Jour 19 – troisième jour des plaidoiries : avocats des parties plaignantes et avocat de la défense
03.03.2020
Le juge Bacher ouvre l’audience. La parole sera donnée successivement à Me Zeina Wakim, Me Romain Wavre, Me Raphaël Jakob et Me Hikmat Maleh, « relativement à leur mandant et aux chefs d’accusation que leurs témoignages appuient ». Puis, la parole sera donnée à Me Dimitri Gianoli, avocat de la défense, qui entamera le début de sa plaidoirie.
La parole est donnée à Me Zeina Wakim pour sa madame f.
Me Wakim commence par dire qu’on appelle dans cette procédure sa mandante Madame F. pour la protéger. C’est l’enfant privée d’école : « I don’t know books » a-t-elle dit, c’est l’enfant qui a vu son père et son frère décapités. C’est l’enfant qui se fait violer par un homme alors qu’elle n’a jamais connu d’homme avant. Et ce n’est pas n’importe quel homme qui la viole, c’est Alieu Kosiah, celui qui vient de donner l’ordre de tuer 25 hommes de son village.
Elle poursuit que c’est l’histoire de l’enfant qui, quand elle réussit à s’enfuir après le viol, part avec un bout de tissu comme habit, mange ce qu’elle trouve dans la brousse, est nourrie ensuite contre des tâches de nettoyage qu’elle effectue en Guinée.
L’avocate explique que sa mandante est cette ancienne enfant qui est venue jusqu’en Suisse témoigner et qui a mis au monde, cette année, une enfant nommée Justice, parce que comme elle l’a déclaré devant les juges : « I want Justice ».
Elle continue en expliquant que sa mandante en audience nous a parlé de la méthode de torture dite du « tabé », du pistolet d’Alieu Kosiah, du fait que les femmes ne transportaient pas de marchandises ou encore des violences sexuelles. Son récit fourni de très nombreux détails : les mots des « boys d’Alieu Kosiah », ce que faisaient les soldats, ce qu’ils fumaient, la maison où elle fut détenue, comment Alieu Kosiah s’est déshabillé, le fait qu’il parlait en anglais, les mots utilisés : « be my wife» et « you are my woman ». Sa mandante a parlé en audience de ses douleurs, de ses blessures et de ses cauchemars jusqu’à aujourd’hui.
L’avocate poursuit en expliquant que sa mandante a déclaré avoir fui en Guinée suite à ce qu’elle a subi, et s’est ensuite exprimée au sujet de la date de son retour au Liberia . « Je suis revenue au Liberia quand une femme était au pouvoir » a-t-elle dit en trouvant un événement auquel se raccrocher, faute de connaître les années. Sa mandante n’a pas de repère temporel mais elle sait que l’attaque a eu lieu, elle sait ce qui lui est arrivé.
Selon Me Wakim, le récit de sa mandante est crédible. Elle a identifié Alieu Kosiah en une demi-seconde quand elle l’a vu. L’avocate a ensuite demandé : comment aurait-elle pu savoir qu’on l’appelait « General Kosiah » si elle n’avait pas été en contact avec lui ?
L’avocate explique aussi que sa mandante ne parlait pas anglais, qu’elle l’a appris avec ses enfants qui l’ont appris à l’école, d’où un langage parfois approximatif dans cette langue. Par exemple, quand elle dit « black house » pour désigner la maison dans laquelle elle a été violée, ce n’était pas une maison noire, mais une maison rouge ou de couleur par rapport à une maison blanche, c’est bel et bien la maison où elle a été enfermée. Pour elle, ces mots ne signifiaient pas littéralement une maison de couleur noire.
L’avocate explique aussi que les violences sexuelles ont fait partie du système de terreur instauré par la guerre civile, par la faction ULIMO.
Me Wakim continue en notant que l’interdiction du viol dans les conflits armés est consacré par la justice internationale et sa jurisprudence selon trois principes :
- Le consentement n’a pas besoin d’être établi.
- L’usage de force n’est pas constitutif du viol.
- Il n’y a pas besoin de corroborer la preuve.
Or, selon l’avocate, après avoir décapité son père et son frère, après avoir pillé son village, organisé le transport forcé, et enfermé sa mandante, Alieu Kosiah ne peut pas prétendre à son consentement dans les quatre viols qu’elle a subis. L’accusé a basé sa ligne de défense autour de deux axes par rapport à la mandante de Me Wakim :
- Son premier argument : « Impossible que je l’ai violé, elle est trop laide ! Ma petite amie est 10 fois plus belle. Mais je ne suis pas en train de fanfaronner ». Selon l’avocate, ces déclarations se passent de commentaires.
- Son deuxième argument : « Elle ne sait pas que j’ai une cicatrice à la jambe, au pied ou à la cuisse…» Et si dans ces circonstances aussi traumatiques pour elle, elle l’avait quand même vu, qu’aurait dit Alieu Kosiah ? Sûrement aurait-il dit, alors, que cela est la preuve que cette fille était consentante, qu’elle a même exploré son corps entre deux actes, pour y dénicher la cicatrice. Les arguments de M. Kosiah s’arrangent toujours avec les déclarations des témoins, quelles que soient ces déclarations, pour qu’il ne soit pas reconnu responsable de ses actes.
Me Wakim déclare enfin faire siennes les réquisitions du Ministère public de la Confédération sur ce chef d’accusation, à l’encontre d’Alieu Kosiah. .
La parole est donnée à Me Raphaël Jakob pour LSM
L’avocat débute en posant la question de savoir ce qu’il en est de la mémoire, des souvenirs dont on est parfois convaincus qu’ils ont telle ou telle forme, et finalement il s’avère que non.
Selon lui, le temps qui est passé depuis les faits, le temps passé dans la procédure, l’oralité qui inscrit les récits et la langue sont autant d’éléments qui rendent la mémoire confuse ou difficile à apprécier dans sa justesse. Des erreurs à tous ces niveaux sont toujours possibles, mais ne retirent pas la crédibilité des témoignages. Chacun des témoins ont aussi leur personnalité, et une mémoire qui se concentre sur certains détails pour les uns, sur d’autres éléments pour les autres.
