[10/14/2022] Jour 5 : les premières victimes témoignent
Cette 5ème journée d’audience a été dédiée aux auditions des parties civiles et des témoins en lien avec les faits commis à Foya en 1993 au préjudice de DN.
Audition MN en tant que partie civile
Avant d’entendre MN, le Président a rappelé que cette dernière a été entendue par les enquêteurs libériens, puis par le juge d’instruction français. MN a confirmé être la veuve de DN et la mère de AN.
MN a indiqué qu’elle était à Foya lorsque son mari et elle-même ont entendu des tirs un soir. Ils ont décidé de se réfugier dans la brousse avec leurs enfants. Pour se nourrir, ils devaient aller chercher à manger dans le village. DN lui a dit de rester avec les enfants et s’est rendu seul au village. MN n’a pas vu son mari de la journée. Après avoir cuisiné pour ses enfants, elle est partie à sa recherche.
MN a raconté qu’au village, il y avait une réunion avec tout le monde, car les gens venaient chercher de la nourriture. Quand elle passait, les gens la regardaient et se mettaient à chuchoter entre eux. Elle a alors demandé ce qui se passait avec son mari. On lui a raconté que des gens étaient arrivés à Foya et cherchaient un interprète. Ces gens ont demandé qui avait détruit les hôpitaux et les cliniques et son mari leur aurait répondu que c’était l’ULIMO. On lui a dit que son mari avait été torturé, massacré, coupé en morceaux et qu’ils avaient mangé son cœur. MN a déclaré qu’elle pleurait et qu’elle avait demandé aux gens de lui montrer comment son mari avait été tué. Les gens lui auraient raconté que les bras, les jambes et les pieds de DN avaient été découpés et mis dans une bassine.
MN a déclaré avoir ensuite perdu sa fille AN. Elle s’est rendue en Guinée et a cherché des compatriotes pour obtenir des informations. Elle a rencontré son frère et l’a interrogé au sujet de sa fille et de son mari. Son frère lui a dit que DN avait été attaché et enterré et que ses liens n’avaient pas pu être coupés. MN a continué à chercher sa fille et s’est rendue en Sierra Leone. Des blancs lui ont présenté des photos et elle a reconnu sa fille. Les blancs ont alors pris une photo de MN pour la montrer à AN. C’est de cette manière que DN a retrouvé sa fille après l’avoir cherchée pendant trois ans et avoir pleuré tous les jours. DN a terminé sa déclaration en disant que son mari l’aimait beaucoup et qu’il prenait soin de la famille. Elle a ajouté qu’aujourd'hui, elle ne pouvait plus voir son mari et que c’était très dur.
La Cour questionne MN :
Sur questions du Président, MN a précisé que son mari était enseignant au sein d’une mission évangélique et a confirmé qu’il était cultivé, parlait anglais et pouvait traduire le Kissi. Elle a indiqué que DN n’avait rien à voir avec le NPFL et ne savait pas manier les armes.
Interrogée sur la personnalité de son mari, MN a indiqué qu’il était franc et aimant. MN a ensuite répondu sur la nature de leur mariage, qui consistait en un mariage traditionnel et non civil, et indiqué qu’ils avaient eu six enfants ensemble, dont AN qui était une jeune fille au moment des faits. Questionnée sur leur vie quotidienne, MN a indiqué que son mari allait enseigner pendant qu’elle se rendait dans les marchés locaux. Elle a confirmé qu’elle était toujours agricultrice à Foya.
Le Président a rappelé que lors de sa première audition, MN avait indiqué que des blancs étaient venus pour se renseigner sur la destruction de la Borma Mission. Sur question du Président, MN a déclaré qu’elle ne savait pas s’il s’agissait d’une ONG et qu’elle avait seulement vu des blancs. Elle a par ailleurs confirmé qu’au moment des faits, elle était cachée dans la brousse et n’a donc pas été témoin de la mort de son époux. Elle a aussi confirmé que ce dernier était allé donner à manger à sa mère aveugle.
