[10/20/2022] Jour 9 : Enfant soldat et commandant de bataillon
L’exposé des faits commis entre Foya et Solomba en 1993, au préjudice de JTC et de SFC, a continué avec l’audition de SFC.
Audition de SFC en tant que partie civile
SFC s’est présenté en indiquant qu’il était agriculteur à Foya et qu’il était âgé d’une cinquantaine d’années. Il a confirmé avoir exercé des activités de chef de village à l’époque des faits. Interrogé sur sa position par rapport à EP, il a précisé que EP était l’intermédiaire entre les soldats et les villageois et que EP lui était supérieur.
Avant de donner la parole à SFC, le Président a indiqué que SFC avait été entendu par l’adjudant-chef Peruggia le 25 février 2019 et qu’il avait été confronté à Kunti Kamara le 6 mars 2019 devant le juge d’instruction.
SFC a expliqué qu’en 1993, les troupes de l’ULIMO sont arrivées à Foya un jour de pluie et ont pris possession de la zone, qui était occupée par des Libériens, des Sierra-léonais et des Guinéens à cette époque. Un soir, SFC a été prévenu de l’arrivée de Kundi dans son quartier, ce qui l’a poussé à fuir dans la brousse. Selon SFC, Kundi cherchait de la main-d’œuvre.
Un matin, des gardes du corps envoyés par Kundi sont venus frapper à la fenêtre de la chambre de SFC et lui ont demandé de les suivre jusqu’à l’hôpital de Borma. Sur place, les soldats ont ordonné aux civils de déposer les pièces de l’alimentation électrique de l’hôpital sur un tracteur. SFC a relaté que le groupe avait ensuite été contraint de pousser le véhicule jusqu’à la frontière guinéenne. Il a expliqué que les gardes avaient prévenu les civils que quiconque tenterait de s’échapper serait exécuté. A la nuit tombée, tous les civils ont dormi au même endroit. Le lendemain, ils ont poussé le tracteur jusqu’à la frontière. Au village de Fassapoe, la charge a été divisée en deux parties et portée manuellement par deux groupes de 25 personnes. SFC a indiqué qu’il était le plus grand et le plus costaud du groupe et que Kundi lui donnait des coups de pied et des coups sur la tête pour qu’il reste bien droit, car il pliait sous le poids de la charge. Selon SFC, Kundi voulait continuer d’instiller la crainte en lui et le menaçait de le tuer et de manger son cœur s’il ne s’exécutait pas. SFC a ajouté que les soldats ne leur avaient pas donné à boire. A la frontière, de nouvelles dispositions ont été prises pour que les civils ramènent des sacs de riz à Foya, sans même avoir le temps de manger, boire ou se reposer. SFC a indiqué qu’ils avaient ensuite rejoint leurs foyers respectifs par la grâce de Dieu.
SFC a raconté qu’il avait pris la décision de se réfugier dans la brousse pour ne pas être contraint à nouveau d’effectuer une marche forcée. Au bout d’une semaine, il a dû revenir au village pour nourrir ses enfants. A son arrivée à Foya, il a appris qu’une réunion avait été convoquée pour le lendemain et que tout le monde devait y assister. La réunion s’est tenue entre l’ancien poste de police et l’ancienne place du marché. Selon lui, l’objectif de la réunion était d’identifier tous les jeunes hommes et de les mettre en prison. SFC a relaté qu’un homme présent, qui était témoin de Jéhovah, avait essayé de s’enfuir, car il ne voulait pas assister à des effusions de sang. Un "Papay" a été accusé d’être de connivence avec les rebelles et a été emprisonné. Les hommes de Kundi, en compagnie d’Ugly Boy et Fofana, ont attrapé 15 jeunes hommes et les ont mis en prison. SFC a été épargné et s’est enfui dans un autre village le soir-même.
