Confronté à ses déclarations en première instance selon lesquelles les gens avaient commencé à l’appeler Physical Cash lorsqu’il a rejoint la police, Alieu Kosiah les a confirmées et a répété que ce surnom lui avait été donné par Pepper & Salt dans le Lofa. Le Président lui a demandé s’il avait connaissance d’un stratagème consistant à utiliser un pseudonyme pour commettre des crimes contre les civils sous couvert d’une autre identité. Alieu Kosiah a reconnu que les gens avaient des surnoms, mais a indiqué qu’il n’était pas au courant du fait que ces derniers aient été utilisés pour commettre des crimes. Il a ajouté que pour sa part, il s’était toujours appelé Kosiah, Kos ou CO Kosiah.
A la question de savoir si les écoles étaient fermées dans le Lofa pendant la guerre, le prévenu a répondu que les écoles étaient fermées où il se trouvait et que personne ne lui avait rapporté que les écoles étaient ouvertes sous l’occupation du NPFL.
Le Président lui a ensuite demandé de quelle manière les ULIMO s’assuraient que les personnes auxquelles ils infligeaient le tabé n’étaient pas des civils. Alieu Kosiah a expliqué que lorsqu’il arrivait dans une ville, il sollicitait le townchief pour obtenir des informations. Il a ajouté qu’il ordonnait à ses soldats de considérer comme un civil toute personne qui ne portait ni arme ni ruban rouge ni uniforme. Le prévenu s’est vanté d’avoir ordonné la libération de deux civils tabés par des soldats qui les soupçonnaient d’être des rebelles NPFL. Il a indiqué qu’il insistait systématiquement pour que des vérifications soient faites, d’autant plus que certains civils avaient tendance à se comporter comme des soldats ou de profiter de leur situation lorsqu’un membre de leur famille était proche d’un commandant NPFL.
Le Président lui a rappelé ses déclarations selon lesquelles il n’y avait plus de pillage en cours à son arrivée dans le Lofa et lui a demandé ce qui avait mis fin à ces pillages. Alieu Kosiah a répondu qu’il l’ignorait, mais pensait que cela s’expliquait peut-être par l’ordre de Dombuyah selon lequel aucun soldat ne devait être stationné dans un village, qu’il s’est chargé de transmettre aux commandants Mandingos le long de la route principale entre Voinjama et Vahun. Alieu Kosiah a ajouté qu’il ne voyait pas pourquoi des soldats devaient être stationnés dans les villages, dans la mesure où, selon lui, ils devaient être soit à Voinjama soit sur la ligne de front à Zorzor. Sur question, le prévenu a confirmé qu’il était floating officer à ce moment-là -
Le Juge Ros est revenu sur la pratique du tabé et a demandé au prévenu quel sort était réservé aux soldats NPFL. Alieu Kosiah a répété que les soldats NPFL capturés passaient un ou deux mois en prison, avant d’être confrontés à une période d’établissement du lien de confiance au terme de laquelle ils pouvaient choisir de rejoindre les ULIMO ou rentrer chez eux. A la question de savoir s’il avait déjà été confronté à une telle situation, Alieu Kosiah a répondu par l’affirmative en citant le capitaine Denis [phon.]. Il a indiqué qu’ils ont développé un lien qui perdure à ce jour. Alieu Kosiah a répété qu’il ne devait pas répondre de toutes les atrocités commises pendant la guerre au Libéria, mais uniquement des accusations portées contre lui.
Le Président a demandé à Alieu Kosiah d’expliquer pourquoi il avait déclaré que Taylor se considérait comme le président du Libéria et pouvait prendre ce qu’il voulait. Le prévenu a indiqué avoir fait cette déclaration en lien avec ce que les civils lui avaient rapporté, à savoir que Taylor avait pris le générateur de Voinjama pour l’utiliser à Gbarnga. A la question de savoir si cette logique était appliquée dans les territoires capturés par l’ULIMO, Alieu Kosiah a expliqué que Taylor se considérait comme le président contrairement à Kromah. Le prévenu a ajouté n’avoir jamais vu Kromah donner l’ordre de prendre un générateur dans une ville pour l’utiliser dans une autre ville.
