Jour 18 – deuxième jour des plaidoiries : plaidoirie commune des avocats des parties plaignantes
02.03.2021
Le Président du Tribunal, le juge Bacher ouvre l’audience. La parole est redonnée à Me Alain Werner. Elle sera ensuite donnée à Me Zeina Wakim, Me Romain Wavre (qui représente quatre parties plaignantes au côté de Me Werner), Me Raphaël Jakob et Me Hikmat Maleh, tous avocats des parties plaignantes, il s’agit de leur part d’une première partie de plaidoirie commune pour évoquer le contexte, le rôle et la chronologie d’Alieu Kosiah dans les différents crimes qui lui sont reprochés.
Puis, chaque avocat reprendra spécifiquement la parole relativement à leur mandant et aux chefs d’accusation y afférent.
Suite de la plaidoirie de Me Alain Werner entamée la veille
Me Werner commence sur le sujet de la perte de contrôle de la hiérarchie ULIMO sur le groupe du commandant ULIMO Pepper & Salt, et de ses hommes.
Selon lui, aussitôt dans le Lofa, les ULIMO de Pepper & Salt vont fonctionner en autonomie dans les villes du Lofa (Voinjama, Zorzor, Foya, Kolahun). « Après un certain moment nous avons perdu le contrôle, et en particulier de la partie supérieure du comté du Lofa » a déclaré en substance pendant l’instruction Kwamex Fofana, haut gradé ULIMO qui était basé dans le quartier général ULIMO hors du Lofa, dans la ville de Bomi.
Me Werner explique ensuite que la rupture entre la hiérarchie ULIMO et le groupe de Pepper & Salt est confirmée par de nombreux documents. D’abord, un cadre diplomatique américain écrit en substance : « le redoutable commandant Pepper & Salt met les organisations humanitaires dans tous leurs états car il refuse les visites, et refuse même la visite de sa hiérarchie ». Dans une dépêche du groupe de presse international UPI d’octobre 1993, il est reporté par des sources ULIMO que Pepper & Salt va recevoir une visite de la hiérarchie ULIMO pour être délogé du Lofa. Selon une autre source écrite, humanitaire cette fois, la ville de Foya et le Lofa du Nord sont inaccessibles à cause des « factions militaires renégates ». De plus, Alieu Kosiah avait déclaré lui-même en audience que le leader suprême des ULIMO, Alhaji Kromah, n’était en effet venu que deux fois dans la partie supérieure du comté du Lofa.
L’avocat continue en disant que cette perte de contrôle aura eu comme conséquence que le groupe renégat de Pepper & Salt ne va plus suivre, volontairement, les règles ULIMO « On peut tout au plus accuser Pepper & Salt de négligence, mais il n’a jamais donné l’ordre de persécuter des gens » a dit Alieu Kosiah dans cette procédure. Or, selon les sources écrites pourtant, Pepper & Salt méritait « d’être nommé le plus impitoyable des commandants ULIMO ».
Me Werner demande ensuite quel a été le rôle de M. Kosiah dans ce contexte. Les juges ont entendu trois témoins à décharge et tous ont souligné l’importance du rôle du prévenu dans le groupe ULIMO. L’ancien enfant soldat ULIMO appelé par la défense a dit qu’Alieu Kosiah avait plus de charisme que certains des généraux ULIMO au-dessus de lui. Un autre témoin de la défense, également ancien ULIMO, a déclaré qu’Alieu Kosiah était plus haut gradé que le commandant ULIMO Kunti. M. Kosiah a accompagné Pepper & Salt peu après la prise de Zorzor, et quand Foya a été prise, Pepper & Salt a appelé d’abord Alieu Kosiah avant d’appeler les autres supérieurs hiérarchiques. Et c’est donc logique que quand la faction ULIMO a dû nommer dans le gouvernement de transition des gens en son sein qu’Alieu Kosiah ait été choisi comme l’une des personnes nommées par ULIMO.
Me Werner continue en déclarant que le déchaînement de violence dans le Lofa par Pepper & Salt et ses hommes décrit par Kwamex Fofana corrobore les descriptions faites par les parties plaignantes aux audiences sur la même violence extrême des ULIMO dans le Lofa. Pour qu’une telle violence s’abatte contre la population civile dans le Lofa et de nombreux endroits du Liberia, on a besoin d’un ingrédient spécifique : c’est le sentiment absolu d’impunité. Le fait que celui qui commette un crime ne ressent rien à le commettre parce qu’il sait qu’il n’y aura pas de conséquence.
L’avocat donne ensuite un exemple du sentiment d’impunité qui régnait avec le photographe de guerre français Patrick Robert qui accompagnait les rebelles du NPFL qui cherchaient parmi les civils des soldats ou prétendus soldats ULIMO. Soudainement, Patrick Robert entend des cris et des rafales de mitraillettes. Il voit une femme et un enfant mandingos qui viennent de se faire tirer dessus, et voit l’enfant rendre son dernier souffle. Le tueur l’apostrophe et lui dit « Prends ma photo », Robert s’exécute puis s’éloigne. Mais le combattant revient et demande : « voulez-vous que je tire à nouveau sur le corps de l’enfant et que vous puissiez prendre la scène en photo ? » C’était cela la guerre au Liberia : un stupéfiant sentiment d’impunité de la part des combattants.
Me Werner poursuit en disant que selon un témoin entendu dans la procédure, les combattants croyaient qu’il n’y avait pas de dieu. Ils croyaient qu’il n’y avait pas de gouvernement, et ils s’en prenaient alors aux civils. En vérité, il n’y avait même pas de cadre idéologique durant cette guerre, ce d’autant qu’il y a eu finalement assez peu de combats entre les factions ennemies. Les civils les plus touchés étaient les Libériens qui passaient sous le contrôle d’un groupe puis d’un autre au gré des combats, ainsi que ceux qui étaient soupçonnés d’être sympathisant d’un groupe armé ennemi. Cela représentait donc en réalité tous les Libériens et Libériennes.