En chemin, SFC a indiqué avoir vu deux cadavres allongés par terre et scarifiés d’initiales et de symboles. Selon SFC, ces personnes ont été contraintes de boire de l’huile bouillante, car leurs intestins étaient sortis. SFC s’est dit que sa vie était menacée et souhaitait s’enfuir dans la brousse, mais sa femme préférait rester au village et prier.
SFC a ensuite raconté que les femmes étaient obligées de battre le riz alors que les hommes étaient réquisitionnés pour porter des charges jusqu’à la frontière. Selon lui, lorsqu’une femme jolie se faisait remarquer, elle était forcée à avoir des relations sexuelles. Il a raconté qu’une des sœurs d’un dénommé Joseph avait été prise comme épouse par Ugly Boy, qui l’avait forcée à avoir des relations sexuelles avec lui. Joseph a essayé de défendre sa sœur et a été tué par Ugly Boy. Lorsque les soldats de l’ULIMO ont demandé aux civils, notamment à SFC, d’enterrer Joseph, SFC a remarqué que ce dernier avait été éventré. Après l’enterrement, SFC a couru jusqu’à sa maison et a raconté ce qui c’était passé à sa femme. Cette dernière a alors accepté de prendre la fuite. SFC a expliqué que les soldats de l’ULIMO violaient les femmes à deux ou trois et que par la grâce de Dieu, sa femme n’avait pas été violée, car elle était trop laide selon lui.
Il a poursuivi en indiquant que les hommes de Kundi l’avaient amené à deux reprises à la frontière pour transporter de l’huile, alors que d’autres portaient du café. Les soldats qui encadraient la marche chantaient une chanson : « Si vous vous fatiguez, on vous tue » (« If you get tired, if you get tired, we kill you »).Il a expliqué qu’ils n’avaient pas été tués car ils étaient suffisamment robustes.
SFC a ensuite raconté que le commissaire du district avait demandé à Kundi de laisser les hommes rentrer chez eux et avait rédigé un document à cette fin que Kundi a signé et tamponné. Ce document autorisait les gens à regagner leurs villages. Sur le chemin du retour, deux hommes de Kundi sont venus derrière SFC et les autres civils. Selon SFC, une femme avait une fille qui était gravement malade et qui est morte. Alors que les personnes veillaient sur la morte, Kundi et ses hommes sont venus et ont demandé qui était la mère de l’enfant. La mère s’est présentée et Kundi l’a accusée d’être une sorcière. Il lui a tiré dessus et a ordonné aux hommes de prendre des feuilles de palmiers et de brûler le corps. SFC a précisé qu’il n’était pas présent lors des faits, mais avait entendu le récit de ces événements. Il s’était rendu le soir-même à la veillée funèbre pour apporter son soutien à la famille.
Enfin, SFC est revenu sur un incident qui avait eu lieu un jour à son domicile, alors qu’il était très occupé. Kundi a demandé à voir le chef du village et ses gardes du corps sont venus chercher SFC chez lui. Ils lui ont ordonné de s’asseoir par terre et Kundi l’a frappé à la tête avec la crosse de son fusil. SFC a commencé à saigner. Un jeune garçon présent a pris la fuite et Kundi lui a tiré dessus au niveau de la cuisse. SFC et le jeune garçon ont tous deux été amenés à Foya pour recevoir des soins.
SFC a terminé sa déclaration spontanée en soulignant le nombre important d’exactions commises par Kundi à cette époque et l’impossibilité de pouvoir tout raconter à l’audience.
La Cour questionne SFC :
Interrogé sur le rôle de Ugly Boy, SFC a expliqué qu’il tuait des gens et qu’il était très complice avec Kundi. Invité à donner une description de Ugly Boy, il l’a décrit comme beau, avec la peau un peu plus claire que les autres, et costaud. Selon lui, Ugly Boy s’était donné lui-même ce surnom du fait de son comportement sanguinaire.