Il explique que son client savait répondre aux questions concrètes, mais ne savait pas répondre aux questions abstraites. Toutefois, sa mémoire a été marquée au fer rouge par certains événements.
L’avocat note que sur la difficulté à comprendre le contexte et la réalité ULIMO, le prévenu a lui-même déclaré en substance : « Souvenez-vous que le « small boy » de l’un est le « big man » de l’autre. Pour Kwamex Fofana je n’étais rien mais j’étais très important pour mon « small boy ». Dans ce cas, comment pourrait-t-on attendre des civils placés sous le joug des ULIMO de dire de façon certaine qui était quoi en termes de hiérarchie ou fonction dans les ULIMO ?
Il poursuit en disant que l’audition par une autorité pénale n’est pas un contrôle scolaire comme le voudrait la défense. Il n’y a pas de réponses justes ou fausses, mais la propre histoire des mandants à raconter. Ici, le mot « contradiction » a résonné très fort dans cette sale, prononcé sans cesse par la défense. Mais le mot « concordance » est le mot qui devrait être martelé. Entre les témoignages de chaque plaignant, alors que plus de 20 ans ont passé, c’est la concordance qui domine selon Me Jakob.
Pour lui, il est simplement impossible d’inventer de telles histoires avec autant de détails et les reprendre plus de 20 ans après tout en conservant une réelle authenticité.
- Rappel des faits – Chef d’accusation 1.3.4 et 1.3.5.
Selon l’avocat, on se trouve dans une ferme près de Foya, en mai 1993. Son mandant y cherche des vivres quand des hommes viennent le chercher. Ils portent un tissu vert. Les personnes sont acheminées à Foya et sont organisés en trois colonnes : les femmes, les hommes et les personnes âgées. Cet élément est unique et contrairement à beaucoup d’autres qui se corroborent entre les récits des différents mandants, cet élément n’a pas été cité ailleurs. On le retrouve dans un autre procès, celui du massacre de Srebrenica devant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie.
Me Jakob poursuit que ces personnes sont rassemblées devant l’officiel ULIMO dénommé S2 et en charge des civils. Tant son mandant LSM qu’un autre plaignant JTC ont dessiné chacun un plan, qui correspond parfaitement au lieu dans la réalité avec les photos qui figurent dans la procédure et proviennent notamment du dossier instruit en France.
L’avocat demande : pourquoi les avoir rassemblé devant le S2 ? Parce que c’est là que le S2, le dénommé Fan Boy, donnait les laissez-passer ou déterminait si des civils étaient des traîtres. Fan Boy était le « letter man » ou l’homme qui savait lire et écrire, cela a été confirmé par de nombreux témoignages, y compris des témoins de la défense.
En audience préliminaire, l’avocat rappelle que son mandant a chanté le chant dit du « kele-kele » qui avait été chanté par les soldats ULIMO dans le Lofa. En l’entendant, Alieu Kosiah l’a repris avec plus de détails.
L’avocat continue sa narration en disant qu’ensuite, les civils ont été attachés avec la méthode du « tabé », son mandant portant aujourd’hui encore les cicatrices de cette torture. Parce qu’il parlait trop, son mandant a été traîné par terre. Puis, il assiste aux meurtres de six civils qui étaient avec lui. Il n’a vu que le premier meurtre puis il a fermé les yeux. Quand il a rouvert les yeux, il n’y avait plus de corps. Ceux-ci auraient été jeté dans le puits.
Me Jakob explique ensuite que son mandant a décrit ce puits, et la police fédérale pendant l’instruction l’a retrouvé.
Il poursuit en disant que jeter des corps dans un puits est un crime de guerre selon la nouvelle législation sous deux aspects : priver un corps de sépulture, et priver les civils d’un bien public parce que le puits a dû être fermé car les corps en décomposition souillaient l’eau.
Or, poursuit l’avocat, son mandant a ensuite encore eu affaire au prévenu, qui était avec Kunti Kamara. Selon la partie plaignante, Kunti Kamara est aux ordres d’ Alieu Kosiah, soit un « special bodygard », une sorte de garde de corps spécial. Mais en réalité, Kunti Kamara est selon M. Kosiah et d’autres éléments de l’instruction bel et bien un commandant ULIMO. Pour Alieu Kosiah, c’est encore une preuve que le mandant de Me Jakob ment. Or, rappelle l’avocat, le prévenu maîtrise parfaitement l’histoire du Liberia, ainsi que la compréhension suisse de la situation, profitant de cette connaissance pour induire en erreur l’instruction de ce dossier.
Ce qui se passe ensuite selon l’avocat, c’est que les commandants ULIMO Kunti Kamara et Alieu Kosiah se disputent avec d’autres commandants ULIMO qui arrivent sur les lieux, dont le commandant de Foya, CO Dekou. Faut-il tuer le mandant de Me Jakob ? Il reçoit finalement un coup de couteau, mais il ne sait pas qui l’a asséné. M. Kosiah prétend n’avoir jamais eu de couteau, alors que selon les éléments du dossier, tous les soldats qui sont allés s’entraîner en Sierra Leone, dont Alieu Kosiah, en ont reçu un.
Me Jakob explique ensuite qu’à l’époque des faits, le S2 Fan Boy lui a dit que c’est Alieu Kosiah qui l’avait poignardé. Puis un autre lui aurait dit que c’était en fait Kunti Kamara.
En tout état de cause rappelle l’avocat, son mandant porte encore aujourd’hui la cicatrice qu’a laissé le coup de couteau. Avant d’être poignardé, il a été délié. Pourquoi a-t-il été délié ? On ne le sait pas. Est-ce plus facile de poignarder quelqu’un dont les mains sont attachées selon la méthode du « tabé » ? Seul Alieu Kosiah peut répondre à cette question, mais il semble que c’était plus facile de mettre dans un puits un corps délié.