Selon Me Werner, la terreur devient ainsi l’outil principal des différentes factions. Un outil pour quoi faire, et dans quel but ? De façon très claire, il s’agissait de maintenir les populations sous leur contrôle. Les plaignants ont cité des événements de terreur pure qui ne sont pas retenus à charge contre Alieu Kosiah dans ce dossier, dont l’histoire des brouettes qui transportaient des morceaux humains découpés et vendus de force à la population par les soldats ULIMO. Pourquoi de tels actes ? Quelqu’un a répondu en audience que « c’était pour nous terroriser, nous soumettre, ils montraient qu’ils avaient tous les droits. »
L’avocat continue en disant qu’une autre personne a raconté en audience cet épisode à Zorzor, quand le commandant ULIMO Mami Wata a ouvert le ventre d’une femme enceinte pour voir le sexe de l’enfant. Il a aussi raconté comment Alieu Kosiah et tout le groupe ULIMO avaient accusé les vieilles de la ville de leurs avoir jeté un sort pour que leurs armes s’enraillent au combat. Elles ont été alors rassemblées sur une colline de la ville pour être toutes abattues. Dans ces deux événements, M. Kosiah était impliqué selon les témoignages mais cela n’a pas été retenu dans l’acte d’accusation.
Selon Me Werner, c’est triste à dire mais la terreur, comme arme de soumission massive, a parfaitement fonctionné, en particulier dans le cadre des pillages de tous les biens de la population civile. Ces biens qui étaient ensuite transportés de force, et par les civils eux-mêmes, afin qu’ils soient vendus en Guinée.
Me Werner demande alors aux juges d’imaginer que l’on débarque chez eux, que l’on tue l’un ou l’autre membre de la famille, on prend tous leurs bien dans de grosses valises et on les met sur leur tête pour les vendre en Italie ! Si vous êtes fatigué et ne pouvez plus porter, vous êtes abattu pendant ce transport d’une balle dans la tête. Ce qu’il reste de la famille s’inquiète atrocement de ne pas vous voir revenir, sachant le traitement réservé aux civils fatigués sur la marche. Et s’ils reviennent, ils ne savent pas quand ça va recommencer, ces transports pouvant se produire à tout moment.
Me Werner demande ensuite : pourquoi un tel traitement ? Uniquement pour le lucre ! Les biens pillés étaient bien plus précieux pour les ULIMO que les civils eux-mêmes. Les pertes causées par ces pillages sont encore visibles aujourd’hui dans les villages du Lofa. Par exemple, le pillage du pressoir à huile d’une partie de la ville de Foya : cette entreprise publique employait jusqu’à 500 personnes, mais aujourd’hui il n’y a plus de pressoir, c’est une ressource très précieuse de perdue.
L’avocat conclut cette première partie en disant qu’il a été expliqué en audience qu’au bout du compte, la différence entre les groupes ULIMO et NPFL, premiers envahisseurs du Lofa, était qu’il n’y avait pas de systématisation des pillages avec les NPFL, contrairement aux ULIMO.
La parole est donnée à Maître Zeina Wakim
Me Wakim commence en expliquant que les violences sexuelles n’ont pas échappé à la liste des exactions mentionnées tout au long des audiences et plaidoiries. Dans ce régime de terreur, les hommes et les femmes ont été réduits à une fonction de leur corps. Les femmes, qui sont le maillon fort de la famille, devient le maillon faible quand on s’en prend à elles. C’est donc une arme de guerre.
Selon l’avocate, le viol est l’une des pire souffrance qu’un être humain puisse infliger à un autre. Or, cinq sources différentes attestent de la réalité de ces violences sexuelles durant la guerre civile du Liberia : la Croix Rouge (CICR), la Commission Réconciliation Vérité du Liberia (TRC), les observateurs indépendants, les témoins des autres procès et les plaignants dans ce procès. En effet, 51% des personnes qui ont vécu la guerre ont eu n proche victime de violence sexuel selon CICR. Selon la TRC, le viol était un moyen pour terroriser la population.
Elle poursuit en expliquant que la possession d’arme à feu a aussi donné la possibilité de soumettre les femmes aux volontés des combattants. Selon des études sur les violences à l’encontre de femmes 49% des femmes ont été soumises à des violences sexuelles de la part d’un soldat pendant la guerre.
Me Wakim continue en disant que pendant le procès aux Etats-Unis de Jungle Jabbah en 2017 la constatation a été faite que le viol était systématique. Les combattants disaient que si les femmes refusaient, ils pouvaient les tuer pour ce refus et s’ils ne les tuaient pas c’est eux qui pouvaient être tués par leurs supérieurs. Jungle Jabbah lui-même a été accusé de commettre deux actes particulièrement atroces à l’égard de deux femmes enceintes : lle viol d’une femme enceinte de 8 mois, acte si violent que la femme a accouché d’un enfant mort-né puis est décédée elle-même. Et un tir d’arme automatique à l’intérieur du vagin d’une femme enceinte. Et à propos de Jungle Jabbah Alieu Kosiah a dit dans cette procédure que c’est un bon musulman.
Me Wakim conclut en rappelant que les témoins dans ce procès aussi parlent des violences sexuelles. Une jeune fille de 13 ans confiée à un soldat pendant un an par un commandant…. Et bien sûr la plaignante Mme F, environ 16 ans à l’époque des faits.
La parole est donnée à maître Romain Wavre
Me Wavre commence sa plaidoirie en disant qu’alors même qu’il n’y a pas de partie plaignante pour les crimes relatifs aux enfants soldats, il faut en parler ici. Les civils étaient un bien, comme un bien matériel, des soldats ULIMO. Ceux-ci avaient besoin de main-d’œuvre alors ils prenaient les hommes. Ils avaient des besoins sexuels à satisfaire alors ils prenaient des femmes. Ils avaient besoin de soldats qui obéissent aveuglément, alors ils ont pris des enfants.
Il poursuit en expliquant que les enfants font partie de la machine de terreur des ULIMO. Cela a été expliqué à la barre en audience par une partie plaignante qui a raconté le sentiment de toute-puissance qui habitait les enfants quand ils avaient une arme : il a dit en substance « peut-être que moi aussi ça m’aurait fait le même effet? Ils nous demandaient de venir vers eux, de gonfler les joues, puis nous giflaient ».
Selon l’avocat, une autre personne dans la procédure a dit : « Souvent, ces enfants étaient encore pires que les adultes. Ces SBU (Small Boys Units) qui avaient 13 à 14 ans, ils étaient vicieux, ils vous battaient. C’étaient les pires parce que les enfants ne peuvent pas réfléchir ». Tous les témoins dans cette procédure ont mentionné que les ULIMO recrutaient des enfants. Au Liberia, un enfant sur 10 aurait combattu. Les ULIMO se sont attribués les enfants pour en faire des armes. Ce recrutement démontre ainsi la facilité avec laquelle les ULIMO se sont servi d’autrui.