Questionné sur Fine Boy, Mami Wata et les autres commandants de l’ULIMO, SFC a précisé que Fine Boy n’avait rien fait de mal et qu’il avait entendu dire que Mami Wata était mauvais, mais n’avait jamais été confronté à lui même s’il était à Foya. Il a ajouté que C.O. Deku venait également à Foya et qu’il était populaire car il ne recevait d’ordres de personne et commettait beaucoup d’exactions.
SFC a ensuite confirmé qu’il connaissait bien Kundi et l’avait vu souvent. Il a précisé que sa présence le poussait à prendre la fuite dans la brousse. Le Président a ensuite rappelé la description physique que SFC a donnée de Kundi lors de son audition. Il avait indiqué que Kundi portait un uniforme complet, qu’il avait des dents très moches et un petit problème à l’œil, qu’il était laid et un peu plus petit que lui, qu’il inspirait la terreur et avait environ 20 ans. Interrogé par le Président sur la taille de Kundi, SFC a indiqué que Kundi était musclé, mince et avait un œil qui partait sur le côté. Il a confirmé que les cheveux de Kundi était moches et qu’il se coiffait comme une femme, avec des tresses. Il a déclaré : « Quand on le voyait, pour nous, c’était le diable ». Interrogé sur les armes que portait Kundi, SFC a déclaré avoir entendu dire qu’il portait un RPG et un G3.
Le Président lui a ensuite demandé s’il se souvenait de la personne assise dans le box des accusés et s’il s’agissait bien de Kundi. SFC a confirmé qu’il s’agissait de C.O. Kundi et que c’était lui qu’il avait vu à Foya. Il a par ailleurs confirmé que Kundi lui avait infligé des violences, notamment en le frappant à la tempe avec la crosse de son arme. Il a également confirmé que Kundi l’avait menacé, à l’instar d’autres personnes, de manger son cœur.
Invité à donner des précisions sur la chanson qu’il a évoquée lors de sa déclaration spontanée, SFC a expliqué que la chanson « If you get tired, we kill you » donnait aux civils la force de continuer. Il a confirmé avoir évoqué une marche forcée concernant le générateur de l’hôpital de Borma et indiqué que l’engin ayant servi à transporter le générateur avait des pneus, mais pas de moteur et qu’il fallait le pousser. Selon lui, il s’agissait d’une remorque. Il a par ailleurs confirmé que la remorque s’était cassée durant le trajet, car la charge était trop lourde. Les civils ont dès lors partagé la remorque et la charge en deux groupes de 25 personnes. Sur question, il a indiqué qu’ils étaient environ 52-53 hommes forts. Interrogé sur la présence de Kundi, SFC a précisé que Kundi était chargé du groupe lors de cette opération et avait commandé plusieurs autres manœuvres de travaux forcés. Il a ajouté que les femmes devaient produire de l’huile qui était ensuite acheminée à la frontière. Sur question, SFC a confirmé avoir vu des hommes mourir lors de ces marches.
Questionné sur la réunion qu’il a évoquée précédemment, SFC a confirmé que les hommes étaient accusés d’être des rebelles. Interrogé sur les deux cadavres mutilés qu’il avait vus, il a indiqué que les soldats de l’ULIMO revendiquaient ces meurtres en disant qu’ils étaient le résultat de la répression des rebelles dans la brousse.
Sur question, SFC a ensuite précisé que la jeune fille qui avait été forcée à avoir des relations sexuelles avec Ugly Boy et qui avait été défendue par son frère Joseph, était la fille de son neveu. Selon SFC, Joseph a été tué par Ugly Boy en présence de Kundi. Il a indiqué que l’esclavage sexuel était très répandu à Foya, et qu’il avait entendu plusieurs récits selon lesquels des femmes avaient été abusées. Il a confirmé que les femmes étaient utilisées par l’ULIMO pour produire de l’huile de palme, battre le riz et avoir des rapports sexuels forcés.