Puis, Me Jakob continue en disant que Fina, Sis Fina, ou Sia (en Kissi, ou Saa, grande soeur), la cousine de son mandant et copine de Fan Boy, a recueilli la partie plaignante et mandant de Me Jakob pour le soigner.
Il continue en disant que le Procureur a parlé de grand puzzle dans ce dossier. Pour Me Jakob, les détails donnés par les parties plaignantes – comme par exemple les différents noms de la cousine de la partie plaignante : Saa ou Sia etc… – constituent autant de pièces qui entrent dans le puzzle que les avocats des parties plaignantes ont tenté de compléter depuis six ans. De plus, il est à remarquer selon l’avocat que depuis six ans, le puzzle n’a cessé de se compléter. Mais surtout, selon lui jamais il n’y a eu de pièces qui ne rentraient pas.
Concernant le coup de couteau, Me Jakob explique qu’il n’est pas sûr que le témoignage de Fan Boy soit fiable. Mais selon lui, ce n’est pas tellement cela qui compte. Ce qui compte c’est que les deux personnes autour de son mandant – Alieu Kosiah et Kunti Kamara – étaient bel et bien là quand le coup a été donné, et ce qui est important c’est qu’en conséquence, Alieu Kosiah doit être considéré comme le coauteur de ce coup de couteau. En effet, il a participé à l’action et sa présence a été essentielle pour l’aboutissement du coup de couteau. Ainsi, il n’est pas nécessaire de déterminer qui a donné le coup précisément. Cela pourrait également être le cas dans le meurtre à la hache évoqué précédemment par Me Werner. En sus, la responsabilité du supérieur hiérarchique peut aussi être engagée comme mode de responsabilité.
L’avocat continue sur la marche forcée entre Foya et Solomba et de là, à la frontière guinéenne, où son mandant a transporté des munitions, et conclut également à la responsabilité pénale d’Alieu Kosiah sur ce point.
Puis, Me Jakob poursuit en disant qu’après avoir frôlé la mort deux fois, son mandant a finalement rejoint les rangs de la faction ULIMO, pour survivre, pour protéger sa famille. Il est alors envoyé à Bomi, au quartier général des ULIMO, où il rencontre Pokor, le formateur de M. Kosia– – ce qui a été confirmé par l’ancien enfant soldat en audience – formateur qu’Alieu Kosiah a soutenu ne pas connaître. Dans le transport de la génératrice, son mandant était du côté des soldats ULIMO. Il a lui-même rapporté ce fait auto-incriminant, pour établir la vérité, et donc aussi celle de l’histoire racontée par le mandant de Me Werner qui était sur la même marche.
L’avocat dit qu’il aimerait ensuite parler de son mandant et de son courage extraordinaire. Son mandant se distingue parce qu’il a ce rôle d’ex-soldat ULIMO. Ce rôle lui crée un double risque de représailles chez lui et d’auto-incrimination ici. Il n’a rien à gagner en particuli r : il ne recevra pas la sympathie au Liberia, ni d’ex-ULIMO, ni des civils.
Il continue en disant qu’Alieu Kosiah était hors de lui quand son mandant parlait aux audiences. Le prévenu a même fait un geste intimidant à l’encontre de son mandant, qui a été même enregistré durant l’audienc– – photo présentée par Me Jacob en audience et où on voit le prévenu avec un index posé sur l’avant de la tempe.
Selon Me Jakob l’un des témoins de la défense était venu en Suisse uniquement pour avoir les photos et noms des parties plaignantes. Il a demandé par trois fois au Procureur de pouvoir les obtenir malgré les réponses claires du procureur. Pourquoi a-t-il tant insis é ? Parce que c’était dangereux pour lui de revenir au Liberia sans ces éléments. Ça, c’est le pouvoir d’Alieu Kosiah sur ses témoins, plus de 20 ans après, alors même qu’il est en prison en Suisse.
L’avocat poursuit sur ceux qu’il dénomme les trois brigands de Pasolahun qui sont venus témoigner de la filiation de l’une des personnes prétendument assassinées par Alieu Kosiah. Tout le monde a rigolé quand il s’est avéré que l’un était et neveu, et oncle de la même personne. C’était drôle à ce moment-là en audience, même la sécurité ici présente a alors rigolé à ce moment-là, vu l’absurdité de la situation. Mais au Liberia, ce ne sera plus drôle, quand ces trois « comique » qui sont venus mentir et induire la justice en erreur retourneront au Liberia avec la menace que cela fait peser sur parties plaignantes.
Me Jakob conclut en disant que son mandant a eu un immense courage de venir jusqu’ici, et encore plus de rentrer chez lui. Mais si la guerre l’a détruit et le poursuit encore aujourd’hui, ses enfants, eux, peuvent s’en sortir grâce à la résilience et au courage de leur père.
Me Jakob déclare enfin faire siennes les réquisitions du Ministère public de la Confédération à l’encontre d’Alieu Kosiah, sur les chefs d’accusation qui concernent son mandant.
La parole est donnée à Maître Hikmat Maleh pour son mandant E.J
Me Maleh commence par dire que son mandant EBJ a l’habitude de passer en derni r : en audience préliminaire, durant le procès. Aujourd’hui c’est donc au tour de son avocat de passer en dernier. Il plaidera dans l’ordre chronologique des faits et non pas de l’acte d’accusation. Ainsi, il prendra ces chefs d’accusation dans l’ordre suivant 1.3.19, 1.3.20, 1.3.21 et 1.3.18.