Questionnée sur ses précédentes déclarations selon lesquelles son mari était resté deux ou trois jours dans un poste de police, MN a confirmé qu’elle ne savait pas exactement ce qui s’était passé et que ces éléments lui avaient été rapportés. Elle a par ailleurs confirmé qu’elle n’avait pas vu le corps de son époux, mais savait que ce dernier était enterré sur la piste d’atterrissage de Foya.
Confrontée à ses précédentes déclarations selon lesquelles elle aurait pu choisir le lieu où son mari avait été enterré, MN a indiqué que plusieurs personnes avaient été enterrées au même endroit.
Interrogée sur le nom de CO Kundi qu’elle a évoqué dans ses précédentes déclarations, MN a indiqué avoir entendu les gens prononcer le nom de CO Kundi et en avoir conclu que c’était lui qui avait donné l’ordre d’exécuter son mari, mais a précisé de l’avoir jamais vu. Questionnée sur la description peu ressemblante qu’elle avait donnée de Kunti Kamara, MN ne s’est pas souvenue l’avoir décrit mais avoir dit qu’elle ne pourrait pas le reconnaître sur une photo. Interrogée sur les noms d’autres commandants ULIMO dont elle se souvient, MN a cité le nom de Saah Chuey.
MN a par ailleurs confirmé avoir été élue présidente de l’association des femmes ayant perdu leurs maris à son retour au Libéria et a indiqué vivre avec un autre homme. Interrogée sur ses attentes vis-à-vis de ce procès, MN a déclaré que ses enfants souffraient beaucoup et qu’ils avaient besoin d’aide.
Questionnée sur la CVR, MN a indiqué avoir été entendue par la CVR et avoir signalé son envie de témoigner. Elle a confirmé avoir été approchée par les autorités libériennes avant d’être entendue par les enquêteurs français. Interrogée sur les autres crimes dont elle a connaissance, DN a indiqué que TKo, le père de RK, avait été tué.
La partie civile questionne MN :
Réinterrogée sur le lieu où son mari a été enterré, MN a confirmé ne pas l’avoir choisi et a indiqué que ce dernier avait été enterré là où il avait été tué. Elle a précisé que son frère lui avait dit qu’il n’avait pas été possible de l’emmener ailleurs et qu’à cet endroit se trouvait désormais la Palava Hut.
Réinterrogée à propos de ses attentes concernant ce procès, MN a exprimé sa grande souffrance, ainsi que celle de ses enfants, qu’elle espère que le procès puisse apaiser.
Invitée à raconter un souvenir heureux avec son défunt mari, MN a évoqué des moments de partage lorsqu’ils cuisinaient et mangeaient ensemble.
Le Ministère public questionne MN :
MN a confirmé qu’elle et son mari appartenaient à l’ethnie Kissi et que les Kissis étaient majoritaires à Foya à l’époque de faits.
Interrogée sur les signes distinctifs des troupes de l’ULIMO, MN a décrit des visages grimés à la craie et un tissu rouge attaché autour de la tête. Elle a affirmé que ces hommes s’étaient présentés comme étant des membres de l’ULIMO lorsqu’ils sont venus la chercher dans la brousse.
Sur question, MN a indiqué qu’elle ne s’était pas rendue au commissariat à son retour au Libéria pour dénoncer la mort de son mari, car cela coûtait de l’argent.
La défense questionne MN :
L’avocate de la défense a interrogé MN sur le délai de deux jours durant lequel son mari aurait été détenu selon ses déclarations devant le juge d’instruction. A la question de savoir s’il s’était passé deux jours entre le moment où MN a appris que son mari avait été arrêté et le moment où elle a appris que son mari avait été tué, MN a répondu qu’elle ignorait l’heure à laquelle DN était décédé mais qu’elle pensait que deux jours s’étaient écoulés entre son arrestation et son décès.