Invité à confirmer ses déclarations selon lesquelles Kundi était entouré de quatre gardes du corps, SFC a expliqué que Kundi avait beaucoup de gardes du corps, parfois même entre 10 et 20 lors de ses déplacements. Sur question, il a confirmé que Kundi était un chef important et a déclaré que personne à Foya n’avait de contrôle sur ses agissements. Ils avaient l’habitude de l’appeler battlefront commander. Selon SFC, il était autonome et pouvait tuer qui il voulait sans avoir à rendre de comptes à personne. SFC a ajouté que Kundi était un homme puissant, qui a détruit beaucoup de vies et de biens matériels à Foya.
Interrogé sur les pratiques consistant à retirer des organes qu’il a évoquées lors de son audition, SFC a indiqué ne pas avoir été témoin oculaire de tels actes, mais en avoir entendu parler. Il a néanmoins précisé avoir remarqué que Joseph n’avait plus d’intestins lorsqu’il a été enterré. Il a ajouté : « Lorsqu’on avait accès aux corps, on voyait régulièrement que les organes avaient été retirés ». D’après lui, ces atrocités visaient à décimer la population Kissi et n’avaient aucun lien avec l’opposition de l’ULIMO contre le NPFL. Le Président a résumé les propos de SFC en indiquant que les exactions commises l’ont été contre des civils qui n’étaient pas engagés dans la guerre. SFC a affirmé que lors de l’occupation par le NPFL, les villageois avaient continué à vivre normalement, mais que cela avait totalement changé à l’arrivée de l’ULIMO.
Sur question d’une jurée, SFC a indiqué qu’il n’entendait plus correctement depuis le jour où Kundi l’avait frappé à la tempe avec sa crosse de fusil. Interrogé sur les initiales qu’il a vus sur les cadavres, il a précisé qu’il ne savait ni lire ni écrire et qu’il avait vu uniquement des signes inscrits sur les corps.
La partie civile questionne SFC :
Sur question, SFC a confirmé avoir été frappé par Kundi durant la marche forcée du générateur de l’hôpital de Borma. Le témoin a mimé des coups de pied et des coups dans le dos, et précisé que Kundi s’était saisi d’une branche de manguier pour le frapper dans le dos. Il a ajouté qu’il avait encore des douleurs à la suite de ces mauvais traitements.
Questionné sur les surnoms de Ugly Boy, le témoin a déclaré qu’il ne s’en souvenait pas. L’avocate des parties civiles lui a ensuite demandé s'il se souvenait du surnom « Saah Chuey». Le témoin s’en est souvenu et a expliqué que ce surnom avait trait à sa pratique consistant à extraire le cœur à l’aide d’une hache. Il a précisé ne pas avoir été témoin de ces faits, mais en avoir entendu le récit.
Sur question, SFC a indiqué avoir enterré plusieurs corps, dont celui de Joseph.
L’avocate des parties civiles a demandé au témoin si parmi les gardes du corps de Kundi, il y avait des enfants. Le témoin a indiqué que certains étaient grands, d’autres plus petits, et ajouté que certains étaient jeunes « mais pas si jeunes que ça ».
Interrogé sur Alhaji Kromah, SFC a indiqué qu’il était le chef suprême des ULIMO. . L’avocate des parties civiles a précisé sa question en demandant au témoin de quelle façon Kromah s’était comporté après la guerre. Le témoin a expliqué qu’après le désarmement, Kromah avait brigué le mandat de président du pays. Il a ajouté qu’il avait fait campagne et demandé aux gens de voter pour lui. Selon SFC, Kromah a amené des vaches, mais la population n’a pas accepté son cadeau. Ils lui ont dit qu’ils n’allaient pas voter pour lui vu tout le mal qu’il avait causé à la population.