Il poursuit en expliquant que son mandant naît à Voinjama et y grandit. Le père de son mandant était un soldat de l’armée gouvernementale (Armed Forces of Liberia or AFL). Les rebelles du NPFL s’en prenaient aux soldats et aux familles des AFL. La famille du mandant de Me Maleh craint alors et le père s’en va en Guinée, on est en 1990. Le reste de la famille s’en va dans la forêt, la partie plaignante a alors 12 ans, et ils vont dans le village de Sigissu. Ensuite, les rebelles NPFL entrent dans Sigissu, puis en 1993, le groupe ULIMO conquiert les positions NPFL dans le Lofa. De fait, la mère du mandant de Me Maleh estime qu’ils peuvent retourner à la ville car les ULIMO étaient du côté des AF : ils pensent donc être en sécurité.
Selon l’avocat, la première rencontre avec les ULIMO se déroule au checkpoint d’Iron Gate. La famille va s’installer dans la maison de sa tante. Sous l’occupation ULIMO, cette tante est devenue la cuisinière du village et donc des soldats ULIMO. C’est là que le mandant de Me Maleh voit et remarque Alieu Kosiah. On est en septembre 1993. Il le remarque parce que les soldats lui font le salut militaire et l’appellent « Chief». A cette vue, il ressent de la peur. Il demande à sa cousine – la fille de sa tant– – qui est cette personne. Elle répond que c’est Alieu Kosiah.
Me Maleh explique ensuite que la famille reste le plus souvent dans la maison, sauf pour aller au marché ou pour se rendre sur les terres familiales à 30 minutes à pied de Voinjama. Pour y aller ils ont besoin d’un laissez-passer du S2. A Voinjama, la partie plaignante s’occupe de tâches domestiques, et lit tout ce qui lui tombe sous la main car ne plus aller à l’école lui manque. « Qu’est-ce que c’est que cet enfant qui lit au milieu de la guerre ? » se moquent sa mère et sa tante. La vérité est que l’armée et les armes lui font peur ; il se réfugie dans les livres.
L’avocat continue en disant qu’un jour, son mandant est emmené par des soldats ULIMO pour participer au transport forcé de marchandises pillées, transport entre Voinjama et Gbarlyeloh. Alieu Kosiah est là, demande où sont les civils qu’il a demandés. Puis, il donne des instructions : tirer et tuer ceux qui ne veulent pas porter ou avancer. Six gallons d’huile sont confiés au mandant de Me Jakob, soit environ 20 kilos, peut-être le tiers de son propre poids à l’époque.
Selon Me Maleh, quatre heures de marche seront nécessaires pour ce transport. Le frère de son mandant est exténué et va ruser, il trompe la vigilance d’un soldat, arguant devoir faire ses besoins. Quand il s’enfuit, le soldat lui tire dessus. La partie plaignante rentrera en disant qu’il ne sait pas ce qu’est devenu son frère. Et la famille va rester sans nouvelle du frère aîné jusqu’en 1998. Il s’était réfugié en Guinée. Un autre jour, son mandant est réquisitionné pour un deuxième transport forcé, bien plus long, entre Voinjama et Ma, en passant par les villes de Kolahun et de Foya. C’est encore Alieu Kosiah qui a ordonné ce transport.
Selon l’avocat, son mandant ne sera plus réquisitionné mais assistera à d’autres horreurs. En revenant du marché, il tombe sur un attroupement de soldats ULIMO parmi lesquels se trouve Alieu Kosiah. Il y a deux soldats attachés selon la méthode de torture dite du « tabé». L’un d’eux est un soldat ULIMO dénommé War Boy qu’il reconnaît, et un autre homme dont il ne connaît pas le nom. Le mandant de Me Maleh n’ose pas contourner les soldats : il est pétrifié, il avait si peur. Il ne veut pas se faire repérer en partant pour ne pas assister à la scène. Il entend Alieu Kosiah ordonner l’ordre de tuer ces deux soldats ULIMO, qui seront égorgés. La tête de War Boy sera exposée sur une barrière ou « checkpoint».
Puis, un jour, poursuit l’avocat, chez sa tante, le mandant de Me Maleh entend M. Kosiah et ses soldats ULIMO qui rentrent d’un combat sur la ligne de front et sont agités. Il entend Alieu Kosiah dire « lundi prochain sera Black Monday ». Lors du quatrième « Black Monday », la partie plaignante assiste au meurtre, par Alieu Kosiah, d’un jeune voisin. Puis, il ne reverra plus Alieu Kosiah jusqu’en janvier 2015 et l’audition à Berne au Ministère Public.
Me Maleh explique qu’après la guerre, son mandant devient enseignant. Il a cinq enfants.
Selon l’avocat, le récit de son mandant est éminemment concordant, avec des détails innombrables. Ce dernier a une manière spécifique de raconter les choses : il s’exprime clairement, sans en rajouter, toujours en nuance. Il ne cherche pas à accabler le prévenu. Il n’a pas de haine. Il ne cherche pas les réponses aux questions. Il n’hésite pas, ne diverge pas, mais connaît les limites de ses réponses.
Pour Me Maleh, le récit de son mandant est constant, dans la plainte pénale déposée en 2014, à l’audience du Ministère public en 2015, tout comme pendant le procès cette année en 2021. Son récit est très détaillé. Ce qu’il dit correspond en tout point au contexte historique. De même, la description qu’il fait d’Alieu Kosiah, ainsi que de son véhicule, est concordante aux déclarations des autres témoins, y compris des témoins de la défense. Les descriptions des transports forcés, des lieux parcourus, sont également concordants.
L’avocat présente une carte des transports forcés mis ensemble : cette carte montre à quel point M. Kosiah était ce « floating officer » ou officier flottant, et montre également l’envergure de son emprise sur la région.
Me Maleh insiste sur le fait que son mandant a une mémoire assez prodigieuse. Il se rappelle que le 2 août 1990, c’était un jeudi ! Il se rappelle qu’Alieu Kosiah apparaît en cinquième position dans la liste de la Truth and Reconciliation Commission sur les crimes économiques. Lors de son audition à Berne, il explique qu’il a quitté le Liberia à trois occasions : en 1994, 1998 et 2012. Cette date, 1994, qui étonne quand on l’entend car la question sous-entend qu’il s’y est rendu librement, c’est quand il a fait une incursion en Guinée à cause du transport forcé. Dans son esprit, les réponses sont toujours très précises et très claires.