MN a ensuite confirmé la présence d’un autre groupe armé à Foya avant l’arrivée de l’ULIMO, qu’elle n’est pas en mesure d’identifier comme étant le NPFL. Elle a indiqué que le seul groupe qui s’était présenté à elle était l’ULIMO.
* * *
Le Président a brièvement donné la parole à Kunti Kamara, qui souhaitait intervenir. Ce dernier a affirmé ne connaître ni MN ni les personnes auxquelles cette dernière a fait référence dans sa déclaration.
Audition de AN en tant que partie civile
AN a confirmé être la fille de MN et de DN. Elle avait entre 10 et 11 ans à l’époque des faits. Elle a expliqué qu’un groupe était arrivé dans le quartier où elle vivait avec sa famille et que le groupe a convoqué une réunion à laquelle elle a participé. Rien de mal ne s’y est passé. Elle a raconté que le général Fayah était le chef et est entré dans la ville. Il prenait des animaux pour les manger, mais n’a tué personne. AN a indiqué qu’un deuxième groupe est ensuite arrivé et s’est présenté comme l’ULIMO, les poussant à fuir dans la brousse. L’ULIMO a convoqué une réunion, à laquelle certaines personnes ont assisté. Elle a raconté que son père et sa mère la laissaient seule à la maison avec ses frères et sœurs pour aller chercher à manger. Un jour, son père est sorti seul et n’est pas rentré. Sa mère est également partie et AN n’a plus revu ses parents. AN a fui à son tour.
Elle a raconté avoir été arrêtée par un groupe armé et avoir subi un viol. Elle a alors pris le chemin de la brousse et rejoint Macenta où elle coiffait des gens pour avoir à manger. Sur place, elle a entendu que la Croix-Rouge cherchait des enfants. En 2000, elle est partie dans une autre ville pour trouver les bureaux de la Croix-Rouge. Les membres de l’organisation l’ont prise en photo et lui ont montré une photo de sa mère qu’elle a reconnue.
AN a alors été emmenée chez sa mère et les deux ont rejoint le Lofa en 2001. AN a également évoqué avec émotion avoir entendu parler de la mort de son père avant de retrouver sa mère. Elle a indiqué qu’elle ne pouvait plus vivre à Foya, car elle pensait que c’était mieux pour elle de vivre ailleurs, et a donc quitté sa famille.
Elle a précisé avoir entendu parler de la CVR, mais qu’elle n’avait pas souhaité parler de la mort de son père, car cela ne le ferait pas revenir à la vie. AN a ensuite déclaré que ce qui s’était passé à Foya n’était pas comparable avec les atrocités commises dans d’autres pays. A Foya, les gens ont été découpés en morceaux, jetés dans de l’eau bouillante. On obligeait les villageois à regarder des gens se faire décapiter. AN a déclaré que la seule chose qui pouvait aider le peuple libérien était que justice soit rendue et qu’elle ne souhaitait à personne de vivre le même genre d’expériences que celles qu’elle a vécues.
La Cour questionne AN :
Interrogée au sujet des deux groupes qu’elle a mentionnés, AN a confirmé que c’était l’ULIMO, soit le deuxième groupe, qui était à l’origine du décès de son père. Questionnée sur les noms des dirigeants de l’ULIMO, AN a indiqué se souvenir des noms de Saah Chuey ou Ugly Boy et de Kundi. Elle a par ailleurs confirmé ne pas avoir été témoin oculaire du décès de son père et avoir été violée à l’âge de 10 ou 11 ans. Sur question, elle a indiqué que les gens qui l’avaient violée appartenaient selon elle à l’ULIMO.
Elle a confirmé avoir mis plus de trois ans à retrouver sa mère en Sierra Leone. Interrogée sur sa relation avec son père, elle a déclaré que DN était un père présent et aimant. Elle a par ailleurs confirmé être déterminée à ce que justice soit rendue, bien qu’il soit difficile de remuer de tels souvenirs.