Invité à s’adresser à la Cour, SFC a commencé par exprimer sa reconnaissance pour l’accueil qui lui avait été réservé et a remercié la Cour d’avoir pris de telles dispositions, dans la mesure où les faits commis pendant la guerre n’étaient pas minimisés ici, contrairement au Libéria. SFC a également remercié toutes les personnes qui se sont occupées d’eux, y compris les avocats de Kundi et les siens. Il a conclu en déclarant : « Que Dieu vous accorde la prospérité dans ce pays ».
Le Ministère public questionne SFC :
Les avocates générales ont commencé par demander au témoin si la marche du générateur de l’hôpital de Borma avait eu lieu longtemps après l’arrivée des ULIMO dans la ville de Foya. SFC a estimé que la marche avait eu lieu environ un mois après leur arrivée. Sur question, il a confirmé que la marche avait eu lieu durant la saison des pluies et que sa destination finale était Solomba.
Interrogé sur les dispositions prises par Kundi à leur arrivée à Solomba, le témoin a expliqué que Kundi avait pris contact avec les personnes qui devaient acheter le générateur et que pendant ce temps, d’autres personnes traversaient avec des sacs riz. Sur question, SFC a confirmé que les marchandises étaient disposées dans des embarcations pour traverser la rivière. Il a également confirmé avoir été capturé chez lui au petit matin pour faire cette marche.
Les avocates générales sont ensuite revenues sur les déclarations de l’un des témoins à teneur desquelles les ULIMO avaient instauré un couvre-feu afin de pouvoir retrouver les gens à leur domicile et les réquisitionner pour les marches forcées. SFC a confirmé que c’était ce qui se produisait. Il a expliqué qu’aussitôt le couvre-feu déclaré, les hommes qui avaient l’autorité se présentaient dans les maisons pour attraper les civils de force.
Interrogé sur les expressions des ULIMO « Till go » et « Any bush shake, your heart », le témoin a confirmé que les soldats chantaient ces chansons derrière eux alors qu’ils portaient les charges. Sur question, il a confirmé les avoir entendues.
Questionné sur la façon dont certaines personnes avaient perdu la vie durant les marches, SFC a expliqué qu’il n’avait pas assisté aux exécutions, mais avait entendu dire que ceux qui étaient trop fatigués étaient tués. Il a précisé avoir effectué quatre marches dont deux sous le commandement de C.O. Kundi. La première consistait à transporter le générateur électrique et la seconde des vivres, du café et de l’huile de palme.
Les avocates générales sont ensuite revenues sur l’estimation de l’âge de Kundi donnée par SFC, qui a indiqué qu’il avait environ 20 ans au moment des faits. SFC a répété qu’il s’agissait d’une estimation et que Kundi avait peut-être 25 ans. A la question de savoir si on pouvait être jeune tout en ayant des responsabilités et tout en étant impressionnant pour les civils, SFC a répondu que Kundi avait un pouvoir impressionnant. Il a expliqué que dans la mesure où il était armé, tout le monde avait peur et personne ne pouvait résister.
Sur question, le témoin a indiqué que les femmes battaient le riz pour les familles des soldats et qu’un stock était constitué pour être vendu en Guinée.
Interrogé sur l’installation des ULIMO dans les maisons des civils, le témoin a précisé qu’ils prenaient les maisons de force. Il a ajouté que lorsque les ULIMO arrivaient, la population fuyait dans la brousse et les soldats prenaient possession des maisons vides. SFC a expliqué que les civils n’avaient pas le choix et qu’ils étaient des esclaves.
Questionné sur le lieu de résidence de C.O. Kundi lorsqu’il était à Foya, SFC a indiqué qu’il se souvenait de l’endroit où résidait Ugly Boy [i.e. Darma Road], mais qu’il ignorait où résidait Kundi. Il a ajouté que C.O. Kundi venait régulièrement à Foya pour patrouiller. Sur question, le témoin a précisé que lorsqu’il parlait de Foya, il faisait référence à Foya City, la grande ville.