Il poursuit en disant qu’aujourd’hui au Liberia les anciens enfants-soldats, prennent les cartouches de balle de AK-47 qui sont encore partout. Ils les coupent, les sculptent et tentent de les vendre. C’est tout ce qu’ils peuvent faire car ils sont rejetés par leur communauté. Les gens se souviennent qu’au passage d’un barrage, simplement dans la rue ou quand un paysan rejoignait son champ, tous pouvaient être abattus, considérés arbitrairement comme un traître par un enfant soldat sans supervision et donc tout puissant.
Me Wavre fait la liste, selon des sources de la police judiciaire fédéral suisse dans le dossier, d’une dizaine de ce type d’exactions entre 1992 et 1993. Et ce n’est une fraction bien sûr de ce qui s’est passé.
L’avocat continue en disant qu’il a été dit à de nombreuses reprises que les civils étaient sans cesse accusés de travailler pour l’ennemi, les NPFL. Or tous les témoignages dans cette procédure démontrent que presque chaque fois ces civils n’étaient véritablement pas des combattants. En plus du témoignage de l’ancien enfant soldat, un autre ancien combattant a dit dans cette procédure : « Dès que tu es suspect, tu es mort ! ».
Il ajoute que dans le Lofa il fallait donc tout faire pour ne pas passer pour un espion. Le risque était immense lors des prises des villes, mais aussi sous la domination dans le Lofa des ULIMO. Les « checkpoints » étaient particulièrement dangereux, ornés de crânes humains. Massa Washington, ancienne membre de la TRC, a témoigné en instruction avoir vu une barrière (« checkpoint ») constituée de boyaux humains, pour barrer la route. Un des barrières était tellement mortelle qu’elle a été appelée le « Zero Checkpoint », « to zero someone » signifiant tuer quelqu’un.
Or, selon l’avocat, tout le monde était suspect, tout le monde était en danger. Les ULIMO ne prenaient pas de risque à faire entrer qui que ce soit de l’extérieur dans les villes prises. C’était le quotidien des habitants sous ULIMO dans le Lofa, loin de cette vision idyllique décrite par Alieu Kosiah.
Il continue en expliquant que le dossier regorge d’atrocités commises par les ULIMO dans le Lofa, et pas seulement issues des témoignages. Il y a aussi les rapports de Médecins Sans Frontières (MSF), des articles de presse, le travail de la TRC etc…
Or, selon Me Wavre il n’y a qu’une personne qui nie tout cela en bloc : c’est Alieu Kosiah. Il a dit au début de la procédure : « Je vais pouvoir vous répondre bien mieux que ce qu’il y a dans les livres car j’ai été parmi les fondateurs des ULIMO ». Puis il a dit en substance « Je n’ai jamais été le témoin direct de crime de guerre. Je n’ai jamais entendu parler de ces exactions de la part des ULIMO. Ils n’ont jamais contraint les civils, ils n’ont jamais pratiqué le « tabé ». Je n’ai jamais vu, ni entendu parler de cannibalisme. Tout était calme et il n’y avait pas de pillages ». Seul Kunti Kamara est allé plus loin encore en niant même l’existence au sein des ULIMO des enfants soldats.
En outre, selon l’avocat, le seul à avoir été attaché en « tabé » serait lui-même, quand il a été arrêté. Il déclare cela alors même que selon son ancien enfant soldat, sur chaque ligne de front ULIMO, cela était pratiqué. A force de mentir, de changer de version, de serpenter entre les faits qui s’établissent, la position du prévenu n’est pas tenable. La réalité de M. Kosiah, c’est le mensonge. Il sait pourtant que sa faction ULIMO a commis tous ces crimes mais il ne veut pas les reconnaître.
Il poursuit en parlant ensuite de « Physical cash ». C’est ainsi qu’Alieu Kosiah était appelé par ses soldats. Les noms de guerre ne sont pas choisis au hasard, ils représentent très fortement le rôle et le comportement des guerriers.
Il explique ensuite que tout le monde dans le Lofa savaut que Talata M Sherif était « Ugly Boy ». Tout le monde savait qu’il fallait fuir quand on entendait son nom. « Ugly Boy » a marqué au fer rouge la région. C’était un barbare, plus que les autres. « Saah Chui », son nom kissi, signifiait « celui qui tue à la hache ». Pepper & Salt quant à lui était nommé ainsi parce qu’il aimait la chair humaine assaisonnée.
Me Wavre continue en disant que pour comprendre qui était Alieu Kosiah pendant la guerre, il faut comprendre qui est « Physical Cash ». Les combattants ULIMO n’avaient pas de salaires. Cela est confirmé par de très nombreuses sources dans ce dossier, dont Kwamex Fofana, ancien haut gradé ULIMO qui a dit en substance :« En fait nous n’avions pas d’argent ! ULIMO n’avait pas du tout d’argent, c’était du volontariat». Donc ceux qui avaient de l’argent le trouvaient autrement. En début de procédure, M. Kosiah a dit dans ses premières auditions : « Je n’ai jamais vu un ULIMO être payé ». Et aussi : « Les ULIMO étaient une organisation pauvre qui ne payait jamais ses soldats ». « Nous avons pris de l’argent dans les maisons, tout le monde fait ça en tant de guerre » a dit un témoin dans la procédure. L’enfant soldat a dit :« Je me souviens, un jour j’ai organisé un transport de café pour avoir de l’argent et acheter à manger, j’avais faim. On se débrouillait ».
Selon l’avocat, la logique voudrait que les soldats aient été pauvres, mais en vérité, ils ne l’étaient pas car ils prenaient et vendaient tout. Mais tous ne l’ont pas fait pour s’enrichir. Certains l’ont fait pour se nourrir. On peut comprendre cela bien que ce soit illégal et horrible.
Il poursuit en disant qu’Alieu Kosiah faisait partie des commandants qui ont structuré ces transports forcés pour s’en mettre plein les poches. Et parmi tous ces commandants ULIMO qui pillaient il y en avait un qui encaissait encore plus que les autres. Il y avait un seul « Ugly Boy » parce qu’il était redoutablement cruel, un seul « Pepper & Salt » parce qu’il aimait la chair humaine, et donc un seul qui s’appelait « Physical Cash », parce qu’il était le seul à encaisser plus que n’importe qui. Il ne devait pas être un combattant de première ligne. Il a surtout profité de la guerre pour piller.