L’avocat conclut en disant il y a eu, durant ce procès, deux moments où on a touché la vérité du bout du doigt. Le premier moment était celui où le Président du Tribunal a demandé au mandant de Me Maleh de dire – sans se retourner – combien il y avait de personnes dans la salle. Son mandant a répondu tout de suite, sans se retourner et sans s’interroger, qu’il y avait 23 personnes. Le second moment de vérité a été quand le mandant de Me Maleh a reconnu en audience l’ancien enfant-soldat au procès comme ayant été avec Alieu Kosiah sur la scène de certains crimes, ce dernier étant venu témoigner à décharge pour le prévenu. « Vous voyez, on me reconnaît », a répondu l’ancien enfant soldat une fois identifié de façon spontanée par le mandant de Me Maleh.
Me Maleh déclare enfin faire siennes les réquisitions du Ministère public de la Confédération sur les chefs d’accusation qui concernent son mandant, à l’encontre d’Alieu Kosiah.
La parole est donné à Me Gianoli
Me Gianoli commence par dire que les plaidoiries des avocats des plaignants sont remplies d’erreurs. Elles étaient réglées comme une boîte à musique, mais la musique détonne ! Pendant le réquisitoire et les plaidoiries, le mandant de Me Gianoli se penchait vers son avocat tout le temps. En effet, selon ce dernier, la défense pourrait se battre sur chaque phrase.
L’avocat dit ensuite que quand il a rencontré Alieu Kosiah pour la première fois, ce dernier lui a dit qu’il avait sa conscience pour lui, et qu’il n’y avait rien à lui reprocher. Ainsi, il s’est montré pleinement coopératif dès le début. « Un rêve pour un avocat » déclare Me Gianoli.
Ce dernier refuse que l’on dise que son mandant a noyé la procédure, ou fourni un écran de fumée, ce qui est faux selon lui. Tous les acteurs de cette procédure ont commencé par avancer à l’aveugle, à l’exception de M. Kosiah et de Me Alain Werner. L’histoire, le pays, la langue, les enjeux, tout était nouveau. Alors oui, selon l’avocat, Alieu Kosiah a beaucoup parlé, mais c’était pour expliquer, et dans ce seul but.
Me Gianoli continue en disant que son mandant n’a jamais cherché à se dérober aux questions, même s’il a fallu parfois de la patience pour comprendre où il voulait en venir. Il peut parfois donner l’impression qu’il ne répond pas aux questions, mais c’est simplement qu’à certaines questions il ne peut répondre, certaines prétendues questions n’étant par ailleurs simplement pas des questions.
L’avocat demande ensuite : pourquoi Alieu Kosiah aurait-il tant insisté pour faire entendre Kunti Kamara, Kwamex Fofana, Fan Boy et d’autres anciens ULIMO comme témoins de la défense alors que ces personnes constituent potentiellement de vraies bombes à retardement pour lui-même ? Il est tout simplement absurde de soutenir que la collaboration du prévenu était apparente ou qu’elle relevait d’une stratégie.
Or, selon Me Gianoli, une bonne compréhension de l’affaire passe par la bonne connaissance du contexte libérien. L’histoire du Liberia depuis 1816, c’est l’histoire des tensions avec les autochtones au retour des esclaves libérés des Etats-Unis, le pays ayant été créé pour eux.
L’avocat énumère ensuite les ethnies au Liberia : Gpele, Bassa, Mano, Lorma, Kissi, Krahn, Bandi, Lorma, Madingos, Sapo, etc… il y a plus d’une vingtaine d’ethnie au Liberia explique-t-il. Ce sont les libériens américains qui détiennent les ressources et l’autorité. En plus des différentes ethnies, il y a les religions : musulmane, chrétienne protestante et animiste. Par ailleurs, ce pays est l’un des pays les plus pauvres d’Afrique.
Selon Me Gianoli, tous ces ingrédients ont influencé l’histoire du pays. Les autochtones se sont réveillés au lendemain de la seconde guerre mondiale en réclamant le partage des pouvoirs et le droit de vote. En 1971, le Président de l’époque a voulu améliorer la situation de la population autochtone mais ses actions ont au contraire renforcé les tensions ethniques. Le Président a fini par se faire assassiner.
L’avocat poursuit en disant que Samuel Doe prend le contrôle du pays en 1980. Il s’accapare le pouvoir et les richesses pour faire profiter uniquement sa propre ethnie, les Krahns. Ainsi, selon Me Gianoli, la situation économique et sociale, l’exclusion des droits politiques pour un bon nombre, la répression politiques et les haines ethniques sont les sources des problèmes du Liberia.
Selon Me Gianoli, c’est sur ce terreau que s’enclenche la première guerre civile libérienne, guerre intertribale notamment entre les mouvements rebelles NPFL et ULIMO.
L’avocat poursuit en rappelant que la complexité de la situation libérienne peut être source d’amalgame. Bien que le temps ait fait son œuvre, les rivalités demeurent dans le pays aujourd’hui, et des témoignages ont été orientés, malheureusement.
Il continue en disant que les Mandingos, selon son mandant, sont considérés aujourd’hui comme des étrangers par les autres libériens. Me Gianoli fournit des exemples concrets issus de l’instruction de l’affaire pour le démontrer. La composante ethnique ainsi peut fortement orienter les témoignages selon l’avocat.
James Pussakoi a dit ne pas connaître Alieu Kosiah, puis dit l’avoir mentionné dans un article pour se venger.
- Éléments déterminants en lien avec la procédure
Pour Me Gianoli, il est essentiel de disposer d’une excellente connaissance du dossier pour comprendre les rôles des acteurs et comprendre les déclarations faites tout au long de la procédure. Encore une fois, il rappelle que nous avons avancé en tâtonnant dans ce dossier.