Invité à se déterminer sur ses déclarations lors de sa confrontation avec Kunti Kamara, au cours de laquelle il a indiqué, sur question de l’avocat de l’accusé, qu’il n’avait pas de photos de Kunti Kamara, SFC les a confirmées. Sur question des avocates générales, il a par ailleurs confirmé qu’il n’avait pas d’appareil photo à l’époque.
Interrogé sur l’absence de dépôt de plainte au Libéria, SFC a expliqué qu’il ne savait pas où Kundi se trouvait après le désarmement et qu’il n’avait pas les fonds nécessaires pour porter plainte.
La défense questionne SFC :
L’avocate de la défense est revenue sur l’identification de Kunti Kamara par le témoin. Elle a rappelé que SFC a été interrogé par l’adjudant-chef Peruggia et qu’aucune planche photographique ne lui a été présentée. Elle a demandé à SFC de confirmer que la première fois qu’on lui a demandé d’identifier Kunti Kamara, c’était lors de sa confrontation avec ce dernier devant le juge d’instruction le 6 mars 2019. Le témoin a confirmé qu’aucune photo ne lui avait été présentée lorsqu’il a été interrogé par les enquêteurs. Il a néanmoins précisé qu’il avait reconnu Kundi très facilement, car il n’avait pas oublié le visage de l’homme qui lui avait infligé ces traitements.
L’avocate de la défense a donné lecture de la description de Kunti Kamara donnée par SFC et a déclaré qu’elle ne relevait aucun des détails décrits par SFC chez l’accusé (i.e. dents et cheveux moches, œil qui part vers l’extérieur). Invité à confirmer qu’il était sûr de reconnaître Kunti Kamara, SFC a acquiescé.
Interrogé sur la façon dont les pièces du générateur avaient été divisées après que la remorque s’est cassée, le témoin a expliqué que les soldats étaient outillés pour démanteler l’équipement. Les soldats de l’ULIMO avaient donc procédé rapidement à la séparation du matériel.
L’avocate de la défense s’est étonnée que des pièces suffisamment lourdes pour casser une remorque aient ensuite été transportées sur des canoës. Interrogé à cet égard, le témoin a expliqué que même des voitures pouvaient être transportées d’une rive à l’autre. Cette réponse a suscité l’étonnement de l’avocate de la défense.
Invité à confirmer que lorsque le NPFL était présent, tout se passait très bien, le témoin a expliqué que les civils vivaient normalement, en dehors du fait que le NPFL prenait parfois leurs animaux. L’avocate de la défense a souligné que certains témoins avaient déclaré que c’était terrible sous le NPFL.
Présentation de documents et pièces tirés du dossier. Remise en situation de SFC.
La Cour questionne SFC :
Le Président a commencé par présenter des vues aériennes, notamment de la Borma Mission et de l’endroit où la remorque a cassé. Des photos et croquis de la rivière et de l’emplacement des pirogues ont ensuite été projetés.
Sur question du Président, SFC a expliqué qu’il s’agissait de la Makona River. Le Président a demandé au témoin s’il connaissait la Po River et ce dernier a répondu qu’il connaissait uniquement la rivière Makona, à la frontière entre la Guinée et le Libéria.
Questionné sur les embarcations utilisées pour traverser la rivière, le témoin a expliqué qu’ils utilisaient des embarcations plus ou moins spacieuses en fonction de ce qu’ils transportaient. Sur question, SFC a indiqué qu’il n’avait pas vu d’embarcations avec des bidons sur les côtés.
Interrogé sur la photographie d’une maison, le témoin a indiqué qu’il s’agissait de la maison où il dormait lorsque les soldats envoyés par Kundi sont venus le chercher pour transporter le générateur. Il a précisé qu’ils avaient passé une colline pour aller à l’hôpital de Borma.