Me Wavre poursuit en disant que selon plusieurs témoignages dans ce dossier, M. Kosiah avait toujours de l’argent. L’ancien enfant soldat a dit : « On utilisait ce surnom parce qu’il dépensait tout l’argent pour nous acheter des chaussures, à manger. » Alieu Kosiah n’a jamais fourni d’explication sur comment il a pu avoir autant d’argent dans les poches alors qu’ULIMO était pauvre et que personne n’était payé.
L’avocat note ensuite que selon M. Kosiah ce surnom lui est venu à la suite d’une dispute entre lui et « Pepper & Salt » à propos du fait qu’il fallait qu’il nourrisse ses hommes. Or, aucun de ses compagnons d’arme n’a corroboré cette histoire. « Si on me connaît vraiment, on sait qu’on m’appelait Physical Cash » a dit Alieu Kosiah pour décrédibiliser les parties plaignantes qui ne connaissaient pas ce surnom. Pour l’avocat, c’est surtout la preuve que les plaignants n’ont pas été préparés.
Il ajoute qu’à force de faire des écrans de fumée, le prévenu s’enfume lui-même. Quand il a compris que son nom de guerre posait problème, il a dit en audience que ce nom lui avait été attribué quand il a travaillé au sein de la police libérienne, après la guerre ; ce alors que pendant six ans, tout au long de la procédure, il s’était presque vanté de son nom de guerre.
Selon Me Wavre, Kwamex Fofana a dit en substance : « La seule information que j’ai eu à propos de Physical Cash, c’est qu’il allait en boîte de nuit à Macenta en Guinée, où il faisait des concours pour savoir qui achèterait le plus à boire, pour montrer qui avait le plus d’argent » ; et Alieu Kosiah n’a pas caché qu’il se rendait de l’autre côté de la frontière en Guinée pour se relaxer, acheter des denrées.
Me Wavre conclut en disant que le prévenu n’a pas de pitié à l’égard des victimes. A chaque verre qu’ Alieu Kosiah buvait en Guinée, c’était une femme qui ne pouvait pas nourrir son enfant. A chaque concours de boisson, c’est la ville de Foya qui était plongée dans le noir. Ainsi, cela fait maintenant 25 ans que Foya est en grande partie plongée dans le noir.
La parole est donnée à Me Raphael Jakob
Me Jakob commence sa plaidoirie en déclarant que l’enjeu qui reste encore à établir, c’est la chronologie de la guerre, qui est aussi au cœur du dossier. En établissant la chronologie, cela permet, selon lui, d’intégrer Alieu Kosiah au cœur des événements qu’il refuse d’admettre.
Selon l’avocat, cet exercice minutieux, bien que rébarbatif, est utile pour défaire l’alibi d’Alieu Kosiah, mais aussi pour apporter des éléments explicatifs sur le caractère du prévenu.
Me Jakob propose ensuite un jalon chronologique du mouvement des forces ULIMO, basé notamment sur les journaux libériens de l’époque, avec un léger décalage possible en raison du fait qu’il faut prendre du temps pour publier.
- Prise de Po River – août 1992
- Prise de Bong Mines – septembre 1992
- Operation Octopus – octobre 92 (tentative NPFL de prendre Monrovia)
- Création Strike Force (Zebra et Alligator) – octobre 1992
- Prise de Kakata – décembre 1992, proche de Todi (épisode de rencontre de Alieu Kosiah avec l’enfant soldat)
- Siège de Zorzor par ULIMO – janvier 1993
- Alieu Kosiah « disparaît » selon Kwamex Fofana
- Faction Zebra à Klay – fin janvier 1993
- Reprise de Kakata et prise de Todi – fin janvier 1993
- « Jungle fire platoon » – un peloton dans lequel Alieu Kosiah aurait fait partie et qui a commis des atrocités, selon un article de journal. C’était si horrible que le commandement ULIMO a dit vouloir monter un tribunal.
- Attaque de Voinjama et chute de Zorzor – février 1993, cet élément permet de situer ce qui n’a pas été établi en audience.
- Exécution de masse à Zorzor selon un article, le commandement ULIMO dit qu’il va lancer une enquête.
- Prise de Todi Barracks – Février 1993
- Prise de Voinjama – mars 1993
- Une témoin entendue dans la procédure a vu Alieu Kosiah a Voinjama.
- Pepper & Salt présent à Foya
- Combat dans la zone de Foya – mai 1993
- Steven Dorley a quitté Zorzor, est remplacé par Pepper & Salt.
- Villages autour de Foya tombent – fin juin 1993
- Prise de Foya – mi-juillet 1993
- Alieu Kosiah participe à la prise de Foya selon Kunti Kamara
- Formation du groupe Lofa Defence Forces (LDF) – octobre 1993 (émanation NPFL ou civils qui se révoltent)
- Pepper & Salt contrôle Voinjama et Foya, et est présent. 28 000 personnes déplacées, menacées par la famine et la maladie après que Pepper & Salt ait empêché les organisations humanitaires de venir.
- Le commandement ULIMO dit faire des enquêtes
- Pillage du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de Vahum par ULIMO – fin décembre 1993
- Pepper & Salt quitte le Lofa, quand il revient il n’est plus commandant en chef : février 1994
- Clash à Bomi -, scission des ULIMO en ULIMO-k et ULIMO-J, début mars 1994
- ULIMO K perd le contrôle de Bomi, abandonne la région de Bomi à ULIMO-J – mai 1994. Alieu Kosiah et les combattants sont à nouveau sous le contrôle de l’état-major ULIMO établi à Voinjama.
- Cessez-le feu – octobre 1994
- Attaque d’une faction ULIMO sur Gbarnga – octobre 1994
- Opération Enveloppe, Mort de Steven Dorley, les ULIMO quitte Gbarnga – décembre 1994
- Nouveau cessez-le-feu – fin décembre 1994
- Cessez-le-feu confirmé à Abuja – août 1995
- Nouvelle attaque d’une faction ULIMO à Gbarnga – septembre/octobre 1995
- Pillage Oxfam – décembre 1995
- Même un être sanguinaire comme Pepper & Salt jette Alieu Kosiah en prison.
De mars 1993 à février 1994, Pepper & Salt est présent dans le Lofa
Selon Me Jakob, Alieu Kosiah a déclaré à un moment ou à un autre être présent :
- En août 1992 à Po River
- A Todi en janvier 1993
- A Todi Barracks à février 1993
- A Voinjama en juillet 1993
- Embuscade à Bokassa Junction où il est blessé, en décembre 1993, ce qui déclenche les « Black Monday »
- A Bomi en mars 1994, ce qui prouve que sa convalescence n’a pas dépassé le mois de mars 1994 selon ses propres dires. En vérité, cette convalescence n’a duré que quelques jours.
