Doute raisonnable : Gibril Massaquoi acquitté
Le Tribunal finlandais de district rejette toutes les charges contre l’ancien commandant et porte-parole du RUF
Aujourd'hui, le 29 avril 2022, le Tribunal du district de Pirkanmaa à Tampere en Finlande a rendu son verdict dans le procès de Gibril Massaquoi. M. Massaquoi, ancien commandant et porte-parole du Revolutionary United Front (RUF), accusé de crimes commis au Liberia entre 1999 et 2003, a été jugé pour meurtre, viol aggravé, crimes de guerre aggravés et violations des droits humains dans des circonstances exceptionnelles au Libéria entre 1999 et 2003, et ce durant la seconde guerre civile qu’a connu ce pays.
Le Tribunal de district a rejeté toutes les charges et a considéré qu’il existait un doute raisonnable sur le fait de savoir si le défendant avait commis les crimes dont il était accusé.
M. Massaquoi, de nationalité sierra-léonaise, était en détention depuis le 10 mars 2020. Il a été libéré le 16 février 2022.
Indépendamment du verdict, le procès de Gibril Massaquoi par les autorités judiciaires finlandaises reste, en soi, une étape historique pour la justice pénale internationale.
Le procès, qui a débuté initialement en février 2021, a duré près d'un an. Dans ce premier procès sans précédent, la Cour finlandaise s'est rendue deux fois au Libéria et une fois en Sierra Leone afin de faciliter l'audition de plus de 100 témoins.

La collaboration entre le Libéria et les autorités finlandaises a permis que les audiences de ce procès pour crimes de guerre se déroulent sur le sol libérien ; il s'agit là d'une étape majeure dans le rapport qu’entretient le pays avec son passé.
Tout acquittement est également le reflet d'un système de justice pénale équitable et fonctionnelle, garantissant à chacun le droit de se défendre devant un tribunal, dans le cadre d'une procédure impartiale, objective et transparente. Pour ce procès, les juges ont estimé que les preuves étaient insuffisantes afin de condamner M. Massaquoi et que la défense avait présenté un scénario plausible selon lequel M. Massaquoi n’était pas coupable.
L'affaire contre Gibril Massaquoi ne fut pas sans défi. En dehors du laps de temps écoulé – 20 ans – depuis les événements évoqués, les poursuites elles-mêmes ont été impactées par le mandat antérieur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), un tribunal des Nations Unies pour les crimes de guerre créé en réponse au conflit en Sierra Leone. M. Massaquoi avait été entendu comme témoin dans des procédures du TSSL. Il a en effet témoigné contre des membres de l'ancien Armed Forces Revolutionary Council (AFRC) de Sierra Leone - un groupe rebelle qui s'est allié aux rebelles du RUF à la fin des années 1990.
Malgré sa relocalisation qui lui a été accordée par le TSSL en 2008, M. Massaquoi n'a pas joui d’une immunité concernant les crimes qu'il aurait prétendument commis tant en Sierra Leone qu'au Liberia.
Deux décennies plus tard, le Liberia lutte toujours contre l'impunité. D'anciens seigneurs de la guerre occupent encore des postes à haute responsabilité dans le pays. Certains témoins craignent encore de témoigner. Lorsque le procès s'est déplacé au Libéria, les préoccupations relatives à la protection des témoins ont conduit à ce que les audiences se déroulent dans un lieu tenu secret, avec un nombre restreint de journalistes locaux et internationaux. Il est remarquable que, malgré les inquiétudes pour leur propre sécurité, tant de témoins aient eu le courage de raconter ce qu'ils ont vécu et vu.
Civitas Maxima et le Global Justice and Research Project (GJRP) croient les témoignages des victimes.
Ce procès a été particulier pour les deux organisations : Hassan Bility, Directeur du GJRP, avait déjà témoigné lors du procès de Charles Taylor en janvier 2009 en impliquant Gibril Massaquoi dans les actes de torture qu'il a subis en 2002. Il a de nouveau témoigné sur ces événements lors du procès de Gibril Massaquoi à Monrovia. Civitas Maxima et le GJRP soutiennent résolument Hassan Bility qui, pendant des années, a œuvré sans relâche en faveur de la justice.
Aujourd'hui, le monde observe avec horreur les atrocités commises en Ukraine alors que les acteurs internationaux et nationaux sont aux prises avec les défis que représentent le fait de tenter d’engager la responsabilité de ceux qui sont responsables de ces exactions. Le procès de Gibril Massaquoi nous rappelle que les juridictions nationales jouent un rôle essentiel en veillant à ce que les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité soient poursuivis, quelle que soit la nationalité des victimes et le temps écoulé depuis leur commission présumée.
Cette affaire fut complexe, présentant des conflits entremêlés avec un ancien témoin protégé d'un tribunal international. Toutefois, le procès Massaquoi deviendra certainement une référence importante sur les complexités concrètes de la compétence universelle. Le précédent finlandais sera sans nul doute aussi un cas-école important pour les autres pays qui s'engagent à respecter ce principe.
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