La partie civile questionne AN :
Interrogée sur les conséquences de la mort de son père sur sa vie, AN a déclaré avoir eu beaucoup de problèmes et qu’elle éprouvait toujours des difficultés à en parler. Elle a insisté sur son besoin d’obtenir justice.
Le Ministère public questionne AN :
A la demande des avocates générales, AN a produit une photo de son père qui a été projetée dans la salle d’audience.
Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle a fui dans la brousse à l’arrivée de l’ULIMO, AN a expliqué avoir fui en raison des tueries.
La défense n’a pas eu de questions.
Audition de DFB en qualité de témoin cité par le Ministère public
DFB a confirmé être l’ex-beau-frère de DN et l’oncle d’AN. Il a expliqué que le 1er août 1993, des soldats de l’ULIMO l’avaient trouvé dans un village voisin. Le lendemain, ils l’avaient amené en compagnie d’autres personnes à Foya. A leur arrivée, d’autres personnes étaient déjà sur place, dont Ugly Boy, et une réunion a été convoquée. DFB a indiqué que si quelqu'un était désigné lors de la réunion, il était tué. Ugly Boy a fouillé DFB et d’autres individus et les a emmenés dans un endroit où ils ont été contraints de rester. Il a expliqué que des membres de l’ULIMO les avaient identifiés pour les tuer et avaient visité des lieux spécifiques du village, notamment des écoles, la centrale électrique et d’autres lieux où se trouvaient les gens importants. [L’avocate de la partie civile a soulevé des manquements dans la traduction des propos du témoin, qui aurait notamment mentionné la Borma Mission].
DFB a déclaré que lorsque les soldats ULIMO ont visité ces lieux, ils ont capturé DN, puis l’ont attaché et enfermé dans une maison du village. DFB a raconté qu’il lui était impossible de rendre visite à DN, car il risquait de se faire attraper et d’être forcé à marcher sur de longues distances pour porter des choses lourdes. Un enfant du village avait ainsi été chargé de vérifier régulièrement si DN était toujours présent et de lui apporter de la nourriture, jusqu’à trois fois dans la journée. Un jour, l’enfant a rapporté à DFB que DN avait été emmené sur la piste d’atterrissage et avait été assassiné.
DFB a expliqué que des personnes du village et lui-même avaient cherché le corps de DN pour l’enterrer, en vain. Finalement, une fille du village s’est rendue auprès de la femme de DFB et lui a dit avoir trouvé le corps à proximité de la maison de Ugly Boy. DFB a demandé à sa femme de vérifier s’il s’agissait bien du corps de DN. DFB a indiqué que le corps commençait à sentir mauvais et qu’il avait demandé l’autorisation de l’enterrer.
DFB a trouvé le corps de son beau-frère « attaché et couché sur le dos ». Il a tenté de couper les fils de fer qui entravaient DN, creusé un trou et demandé à ce que les vêtements de DN lui soient apportés. DFB a indiqué que la personne qui se trouvait là avait commencé à le menacer. Il s’est alors dépêché d’habiller DN et de l’enterrer.
La Cour questionne DFB :
DFB a confirmé qu’il s’agissait bien des troupes de l’ULIMO qui se trouvaient à Foya au moment des faits en 1993. Interrogé sur les noms d’autres responsables de l’ULIMO qu’il connaissait outre Ugly Boy, DFB a notamment cité le nom de Mami Wata et a confirmé se souvenir de C.O. Kundi.
Sur question, il a précisé qu’il avait été emmené dans l’ancien poste de police, qu’il connaissait sous le nom de S2 pendant la guerre, et que tous les policiers avaient pris la fuite. Chaque personne devait s’y rendre et donner son nom.
