[10/11/2022] Jour 2: biographie de Kamara

Cette deuxième journée d’audience a été dédiée à la personnalité de Kunti Kamara.

Avant d’entendre les différents témoins, le président de la formation de jugement (le Président) a informé les parties que les autorités suisses ont donné leur accord de principe pour le prêt temporaire du détenu Alieu Kosiah. L’accord de ce dernier est néanmoins nécessaire pour procéder au transfèrement.

Audition de Stéphanie Thiébaut, enquêtrice de personnalité à l’Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale (APCARS) [TCP20]

L’enquêtrice a relaté son entretien d’octobre 2018 avec Kunti Kamara . Elle a indiqué que Kunti Kamara était né le 1er décembre 1974 à Kamplay City (Libéria), qu’il était marié et père d’une fille et d’un fils, issus de deux unions distinctes et âgés respectivement de 25 et 23 ans. Avant son interpellation, Kunti Kamara vivait seul à Évreux (Normandie) depuis octobre 2016. Il aurait vécu une enfance paisible jusqu’à ses 14 ou 15 ans, soit au moment où la guerre civile a éclaté. Sa mère a été tuée en 1989 lors d’une attaque du NPFL au cours de laquelle il aurait lui-même été blessé.

C’est à la suite de cet événement que Kunti Kamara s’est réfugié en Guinée où il est resté jusqu’à ses 17 ans. C’est au cours de cette période que serait né en lui un sentiment de révolte croissant le poussant à retourner au Libéria et rejoindre l’ULIMO pour combattre le NPFL. Il a combattu dans les rangs de l’ULIMO jusqu’en 1997, date à laquelle la première guerre civile a cessé. Kunti Kamara aurait alors été incité par le gouvernement de Charles Taylor à se rendre en Guinée pour se battre. Il y serait resté trois ans avant de rejoindre les Pays-Bas, où il a obtenu l’asile en 2001. Kunti Kamara est demeuré aux Pays-Bas durant douze ans et a obtenu la nationalité néerlandaise. Il y a travaillé en tant qu’électricien pour finalement rejoindre la Belgique, puis la France en octobre 2016 après un séjour de quelques mois en Guinée et au Libéria.

A son arrivé en France, il a d’abord été hébergé par Faliku Donzo (membre de l’association des libériens d’Évreux), puis par Marie Meledje, une femme ivoirienne rencontrée dans son quartier, et a bénéficié d’indemnités chômage. 

S’agissant de la personnalité de l’intéressé, l’enquêtrice a indiqué que Kunti Kamara s’envisageait comme une personne très serviable. Ce trait de caractère était apprécié de ceux qui le connaissaient. Ces derniers l’ont par ailleurs décrit comme quelqu’un d’intelligent et discret, de nature taiseuse et réservée. L’enquêtrice a indiqué qu’il était compliqué pour lui de se livrer sur son vécu.

La Cour questionne Stéphanie Thiébaut

Sur question du Président, l’enquêtrice a souligné l’importance de la religion musulmane dans la vie de Kunti Kamara, en se référant aux propos de son entourage. Ont également été évoquées les raisons pour lesquelles Kunti Kamara est retourné en Guinée après la fin de la première guerre civile. Ce dernier aurait indiqué qu’il était parti prévenir le gouvernement guinéen des velléités d’attaque de Charles Taylor.

Par ailleurs, le Président a questionné l’enquêtrice sur les raisons qui ont poussé Kunti Kamara à quitter les Pays-Bas. Celui-ci aurait ainsi indiqué avoir quitté les Pays-Bas en raison de (i) la barrière de la langue, (ii) la charge fiscale et (iii) l’impossibilité d’obtenir un regroupement familial.

La partie civile questionne Stéphanie Thiébaut

Sur question, l’enquêtrice a précisé que Kunti Kamara lui a indiqué qu’il avait rencontré sa première épouse Maddy dans le comté de Lofa. Leur fille est née en 1995 au Libéria. Kunti Kamara n’avait pas de désir d’enfant, mais souhaitait tout de même assumer sa paternité.