Le Président a rappelé au prévenu ses déclarations selon lesquelles un soldat assigné trop longtemps au même endroit se sentait le roi sur place et lui a demandé quelles étaient les conséquences d’un tel sentiment. Alieu Kosiah a répondu qu’au sein de l’AFL, les soldats n’étaient pas assignés au même endroit durant un longue période pour éviter qu’ils s’habituent au mode de fonctionnement local. Il a ajouté que la même règle aurait dû être appliquée au sein de l’ULIMO.
Interrogé sur les maisons dans lesquelles il a logé, le prévenu a déclaré que près de 80% de la population de Voinjama était partie et qu’il y avait beaucoup de maisons vides, notamment dans le Mandingo Quarter où il vivait. A la question de savoir si le fait de fuir sa maison équivalait à un abandon de son droit de propriété, Alieu Kosiah a répondu qu’il ignorait où le Président voulait en venir puisqu’il s’éloignait des crimes qui lui étaient reprochés.
Questionné sur les raisons pour lesquelles les parties plaignantes l’avaient pris pour cible, Alieu Kosiah a déclaré : « Si je n’étais pas venu en Europe, aucun crime ne m’aurait été reproché. On me reproche ces crimes en raison du lieu où je réside et pas en raison de ce que j’ai fait pendant la guerre ». Confronté au fait qu’il n’était pas le seul Mandingo en Europe, Alieu Kosiah a rétorqué qu’il était le seul Mandingo en Suisse à avoir fait partie de l’ULIMO.
Interrogé sur sa rencontre avec HB, Alieu Kosiah a indiqué qu’ils s’étaient rencontrés à Monrovia en présence d’Alain Werner en 2012 et non en 2009, 2010 ou 2011 comme le prétend HB. Lors de cette rencontre, HB aurait déclaré qu’il ne savait rien sur Alieu Kosiah, alors que devant le Procureur il a indiqué tout savoir des crimes commis par ce dernier en 1993. Se référant à des échanges d’e-mails entre Alain Werner et HB, Alieu Kosiah a déclaré qu’il voulait savoir pourquoi Alain Werner avait mis la pression à HB pour qu’il trouve des informations sur lui. Il a ajouté : « La vérité, c’est que c’est une organisation criminelle », ce qui a amené le Président à lui rappeler le caractère punissable des dénonciations calomnieuses. Alieu Kosiah a alors rappelé les derniers développements de la procédure finlandaise sur le manque de crédibilité des parties plaignantes et a déclaré que cela devait faire office de signal d’alarme.
Alieu Kosiah s’est attelé à démontrer l’impossibilité pour Gibril Massaquoi d’avoir commis les crimes qui lui sont reprochés et l’absence de crédibilité du témoignage de B. Kromah. Il a ensuite déclaré que le Procureur avait dit à propos Alain Werner qu’il portait deux casquettes et nuisait à la procédure. Alieu Kosiah a demandé au Procureur ce qu’il avait fait de cette opinion. Il a ajouté qu’Alain Werner avait des connexions avec les procédures en Finlande et en Angleterre contrairement à ce que ce dernier prétendait.