Selon l’avocat, en audience, Alieu Kosiah a dit qu’il pouvait se tromper dans les dates, mais en se référant aux événements, il s’y retrouvait. Par exemple, le mandant de Me Gianoli a martelé que pour lui, la scission des ULIMO avait eu lieu au troisième ou quatrième mois de 1994 et c’est seulement après qu’il a accompagné Pepper & Salt dans le Lofa, soit à une époque où les villes principales du Lofa avaient déjà été prise par les ULIMO depuis longtemps.
Selon Me Gianoli, la scission est le point de repère principal de son mandant : « on peut se tromper sur les années, mais pas sur les événements» a dit son mandant « Je suis resté 5 à 6 mois à Tubmnanburg » n’a-t-il pas cessé de répéter.
L’avocat s’arrête sur les déclarations de l’ancien enfant soldat qui selon corroborent parfaitement ce qu’a déclaré son mandant. Selon cet ancien enfant soldat ULIMO : « Quand j’ai quitté Todi, avec les ULIMO, nous sommes allés à Bomi. Et quand nous sommes entrés dans le Lofa, les villes du Lofa avaient déjà été prises par les ULIMO. Zorzor, puis Voinjama, puis Kolahun, puis Foya. ».
Pour Me Gianoli, les déclarations de M. Kosiah sont donc confirmées et corroborées par l’ancien enfant soldat : les ULIMO avaient déjà pris les villes avant qu’Alieu Kosiah arrive dans le Lofa.
M. Dumbuya n’a été « field commander » qu’après la scission ULIMO, ce qui confirme aussi les propos du prévenu.
L’avocat continue en disant qu’il est déterminant de ne pas tirer de conclusions hâtives, ce qui n’est pas facile car les audiences ont été morcelées. En effet, les circonstances dans un temps 1 ne sont pas les mêmes que dans le temps 2. Et pareil dans un lieu 1 et un lieu 2. Aussi ne faut-il pas, selon Me Gianoli, faire des amalgames ou de confusions crasses qui n’ont pas lieu d’être.
Me Gianoli déclare ensuite qu’il a déjà souligné en début des audiences le problème de la double casquette de Me Alain Werner. Si ceci a été écarté, la suite des audiences n’a fait que démontrer qu’il avait bel et bien raison. Me Alain Werner emploie les déclarations à des fins de publicité pour son organisation, Civitas Maxima.
Ainsi, selon Me Gianoli, Civitas Maxima a profité d’un courrier dans la procédure contre Alieu Kosiah en Suisse pour connaître l’adresse de Kunti Kamara en France, utilisé cette information pour porter plainte contre lui en France et faire ainsi démarrer cette procédure française contre Kunti Kamara. De plus, ce n’est que la semaine dernière que l’audition de Kunti Kamara a pu avoir lieu et que ce dernier a pu être entendu comme témoin de la défense.
Me Gianoli nomme ensuite deux personnes dans cette procédure, dont Jungle Jabbah, qui selon lui n’ont pas pu être entendues à cause de Civitas Maxima, alors que ces personnes auraient pu être des témoins de la défense. Par ailleurs, la publicité que se fait Civitas Maxima via son site ou via les médias montre que le seul but de cette organisation dirigée par Alain Werner est de se donner du travail.
Il poursuit en expliquant qu’il y a des précédents avérés dans ce domaine des droits humains et donne l’exemple d’une organisation non gouvernementale britannique qui a porté de fausses accusations à l’encontre de soldats en Irak.
Il ajoute que Civitas Maxima est aussi l’employeur de toute la structure du GJRP au Liberia, dirigée par Hassan Bility. Dans ce contexte poursuit-il, il n’est pas étonnant qu’on s’en prenne à Alieu Kosiah. Me Gianoli cite un échange d’e-mail entre Me Werner et Hassan Bility qui figure dans la procédure, et dans lequel Hassan Bility déclare qu’il sera à la hauteur de la tâche, soit trouver des éléments sur M. Kosiah. Par conséquent, selon l’avocat, le nom d’Alieu Kosiah est apparu suite à une demande spécifique d’Alain Werner.
- Contradictions liées aux plaintes initiales :
Me Gianoli commence par se concentrer sur la plainte initiale et le témoignage en instruction à Berne devant le Ministère public de l’une des victimes qui avait le statut de partie plaignante pendant l’instruction de 2014 à 2019, mais dont les allégations ne font pas parties du procès par décision du Ministère public.
Selon l’avocat, il existerait en fait deux personnes avec le même nom, l’un né en1975 selon les déclarations dans la plainte initiale, et l’autre né en1979 selon ce qui a été déclaré en audience. Le témoignage de celui né en 1979 aurait été complètement construit après coup en audience, une fois qu’il est apparu que celui qui est apparu en audience ne pouvait pas être celui qui a déposé la plainte et de fait celui qui est né en 1975. Celui qui a déposé en audience a nié avoir déposé et signé la plainte transmise par Me Werner aux Procureurs.
L’avocat continue en disant qu’entre la plainte initiale et la déposition en audience les noms de famille diffèrent aussi (un « y » en plus ou en moins), de même que le lieu d’origine (Kolahun / Baloma), l’ethnicité du plaignant (Kissi / Gbandi), et les lieux par lesquels sont passés les différents transports forcés (de Foya à Kolahun / Transport de Foya à Balun). Par ailleurs, un plaignant a eu des déclarations contradictoires au sujet de la participation d’Alieu Kosiah aux transports forcés : le plaignant a une fois affirmé qu’Alieu Kosiah a fait partie du transport, avant de revenir sur ses propos et déclarer qu’il ne savait pas si le prévenu avait participé au transport. Enfin, une fois, le plaignant a vu une brouette avec des mains dedans découpées et transportés par ULIMO ; et l’autre fois, il en a seulement entendu parler.