Interrogé sur ses déclarations selon lesquelles il a fait passer de la nourriture à DN par l’intermédiaire d’un enfant alors que DN était retenu captif par l’ULIMO, DFB a maintenu que DN avait été détenu plusieurs jours avant d’être tué. DFB a par ailleurs confirmé que l’enfant avait pu communiquer avec l’intéressé lors de ses visites. Il a indiqué avoir confiance en l’enfant et n’a pas remis en doute sa version des faits.
Le Président s’est alors étonné du fait que DFB ait indiqué avoir retrouvé le corps de DN dans un état de putréfaction alors qu’il serait visiblement mort le troisième jour de sa détention. DFB a précisé qu’il y avait des mouches, mais que l’odeur n’était pas insoutenable.
Invité à décrire l’état du cadavre lors de sa découverte, DFB a indiqué que DN présentait des blessures sur tout le corps, dont une longue plaie sur la poitrine, et qu’il avait les bras attachés derrière le dos. Il a précisé qu’il n’avait pas vu si le cœur de DN était encore dans sa poitrine car les chairs étaient gonflées. Il a affirmé avoir pu identifier sans équivoque le corps de son beau-frère. DFB a confirmé qu’un soldat de l’ULIMO était présent lors de l’enterrement pour surveiller DFB et ses amis. Le soldat s’est impatienté lorsque DFB a voulu rhabiller DN, de sorte que DFB a dû se contenter de déposer les vêtements sur le corps de DN avant de le recouvrir de terre. DFB a déclaré que le corps était toujours enterré au même endroit, à proximité de la Palava Hut.
Interrogé au sujet de sa sœur, DFB a indiqué ignorer si cette dernière avait vu le cadavre de son époux, puisque tout le monde s’est caché dans la brousse à l’arrivée des troupes de l’ULIMO. Il a indiqué avoir retrouvé sa sœur en Guinée, où il est resté jusqu’en 1997.
Questionné sur les abus dont il a été lui-même victime, DFB a évoqué la crainte que suscitait l’ULIMO au sein de son quartier. Il a déclaré que les soldats de l’ULIMO les attrapaient, lui et les autres villageois, et les forçaient à acheminer des machines et d’autres charges lourdes en Guinée où l’ULIMO faisait du commerce.
Interrogé sur les autres crimes dont il a été témoin, DFB est revenu sur les réunions organisées par l’ULIMO, lors desquelles les personnes désignées étaient assassinées et découpées en morceaux « comme on découpe les animaux ». Les morceaux étaient ensuite mis dans des brouettes afin d’être distribués à la population. DFB a déclaré que lorsqu’une réunion était convoquée, il fallait s’attendre à trouver des cadavres le lendemain. Invité à désigner les responsables de ces atrocités, DFB a notamment évoqué Ugly Boy, que les villageois surnommaient Saah Chuey car ce dernier avait toujours une hache sur lui.
Interrogé sur les motivations de l’ULIMO, DFB a indiqué que les exactions étaient commises dans un esprit de vengeance à l’égard du NPFL et que, dans la mesure où certaines personnes avaient rejoint les rangs du NPFL, les ULIMO ont considéré que tout le monde était concerné.
DFB a également évoqué les checkpoints aux entrées du village, où les passants étaient forcés de saluer des têtes décapitées disposées sur des piques, et les marches forcées lors desquelles ceux qui se disaient fatigués étaient exécutés. Enfin, il a évoqué l’exécution de TKo, considéré comme un traître par l’ULIMO puisqu’il n’est pas parvenu à convaincre les jeunes hommes de revenir en ville.
La partie civile questionne DFB :
Sur question, DFB a précisé que lors des réunions, certains habitants de Foya ont été accusés d’être membres du NPFL et ont été tués. Selon DFB, l’appartenance à l’ethnie Kissi n’entrait pas en ligne de compte lors des tueries, puisque certains membres de l’ULIMO étaient des Kissis. Il a précisé qu’il y avait des Kissis aussi bien dans l’ULIMO que dans le NPFL et que certains civils avaient rejoint l’ULIMO de manière volontaire alors que d’autres avaient été forcés.