Le Ministère public questionne Stéphanie Thiébaut

Sur question l’enquêtrice a précisé qu’il était habituel que les personnes faisant l’objet de ses enquêtes lui fournissent que peu de noms de personnes à contacter. Les personnes contactées par ses soins en France n’ont pas évoqué le parcours de Kunti Kamara, car ce dernier ne livrait que peu d’éléments sur lui-même. Kunti Kamara ne lui a par ailleurs pas indiqué quels membres de sa famille il souhaitait rapatrier aux Pays-Bas.

La défense questionne Stéphanie Thiébaut

L’avocat de la défense a interrogé l’enquêtrice sur sa connaissance du contexte de la guerre civile au Libéria, que cette dernière a admis très peu connaître. L’avocat de la défense a enfin soulevé l’absence d’enquête de terrain au Libéria par l’enquêtrice, concluant qu’elle n’avait alors aucun moyen de vérifier l’exactitude des éléments recueillis.

Le Président donne lecture du témoignage de Faliku Donzo du 5 septembre 2018

Interrogé par les enquêteurs, Faliku Donzo a déclaré qu’il était un réfugié libérien, habitant à Évreux, issu également de l’ethnie des Mandingues. Il a été président de l’association des libériens d’Évreux. Kunti Kamara lui a été présenté à son arrivée à Évreux au cours de l’année 2017. Il l’a hébergé, nourri et assisté dans ses démarches administratives auprès des autorités françaises pendant 4 ou 5 mois. Lors de sa déposition, Faliku Donzo a évoqué le côté taiseux de Kunti Kamara qui ne dévoilait que très peu d’informations sur sa vie passée et personnelle.

Le Président donne lecture du témoignage de Mariama Keira du 5 septembre 2018

Mariama Keira était en contact avec Faliku Donzo. Elle a indiqué avoir connu Kunti Kamara par l’intermédiaire de ce dernier. Elle a fait état de la disponibilité de l’intéressé, qu’elle a décrit comme très généreux et toujours prêt à rendre des services. Elle a par ailleurs, elle aussi, évoqué son côté silencieux.

Audition de Layee Bamba, cité en qualité de témoin à la demande du Ministère public [TCD29]

Layee Bamba a été interrogé sur la personnalité de Kunti Kamara. Il a indiqué être natif d’une ville à proximité de Kamplay City et faire partie de l’ethnie mandingue. Il a rencontré Kunti Kamara pour la première fois à Évreux alors qu’il était président de l’association des libériens en France – pays où il se serait réfugié en 2001. Il a déclaré qu’il connaissait le grand frère de l’accusé à l’époque des faits.

La Cour questionne Layee Bamba

Sur question du Président, Layee Bamba a indiqué que sa famille a été victime du NPFL. Il a déclaré avoir considérablement assisté Kunti Kamara dans diverses démarches administratives en lien avec son arrivée en France et son départ précipité en 2018, et en particulier avec la délivrance en faveur de Kunti Kamara d’un faux laissez-passer guinéen pour lui permettre de rejoindre ce pays. Ce faux document a été retrouvé au domicile de Layee Bamba. Layee Bamba a aussi acheté un billet de bus à destination de Lisbonne (Portugal) pour Kunti Kamara. Layee Bamba a également indiqué avoir hébergé Kunti Kamara en septembre 2018, car ce dernier avait affirmé qu’il avait l’obligation de quitter le territoire français en raison d’un problème de séjour. Il avait des contacts réguliers avec Kunti Kamara.

Questionné sur la personnalité de l’accusé, Layee Bamba l’a dépeint comme un homme discret, de confiance, gentil et serviable. Layee Bamba a déclaré qu’il ignorait tout des exactions commises par Kunti Kamara. Layee Bamba a par ailleurs indiqué qu’il n’avait plus de contact avec le grand frère de Kunti Kamara et qu’il n’avait pas participé à la guerre civile.