- A Zorzor, en octobre 1995 (où il affirme que les ULIMO n’y sont pour rien dans la prise de Gbarnga)
- Présent durant le pillage d’Oxfam en décembre 1995, ce qui marque la fin peu glorieuse de la carrière d’Alieu Kosiah dans le Lofa.
Selon Me Jakob il y a 4 leçons à tirer de cette chronologie :
- Alieu Kosiah n’a pas d’alibi, il était bel et bien dans le Lofa au moment des événements décrits par les parties plaignantes.
- Alieu Kosiah a sciemment tenté de faire échouer l’enquête du Ministère public de la Confédération en chargeant celui-ci de nombreux éléments inutiles.
- Alieu Kosiah a sciemment et systématiquement menti au fur et à mesure de l’enquête et de l’évolution du dossier. Mais le récit du prévenu ne tient plus la route et quand il se rend compte que ça ne tient pas la route, il s’arque-boute, et une nouvelle version surréaliste prend le dessus, et M. Kosiah établit ainsi la stratégie de noyer la procédure sous des éléments inutiles.
Me Jakob dit n’avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi endurant pour maintenir son mensonge. Selon lui, même les témoins de la défense n’arrivent pas à suivre les évolutions et changements d’Alieu Kosiah.
- Me Jakob demande ensuite : qui est Alieu Kosiah ? Selon lui, si on prend quelques événements qui jalonnent cette chronologie, on constate que dès qu’il y a un vide de pouvoir ou un cessez-le-feu, M. Kosiah est là pour mettre le pays à feu et à sang. Il a toujours été là pour piller, massacrer, tirer profit des pillages, pour faire échouer toute tentative de rétablissement de la paix au Liberia.
Me Jakob conclut cette partie en disant que la vraie histoire qui se dégage de ce dossier, c’est que la fonction de « floating officer » lui a donné l’immense liberté de rôder dans tout le Lofa en tant que bras droit et âme damnée de Pepper & Salt, pour y commettre ou laisser commettre les pires atrocités.
La parole est donnée à Me Hikmat Maleh
Me Maleh explique qu’il va d’abord parler del’apparence physique d’Alieu Kosiah et de ce qu’il portait, puis de sa personnalité.
Selon l’avocat, l’arme caractéristique que M. Kosiah portait tout le temps sur lui, au flanc droit, était un pistolet. Tout le monde l’a vu ainsi. Tous les « big men » avaient un pistolet. L’enfant soldat pouvait même parfois le porter pour montrer qu’il protégeait un « big man ». « J’avais un AK47 que portait mon gars » a dit Alieu Kosiah. Les armes plus lourdes étaient donc portées par les autres. Mais son pistolet ne le quittait jamais.
Il poursuit en disant que le prévenu a déclaré n’avoir jamais eu de pistolet dans le Lofa, et l’avoir vendu avant. Selon l’avocat c’est un mensonge très grossier. Si les plaignants le décrivent avec un pistolet, les témoins de la défense font de même ! Par exemple, l’ancien enfant soldat a dit dans la procédure : « Quand Alieu Kosiah se déplaçait, il avait toujours ce pistolet » Quand on lui a demandé : « Vous êtes sûr ? » -Il a répondu « Non, parfois il me le tendait !»-
Me Maleh demande alors : pourquoi ces mensonges de la part d’Alieu Kosiah ? Pourquoi faire disparaître le pistolet du Lofa ; à défaut de faire disparaître le prévenu lui-même ?
L’avocat passe ensuite à la tenue vestimentaire de M. Kosiah. Le groupe ULIMO n’avait pas d’uniforme. Les soldats étaient habillés en civil, mais plus on montait en grade, plus des habits militaires étaient portés. Alieu Kosiah est décrit en tenue militaire par ceux qui ont témoigné. Parfois avec une casquette, et surtout avec ses bottes. Il n’y avait pas de couleur attitrée aux soldats ULIMO. Cela ne permet donc pas de rattacher une couleur à une faction ou une autre.
Par rapport au nom porté par le prévenu, Me Maleh poursuit en disant que la guerre civile libérienne n’était pas une guerre anonyme. On s’y faisait même un nom, et ensuite on le proclamait. « Quand les soldats ULIMO disent un nom, on sait qu’ils ne mentent pas, c’est que cette personne est là » a dit un plaignant.
Il ajoute que quand on dit un nom au Liberia, on peut en trouver plusieurs graphies. Kweshia, Korsia (TRC), Kosia (TRC) Koisiah (Mandingo defense), Koshel (ONU), sont les noms écrits autrement de Alieu Kosiah. Les parties plaignantes ne se sont donc pas trompées.
« Quand les yeux n’ont rien de particulier, ce n’est pas à cela que l’on fait attention quand on remarque une personne » a dit un témoin selon Me Maleh. Mais le prévenu a des « pop eyes », soit des yeux globuleux qui ressortent comme s’il était surpris ou fâché. Tous les plaignants ont mentionné cette caractéristique. Alieu Kosiah parle alors de complot quand tous les plaignants sont concordants sur un élément. Il dit aussi « Je n’ai pas vraiment de « pop eyes » ».
Selon l’avocat, l’autre caractéristique physique qui revient au sujet de M. Kosiah est son teint de peau, plus foncé.
La troisième caractéristique selon Me Maleh est sa corpulence : il est mince mais il est costaud. Il aurait une taille moyenne. Personne ne le décrit comme petit.
Selon lui, avec les audiences, une caractéristique supplémentaire est venue s’ajouter. Sa façon de crier et sa voix, sur lesquelles toutes les parties plaignantes s’accordent, est devenue d’autant plus probante quand il s’est mis à crier en plein audience.
dSur la question de l’identification, Me Maleh dit qu’il comprend la démarche d’enquête du Ministère public de la Confédération (MPC) de vouloir soumettre des planches photographiques aux témoins et parties plaignantes. Mais cela faisait 20 ans que ceux-ci n’avaient pas vu Alieu Kosiah. Pour la plupart, ils étaient encore mineurs au moment des faits. En outre, il n’avait jamais vu M. Kosiah en photo. Quant à la photo présentée pendant l’instruction, elle est petite, on n’y voit que la tête, et sa peau est bien plus claire. En plus, la photo ne date pas de la guerre mais de 1998. La photo n’est donc pas représentative des caractéristiques reconnues de façon concordante par chaque plaignant (entre autres une peau très noire et des « pop eyes »).
