[01/31/2023] Day 9: The defense’s pleadings
Interrogatoire d’Alieu Kosiah (suite et fin)
Avant de poursuivre l’interrogatoire du prévenu, le Président lui a rappelé qu’il avait la possibilité de se déterminer sur les faits et l’a invité à ne pas plaider la cause.
Alieu Kosiah a souhaité se déterminer sur le trajet parcouru en Sierra Leone par LSM et s’est référé aux déclarations de Varmuyan Sherif. Le prévenu a déclaré que LSM avait menti en indiquant que toutes les villes situées sur la route pour rejoindre la Sierra Leone étaient contrôlées par les ULIMO, car c’était en réalité la base des RUF selon Alieu Kosiah. Il a ajouté que LSM avait également menti en déclarant que CO Jackson avait été exécuté par des Kamajors, car ces derniers étaient alliés avec les ULIMO.
Concernant la témoin SS, Alieu Kosiah a rappelé que les juges de première instance ne l’ont pas considérée comme fiable. Il a également rappelé que sur la planche photo qui lui a été présentée, elle a d’abord désigné le n°4 comme étant Alieu Kosiah, puis le n°8, alors que le prévenu n’y figure pas.
Alieu Kosiah a déclaré que selon lui, le rôle de SS dans ces débats était d’établir le lien entre LSM et Fine Boy, afin de donner plus de crédibilité à LSM. Cela étant, SS n’a jamais vécu avec Fine Boy et a déclaré qu’elle ne connaissait pas sa petite-amie. Elle a déclaré qu’elle vivait avec un certain Valy pendant la guerre alors que dans la procédure française, elle a indiqué qu’elle vivait avec Sia, la femme de Fine Boy. Puis, lors des débats d’appel, elle a nié connaître qui que ce soit du nom de Sia. Alieu Kosiah a répété qu’il n’avait commis aucun tort à ces personnes et que la seule connexion entre elles et lui était l’ONG. Il s’est demandé pourquoi il était toujours en prison compte tenu des contradictions dans le témoignage de SS.
Alieu Kosiah a également relevé que SS avait initialement évoqué huit personnes tuées, et désormais sept. Elle a adapté sa version à celle de LSM après l’avoir rencontré à Monrovia et ici-même. Le prévenu a ajouté que la description du puits donnée par SS ne correspondait pas à celle fournie par LSM. Alieu Kosiah a répété : « Et je suis toujours en prison, depuis 8 ans et deux mois ». [ndlr, Alieu Kosiah va utiliser cette anaphore au fil de son discours].
Selon Alieu Kosiah, SS a indiqué qu’il y avait une rivière entre l’endroit où elle habitait et la maison de Kundi, alors qu’il n’y a pas de rivière à Foya. Lorsqu’elle a été confrontée à LSM, elle a confirmé tous les propos de ce dernier. Or, selon le prévenu, LSM a indiqué aux autorités françaises que Kundi l’avait poignardé avec une baïonnette.
Alieu Kosiah a déclaré que SS avait servi à la Cour une toute autre version de celle qu’elle a donnée aux autorités françaises. Il a répété qu’il ne la connaissait pas et que malgré ces déclarations contradictoires, il était toujours en prison.
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Le Président a demandé au prévenu si SS était passée par l’ONG selon lui. Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’y avait aucun doute sur le fait que SS était passée par l’ONG et qu’il suffisait de lire les déclarations de LSM pour s’en convaincre. Il a rappelé que SS avait également déclaré ne pas avoir été victime de violence de la part des ULIMO. s
Alieu Kosiah est ensuite revenu sur les déclarations de Lamine Kenneh au sujet de la chair lady et a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas de la même personne que celle mentionnée par EBJ. La chair lady évoquée par Lamine Kenneh cuisinait dans un cook shop au centre-ville, et non pas dans une maison. Selon le prévenu, Lamine Kenneh a également déclaré n’avoir jamais vu Alieu Kosiah manger dans la maison de la chair lady. Le récit de EBJ, selon lequel le prévenu aurait mangé chez la chair lady à chaque fois qu’il était à Voinjama ne tient donc pas la route d’après Alieu Kosiah.
Le prévenu a ensuite abordé les déclarations de Kwamex Fofana et a tenu à préciser que ce dernier avait déclaré qu’il pensait que Mami Wata était un des gars auxquels Dorley faisait appel pour accomplir des missions. Alieu Kosiah a ajouté que Fofana n’était pas deputy chief of staff, mais director of staff des ULIMO avant la scission. Il était surnommé général Norway. Sur question, le prévenu a confirmé que Fofana avait le grade de général.