Alieu Kosiah s’est ensuite rĂ©fĂ©rĂ© Ă une interview donnĂ©e par Alain Werner aux mĂ©dias français et a indiquĂ© que Alain Werner avait menti lorsqu’il avait prĂ©tendu que son organisation n’allait pas chercher les victimes, mais que les victimes venaient Ă eux. Le prĂ©venu a ajoutĂ© que les victimes Mandingos dans l’affaire Agnes Taylor avaient toutes obtenues l’asile grâce Ă Alain Werner et HB. Selon lui, un des tĂ©moins a dĂ©clarĂ© : « Quand vous ĂŞtes pauvre, vous acceptez beaucoup de choses ». Il a ajoutĂ© que son père lui disait toujours : « Lorsqu’on Ă©tait pauvre, on perd sa dignitĂ© ». Pour Alieu Kosiah, telle est la rĂ©alitĂ© en Afrique. A ce titre, il a donnĂ© l’exemple des 7’000 ou 8’000 personnes rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ©es en MĂ©diterranĂ©e alors qu’elles voulaient vivre une meilleure vie en Europe. Le prĂ©venu a rappelĂ© les salaires avancĂ©s par les parties plaignantes et a dĂ©clarĂ© que ces chiffres n’étaient pas crĂ©dibles.
Le Président a demandé au prévenu de citer les noms des villages qui n’avaient pas encore été capturés lors de son arrivée dans le Lofa. Alieu Kosiah a répété n’avoir participé à la capture d’aucune ville dans le comté du Lofa, ni Zorzor, ni Voinjama, ni Kolahun, ni Foya. Il a indiqué avoir rencontré Pepper & Salt à Monrovia et qu’à leur retour dans le Lofa, Voinjama avait été capturée, puis Foya et Kolahun. Il a précisé s’être rendu à Foya trois mois après sa capture.
Sur question, Alieu Kosiah a indiqué qu’à son arrivée, des batailles étaient en cours au niveau du pont entre le comté de Bong et le comté du Lofa. Interrogé sur la personne en charge au sein des ULIMO, il a précisé que Pepper & Salt était responsable de l’Upper Lofa.
Le Président lui a ensuite demandé en quoi le fait de manger des cœurs humains était incompatible avec sa culture qui lui interdisait de consommer du porc. Le prévenu a déclaré que les musulmans ne mangeaient pas de porc et qu’il ne voyait donc pas comment ils pourraient manger de la chair humaine. Interrogé sur le lien entre la chair de porc et la chair humaine, Alieu Kosiah a déclaré que sa religion lui imposait de ne pas manger de viande de porc et que la dernière chose qu’il ferait serait de manger la chair d’un autre être humain. Sur question, le prévenu a confirmé qu’il mangeait de la viande, notamment de la viande de vache. Le Président lui a demandé s’il fallait comprendre de ses déclarations que la viande humaine était assimilable à de la viande de porc. Alieu Kosiah a répondu que manger de la chair humaine était la pire chose que l’on puisse faire. Il a ajouté que le Coran autorisait un musulman à manger de la viande de porc s’il avait faim et a indiqué ne pas avoir lu qu’il était permis de manger de la chair humaine.
Interrogé sur le type de pistolet qu’il possédait lors de la mission de Todi, Alieu Kosiah a indiqué qu’il s’agissait d’un 45 (chargeur dans la crosse) acheté sur Clay Street. A la question de savoir pourquoi il l’avait revendu alors que la guerre était en cours, le prévenu a indiqué que le pistolet lui appartenait et qu’il avait décidé de le revendre.
A la question de savoir si son expérience confirmait les conclusions du rapport de police, selon lesquelles les victimes civiles étaient plus importantes que les victimes militaires, Alieu Kosiah a répondu par la négative. Sur question, il a déclaré qu’il ignorait combien de soldats avaient perdu la vie durant la guerre civile. Il a indiqué se souvenir d’avoir perdu 86 hommes en quittant le Sierra Leone, mais avoir perdu le fil par la suite. Selon lui, il y a eu beaucoup de pertes militaires. Interrogé sur le nombre d’hommes qu’il a perdus, Alieu Kosiah a déclaré qu’il ignorait le nombre exact.
Le Président lui a demandé comment il avait fait la connaissance de sa petite-amie à Bolahun. Le prévenu a expliqué l’avoir rencontrée à travers une autre fille, qui était la petite-amie de l’un de ses amis. Sur question, Alieu Kosiah a indiqué que sa petite-amie était âgée de 17 ou 18 ans et qu’ils étaient restés ensemble de 1994 à 1995, jusqu’à ce qu’il aille en prison. A la question de savoir s’il avait célébré son anniversaire, le prévenu a répondu qu’ils ne pensaient pas à ce genre de choses pendant la guerre.