Sur cette même ancienne partie plaignante, l’avocat explique encore qu’il a déclaré en audience :« Je signe toujours de la même manière ». Or, les signatures ne sont clairement pas similaires entre celle qu’il a faite en audience, et celle de la plainte. Alain Werner a affirmé ne pas avoir fait signer lui-même la plainte de cette personne au Liberia, ce qui prouve que c’est bien le GJRP qui l’a fait.
Me Gianoli déclare par ailleurs que le GJRP devrait apprendre à ses collaborateurs à prendre des notes, tant les différences sont nombreuses. La personne qui est venue témoigner en Suisse est selon Me Gianoli clairement pas celle qui a signé la plainte : c’est une mystification qui n’a aucune crédibilité. Et sur le fond de ce qui a été déclaré par cette personne, les événements mentionnés dans la plainte, et notamment ceux du transport forcé, n’ont aucun sens (un aller-retour inutile), et peuvent être attribués à une autre personne qu’Alieu Kosiah, qui aurait eu le même profil.
L’avocat explique ensuite que dans les différentes plaintes initiales des parties plaignantes, les années évoquées sont 1994 et 1995. Pourtant, après être venues en Suisse, toutes ces parties plaignantes ont corrigé l’année durant laquelle les faits se seraient passés. Pour expliquer cela, l’un a dit : « Peut-être que mon avocat pourra vous expliquer, je ne sais pas pourquoi la date a changé. Je n’ai pas vérifié mes déclarations. Ce que je vous dis est la vérité. »
Me Gianoli continue en plaidant que sur le site de Civitas Maxima, à propos de l’atelier de théâtre participatif au Liberia qui a fait l’objet d’un film, et en particulier sur le clip d’une minute qui en a résulté, un des protagonistes dit « Le commandant Jungle Jaba était là et il a tué vos frères, violé vos sœurs ». Il ne faut donc pas s’étonner que des nouveaux témoignages surgissent après coup.
Au sujet de la publication de la photo et du nom complet d’Alieu Kosiah sur internet, l’avocat explique que cela est une violation de la présomption d’innocence et constitue de la diffamation. Il ne faut pas s’étonner qu’en faisant cela, Alain Werner vende et vante la méthodologie de Civitas Maxima.
Il continue en expliquant que le mouvement rebelle NPFL n’est pas le même que le mouvement ULIMO, et de la même façon, les ULIMO ne sont pas Alieu Kosiah. On ne peut pas prendre les événements des uns pour illustrer le comportement des autres. De plus, la référence de l’histoire du photographe Patrick Robert sur un meurtre horrible commis par un combattant NPFL contre un enfant Mandingo ne peut pas être utilisée de l’autre côté de la barre comme cela a été fait.
Pour l’avocat, le GJRP est la cheville ouvrière de Civitas Maxima, et dépend totalement de celle-ci, puisque Civitas Maxima est le bailleur de fond du GJRP. GJRP doit donc justifier son travail dans le sens voulu par Civitas Maxima, se trouvant de fait dans un état de subordination totale. En conséquence, c’est Civitas Maxima qui a demandé au GJRP de trouver des éléments sur M. Kosiah, puis c’est le GJRP qui s’est activé sur le terrain en disant se montrer à la hauteur de ce qui est demandé d’eux.
L’avocat en arrive à parler du Directeur du GJRP, Hassan Bility, qui a témoigné deux fois en audience à Berne pendant l’instruction. Pendant ces audiences, il a déclaré à propos d’une note d’interview ne pas reconnaître son écriture et que c’était son collaborateur qui l’avait rédigé. Or, il s’est avéré que cela était une déclaration mensongère de sa part, uniquement faite pour étayer l’accusation. En effet, la police judiciaire fédérale a fait une expertise qui a montré que cette pièce avait été écrite de la main d’Hassan Bility. Ce dernier a donc a menti pour justifier son travail et pour appuyer la procédure d’accusation.
Selon Me Gianoli, au début, le GJRP n’avait rien sur Alieu Kosiah ; et tout à coup, suite à la demande d’Alain Werner dans ce sens , ils ont commencé à accumuler des témoignages à charge. La seconde réponse de Hassan Bility à Alain Werner, selon les messages qui figurent dans la procédure, montre qu’Hassan Bility n’avait rien comme témoignages à l’encontre de M. Kosiah, mais qu’il va s’arranger pour les trouver.
Il poursuit en disant que les auditions successives d’Hassan Bility démontrent des contradictions. En effet, M. Bility dit d’abord que le GJRJP trouve une « source ». Puis, si cette personne est d’accord, elle peut devenir un témoin, et elle vient au bureau du GJRP. Selon M. Bility, une personne du GJRP va sur le terrain, et ce n’est pas la même qui mène l’entretien. Le GJRP s’assure également de la concordance entre les faits et les déclarations, et aussi que les réponses ne soient pas induites par les questions.
Or, selon l’avocat, si les propos de M. Bility reflétaient la vérité, comment expliquer les décalages entre la plainte initiale de la partie plaignante victime de violences sexuelles, et ses déclarations devant le Ministère public ? La partie plaignante a lié dans sa plainte ULIMO et Alieu Kosiah, mais ne l’a pas fait dans sa déclaration à Berne et en audience
Me Gianoli explique ensuite qu’à un moment donné, Hassan Bility a affirmé ne pas connaître Alieu Kosiah et qu’il a entendu son nom à la radio ; alors qu’ils se sont bel et bien rencontrés.
Il poursuit en expliquant qu’Hassan Bility a déclaré que le GJRP ne donne jamais de nom, ni de photo aux victimes qu’elle rencontre. Or, selon l’avocat, l’une des parties plaignantes a été informée qu’il s’agissait d’une procédure sur Alieu Kosiah, et des photos ont été montrées à la partie plaignante victime de violences sexuelles.