Le Président a ensuite montré au témoin une photographie de l’endroit où se trouvait le générateur. Il a précisé que la construction actuelle n’était pas la même qu’à l’époque. Questionné à cet égard, le témoin a confirmé que la construction de l’époque était similaire à la construction actuelle. Sur question, SFC a par ailleurs confirmé que Kundi était présent.
Un croquis de la remorque sur laquelle le générateur a été déposé a ensuite été présenté à la Cour. Interrogé à ce sujet, SFC a expliqué qu’il s’agissait d’une remorque que quelqu’un tenait à l’avant pendant que les autres tiraient la partie qui était normalement tirée par un véhicule. Le témoin a ensuite précisé qu’elle avait des pneus et qu’elle était assez grande.
Des clichés de la maison où les civils ont dormi, du lieu où la remorque a cassé ainsi que de la maison où ils sont allés chercher des planches pour porter le générateur sur les épaules ont ensuite été projetés. SFC a expliqué que c’était plus dur pour lui de porter sur l’épaule que sur la tête, car il était plus grand que les autres. Il a ajouté s’être fait frapper à plusieurs reprises.
Le Président a présenté une photographie des rives de la rivière Makona, sur laquelle des pirogues sont visibles. SFC a indiqué que les pirogues sur la photo ressemblaient à celles utilisées à l’époque, mais a précisé qu’il n’avait pas assisté à la traversée du générateur. Sur question, il a indiqué que les civils n’étaient pas autorisés à traverser la rivière.
La partie civile n’a pas eu de questions. Le Ministère public non plus.
La défense questionne SFC :
L’avocate de la défense a interrogé le témoin sur le nombre de personnes nécessaires pour porter le générateur. Le témoin a précisé qu’il fallait 10 à 25 personnes de chaque côté en fonction de ce qui était transporté. Il a ajouté que les rondins de bois avaient été attachés ensemble pour former une plateforme sur laquelle le générateur avait été déposé.
Interrogé sur la manière dont ils pouvaient avancer en rythme avec 10 personnes de chaque côté, le témoin a expliqué que le trajet s’était effectué sur une durée de dix heures et que les plus grands portaient les charges sur les épaules et les plus petits sur la tête.
* * *
Le Président a avisé les parties que le témoin SB, qui devait être entendu ce jour, ne pratiquait que le dialecte Kissi et que l’unique interprète en Kissi avait fait défaut et se trouvait actuellement en Belgique. Compte tenu de l’interdiction formelle d’utiliser les services des témoins et des parties civiles, l’audition de SB a été reportée au lendemain.
S’agissant du témoin Abraham Towah, qui devait également être entendu ce jour, le Président a rappelé qu’il était trop tard pour délivrer un mandat d’amener en Suisse et a sollicité l’avis des parties. Les parties ont convenu de passer outre l’audition d’Abraham Towah et de se contenter de la lecture d’un certain nombre de passages de son audition par les autorités suisses.
Lecture de l’audition de Abraham Towah
Le Président a rappelé qu’Abraham Towah avait été cité comme témoin de la défense dans le procès d’Alieu Kosiah. Le Président a précisé qu’Abraham Towah était de confession musulmane et actuellement réfugié politique en Suisse. Il semblerait cependant que sa demande d’asile ait été rejetée. Le Président a donné lecture de certains éléments de l’audition d’Abraham Towah du 17 juin 2015, qui paraissent utiles à la manifestation de la vérité dans le cadre de ce procès.
La Cour procède à la lecture de certains passages de l’audition d’Abraham Towah par les autorités suisses :
Questionné sur ses voyages à l’étranger avant de venir en Suisse, l’intéressé a indiqué que c’était la première fois qu’il venait en Europe et qu’il était allé en Sierra Leone, en Guinée et en Gambie. Il a indiqué que son village portait le nom de Towah’s Town, car c’était son grand-père qui l’avait fondé, et que les ULIMO étaient entrés dans le district de Todi en 1992. C’était à ce moment-là qu’il avait quitté le district de Todi avec les ULIMO et qu’il avait fait la connaissance d’Alieu Kosiah, qui était un des commandants de l’ULIMO. Il a ajouté que lorsqu’il est entré dans le groupe ULIMO en 1992, Alieu Kosiah l’a pris comme enfant soldat. Il s’est occupé de lui et Abraham Towah le considérait comme son père.