La partie civile questionne Layee Bamba

Layee Bamba a confirmé que le frère de Kunti Kamara lui avait indiqué que ce dernier faisait partie de l’ULIMO. Layee Bamba a évoqué les massacres dont les mandingues ont été les victimes en premier. Il a indiqué ne pas avoir connaissance des crimes commis par le groupe ULIMO.

Le Ministère public questionne Layee Bamba

Layee Bamba a précisé qu’il avait vu Kunti Kamara au Libéria pour la dernière fois en 1990 et qu’il n’avait été le témoin de rien sur la vie et le parcours de Kunti Kamara au Libéria. Sur question, il a précisé l’acronyme de l’association dont il était président et sa signification : LIMAF, Liberian Mandingo Association in France. Il a dit qu’il n’avait pas créé cette association lui-même et qu’elle était destinée à l’accueil de tous les Libériens, pas uniquement les mandingues.

Interrogé au sujet des supposés « réseaux » établis au Libéria où les « gens » seraient « achetés » qu’il a évoqués précédemment, Layee Bamba a évoqué que ceux-ci faisaient écho à la corruption du personnel politique.

La défense questionne Layee Bamba

La défense a rebondi sur la problématique de la corruption et Layee Bamba a indiqué que tous les Libériens étaient « achetés ». Layee Bamba a enfin précisé que Kunti Kamara n’avait jamais eu l’intention d’échapper à son procès en France.

Audition de Mohamed Kenneh [TCD29].

Mohamed Kenneh s’est présenté comme étant l’ancien président de l’association des libériens de Normandie. Il a décrit l’accusé comme quelqu’un de « super » gentil et que toutes les personnes qui le connaissaient à Évreux s’accordaient sur ce point.

La Cour questionne Mohamed Kenneh

Mohamed Kenneh a dit qu’il se trouvait en Guinée lorsque la guerre civile a éclaté au Libéria et qu’il avait rencontré Kunti Kamara à Évreux. Sur question de la Cour, Mohamed Kenneh a affirmé très fermement que les accusations portées contre Kunti Kamara étaient fausses et que Kunti Kamara était « un bon ».

Interrogé sur la violation par Kunti Kamara des obligations assorties à son contrôle judiciaire, Mohamed Kenneh a confirmé qu’il avait fourni une attestation d’hébergement au tribunal selon laquelle Kunti Kamara résidait à son domicile.

La partie civile questionne Mohamed Kenneh

Mohamed Kenneh a corroboré le discours de Layee Bamba s’agissant de l’existence de réseaux corrompus et a confirmé qu’il savait que l’ULIMO était un groupe armé. 

Le Ministère public questionne Mohamed Kenneh

Mohamed Kenneh a répondu de manière confuse sur la question de l’identité des victimes des réseaux corrompus. Mohamed Kenneh a dit qu’il ne connaissait pas Kunti Kamara lorsque la guerre a éclaté et qu’il ne savait pas si ce dernier y avait participé. Il a indiqué que Kunti Kamara lui avait dit qu’il devait témoigner dans le cadre du procès d’Alieu Kosiah, que Layee Bamba a déclaré connaître de nom.

La défense questionne Mohamed Kenneh

La défense a rappelé que Mohamed Kenneh a hébergé Kunti Kamara lorsque ce dernier était sous contrôle judiciaire. Kunti Kamara est toutefois retourné chez lui au mépris de ses obligations. Mohamed Kenneh a expliqué que Kunti Kamara a dû retourner chez lui car Mohamed Kenneh recevait des invités de Guinée. Mohamed Kenneh a indiqué qu’il n’avait pas imaginé que cela puisse poser problème. Mohamed Kenneh a précisé que lorsque Kunti Kamara a appris que des policiers étaient venus chez Mohamed Kenneh, Kunti Kamara lui a demandé de le conduire au commissariat.

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L’interrogatoire de personnalité de Kunti Kamara s’est poursuivi.

Sur question du Président, Kunti Kamara n’a pas souhaité s’exprimer sur les témoignages des personnes qu’il a côtoyées à Évreux et dont le Président a donné lecture précédemment.