Le Président a demandé au prévenu en quoi ces éléments étaient pertinents par rapport à la question qui lui avait été posée. Alieu Kosiah a répondu que l’enquête tout comme son emprisonnement se fondaient sur de fausses informations. Il a ajouté que personne n’avait déclaré qu’il se trouvait à Zorzor lors de la capture de la ville.
Alieu Kosiah est ensuite revenu sur les déclarations de LSM. Il a d’abord indiqué qu’il ne s’était jamais rendu à la frontière avec Deku pour acheter des munitions, contrairement à ce que LSM avait déclaré. Ensuite, il a affirmé que LSM n’avait jamais été soldat au sein de l’ULIMO. Selon le prévenu, LSM a expliqué s’être rendu à Bomi Hill avec Fine Boy, car ce dernier devait faire un rapport en sa qualité de S2. Or, le S2 rapporte à son commandement et à Voinjama, mais ne peut en aucun cas contourner son commandement et rapporter directement à Bomi Hill. Selon Alieu Kosiah, Fine Boy a d’ailleurs indiqué qu’il ne s’était jamais rendu à Tubmanburg pour faire un rapport et a précisé que son rapport était envoyé au commandant S2 à Voinjama avec copie au ground commander de Foya. Alieu Kosiah a rappelé que LSM avait déclaré s’être rendu à Tubmanburg le lendemain du jour où il a été poignardé et y être arrivé dans la soirée, alors que la distance est longue depuis Foya.
Le prévenu a ajouté qu’aucun soldat ULIMO n’avait effectué trois mois d’entraînement comme l’a expliqué LSM. Il a précisé que la formation durait entre trois semaines et un mois en Sierra Leone et a été réduite à une ou deux semaines dans le Lofa.
Alieu Kosiah a ensuite souhaité évoquer les photographies prises par Patrick Robert. Il a tenu à souligner qu’il ne s’agissait pas de photographies de soldats ULIMO, car elles ont été prises en 1990 dans une zone contrôlée par le NPFL. Quant aux photographies prises lors de la guerre du 6 avril 1996, elles doivent être mises en lien avec les ULIMO-J et non avec les ULIMO-K selon le prévenu. En effet, ces photos ont été prises à proximité de la caserne BTC (Barclay Training Center), qui était la base des ULIMO-J. Par ailleurs, les soldats masqués qui portent des tissus rouges sont des soldats NPFL. Alieu Kosiah a expliqué que les ULIMO portaient un bandeau blanc sur la tête et n’avaient pas de masques.
Me Gianoli interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir si Zorzor avait été prise au moment de l’événement à Harbel Camp. Alieu Kosiah a répondu que la TRC et les journaux dataient la prise de Zorzor à juin ou juillet, de sorte que la ville avait probablement été prise à ce moment. Sur question, il a indiqué que Steven Dorley avait capturé Zorzor.
Interrogé sur la prise de Voinjama, Alieu Kosiah a indiqué qu’il n’y avait pas de date précise concernant la prise de Voinjama, mais qu’il était possible de considérer que cette ville avait été capturée au début du mois de mars, postérieurement à l’événement qui s’est produit à Harbel Camp.
Questionné sur Kolahun et Foya, le prévenu a déclaré que Dukule situait la prise de Kolahun entre mai et juin et que AS avait évoqué le mois de mai, de sorte qu’il était possible de considérer que Kolahun a été capturée avant l’incident à Harbel Camp. Alieu Kosiah a ajouté que Foya avait été prise en juin ou juillet conformément aux articles de presse de l’époque, de sorte que les deux événements ont visiblement eu lieu au cours de la même période.
Me Gianoli a demandé à son client comment LSM pouvait connaître le contenu du témoignage de SS alors qu’il a été auditionné quelques heures avant elle en janvier 2020. Alieu Kosiah a affirmé que SS a été convoquée de manière surprenante pour remplacer FJ, car personne n’est parvenu à la retrouver. Le prévenu a ajouté que LSM et SS s’étaient parlé deux fois par téléphone, dont le jeudi précédant leur audition. Selon lui, il est évident que LSM a fait en sorte d’inclure SS dans la procédure.
Le MPC n’a pas eu de questions.