L’avocat ajoute que les plaignants ne sont pas des intimes du prévenu. Quelqu’un a expliqué pendant la procédure : « Je ne voulais pas rester en relation avec lui ». En revanche, quand ils l’ont vu en vidéo, il n’y a plus eu de doute pour eux.
Il poursuit en disant que durant toutes ces audiences, M. Kosiah a étalé au grand jour un univers de réalité alternative dans laquelle il vit, y compris son sentiment de toute puissance, ses ricanements et son mépris pour ses propres concitoyens. Aujourd’hui il se dit calme, grâce à l’âge. « Imaginez-le alors jeune ! » s’exclame Me Maleh.
Me Maleh conclut cette partie en disant que partout où Alieu Kosiah est passé, il a joué avec les règles et a profité de chaque situation. Même dans une guerre anarchique comme celle du Liberia, même au sein des ULIMO : il a été présent dans tous les débordements.
2e tour des plaidoiries de la partie plaignante
La parole est redonnée à Me Alain Werner à propos d’un de ses mandants, G.S :
- GMS dont le frère a été tué, avec les 6 autres civils. (1.3.2)
Me Werner commence par expliquer que lors de la dernière prise de Zorzor, les civils ont été rassemblés à la station essence dont la photo figure dans le dossier. Alieu Kosiah a alors commencé à pointer du doigts sept hommes en disant qu’ils étaient des ennemis du mouvement NPFL, et qu’ils ont été massacrés à coup de masses jusqu’à ce qu’ils décèdent.
L’avocat poursuit en disant que son mandant ne sait pas pourquoi son frère a été désigné comme un ennemi, car pour lui il était au contraire clair que son frère n’était pas membre des NPFL. Quant aux six autres, il n’en a aucune idée. Sa famille ne sait pas ce qu’est devenue la dépouille de son frère puisqu’il avait fallu du temps pour que les civils reviennent sur les lieux ; et à leur retour, il n’y avait plus de corps. Le mandant de Me Werner a parlé à deux autres personnes présentes ce jour-là, qui ont refusé de témoigner dans la procédure.
Me Werner demande alors : comment son mandant pouvait-il être sûr qu’il s’agissait bel et bien d’Alieu Kosiah ? Les soldats ULIMO criaient les noms des commandants quand ils prenaient une ville, ils ne se cachaient pas, y compris en scandant le nom des « big men » ou commandants. Ils criaient pour dire que Mami Wata était là, que War Bus était là, ils criaient aussi le nom de Chief Kosiah, supérieur à Mami Wata et War Bus.
Ensuite, Me Werner explique que son mandant a revu plusieurs fois Alieu Kosiah à Zorzor, notamment durant un transport forcé.
Par ailleurs, selon l’avocat, des sources écrites, notamment de l’Agence France Presse (AFP), corroborent qu’à cette époque-là, à Zorzor, le groupe rebelle ULIMO exécutait des gens accusés d’être des ennemis NPFL. La seule différence avec ce qui a été rapporté par l’agence est le nombre de personnes : sept pour le mandant de Me Werner, 14 selon l’AFP. Dans le rapport final de la TRC, il est fait mention de plus de 100 personnes.
Me Werner poursuit en disant qu’au vu du nombre d’exécutions par les ULIMO, il semble plus que probable que l’exécution du frère du mandant n’ait pas été la seule, et donc le témoignage de son mandant selon lui est concordant avec les sources écrites, et est donc parfaitement crédible.
L’avocat a ajouté que Kunti Kamara et Kwamex Fofana – tous deux anciens commandants ULIMO – ont mentionné plusieurs fois qu’Alieu Kosiah était parti de la région de Bomi aussitôt que Zorzor avait été prise. Ainsi, ces témoignages corroborent le fait qu’il était sur place, comme l’a déclaré son mandant.
Ensuite, l’avocat déclare que l’honnêteté générale de son mandant saute aux yeux : « J’ai utilisé mes yeux et mes oreilles pour enregistrer les choses» a-t-il déclaré. Selon Me Werner, son mandant a toujours été très clair et très prudent quand il a rapporté ce qu’il a appris. «Quand on vit des événements traumatisants, on s’en souvient pour soi-même. Mais ce qui m’a amené ici c’est la mort de mon frère. Ce ne sont pas les ordres qu’on m’a donné dont je me souviens le plus clairement, mais les gens qui ont exécuté mon frère. Ce sont ces souvenirs qui me font encore pleurer, pas ce qui m’est arrivé personnellement » a encore déclaré son mandant.
Me Werner rappelle qu’à l’audience du 30 mai 2017 du Ministère public à Berne, Alieu Kosiah suivait l’audition par vidéoconférence d’une autre salle. Son mandant rapporte les événements, sur la mort de son frère et à la question : « Aviez-vous une vision claire dans votre tête d’Alieu Kosiah à l’époque ? » – il répond « Oui». Il fait ensuite la description physique de l’accusé, puis le Procureur lui soumet la photo de M. Kosiah de l’époque, au milieu de huit ou neuf autres photographies. Le mandant de Me Werner reconnaît le prévenu. Le Procureur lui soumet ensuite une photo récente d’Alieu Kosiah au milieu d’autres photos : il hésite entre deux, dont une est la bonne, ayant regardé les deux planches photographiques pendant de longues minutes.
Me Werner raconte encore que lors de la même audition on a amené Alieu Kosiah dans la salle, et que son mandant s’est mis à pleurer quand le prévenu est entré et qu’il l’a vu. A la fin de son récit devant le Procureur, le mandant de Me Werner a une nouvelle fois été gagné par l’émotion en racontant alors son histoire, et a à nouveau pleuré à la fin de son récit.
Selon l’avocat, toute personne présente ce jour-là en audience a compris que son mandant avait bel et bien reconnu ce jour-là Alieu Kosiah, celui qui avait donné l’ordre d’assassiner son frère.
Me Werner enjoint les juges à regarder par eux-mêmes cette séquence vidéo de l’instruction.
Me Werner déclare donc faire siennes les réquisitions du MPC sur ce chef d’accusation, à l’encontre du prévenu.