Questionné sur les allégations de relations sexuelles avec une jeune fille à Zorzor qui ressortent du dossier, Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’avait jamais rencontré cette jeune fille et que la seule connexion entre eux était Alain Werner.
A la question de savoir s’il avait reçu une formation militaire en droit international au début de sa carrière au sein de l’ULIMO, Alieu Kosiah a répondu par la négative. Il a précisé avoir uniquement appris le code de conduite.
Me Gianoli interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur le nombre de femmes qu’il a eues, Alieu Kosiah a indiqué avoir eu une première épouse suisse et une seconde épouse d’un mariage traditionnel. Questionné sur la durée de sa relation avec sa seconde épouse, il a précisé que celle-ci a débuté en fin 2011 et qu’ils se sont rendus en Afrique durant trois ou quatre mois pour célébrer leur mariage traditionnel.
Sur question, Alieu Kosiah a déclaré que les événements qui se sont produits à l’église luthérienne et Harbel Camp étaient probablement mentionnés dans le rapport de la TRC. A la question de savoir s’il avait vu la mention du Black Friday sur la liste des crimes commis par l’ULIMO dans le Lofa en 1993, Alieu Kosiah a répondu par la négative. Il a déclaré qu’il n’était pas dans le Lofa en 1993 de sorte qu’il ne pouvait pas exclure la commission de ces crimes par l’ULIMO.
Sur question, Alieu Kosiah a indiqué être arrivé dans le Lofa en 1994. Interrogé sur sa relation avec Pepper & Salt, le prévenu a indiqué qu’ils n’étaient pas proches. Selon lui, Pepper & Salt était toujours en compagnie de Jungle Jabbah.
A la question de savoir s’il avait choisi un surnom lors de la première guerre civile, Alieu Kosiah a répondu par la négative. Il a ajouté qu’il utilisait le nom Alieu Kosiah partout où il se rendait.
Me Gianoli a demandé à son client si certaines villes n’étaient pas sous contrôle ULIMO lors de son arrivée dans le Lofa. Alieu Kosiah a indiqué que toutes les villes dans lesquelles il s’était rendu étaient sous contrôle ULIMO et qu’il n’avait pas vu une seule balle voler dans le cadre de la capture des villes du Lofa.
Sur question, il a indiqué qu’une grande distance séparait le Lower Lofa de l’Upper Lofa et qu’il recevait uniquement des informations par radio sur ce qui se passait dans le Lower Lofa lorsqu’il se trouvait dans l’Upper Lofa.
Interrogé sur la superficie du Lofa, le prévenu a expliqué qu’avant que le comté soit divisé en deux, il faisait environ 25% de la Suisse et était le plus grand comté du Libéria.
Me Werner interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur sa connaissance du contenu du rapport de MSF, en particulier sur les actes de cannibalisme et les meurtres de civils commis par l’ULIMO, Alieu Kosiah a laissé entendre qu’il s’agissait d’ouï-dire. Il a raconté avoir entendu depuis ses quatre ans des histoires, selon lesquelles des Congos découpaient les têtes d’autres êtres humains pour les envoyer en Inde et mangeaient les êtres humains par le dos, et avoir compris en grandissant que tout était faux. Selon lui, ce genre d’histoires a mené à d’autres fausses accusations. Le prévenu a ainsi évoqué l’arrestation de Harisson par Doe sur la base d’accusations d’avoir procédé à des sacrifices humains, alors qu’en réalité Doe craignait Harrisson car ce dernier était plus populaire que lui.