Par ailleurs, selon l’avocat, Hassan Bility a déclaré qu’il y a toujours une femme qui assiste aux entretiens dès qu’il est question de violence sexuelle. Pourtant, la même partie plaignante victime de violences sexuelles a déclaré qu’elle était seule avec Hassan Bility lors de son entretien.
Sur les prétendues agressions et menaces contre les victimes et les témoins ; pendant l’instruction, Me Gianoli remarque qu’on a surtout entendu parler de peur mais rien de concret. Puis, au fur et à mesure de la progression de la procédure et des déclarations, c’est devenu des agressions physiques et verbales contre les parties plaignantes.
L’avocat s’étonne aussi avoir entendu les parties plaignantes parler comme titre pour Alieu Kosiah au sein des ULIMO de « Headquarters & Headquarters » ou « H&H » et de « General ». Or Kwamex Fofana qui a été entendu et était un haut gradé de ULIMO avec une connaissance approfondie du mouvement a mentionné deux personnes avec le grade de « H&H » qui ne sont pas Alieu Kosiah, mentionnant aussi que le grade de « H&H » a disparu avec la scission ULIMO.
Me Gianoli explique que si ces éléments ne sont nullement exhaustifs, ils montrent que GJRP a manqué de neutralité. Or, Me Alain Werner a dit que sans le GJRP, il n’aurait pas été possible d’avoir ce dossier.
Devant tous ces éléments, il est normal selon l’avocat que le prévenu soit en colère ou s’emporte, car personne ne reconnaît la juste mesure de toutes ces contradictions. Or, lorsqu’on porte des accusations à l’encontre de quelqu’un, ces accusations doivent être crédibles et cohérentes, ce d’autant que les faits se sont produits il y a près de 30 ans dans un pays et un contexte très lointain.
Me Gianoli explique ensuite que dans ce dossier, chacun a tout vu, mais personne n’a rien vu. Chacun a tout entendu, mais personne ne sait rien, et tout le monde est le frère de tout le monde. Or, l’avocat propose aux juges de se rappeler de leurs vacances d’il y a 10 ans, ou encore de ces repas de famille où les souvenirs d’un même événement sont différents chez ses membres. La mémoire est un objet d’étude scientifique, comme en attestent de nombreuses études et magazines qui les vulgarisent.
Il continue en disant que dans le cadre d’événements traumatiques, les souvenirs s’inscrivent mieux selon les études. Or, avec les événements traumatiques vécus par les plaignants, leurs déclarations devraient contenir davantage de précisions, et devraient être plus constantes dans le temps. Or, il n’en est rien. Hassan Bility a dit durant l’instruction : « Basé sur mon expérience, il est plus facile de reconnaître une personne sur une photo ancienne qu’une photo récente, en particulier quand cette personne vous a traumatisé ». Or, aucun des plaignants, à l’exception de l’un d’eux, n’a reconnu Alieu Kosiah sur les photos d’époque. Les plaignants l’ont reconnu dans la salle d’audition ou d’audience. Mais comme c’est la seule personne noire présente dans la salle, cela parait simple. Quant à l’une des parties plaignantes, elle a eu accès à la photo avant.
En prenant les parties plaignantes une à une, Me Gianoli ajoute que la première des parties plaignantes a dit : « Je le reconnaîtrai même si 20 ans avaient passé ». Puis, cette partie plaignante n’a pas reconnu Alieu Kosiah sur les photos, l’ayant reconnu seulement pendant la confrontation par écran interposé où le prévenu était le seul homme noir présent.
De la même façon, selon l’avocat, la seconde partie plaignante a dit « Je pense être capable de le reconnaître » et ensuite à nouveau elle n’est pas parvenue pas à le reconnaître, sauf à la confrontation par écran interposé où, à nouveau, Alieu Kosiah était le seul homme noir présent.
La troisième partie plaignante selon Me Gianoli n’identifie pas Alieu Kosiah sur toutes les planches photos, seulement sur la planche photo actuelle. Et bien sûr, elle l’identifie pendant la confrontation physique où M. Kosiah est le seul homme noir présent.
L’avocat poursuit avec la quatrième partie plaignante, victime de violences sexuelles. Elle n’identifie pas Alieu Kosiah sur les planches photographiques et là encore le reconnaît lors de la confrontation physique où Alieu Kosiah est le seul homme noir présent.
Il continue sa liste avec la cinquième partie plaignante qui n’identifie pas Alieu Kosiah sur les planches, et désigne une autre personne. Cependant, il identifie Alieu Kosiah sur une photo récente.
Me Gianoli passe à la sixième partie plaignante qui n’identifie pas non plus M. Kosiah sur les planches, mais le fait comme par hasard quand on lui indique qu’il est dans la pièce.
Enfin, selon l’avocat, la dernière et septième partie plaignante a reconnu Alieu Kosiah sur les photos d’époque mais pas sur les photos actuelles. Comme toutes les autres il l’a prétendument reconnu lors de la confrontation physique où le prévenu est le seul homme noir présent.
Or, selon Me Gianoli, quand les plaignants reconnaissent soi-disant Alieu Kosiah sur les photos actuelles, il faut comprendre et savoir qu’une photo du prévenu a circulé dans les journaux au Liberia.
Pour l’avocat, la particularité des yeux d’Alieu Kosiah ou « pop eyes » qui concernent 4% de la population au Liberia, est mentionnée par toutes les parties plaignantes. Mais pourquoi alors, demande l’avocat, les parties plaignantes n’ont pas choisi la personne sur les planches photographiques avec les « pop eyes » ?
Me Gianoli demande également : pourquoi est-ce qu’Alieu Kosiah n’a-t-il pas été reconnu sur les planches photographiques ? La réponse est que les parties plaignantes ne l’avaient jamais vu ou rencontré.
L’avocat conclut en disant qu’en revanche, à l’unisson, toutes les parties plaignantes ont expliqué que la qualité de la photographie était mauvaise. Pourtant, les témoins de la défense ont tous reconnu Alieu Kosiah à la fois sur les photos récentes ainsi que sur les photos de l’époque.