- Transport forcé par GMS (1.3.25)
Selon Me Werner, en substance, son mandant n’a jamais varié dans son récit sur sa marche forcée entre Zorzor et Salayae. Il y avait des femmes et des enfants, et il a vu Alieu Kosiah donner l’ordre d’effectuer ce transport de munitions, durant lequel il était également présent. Son mandant pensait porter une caisse de munitions, en raison du bruit que faisait le contenu de la caisse et du mouvement liées au poids.
L’avocat poursuit en disant que son mandant a dit n’avoir jamais fui parce qu’il ne voulait pas mourir seul en forêt. Malgré la situation, le plus sûr était d’être auprès des siens et donc de ne pas fuir.
Me Werner déclare donc faire siennes les réquisitions du MPC sur ce chef d’accusation, à l’encontre d’Alieu Kosiah.
Me Alain Werner à propos d’un de ses mandants, JTC :
- Transports forcé de Foya à Solomba par JTC (1.3.10 et 1.3.12)
Selon Me Werner, son second mandant a été forcé par Alieu Kosiah à porter des charges à deux reprises, dont un pillage de grande ampleur où tous les commandants ULIMO ont été impliqués. Il s’agit en l’occurrence du transport des pièces de la centrale électrique de Foya sur un mini size truck jusqu’à la frontière avec la Guinée.
Me Werner explique que son mandant, T4, a dit à propos de ce transport : « Les seules fois que vous voyiez les commandants ULIMO marcher tous ensemble, c’était quand la marchandise était encore plus importante», et le rôle d’Alieu Kosiah a été clairement expliqué et avec beaucoup de détails par la partie plaignante sur ce transport.
Par ailleurs, selon l’avocat, l’instantanéité des débats a permis d’acquérir la certitude que son mandant et une autre partie plaignante, LSM, avaient été ensemble sur cette marche forcée. Le mandant de Me Werner était forcé à pousser le camion avec les autres civils, alors que l’autre partie plaignante, mandant de Me Jakob, était présent sur la marche comme soldat ULIMO, ayant été victime de ces mêmes ULIMO avant son recrutement. Tous deux ont confirmé en audience que M. Kosiah était présent sur tout le trajet, qu’il était le plus gradé sur cette marche, et qu’il était là parce que la marchandise pillée avait énormément de valeur.
Comment son mandant a-t-il vécu la présence à ce procès d’un ancien soldat ULIMO qui avait participé à ce transport forcé, s’interroge l’avocat. De façon pragmatique, puisque la partie plaignante a déclaré sur ce point : « selon moi, les déclarations de l’autre partie plaignante, ancien ULIMO, prouve que ce que je dis est vrai ».
Me Werner ajoute que, selon lui, son mandant est différent des autres plaignants. Il a fait un « master » en Chine et prépare une thèse de doctorat aux Etats-Unis. Il a demandé à visiter le palais fédéral quand il était à Berne pour répondre aux questions du Procureur. Il prenait par ailleurs des notes pendant toute la procédure.
L’avocat continue en disant que son mandant voulait comprendre tout ce qui se passait autour de lui. Il a par ailleurs toujours fait la part des choses et n’est jamais tombé dans l’exagération, en affirmant par exemple que tous les ULIMO sans exception étaient des monstres. Bien au contraire, il a toujours eu le souci de mettre des nuances dans ce qui se produit autour de lui. Ce qui rend les choses plus complexes aussi. Malgré tout ce qui lui est arrivé, il n’a jamais affirmé qu’Alieu Kosiah était le pire des commandants ULIMO, mais a, au contraire, toujours dit que le commandant ULIMO « Ugly Boy » était le plus méchant.
Me Werner conclut sur ce chef d’accusation en disant que tous les éléments disponibles ne font que corroborer la probité et crédibilité de son mandant, à tous les points de vue.
Me Werner déclare donc faire siennes les réquisitions du MPC sur ce chef d’accusation à l’encontre de M. Kosiah.
- Par rapport au meurtre à la hache et à la dégradation du corps d’un civil à Foya (1.3.8 et 1.3.9)
Me Werner explique que son mandant JTC était un ami proche du civil mort éviscéré à Foya. Ce dernier était enseignant à l’école Pentecôtiste libre et est allé à l’école avec la femme du mandant de Me Werner.
L’avocat rappelle ensuite les faits et circonstances horribles du meurtre de ce civil et de l’acte de cannibalisme qui a suivi le meurtre, les commandants ULIMO ayant mangé le cœur du civil assassiné. Les mêmes faits sont relatés de la même façon dans la procédure en France diligentée à l’encontre Kunti Kamara.
Il poursuit en disant que ce meurtre a été confirmé par plusieurs journaux libériens de l’époque imprimés à Monrovia et qui ont parlé de cet événement survenu à des centaines de kilomètres. Quant à la veuve de ce civil, elle a témoigné dans la procédure française et ses souvenirs s’entrechoquent, ce qu’elle a reconnu lors de sa confrontation avec le mandant de Me Werner en France. Elle a déclaré : « je n’ai pas vu directement ce qui s’est passé, je me cachais, je ne peux pas nier ce que(le mandant de Me Werner) a dit, il était présent, lui ».
L’avocat ajoute que plusieurs témoins entendus dans le dossier français contre Kunti Kamara ont confirmé la version de son mandant, en mentionnant notamment le corps ouvert de la victime. Il ressort par ailleurs de multiples éléments de ce dossier que « Ugly Boy » ouvrait les civils à la hache et leur arrachait le cœur.
Me Werner déclare donc faire siennes les réquisitions du MPC sur ce chef d’accusation à l’encontre d’Alieu Kosiah.
Par rapport à ses deux mandants dont il vient d’évoquer les crimes subis, Me Werner déclare que tous deux ont été victimes directes d’Alieu Kosiah, qu’ils ont subi les deux la même terreur de cette guerre aux mains des soldats ULIMO, assistant aux actes odieux commis par ces forces rebelles.
En accord avec toutes les parties plaignantes et leurs avocats, l’avocat explique demander un montant identique pour tous. En Suisse, ils auraient eu droit à 100’000 francs suisse pour tort moral. Le coût de la vie au Liberia étant 12 fois moins élevé, les avocats réclament 8 000 francs suisses d’indemnité pour chacun des mandants (soit approximativement 1.5 million de liberian dollars)
La parole est donnée à Maître Romain Wavre
L’avocat commence par dire que de tous les témoignages fournis par les plaignants, ceux de ses deux mandants et ceux de Me Werner KK et AS ont fait l’objet des plus vives contestations de la part du prévenu, relativement au pillage et au transport forcé de la génératrice de Pasolahun.