Questionné sur la destination des marches forcées, DFB a évoqué la Makona River et Guéckédou. Il a par ailleurs confirmé avoir entendu parler de Solomba.
Au sujet des câbles qui entravaient DN, il a déclaré qu’il s’agissait de câbles électriques en fer et a confirmé ne pas avoir réussi à les couper sous la pression du soldat de l’ULIMO qui s’impatientait.
Le Ministère public questionne DFB :
Interrogé sur le couvre-feu instauré par l’ULIMO, DFB a indiqué que le couvre-feu commençait à 16h et durait jusqu’à 10h. Durant le couvre-feu, des soldats patrouillaient pour tuer tout civil ne respectant pas la mesure. L’avocate générale a alors donné lecture d’un passage d’un article publié par le journal The Inquirer relatant les exécutions sommaires des civils ayant enfreint le couvre-feu et le fait que Foya était considéré comme un no man’s land par l’ULIMO.
Invité à donner des précisions sur le bureau S2, DFB a indiqué que tous les civils attrapés dans la brousse devaient s’y rendre, afin d’être fouillés et questionnés par les responsables de l’ULIMO.
Interrogé sur les déclarations de sa sœur selon lesquelles à leur arrivée, les troupes de l’ULIMO ont rassemblé la population pour la rassurer en disant que tout allait bien se passer, DFB a confirmé que c’était ce que l’ULIMO disait, mais qu’en réalité, les choses ne se passaient pas bien. Il a par ailleurs déclaré s’être fréquemment caché dans la brousse pour échapper à l’ULIMO et indiqué sur question que tout le monde avait peur des gens qui portaient des armes. Il a précisé qu’il ne s’était pas engagé dans un groupe armé pendant la première guerre civile, mais qu’il prenait soin de ses parents et se rendait à l’école.
Interrogé sur C.O. Kundi, DFB a indiqué avoir entendu son nom, mais ne l’avoir jamais vu de ses propres yeux à l’époque.
Questionné sur les transports de marchandises, il a précisé que les marches forcées étaient ordonnées par les soldats de l’ULIMO et que les villageois réquisitionnés n’étaient pas payés pour faire ces transports.
La défense questionne DFB :
Questionné sur le déroulement des événements à l’arrivée du NPFL, DFB a indiqué que les soldats NPFL avaient demandé aux civils de revêtir un tissu rouge autour du bras, ce qui était un signe d’appartenance au gouvernement de Samuel Doe. Il a ajouté avoir vu notamment deux personnes se faire tuer après avoir été accusées de sorcellerie.
Interrogé par l’avocate de la partie civile sur l’implication de Kundi dans les actes de torture infligés à DN, DFB a indiqué que l’enfant en charge d’apporter de la nourriture à DN lui avait rapporté que Kundi avait libéré DN. DFB a néanmoins compris que DN n’avait pas été libéré, mais avait été tué, puisqu’il n’était pas rentré à la maison.
Audition de TFT en qualité de témoin cité par le Ministère public
Avant de donner la parole à TFT, le Président a précisé que ce dernier avait été entendu par Patrick J. Massaly le 26 avril 2019 dans le cadre de la commission rogatoire internationale délivrée par les autorités françaises. TFT est né le 14 mai 1966 et est agriculteur. Il a confirmé être le fils de l’ancien chef de Foya, TT, et porte-parole de Global Justice.