Me Toutou-Mpondo interroge Alieu Kosiah :
A la question de savoir s’il avait déjà mangé chez une chair lady ou de la nourriture préparée par une chair lady à Voinjama ou ailleurs, Alieu Kosiah a répondu par la négative. Il a ajouté que le terme chair lady était le pendant de chairman au Libéria et désignait également toute femme à la tête d’une organisation. Il a également raconté avoir rencontré Dukule un jour à Massabolahun. Le père de ce dernier s’est joint à eux et a dit à Alieu Kosiah que les gens du village voulaient cuisiner pour lui. Le prévenu a décliné en insistant sur le fait qu’il était venu pour voir Dukule et a déclaré : « S’il mange une peirre, je mangerai une pierre comme lui, C’est ça Alieu Kosiah ».
Me Toutou-Mpondo a donné lecture des déclarations d’Abraham Towah selon lesquelles il goûtait la nourriture que les préparaient avant que Alieu Kosiah la mange. Questionné sur l’identité de ces femmes, Alieu Kosiah a déclaré que Papa faisait référence aux femmes des soldats. Il a ajouté que Papa avait également déclaré n’avoir jamais vu le prévenu manger chez des civils.
La Cour réinterroge Alieu Kosiah :
Le Président a demandé au prévenu en quoi l’anecdote qu’il venait d’évoquer le caractérisait particulièrement. Alieu Kosiah a expliqué que dans chaque village, une journée précise est dédiée au travail en communauté au sein de la ferme du gouvernement selon la tradition libérienne. Le riz récolté est conservé spécialement pour les visites de personnes importantes. Le prévenu a déclaré que lors de son déplacement à Massabolahun, il ne se sentait pas si important pour que des personnes âgées se mettent à cuisiner pour lui, indépendamment de savoir si le riz provenait de la ferme du gouvernement.
Questions relatives à la situation personnelle
La Cour interroge Alieu Kosiah :
Interrogé sur l’évolution de sa situation depuis les débats de première instance, Alieu Kosiah a déclaré qu’il parcourait le dossier chaque jour et que le verdict avait pesé sur son moral. Il a indiqué avoir le sentiment que les juges de première instance avaient été beaucoup plus durs avec lui que cette Cour et, par conséquent, ne pas avoir été surpris du verdict. Il a ajouté : « Le verdict a affecté mon moral, mais n’a pas changé mon travail ni mon rapport avec les gardiens. Je garde tout à l’intérieur et c’est dur ».
Le Président s’est référé à une interview donnée par le prévenu à un journaliste de la NZZ, auquel il a indiqué qu’il s’attendait à un acquittement. Alieu Kosiah a répondu que son attitude restait toujours la même, à savoir espérer le meilleur et se préparer au pire.
Interrogé sur ses projets pour le cas où il serait remis en liberté, Alieu Kosiah a déclaré avec émotion qu’il voulait revoir sa mère.
Questionné sur ses contacts avec ses proches depuis son incarcération, il a indiqué qu’il parlait à sa mère. Il a précisé qu’il souhaitait la revoir et parler avec elle en Mandingo, pas en anglais. Il a demandé à pouvoir parler à sa mère en Mandingo après la fin de ce procès.
Interrogé sur sa situation financière actuelle, Alieu Kosiah a déclaré que rien n’avait changé depuis la décision de taxation de 2013. Il a expliqué qu’il travaillait toujours en prison et qu’il recevait 24 CHF par jour, ce qui lui permettait d’acheter ce dont il avait besoin. Il a ajouté que l’offre était assez limitée puisqu’il était en détention provisoire, mais que son avocat l’avait beaucoup aidé pour se procurer tout ce dont il avait besoin.
Questionné sur les conséquences pour lui du prononcé d’une éventuelle expulsion, le prévenu a indiqué qu’il pourrait dans ce cas rejoindre sa mère. Il a répété qu’il était innocent, indépendamment de l’issue du procès, et qu’il n’aurait dès lors aucun problème à rentrer au Libéria et à donner des interviews à la télévision. Il a ajouté qu’il ne voyait aucun problème sécuritaire à retourner au Libéria. Il a précisé y être retourné à trois reprises avant son arrestation et que personne ne s’en était pris à lui. Il a simplement indiqué qu’il serait peut-être difficile pour lui de se réadapter à la vie au Libéria compte tenu du temps qu’il a passé en Suisse.
Le Président lui a demandé quel était son sentiment à l’égard des personnes qui l’accusaient, étant donné qu’il était convaincu de son innocence. Alieu Kosiah a affirmé pouvoir pardonner les parties plaignantes, à l’inverse du Procureur et d’Alain Werner. Selon lui, le Procureur avait la responsabilité de recueillir des éléments à charge et à décharge, mais il a mené son enquête à charge dès le premier jour. Quant à Alain Werner et HB, ce sont des facilitateurs selon Alieu Kosiah, car sans l’argent d’Alain Werner, rien de tout cela ne se serait produit. Il a répété : « Jamais de ma vie, je ne pourrai pardonner à ces deux personnes ».