Le Président est revenu sur le contexte familial de Kunti Kamara. Ce dernier a confirmé avoir plusieurs frères et sœurs issus des mêmes parents, qui habitent aujourd’hui en Guinée et au Libéria où ils font du commerce. Il a indiqué avoir envoyé régulièrement des sommes d’argent à sa famille restée en Afrique, et être propriétaire d’une maison en Guinée où vit d’ailleurs sa sœur. Kunti Kamara a déclaré ne pas avoir revu sa famille depuis 2015, année au cours de laquelle il s’est rendu au Libéria pour célébrer son mariage traditionnel avec Massita Touré avant de retourner en Belgique pour des raisons professionnelles. Kunti Kamara a expliqué n’avoir jamais vécu avec son épouse et qu’un regroupement familial en Europe n’a pas été possible.

Kunti Kamara a ensuite confirmé être père de deux enfants de deux mères différentes, Fatou et Adama ; il a précisé qu’il ne conservait des contacts qu’avec sa fille Fatou.

Interrogé sur son enfance, Kunti Kamara a évoqué avoir été scolarisé dans une école musulmane et avoir étudié le Coran avec son père dès son plus jeune âge. Il a décrit son père comme un homme affectueux et soucieux de son éducation. Celui-ci est mort en 1984 et le reste de la famille a alors pu compter sur les ressources du frère aîné de sa mère. Kunti Kamara a dit avoir obtenu un certificat scolaire en 1988 à l’issue de son lycée.

Le Président a ensuite interrogé Kunti Kamara sur l’arrivée des troupes du NPLF dans le comté du Nimba où il résidait avec sa famille. Kunti Kamara a indiqué que plusieurs membres de sa famille ont été tués par le NPFL. Sa sœur et lui-même ont été blessés et ont fui en Guinée où ils ont rejoint le frère de son père. Les conditions de vie en Guinée étaient difficiles en raison des luttes intertribales. Kunti Kamara a déclaré avoir rejoint les rangs de l’ULIMO sous l’impulsion d’Alhaji Kromah, notamment pour défendre son ethnie persécutée au Libéria par les troupes de Charles Taylor.

Le Président a poursuivi l’interrogatoire sur la fin de la guerre. Le Président a confronté Kunti Kamara aux allégations d’un témoin ayant comparu devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, qui a prétendu qu’un colonel de l’ULIMO dénommé Kundi lui avait proposé de lui vendre des armes après la survenance du désarmement général des groupes armés en 1997. Kunti Kamara a réfuté catégoriquement. Il a déclaré par ailleurs avoir obtenu le grade de colonel en 1995 et qu’il était un simple civil après le désarmement. Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à fuir le Libéria pour la Guinée à l’issue du cessez-le-feu, Kunti Kamara a indiqué avoir cherché à prévenir les autorités guinéennes de la nouvelle mobilisation des troupes de Charles Taylor et de l’éventualité d’une intervention de celles-ci en Guinée.

Questionné sur son arrivée en Europe, Kunti Kamara a déclaré qu’il avait rejoint les Pays-Bas par bateau pour des raisons politiques. Confronté à ses déclarations contradictoires devant les services de l’immigration néerlandais, il a laissé entendre qu’il avait besoin de protection et qu’on lui avait dit que les gens « qui donnent une bonne histoire » étaient protégés. Il a obtenu l’asile politique, puis la nationalité néerlandaise en 2012.

Interrogé sur sa vie aux Pays-Bas, il a précisé avoir reçu une formation d’électricien lui ayant permis de travailler. Il a déclaré avoir quitté les Pays-Bas pour la Belgique car il n’avait plus d’emploi. Confronté aux déclarations qu’il a faites à l’enquêtrice, selon lesquelles il aurait quitté les Pays-Bas en raison de la barrière de la langue, la charge fiscale et l’impossibilité d’y faire venir sa famille, Kunti Kamara précise qu’il avait sollicité un regroupement familial, mais que ses amis lui avaient conseillé de venir en Belgique. Kunti Kamara a expliqué avoir conclu un contrat de durée indéterminée en Belgique, qui a été résilié à son retour de son séjour au Libéria et en Guinée.