TFT a d’abord déclaré que pour le peuple libérien, la dignité humaine et les droits humains avaient été perdus, mais que le fait de pouvoir témoigner dans le cadre de ce procès faisait « revenir [son] bonheur ». Il a ensuite relaté l’arrivée des troupes de l’ULIMO à Foya et sa fuite dans la brousse. Certains de ses amis avaient prévu de rejoindre la frontière avec la Sierra Leone, mais lui ne souhaitait pas laisser sa mère seule, raison pour laquelle il avait prévu de s’installer dans un village voisin. Deux jours plus tard, il a vu des personnes s’introduire dans la ville avec des armes et ordonner aux habitants de se rendre à Foya. Ce groupe était dirigé par Ugly Boy, dont le vrai nom était Talata Sheriff. En chemin, il a déclaré avoir vu cinq cadavres, dont un qu’il avait reconnu.
A Foya, des réunions étaient organisées tous les jours au quartier-général de l’ULIMO. Lors de la première réunion, deux frères ont été forcés à manger une soupe à base de chair humaine. Lors de la seconde réunion, l’oncle de TFT a été battu à mort. En deux jours, TFT a indiqué avoir perdu quatre personnes qui lui étaient chères. Il a en outre mentionné des jeunes femmes qui avaient été tuées par Chinese Killer en raison de leurs liens présumés avec des soldats du NPFL.
Il a également relaté l’assassinat de neuf personnes, quatre rebelles et cinq civils, commis devant une mosquée et a expliqué que les corps avaient ensuite été mis dans des brouettes avec des écriteaux « Meat for sale ». TFT a indiqué que certains soldats de l’ULIMO n’étaient cependant pas dépourvus de toute empathie, puisque l’un deux avait empêché un autre soldat de forcer TFT à réparer une radio.
TFT a ensuite expliqué que dans les semaines qui ont suivi l’arrivée de l’ULIMO, Kunti Kamara a souhaité forcer TT à revenir. Pour ce faire, un groupe de soldats de l’ULIMO est parti à sa recherche avec TFT, ainsi que quatre autres personnes de la famille de TT. Il a précisé que le groupe était notamment composé de Kunti Kamara, Thompson, Johnson, Lion and Mountain. C’est lors de cette expédition que le grand-frère de TFT aurait été tué sur ordre de Kunti Kamara. TFT a également vu un soldat ULIMO dénommé Rambo tuer un vieil homme en chemin. Il a par ailleurs raconté avoir vu des têtes plantées sur des pics à l’entrée des villages. TFT s’est dit très affecté par les atrocités dont il a été témoin et déclaré qu’il faudrait des jours pour raconter tous les crimes commis par l’ULIMO.
A l’issue de ce témoignage, le Président a précisé que certains des faits décrits par TFT n’avaient pas été poursuivis en l’absence d’éléments permettant de les caractériser.
La Cour questionne TFT :
Sur question du Président, TFT a précisé que son père TT était le chef de la communauté Kissi toute entière. Le Président a précisé que TT faisait partie du Conseil d’État et a synthétisé le témoignage de TFT en indiquant que TT s’était enfui dans la brousse à l’arrivée de l’ULIMO et que le groupe armé avait ensuite demandé à ses fils d’aller le chercher pour le faire revenir. TFT a confirmé que c’était à cette occasion que l’un de ses frères avait été tué par Prince Thompson, sur ordre de Kunti Kamara.
Interrogé sur ses précédentes déclarations selon lesquelles Kunti Kamara avait tué un vieil homme, TFT a confirmé qu’un vieil homme avait été tué précédemment par Kunti Kamara, puis qu’il avait été témoin oculaire du meurtre d’un autre vieil homme commis par Rambo.
Le Président a ensuite questionné TFT sur son oncle OP qui aurait été emprisonné à la même période que DN. TFT a précisé qu’il n’était pas présent lors de l’arrestation de DN, mais qu’il vivait avec son oncle et que ce dernier lui avait effectivement rapporté que DN avait été arrêté alors que lui-même avait donné de l’argent aux soldats pour être libéré.