Le Président lui a demandé s’il pouvait appeler les anciens ULIMO à respecter le fait qu’il accorde son pardon aux parties plaignantes. Alieu Kosiah a déclaré pouvoir pardonner aux parties plaignantes car il était africain et était conscient que lorsqu’on est pauvre, on perd sa dignité. Il a ajouté avoir lui-même été tabé pendant deux heures et avoir pardonné son tortionnaire, même si « c’est quelque chose qui ne s’efface jamais, comme un tatouage ». Le prévenu lui a même donné un demi sac de riz et 350 dollars libériens lorsque ce dernier est venu le voir pour lui dire qu’il n’avait plus rien à manger. Alieu Kosiah a déclaré que s’il pouvait pardonner à cet homme, il pouvait pardonner à n’importe qui, sous réserve du Procureur et d’Alain Werner, car il les considère responsables de ce qui lui arrive.
Le Président a invité le prévenu à répondre à la question qui lui avait initialement été posée. Alieu Kosiah a déclaré qu’il pouvait sans délai lancer un appel aux anciens soldats ULIMO de ne pas faire de mal aux parties plaignantes. Il a ajouté que ces personnes étaient des survivants qui n’avaient rien contre lui, sauf JTC qui avait une certaine haine envers lui en tant que Kissi.
Me Gianoli interroge Alieu Kosiah :
Invité à faire part de son état d’esprit pendant sa détention, Alieu Kosiah a raconté qu’il n’avait pas dormi pendant trois mois. Il n’arrivait pas à croire qu’il était en prison et pensait que tout n’était que fiction. Au fil du temps, il a accepté que c’était bien réel. Il a demandé à travailler après deux mois de détention. Il a ensuite évoqué son comportement exemplaire et ses bonnes relations avec le personnel pénitentiaire. Il a déclaré : « Ce qui est encore plus difficile que la prison, c’est la manière dont les enquêteurs ont géré cette affaire. Ils auraient dû savoir dès le départ que tout était faux. »
Interrogé sur ce qui lui avait permis de tenir le coup moralement en dehors du travail, Alieu Kosiah a confié qu’il lui arrivait de prier. Il a ajouté que la conviction profonde de son innocence lui donnait également du courage.
Me Gianoli a demandé à son client si son ressenti à l’égard du Procureur, d’Alain Werner et de HB pourrait le conduire à commettre des actes, et cas échéant, lesquels. Alieu Kosiah a répondu qu’il était difficile d’attaquer un procureur en justice, mais qu’il le ferait s’il en avait les moyens. S’agissant d’Alain Werner, le prévenu a indiqué qu’il l’attaquerait moralement et légalement pour le forcer à arrêter ce qu’il fait. Selon lui, les agissements d’Alain Werner sapent toute procédure future contre ceux qui ont réellement commis des crimes, car ils crieraient au complot comme l’a fait Agnes Taylor. Alieu Kosiah a ajouté qu’il n’hésiterait pas à donner des informations à Alain Werner s’il en avait sur quelqu’un ayant commis des crimes. Il a déclaré en revanche qu’il s’opposerait à ce que l’on s’en prenne à quelqu’un en fonction de son lieu de résidence au lieu des actes qu’il a commis durant la guerre. Il a ajouté que : « Cela est valable pour tous les ULIMO et les NPFL. Ce n’est pas parce qu’on a des armes qu’on peut tuer des gens. On doit uniquement tuer son ennemi ». Alieu Kosiah a terminé en indiquant qu’il connaissait l’auteur de l’exécution de 9 Sénégalais à Vahun en 1990, mais qu’il ne transmettrait aucune information à Alain Werner vu son comportement.
Questionné sur ses projets professionnels s’il venait à sortir de prison, le prévenu a indiqué avoir appris un métier à son arrivée en Suisse, néanmoins sans certitude de vouloir reprendre ce travail à sa sortie de prison. Il a précisé que sa priorité était de passer du temps avec sa mère et de recommencer à travailler ultérieurement à condition qu’il se sente apte physiquement et mentalement.
A la question de savoir s’il souhaitait rester en Suisse, Alieu Kosiah a répondu par l’affirmative, mais pas à Lausanne, car il n’aurait pas la force d’expliquer ce qui s’est passé à tous ceux qu’il connaît.