Il a indiqué avoir décidé de se rendre en France sur invitation de Faliku Donzo. Confronté aux déclarations de Faliku Donzo selon lesquelles ce dernier ne connaissait pas encore Kunti Kamara à son arrivée en France, l’accusé a indiqué que beaucoup de gens ne voulaient pas dire la vérité et que Faliku Donzo l’avait invité à venir en France et aidé dans ses démarches administratives.

Le Président a ensuite interrogé Kunti Kamara sur sa fuite à Bobigny et son interpellation au début du mois de septembre 2018. Kunti Kamara a déclaré que plusieurs personnes l’avaient informé des rumeurs qui circulaient à son égard, selon lesquelles des membres de l’ethnie Kissi cherchaient à « mentir » sur lui et sur d’autres personnes mandingues.

Kunti Kamara a ensuite affirmé avoir voulu fuir au Libéria, en passant par la Guinée, et a déclaré “Je n’ai pas de problèmes avec le Libéria, personne ne me cherche là-bas“.

Le Président a ensuite rappelé que Kunti Kamara a été placé en détention provisoire le 6 septembre 2018 avant d’être libéré et mis sous contrôle judiciaire en raison d’un vice de forme. Son contrôle judiciaire était assorti de diverses obligations, dont celle de demeurer au domicile de Mohamed Kenneh, qu’il n’a pas respectée. Il a donc été replacé en détention provisoire à compter du 10 janvier 2020. Kunti Kamara a déclaré qu’il n’avait pas eu l’intention de s’échapper lorsqu’il était sous contrôle judiciaire, sinon il l’aurait fait.

Le Président est revenu sur le parcours carcéral de Kunti Kamara. Le Président a donné lecture des rapports de détention, qui font état de sa participation à des activités rémunérées (travail dans les cuisines) et non rémunérées (football, cours de FLE, sport), d’une bonne santé physique et mentale, et d’une absence totale de soutien ou de visite de personnes à l’extérieur.

La partie civile questionne Kunti Kamara

Interrogé sur la naissance de sa fille Fatou à Foya en 1995, Kunti Kamara a précisé qu’il n’avait pas pu y assister du fait de sa présence sur le front à Banga. Il a également indiqué qu’il était à Bomi au moment du désarmement en 1997. Questionné sur les visites qu’il recevait aux Pays-Bas, il a précisé s’être réuni avec Abu Keita et deux autres anciens combattants de l’ULIMO à Amsterdam, mais qu’il ne les considérait pas comme des amis.

Interrogé sur sa qualité de combattant dans les rangs de l’ULIMO, Kunti Kamara a tiré un parallèle avec la Seconde Guerre Mondiale et déclaré que tous les membres d’un groupe armé ne se rendent pas systématiquement coupables d’atrocités. Il a à nouveau clamé son innocence concernant les crimes dont il est accusé. Kunti Kamara a mis en garde contre les rumeurs qui courent à son sujet. Il a toutefois été relevé par l’avocat des parties civiles que Kunti Kamara avait omis de mentionner sa participation à l’ULIMO aux services de l’immigration néerlandais par crainte que sa demande d'asile soit rejetée.

Le Ministère public questionne Kunti Kamara

Sur question, Kunti Kamara a indiqué que les démarches de regroupement familial qu’il avait entreprises aux Pays-Bas concernaient son ex-compagne Maddy Kamara et sa fille Fatou. Il a par ailleurs précisé qu’il n’avait plus de contact avec la mère d’Adama.

Invité à réagir sur une phrase qu’il a prononcée lors d’une communication téléphonique au sujet de l’emprisonnement d’Alieu Kosiah (« Tu connais les mécréants, il faut qu’on le libère. J’avais le passeport néerlandais et j’étais citoyen néerlandais. J’étais là-bas, je travaillais là-bas, ils m’ont fait sortir de là-bas. Je suis venu par ici »), Kunti Kamara a dit ne pas s’en souvenir.