Sur question du Président, TFT a indiqué que Kunti Kamara avait entre 4 et 6 gardes du corps, âgés de 14 à 17 ans, dont l’un se faisait appeler Saddam Hussein. Il a ajouté que Kunti Kamara était âgé d’une trentaine d’années à l’époque des faits, ce qui ne correspondait pas à ses précédentes déclarations. Interrogé par le Président, TFT a indiqué reconnaître formellement Kunti Kamara dans le box des accusés.
Sur question du Président, TFT a enfin confirmé avoir recueilli les confidences de FG au sujet du meurtre de KT.
La partie civile questionne TFT :
Sur question, TFT a précisé que le quartier général de l’ULIMO était situé au milieu de la ville de Foya et mentionné le nom de plusieurs commandants de l’ULIMO dont il a entendu parler parmi lesquels Deku, Kosiah, Talata Sheriff alias Ugly Boy, Prince Thompson, Fofana, Kunti Kamara. Il a confirmé avoir entendu parler de Jungle Jabah et de Mami Wata. Il a également confirmé que les membres de l’ULIMO portaient des uniformes, en particulier les gens haut placés, et qu’ils portaient également des armes.
Interrogé au sujet d’un certain EP, TFT a répondu qu’après la fuite de TT, c’était EP qui s’était chargé de parler au nom des civils.
Invité à décrire la manière dont l’ULIMO traitait les civils, TFT a déclaré que les civils étaient forcés à porter des charges à la frontière, dont notamment le générateur de la centrale électrique de Foya. Questionné sur le rôle de Kunti Kamara, TFT a répondu qu’il était équipé de manière traditionnelle et qu’il avait un rang important parce qu’il « commandait les troupes partout où il allait ».
Invité à s’adresser à Kunti Kamara, TFT s’est tourné vers le box des accusés et a déclaré : « Il est temps que justice soit faite pour tous les actes que tu as commis à Foya pour que les gens puissent s’apaiser ».
Le Ministère public questionne TFT :
Sur question du Ministère public, TFT a répété que les policiers étaient partis de Foya et que l’ULIMO contrôlait tout. Il a par ailleurs affirmé ne jamais avoir pris les armes.
Réinterrogé sur le générateur électrique de la ville de Foya, TFT a précisé que les généraux de l’ULIMO étaient là et que les civils devaient les aider. Il a précisé avoir assisté à la scène. Il a ensuite ajouté que Fofana l’avait forcé à porter des choses jusqu’à la frontière.
Questionné sur le traitement réservé aux femmes, TFT a indiqué que ces dernières étaient prises à leurs maris et données aux soldats.
La défense questionne TFT :
Sur question, TFT a précisé qu’il était réparateur de radio à piles à l’époque et qu’il avait continué à exercer son activité sous l’occupation de l’ULIMO.
Interrogé sur le meurtre de son frère, TFT a indiqué qu’il n’avait pas entendu Kunti Kamara donner l’ordre de tirer sur son frère, mais qu’il l’avait vu.
Questionné sur son audition du 26 avril 2019 par le commissaire Patrick J. Massaly, TFT a confirmé qu’il lui avait été demandé d’identifier Kunti Kamara sur une planche photographique avec trois personnes. L’avocate de la défense a relevé que le procès-verbal d’audition ne mentionnait pas de planche photographique. Selon la défense, la première identification de l’accusé par le témoin avait donc eu lieu ce jour devant la Cour.
Réinterrogé sur le générateur électrique de Foya, TFT a déclaré qu’avant l’ULIMO, il y avait le NPFL et que tout allait bien en ce qui concernait l’électricité. Le Président s’est ensuite adressé à Kunti Kamara pour lui demander s’il connaissait TFT. L’accusé a juré sur le Coran qu’il ne le connaissait pas et qu’il ne l’avait jamais rencontré. Questionné par le Président sur l’expédition dans la brousse visant à rechercher TT, Kunti Kamara a reconnu y avoir participé sans en avoir été le chef et a donné sa propre version du déroulement de ladite expédition.