Le MPC et les avocats des parties plaignantes n’ont pas eu de questions.
Le Président a clos l’audition du prévenu.
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Questions procédurales
Me Gianoli a sollicité le versement de nouvelles pièces au dossier, dont une vidéo de Civitas Maxima, une carte, plusieurs articles de presse. Le Président a invité les parties à se déterminer.
S’agissant des articles de presse, Me Jakob a reproché à la défense de se livrer non pas à une fishing expedition, mais à une pêche à la dynamite. Il a relevé que les documents en question dataient du 26 janvier 2023, ce qui laissait le temps à la défense de vérifier leur source et faire un tri au lieu de produire un document en alphabet khmer et un autre introuvable (« page not found »). Me Jakob a qualifié la production de ces moyens de preuve comme abusive et a indiqué que son mandant s’en rapportait à justice en espérant que la Cour s’adonne au tri que la défense n’a pas fait.
A la demande de Me Wavre, le Président a ensuite invité les parties à se déterminer sur les auditions de témoins sollicitées par la défense. Le Procureur a déclaré qu’il ne voyait pas l’intérêt d’entendre les personnes mentionnées dans le rapport produit par la défense, puisqu’elles n’ont pas été témoins directs des faits. Me Wavre a indiqué que ses mandants s’opposaient non seulement à l’audition des membres de leurs familles, mais également à celle de WK qui n’a aucun lien de parenté avec AS contrairement à ce qu’estime la défense.
La Cour a délibéré et a constaté qu’elle disposait des moyens de preuve lui permettant d’examiner les faits à l’issue de la procédure probatoire. Elle a relevé que les témoignages n’étaient pas indispensables pour examiner les liens familiaux ou les interactions, de sorte que toutes les requêtes tendant à l’audition de nouveaux témoins ont été rejetées.
La Cour a admis la production de la carte et des divers articles de presse, à l’exclusion du document concernant les pompes à main, à défaut d’ancrage temporel et géographique, et des documents introuvables ou incompréhensibles pour la Cour.
Le Président a clos la procédure probatoire et ouvert les plaidoiries.
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Plaidoirie de Me Gianoli (4h)
Me Gianoli a annoncé le plan de sa plaidoirie. Il a indiqué qu’il commencera par évoquer le contexte libérien, puis les éléments déterminants en lien avec la procédure, à savoir le contexte inhérent à Civitas Maxima et au GJRP, ainsi que la crédibilité des parties plaignantes. Il continuera avec la personnalité et le parcours de Alieu Kosiah, les différentes infractions reprochées à son client selon la chronologie de l’acte d’accusation et terminera en abordant les conclusions civiles.
En guise de préambule, Me Gianoli a déclaré que le jugement de première instance regorgeait d’erreurs, faisait fi de la présomption d’innocence et laissait transparaître une mauvaise connaissance du dossier par les juges. Il a proposé une analogie avec la théorie (controversée) de « la balle magique », selon laquelle une balle unique aurait causé l’ensemble des blessures non fatales subies par le président John Kennedy et par le gouverneur John Connally au cours de l’assassinat du président. Il a déclaré aux juges qu’ils pouvaient se contenter de ce genre de théories pour aboutir à un jugement similaire que le jugement de première instance ou s’interroger sur tout ce qui n’avait pas été dit pour apporter des réponses concrètes aux nombreuses questions qui se soulevaient d’elles-mêmes. Me Gianoli a déclaré qu’il croyait en la justice « avec un J majuscule » et qu’il allait s’atteler à démontrer la trajectoire impossible de cette balle magique.
L’avocat a affirmé que Alieu Kosiah s’était montré généreux dans ses réponses face à la Cour et qu’il s’était largement documenté sur l’histoire de son pays pour sensibiliser l’audience à la situation. Selon Me Gianoli, le seul moyen de défense de son client consiste à répéter les incohérences et les contradictions, même si cela n’est pas très digeste.
Il a ajouté avoir appris à connaître son client et son mode de fonctionnement au cours des 8 ans qu’ils se sont côtoyés en prison. Alieu Kosiah a ainsi pour habitude de fournir de nombreux détails pour expliquer son raisonnement, avant de répondre à la question qui lui est posée. Me Gianoli a appelé les juges à écouter le prévenu jusqu’au bout, car tout ce qu’il dit a de l’importance.