Selon Me Wavre, 25 années après, depuis son banc, depuis sa prison, Alieu Kosiah arrive encore à faire pression sur les plaignants, et à leur faire peur.
- Pillage et transport forcé de la génératrice de Pasolahun (1.3.13 et 1.3.14)
Me Wavre explique que pour la marche forcée de Pasolahun à Kolahun, huit personnes sont venues témoigner en audience. La stratégie de la défense, abandonnée au bout de sept ans, consistait jusqu’à présent à nier l’existence d’une génératrice à Pasolahun. Devant les témoignages, Alieu Kosiah s’est ravisé.
L’avocat continue en disant qu’un témoin de la défense a décrit des faits similaires à ceux de la partie plaignante concernant le pillage d’une autre génératrice, le modus operandi étant le même.
Il poursuit en disant que, quant au trajet, tous les témoignages s’accordent pour parler d’un départ le matin, d’une durée d’une journée ou de neuf heures, tous les civils ou presque ayant été systématiquement battus et intimidés sur le trajet par les soldats ULIMO : coup de crosse, de pied, de rotin, tirs dans les airs. « Si vous n’avancez pas assez vite, ce sont les mouches qui annonceront votre mort à vos parents » disaient en substance les soldats ULIMO, insinuant qu’ils les tueraient s’ils marchaient trop lentement.
Selon Me Wavre, nous avons peu parlé de la souffrance des personnes qui ont subi ces transports forcés. Avant même le départ de cette marche, les civils savaient que les ULIMO réquisitionnaient, pillaient et contraignaient à marcher car ils étaient sous leur domination totale depuis des mois, voire des années. Ils savaient qu’ils pouvaient ne pas en revenir. Ils savaient que s’ils s’arrêtaient, ils étaient tués.
L’avocat poursuit en expliquant que les témoins et les plaignants ont de la pudeur face à ces événements. Ils se sentent peut-être aussi coupables parce qu’ils s’en sont échappé, contrairement à d’autres. Que peuvent-ils bien ressentir quand ils passent à côté d’un corps mort, après avoir marché des heures, sans boire et sans manger ? « On a commencé à avoir encore plus peur » a dit une partie plaignante. C’est dans ce contexte qu’ils arrivent à la rivière Kehair.
Me Wavre poursuit en disant que tous les témoins ont dit que M. Kosiah attendait bel et bien le transport de l’autre côté de la rivière. Même s’ils ne l’ont pas reconnu sur les photos d’époque, les parties plaignantes ont reconnu Alieu Kosiah en audition et en audience. L’un des ULIMO présent sur la marche forcée, dénommé Sky face kabbar, a dit « Le chef nous attend de l’autre côté », Alieu Kosiah a été salué en tant que « Chief Kosiah », des soldats ont dit « H&H Kosiah is coming », et c’est là que BS et KS ont trouvé la mort.
L’avocat continue en disant que dès que M. Kosiah a compris dans cette procédure qu’il y avait eu des crimes qui lui étaient reprochés à Kolahun, il a dit qu’il ne s’est jamais rendu dans cette ville, qu’il n’avait jamais participé à des marches car il était toujours en camion ou moto. Il a dit aussi qu’il n’y avait pas de barrière. Mais tous ces mensonges ont été démontés par ses propres témoins, et non par la partie plaignante.
La divergence concernant le meurtre de MoK porte sur l’arme (pistolet ou AK47) utilisée par Alieu Kosiah et sur le nombre de coup de feu, non pas sur le type de mort. « Leur horizon était la minute d’après » a dit un témoin dans cette procédure. Ainsi, le fait qu’ils ne pouvaient pas focaliser leur attention sur ce type de détail est plus que compréhensible.
Me Wavre déclare donc faire siennes les réquisitions du MPC sur ce chef d’accusation à l’encontre de Alieu Kosiah, en précisant qu’à titre subsidiaire, il est demandé que le prévenu soit reconnu coupable en sa qualité de supérieur hiérarchique, car il n’a jamais mis un terme aux exactions dont il avait parfaitement eu connaissance par ses inférieurs hiérarchiques.
- Transport de munitions vers Fassama (1.3.16)
Selon Me Wavre, ce transport semble faire sens dans le cadre de la scission entre les groupes ULIMO-K et ULIMO-J. Là encore, ce sont les témoins appelés par la défense qui précisent certains des faits. Alieu Kosiah quant à lui reconnaît la scission entre ULIMO en deux factions rebelles, mais à Bomi, et a toujours estimé que ces transports de munitions ne faisaient aucun sens.
Me Wavre explique qu’une carte du Liberia a été montrée et a été utilisée en mars 2015 puis en 2018 dans les audiences tenues par le Procureur. En 2018, Alieu Kosiah a expliqué que cela ne faisait pas de sens de transporter des munitions de Voinjama à Fassama. Il a tracé des traits sur la carte pour le prouver. Or, il y a deux Fassama. Le prévenu s’est contenté de montrer la mauvaise ville de Fassama pour appuyer sa version des faits. Il s’est donc moqué du monde durant l’instruction. Quand Alieu Kosiah répond à une question, c’est toujours pour que sa réponse, quelle qu’elle soit, lui soit favorable.
L’avocat poursuit en disant qu’à l’arrivée à la rivière Lofa, MKP était exténué. Les déclarations des témoins divergent à peine quant à l’état de MoK, mais il a été tué parce qu’il ne voulait plus avancer. En revanche, ils n’ont aucun doute sur l’identité de celui qui a tiré. « H&H a sorti son arme et a tiré ».
Me Wavre explique que les déclarations sont imparfaites mais cette imperfection est une preuve de leur authenticité, d’autant qu’elles rapportent les mêmes événements. Les différentes versions de la défense en revanche ne sont pas cohérentes avec le contexte historique, la chronologie de la guerre, et le grade avéré d’Alieu Kosiah à l’époque.
« Ce n’est pas que Alieu Kosiah avait du plaisir à tuer, mais la marchandise avait plus de valeur que les civils qui les transportaient. On pouvait perdre des civils, mais pas des marchandises » a expliqué un témoin dans cette procédure.
Me Wavre déclare donc faire siennes les réquisitions du MPC sur ce chef d’accusation à l’encontre de M. Kosiah, et demande également une condamnation d’Alieu Kosiah à verser une indemnité de 8 000 francs suisse à titre de tort moral pour chacun de ses deux mandants.