Interrogé sur le degré d’organisation dont il a fait preuve lors de sa fuite à Bobigny en 2018, Kunti Kamara n’a pas nié l’avoir organisée méticuleusement par peur des rumeurs qui circulaient à son égard. Il a déclaré qu’il n’avait initialement pas l’intention de fuir, mais que ses amis l’avaient prévenu que beaucoup de gens cherchaient à le faire tomber. Il a indiqué que c’était étrange d’entendre qu’on l’accusait d’actes qu’il n’avait pas commis. Il a expliqué avoir obtenu un faux laissez-passer délivré par l’Ambassade de Guinée car il craignait l’expiration de son passeport néerlandais et l’inscription de celui-ci dans un système de contrôle de l’immigration.

Questionné sur les différentes identités qu’il utilise pour son compte Facebook et l’adresse e-mail qui y est rattachée, il a expliqué utiliser les noms de membres de sa famille ou de ses amis, ce qui est commun au Libéria.

La défense questionne Kunti Kamara

Interrogé sur sa libération le 5 septembre 2019 et sur la gravité des charges qui pèsent contre lui, Kunti Kamara a déclaré qu’il avait conscience d’encourir une peine très lourde et qu’il aurait eu tout le loisir de partir en Afrique après sa libération sous contrôle judiciaire. Il a indiqué qu’il préférait néanmoins rester en France car il se savait innocent et était disposé à le prouver.

Audition de Philippe Oudy, psychologue

Lexpert Philippe Oudy a présenté le rapport d’expertise psychologique qu’il a dressé le 24 octobre 2019 suite à son entretien avec Kunti Kamara avec l’assistance d’un interprète.

L’expert a décrit Kunti Kamara comme une personne qui s’exprime sans méfiance ni réticence et qui se montre sensible à l’intérêt qu’on lui porte et soucieux de se montrer sous son jour le plus favorable. Ses repères parentaux sont très insuffisants et perturbent son équilibre relationnel. L’intéressé ne montre aucun dysfonctionnement sur le plan intellectuel susceptible d’altérer sa perception de la réalité. Sa capacité de raisonnement et de jugement paraissent en outre suffisantes. Il est présenté comme capable de tenir un discours précis et circonstancié. Son attention et sa mémoire ne sont pas présentées comme déficitaires. L’expert a objectivé l’existence de mécanismes de défense et d’adaptation importants, et a relevé la particulière inexpressivité des affects de l’intéressé relativement à son parcours de vie.

La Cour questionne Philippe Oudy

Interrogé sur l’insuffisance de repères parentaux de Kunti Kamara, l’expert a précisé que cela induit chez lui une difficulté d’affirmation de soi et des difficultés relationnelles.

Interrogé relativement à la peur que Kunti Kamara a affirmé avoir à l’égard des femmes, l’expert a estimé que l’intéressé semblait relativement ambivalent à ce sujet, puisqu’il a plusieurs femmes dans sa vie.

Le Ministère public questionne Philippe Oudy

Au sujet du décalage entre les faits atroces et l’image qui est donnée de Kunti Kamara par son entourage, l’expert a affirmé que la méthode de Rorschach n’a pas permis de démontrer en l’espèce une agressivité latente chez l’intéressé. L’expert a confirmé avoir déjà observé ce décalage dans d’autres expertises.

La défense questionne Philippe Oudy

Interrogé sur la méthode de Rorschach, l’expert a indiqué qu’il s’agissait d’un test extrêmement classique et assez ancien, pratiqué partout dans le monde. Sur question, l’expert a confirmé que Kunti Kamara n’avait pas évoqué la guerre civile lors de leur entretien. L’expert a par ailleurs confirmé que l’entremise d’un interprète était susceptible de causer des déperditions de certains ressentis et qu’il n’avait pas l’habitude d’expertiser des personnes africaines qui parlent anglais.

L’expert a confirmé que Kunti Kamara s’était montré soucieux de donner une image favorable de lui-même en raison de l’affirmation forte de sa personnalité, niant catégoriquement chacune des accusations, ce qui est courant dans ce genre d'affaires.