Contexte libérien
L’avocat a ensuite abordé le contexte libérien avec lequel il est, selon lui, nécessaire de se familiariser. Il est revenu sur la création de cet État au début du XIXème siècle avant de citer les différentes langues, ethnies et religions qui y sont représentées. Il a rappelé que le Libéria était l’un des pays les plus pauvres d’Afrique avec un revenu mensuel moyen en 2009 de 48 dollars, soit trois fois inférieur à la moyenne africaine.
Me Gianoli a évoqué le coup d’état de Samuel Doe et les origines de la guerre civile en citant David Forest. Il est revenu en détails sur le déroulement de la première guerre civile, y compris sur la scission entre ULIMO-K et ULIMO-J, et a mentionné la seconde guerre civile déclenchée par l’élection de Taylor en 1997.
Selon l’avocat, la composante ethnique ne doit aucunement être négligée car elle permet d’expliquer les rivalités, les jalousies ainsi que le comportement de certains témoins. Pour le surplus, il a renvoyé aux déclarations de son client au sujet des questions ethniques et a rappelé que les Mandingos étaient considérés comme des étrangers dans leur propre pays en s’appuyant notamment sur les déclarations de GS et FK. Il a insisté sur le fait que la composante ethnique jouait un rôle considérable pour juger de la crédibilité des témoins et parties plaignantes.
Éléments déterminants en lien avec la procédure
Me Gianoli a affirmé que la vérité judiciaire était tributaire d’une excellente connaissance du dossier. Il a déclaré que la vérité d’un jour n’était pas celle du lendemain, que la vérité d’un endroit n’était pas celle d’un autre et que les déclarations des plaignants n’étaient pas toujours vraies. Selon lui, il est impératif d’être attentif au contexte et à la chronologie des événements. Il a insisté sur le fait que Alieu Kosiah avait toujours été constant dans ses déclarations s’agissant de son parcours, en particulier sur le fait qu’il n’a participé à la capture d’aucune ville du Lofa. A l’appui de son propos, Me Gianoli a abondamment cité les déclarations de son client.
Me Gianoli a déclaré qu’il était déterminant de ne pas se contenter de tirer des conclusions hâtives, mais plutôt de prendre le temps d’analyser chaque témoignage de manière isolée avant de le confronter avec d’autres éléments de la procédure. Il a ajouté qu’il fallait avancer avec la plus grande prudence sous peine de tomber dans des confusions crasses et de se tromper à l’instar des premiers juges.
Contexte inhérent à Civitas Maxima
Me Gianoli a affirmé que les plaintes avaient un point commun, à savoir qu’elles ont toutes été déposées après un entretien entre une partie plaignante et Alain Werner à Monrovia dans les locaux du GJRP. L’avocat a argué qu’il existait de nombreuses contradictions entre le contenu des plaintes et les auditions auxquelles il a été procédé lors de l’instruction.
Me Gianoli a relevé, de manière non exhaustive, certaines divergences dans les déclarations de chacune des parties plaignantes. Il a invité les juges à se remémorer la « balle magique » et a affirmé que la qualité de partie plaignante ne devait pas tout expliquer.
Il a déclaré n’avoir jamais vu des plaintes rédigées de manière aussi « pauvre » par des professionnels, bien que le CPP ne pose pas de conditions particulières. Selon lui, cela signifie que l’on a cherché un coupable, en l’occurrence Alieu Kosiah. Me Gianoli considère en effet que les plaintes trahissent une volonté de cibler et impliquer son client et ne sont donc aucunement fiables. Il a affirmé que l’évolution et l’adaptation des récits prouvaient que l’on avait cherché à ajuster un état de fait en fonction d’une volonté de faire corroborer les versions entre elles.
Il a ensuite évoqué la double casquette d’Alain Werner, en tant que directeur de Civitas Maxima et avocat des parties plaignantes, et a remis en cause le raisonnement des premiers juges. Selon lui, l’intérêt du directeur à pérenniser sa structure est incompatible avec l’indépendance de l’avocat vis-à-vis de ses clients.
Me Gianoli a également rappelé que le TPF avait constaté en décembre 2020 que Civitas Maxima exploitait des éléments de procédure à des fins publicitaires. Il a reproché à Alain Werner d’avoir dissuadé un témoin cité par la défense de venir témoigner en Suisse et a regretté que sa demande auprès de la direction de la procédure soit restée lettre morte.
Me Gianoli a par ailleurs affirmé que Alain Werner avait entravé les commissions rogatoires entreprises sur requête de la défense, notamment lorsque ce dernier a déposé plainte contre Kundi avant que l’intéressé ne soit entendu. Il a déclaré que toutes ces actions ont profité aux parties plaignantes et à Civitas Maxima, qui a multiplié les apparitions médiatiques.