Me Toutou-Mpondo interroge Alieu Kosiah :
Me Toutou-Mpondo a lu diverses citations de Abraham Towah et Lamine Kenneh et a demandé au prévenu à quel pistolet ces derniers se référaient lorsqu’ils ont évoqué le pistolet que Alieu Kosiah portait à la cuisse droite en allant au front. Alieu Kosiah a répondu qu’il devait s’agir de son 45. Il a précisé qu’il était muni d’un 45 à Bomi et lors de la capture de Todi, mais pas dans le Lofa car il l’avait déjà revenu à un lieutenant de l’ECOMOG. Il a ajouté que selon les déclarations de Kwamex Fofana, aucun soldat ULIMO ne recevait de pistolet ; soit ils l’achetaient, soit ils tuaient un général et lui prenaient son pistolet.
Interrogé sur les armes qu’il portait dans le Lofa, Alieu Kosiah a indiqué que le G3 était son arme préférée et qu’il lui arrivait d’utiliser un AK47 lorsqu’il n’avait pas d’autre choix. Il a précisé avoir toujours utilisé un G3 depuis son départ de Sierra Leone, sous réserve d’être à court de munitions.
Me Jakob interroge Alieu Kosiah :
Sur question, Alieu Kosiah a indiqué qu’à sa connaissance, les NPFL n’utilisaient pas d’insigne ou de tatouages en forme de scorpion. En revanche, il a précisé que les membres des forces spéciales NPFL portaient un t-shirt rouge avec un scorpion en 1990.
Me Jakob a ensuite cité un paragraphe du rapport UNHCR. Alieu Kosiah a déclaré qu’il y avait un manque de respect envers l’Afrique puisqu’il y avait différentes approches selon que la guerre était menée en Europe ou en Afrique. Selon lui, les guerres en Afrique sont décrites comme inhumaines alors que tel n’est pas le cas. Il a déclaré qu’il y avait des marchés et des civils partout et a rappelé les déclarations de SS, qui a indiqué qu’elle pouvait se rendre librement en Guinée. Alieu Kosiah a livré son impression, selon laquelle les civils qui ne sont pas passés par l’ONG ne sont pas écoutés.
Me Jakob a alors évoqué le témoignage de JS, qui a décrit, devant la TRC en 2008, les marches forcées entre Foya et Solomba et les conditions dans lesquelles ces transports étaient effectués (exécutions, émasculations, actes de torture). Invité à se déterminer sur ce témoignage, Alieu Kosiah a répété que plusieurs témoins ont évoqué une liberté de mouvement après les combats, ainsi que des marchés dans tout le pays. Le prévenu a ensuite déclaré que le témoignage de JS contredisait ceux de JTC et LSM. Selon lui, l’ONG a repris l’histoire de JS et l’a adaptée pour monter une accusation contre lui. Sans se prononcer sur la véracité des déclarations de JS, Alieu Kosiah a déclaré que la réponse à la question de savoir s’il avait donné l’ordre de démonter la génératrice, de la charger sur un truck et de pousser ce truck jusqu’à la frontière était non.
Me Jakob a cité un autre paragraphe du rapport UNHCR concernant la présence de l’ULIMO en Guinée et a demandé au prévenu si cette description lui paraissait plausible. Alieu Kosiah a déclaré que Nzérékoré était plus proche du Nimba que du Lofa de sorte que ce qui s’y passait n’avait pas d’impact sur les ULIMO, contrairement à ce qui se passait à Macenta. Il a également répété qu’aucun soldat ULIMO n’était autorisé à porter des armes ou un uniforme en Guinée, n’y à se déplacer en véhicule militaire.
A la question de savoir s’il avait entendu parler du pillage du HCR à Vahun avant l’ouverture de la procédure, Alieu Kosiah a répondu par la négative et a expliqué que cet événement s’était produit en 1993 alors qu’il se trouvait à Todi. Il a également déclaré que LSM s’était contredit en affirmant qu’il n’était jamais allé en Sierra Leone.
Le Président a interrompu l’interrogatoire du prévenu jusqu’au lendemain.