Audition du Dr Daniel Zagury, psychiatre

L’expert Daniel Zagury a présenté son rapport d’expertise psychiatrique réalisé le 23 avril 2019 après avoir examiné Kunti Kamara le 6 avril 2019 avec l’aide d’un interprète.

L’expert a décrit une personne plutôt à l’aise et soucieuse d’offrir la meilleure image d’elle-même et de son parcours de vie, répondant aux questions de manière circonstanciée et détaillée. Kunti Kamara a sauvegardé son contrôle émotionnel tout au long de l’examen. L’intéressé ne présente pas d’état dépressif ou de morosité. Il a dit ne pas comprendre les accusations portées contre lui et a évoqué de faux témoignages qui permettent à ceux qui les profèrent d’obtenir l’asile en Europe.

Kunti Kamara a été présenté comme une personne attachée à des valeurs familiales et religieuses fortes. Selon l’expert, la force de son engagement pour son peuple spolié et son ethnie contrainte à l’exil, est central dans son récit. L.’expert l’a interprété comme une légitimation de son engagement au service d’une cause juste. L’expert a noté une grande réserve chez Kunti Kamara à montrer ses émotions et sentiments, ce qui est une caractéristique de la culture africaine, ainsi qu’une impossibilité à reconnaître ses défauts et contradictions. Kunti Kamara a décrit son parcours de guerre à l’expert de façon détachée, sans expression émotionnelle et a affirmé n’avoir jamais été mu par la vengeance. Il a fait état d’un parcours heureux qui s’est brutalement achevé avec le décès de sa mère.

Selon l’expert, Kunti Kamara ne présente aucune pathologie psychologique et sa responsabilité pénale devrait être considérée comme entière. L’expert ne décèle aucune pathologie psychiatrique et n’estime pas que Kunti Kamara présente un état dangereux au sens psychiatrique de nature à compromettre l’ordre public ou la sûreté des personnes.

L’expert relève une discordance entre l’horreur des faits présumés et la personnalité ordinaire de Kunti Kamara évoquant l’idée d’une parenthèse historique. Selon l’expert, le crime devient aisé à commettre dans certaines circonstances (contexte historique, inversion des valeurs, commission des actes au nom de l’obéissance). L’expert a évoqué l’idée d’une légitime défense anticipée qui exempte l’auteur de toute culpabilité, ainsi qu’une chosification des victimes qui conduit à l’indifférence à l’autre. L’expert en conclut que des personnes ordinaires qui n’ont pas une propension à ce type d’actes peuvent commettre de telles atrocités.

L’expert note que dans le cas où les charges sont confirmées, la négation du passé est courante puisque les atrocités sont circonscrites à une parenthèse historique précise. Une fois cette parenthèse fermée, l’intéressé se reconstruit dans la négation de son passé criminel.

La Cour questionne le Dr Daniel Zagury

Sur question, l’expert a précisé que Kunti Kamara n’a pas évoqué de légitime défense, mais qu’il s’agit d’une interprétation donnée par l’expert. L’expert a ajouté que l’élément le plus constant dans le récit de Kunti Kamara était la menace pesant sur son ethnie.

La partie civile questionne le Dr Daniel Zagury

Interrogé sur les justifications des crimes, l’expert a indiqué qu’on entendait souvent les prévenus se prévaloir d’un complot à leur encontre fomenté par des personnes qui, elles, auraient des choses à cacher.

Le Ministère public questionne le Dr Daniel Zagury

Sur question, l’expert a confirmé qu’il avait souvent rencontré cette idée de complot. Interrogé sur les affects exprimés par Kunti Kamara, l’expert a noté une grande réserve à montrer ses émotions et sentiments, mais également une certaine difficulté à reconnaître ses défauts et contradictions. 

La défense questionne le Dr Daniel Zagury

L’expert, interrogé à ce sujet, a indiqué que l’apparente absence d’affect de l’intéressé ne signifiait pas une insensibilité à l’égard des événements, mais s’apparentait plutôt à une caractéristique culturelle très présente dans la culture africaine.

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