Concernant la théorie du complot, Me Gianoli a indiqué qu’elle avait certes paru abracadabrante lors des débats de première instance, mais qu’elle se vérifiait aujourd’hui dans le cadre des procès Gibril Massaquoi en Finlande et Agnes Taylor en Angleterre.
Selon l’avocat, une évidence s’est imposée lors des débats après avoir entendu les parties plaignantes en ce que ces dernières font preuve d’une mémoire sélective qui devient de plus en précise pour unifier l’accusation. A ce titre, Me Gianoli a cité EBJ, qui n’aurait utilisé le terme de sœur pour désigner KA qu’après avoir entendu les déclarations de KMF, et AS, qui aurait fait correspondre ses déclarations à celles de KK en ce qui concerne les poteaux électriques de Pasolahun. AS aurait également eu une mémoire sélective en ce qu’il envisageait désormais que son oncle ait été tué non pas avec un AK47 mais avec un pistolet, afin de faire correspondre sa version à celle de KK.
Me Gianoli est d’avis que la seule explication à de tels revirements réside dans la préparation des témoins afin d’éviter qu’ils se contredisent, de sorte que l’on peut se demander si ces témoins ont été recrutés et rémunérés.
Il a déclaré que Alieu Kosiah devait être jugé avec la même mansuétude que les parties plaignantes et devait bénéficier de la présomption d’innocence. Me Gianoli a cité les mêmes exemples qu’il avait mentionnés dans sa plaidoirie de première instance (Phil Shiner, Nayirah et invasion de l’Irak par les USA en 2003) pour illustrer à quel point l’on peut parfois accorder de la crédibilité à un tissu de mensonges. Les exemples ne sont pas rares selon lui. Il a d’ailleurs également cité un sous-chapitre du livre V13 d’Emmanuel Carrère, intitulé « La mythomane du Bataclan » qui traite des fausses victimes.
Me Gianoli a ensuite rappelé les déclarations de HB, selon lesquelles les sources de financement du GJRP dépendent exclusivement de Civitas Maxima, ce qui explique aisément pourquoi Alieu Kosiah a été pris pour cible en sa qualité de résident en Suisse. Me Gianoli a cité des échanges d’e-mails entre Alain Werner et HB, desquels il ressort que Alain Werner a insisté auprès de HB pour qu’il enquête sur Alieu Kosiah. Selon l’avocat de la défense, le nom d’Alieu Kosiah est ainsi apparu dans le cadre d’une demande spécifique d’Alain Werner et non lors d’investigations menées sur le terrain au Libéria.
Dans le même ordre d’idées, Me Gianoli a rappelé ce qu’il avait plaidé en première instance, à savoir le recours par Me Werner à une fausse procuration jointe à la plainte de FF et le fait que la partie plaignante entendue en procédure n’était manifestement pas celle annoncée initialement dans la plainte.
Il a répété les mêmes arguments que dans sa première plaidoirie, à savoir que les parties plaignantes avaient adapté leurs versions par rapport à celles figurant dans leurs plaintes, après avoir été « coachées ». Pour Me Gianoli, il s’agit encore une fois d’une manifestation de la « balle magique », dont on pourrait être amusé s’il n’était pas question de la vie d’un homme incarcéré depuis bientôt 9 ans.
L’avocat de la défense a ensuite évoqué le projet de théâtre participatif « Justice in Action » mis sur pied par Civitas Maxima à compter de 2017 pour une tournée à travers le Libéria rural. Il s’agit selon lui d’un moyen de susciter des connaissances sur des éléments inexistants chez une population peu instruite et de faire surgir de nouveaux témoins.
Me Gianoli a reconnu que les buts de Civitas Maxima et du GJRP étaient louables. Il a déclaré qu’il était néanmoins inacceptable que la réalisation de ces buts impliquent ce genre de pratiques. Il a réitéré que le rôle de directeur de Civitas Maxima était incompatible avec la représentation des parties plaignantes en justice et a déploré le fait que la priorité soit donnée à une surexposition médiatique et à la publication d’informations concernant les cas sous enquête plutôt qu’au traitement desdites affaires avec les réserves qui s’imposent. A cet égard, Me Gianoli a reproché à l’ONG d’avoir violé non seulement le principe de la présomption d’innocence, mais également le droit à la personnalité d’Alieu Kosiah en publiant son nom complet et sa photo.
L’avocat de la défense a ensuite laissé entendre que les parties plaignantes avaient reçu de l’aide de la part de Civitas Maxima et du GJRP, en particulier MVK dans le cadre de sa procédure d’asile, ce qui laisse planer de sérieux doutes sur les méthodes utilisées par ces deux organisations.
Me Gianoli a déclaré qu’il ne suffisait pas de plaider certains éléments du dossier par analogie pour pouvoir justifier d’un comportement imputable à Alieu Kosiah. Il a illustré son propos avec le vécu du reporter Patrick Robert auprès des NPFL sur lequel Alain Werner s’est appuyé pour tirer des conclusions concernant les ULIMO. Me Gianoli a fait une analogie avec la Seconde Guerre mondiale et a déclaré : « Il n’était en aucun cas adéquat de faire un amalgame entre les atrocités et exécutions sommaires commises par les SS au cours de la guerre et le comportement des autres soldats allemands, non pas qu’ils n’auront pas aussi pu commettre des exactions, mais bien parce que la justice à laquelle je veux croire ne juge fort heureusement les hommes que pour les actes qu’ils ont commis personnellement ».
Contexte inhérent au GJRP et crédibilité de HB
Me Gianoli a affirmé que le GJRP était « la cheville ouvrière » de Civitas Maxima, puisque tous les plaignants étaient passés par cette dernière. Il a insisté sur le lien de dépendance totale et le rapport de subordination qu’entretient la première organisation avec la seconde et a rappelé que Alain Werner avait initié des recherches sur Alieu Kosiah.
L’avocat de la défense a également rappelé l’existence de la fausse procuration de FF, qui a manifestement été établie par HB selon les conclusions de l’expertise graphologique et malgré les dénégations de l’intéressé.
Selon Me Gianoli, l’instruction a également permis de démontrer que le GJRP, par l’intermédiaire de HB, a manipulé des pièces du dossier afin d’étayer l’accusation et que HB a sciemment menti durant la procédure dans le seul dessein de justifier d’une prétendue qualité de son travail et ainsi favoriser l’accusation. L’avocat de la défense s’est demandé si cette attitude était celle que l’on pouvait attendre d’un homme à la tête d’une organisation qui se réclame indépendante.
Il a martelé que HB ne disposait d’aucune information particulière sur Alieu Kosiah en septembre 2013, lorsqu’il a été contacté par Alain Werner à ce propos.
Me Gianoli s’est ensuite attelé à relever ce qu’il considère comme étant des contradictions entre les déclarations de HB et celles des parties plaignantes, notamment au sujet des méthodes de travail du GJRP, ainsi que les contradictions intrinsèques aux déclarations de HB.
Il a conclu en répétant que HB et le GJRP n’avaient pas fait preuve de l’indépendance que l’on pouvait et devait attendre d’eux compte tenu du rôle conséquent qu’ils ont joué dans l’accusation. Me Gianoli a déclaré que les « coups de gueule » d’Alieu Kosiah étaient autant de démonstrations de sa propre peur face à une justice qui ne semble pas vouloir voir, ne pas vouloir entendre, ne pas vouloir considérer les mensonges, les multiples contradictions et les incohérences qui sont légions dans ce dossier depuis le début de la procédure.
Crédibilité des parties plaignantes
Me Gianoli a remis en cause les considérants du jugement de première instance s’agissant de la crédibilité des parties plaignantes.
Il est revenu sur l’identification du prévenu par les parties plaignantes 25 ans après les faits. Il a mis les juges au défi de se souvenir de leurs vacances des dix dernières années : où sont-ils allés ? à quelle date ? avec qui ?
Il a ensuite brandi dans la salle d’audience une photo de Stefan Arpagaus contemporaine sans dévoiler de qui il s’agissait, avant de montrer une photo de ce même Stefan Arpagaus lorsqu’il jouait le rôle du jeune Peter dans la série télévisée Heidi en 1978.
Selon Me Gianoli, il est impossible de reconnaître une personne que l’on a vu furtivement 25 ans auparavant. L’avocat de la défense s’est attelé à relever les contradictions dans les déclarations de chaque partie plaignante concernant la description physique du prévenu.
Il a ensuite procédé à une démonstration individualisée pour chacune des parties plaignantes (i) des contradictions existantes entre leurs plaintes initiales et leurs récits en Suisse, (ii) des contradictions intrinsèques à leurs récits en Suisse, et (iii) des contradictions entre leurs récits en Suisse et les déclarations d’autres parties à la procédure. Me Gianoli a commencé par GS avant de solliciter une suspension de l’audience.
Le Président a décidé de suspendre l’audience jusqu’au lendemain.