Questionné sur la pratique du tabé, il a indiqué que le groupe ULIMO pratiquait le tabé à Todi Barracks et qu’il avait également vu des soldats ULIMO pratiquer le tabé à Voinjama, Zorzor, Foya et Salayé. Les personnes tabées étaient pour certaines des civils et pour d’autres des soldats NPFL capturés. Selon Abraham Towah, parfois les civils étaient attachés et torturés et parfois les soldats les laissaient aller s’ils voyaient qu’ils n’étaient pas des soldats NPFL. Il arrivait que des personnes tabées décident de rejoindre l’ULIMO. Abraham Towah a ajouté que la fois où il avait vu le tabé à Foya, Alieu Kosiah était présent, mais n’y avait pas assisté. Le tabé s’est passé au quartier-général de l’ULIMO, à l’extérieur du bâtiment. En tant que small soldier, Abraham Towah informait Kosiah lorsqu’il voyait quelque chose de mal. S’il rapportait à Kosiah que quelqu'un avait été tabé, ce dernier allait souvent discuter avec les soldats pour qu’ils libèrent les personnes.
Interrogé sur Kundi, Abraham Towah a indiqué qu’il le connaissait et que c’était aussi un ancien combattant ULIMO. Il a ajouté qu’ils avaient passé du temps ensemble à Voinjama et à Foya. Kundi l’avait vu lors d’une visite à Lola, en Guinée, où il avait des parents, et ils sont rentrés ensemble de Lola à Voinjama. Selon l’intéressé, Kosiah et Kundi se connaissaient très bien comme anciens soldats ULIMO et Kosiah était un senior officer de Kundi.
Questionné sur Ugly Boy, Abraham Towah a déclaré très bien le connaître. Il a indiqué que Ugly Boy était aussi un ancien combattant ULIMO, de l’ethnie mandingo. Abraham Towah n’a pas passé du temps avec lui, mais ils se connaissaient en tant que combattants ULIMO. L’intéressé a déclaré ignorer son grade et précisé qu’il était à Foya. Abraham Towah a d’abord rencontré Ugly Boy à Voinjama, puis l’a revu à Foya. Selon lui, Ugly Boy et Kosiah se connaissaient très bien et Kosiah était le senior officer de Ugly Boy. Ils ont combattu ensemble sur la ligne de front. Il a ajouté que Ugly Boy était mort en prison en Guinée, après la guerre. Il a commis des actes criminels et a été arrêté et emprisonné par le gouvernement guinéen. A la question de savoir si Ugly Boy avait aussi commis des actes criminels au Libéria pendant la guerre, Abraham Towah a répondu qu’il l’avait seulement connu comme combattant ULIMO.
Interrogé sur l’emplacement du bureau S2 à Foya, l’intéressé a indiqué qu’il ne savait pas où se trouvait le bureau S2 puisqu’il était uniquement de passage à Foya. Sur question, il a indiqué qu’il logeait chez des amis lorsqu’il se trouvait à Foya. Il a ajouté que parfois, il dormait dans la maison de Kundi alors que Kosiah dormait au quartier-général, où se trouvait Deku. Abraham Towah a précisé que comme Kundi était son ami, il était allé plusieurs fois chez lui, même lorsqu’une autre maison avait été mise à leur disposition. Sur question, il a précisé que Kosiah avait dormi au quartier-général chez Deku jusqu’à ce qu’on lui donne un logement où ils avaient alors tous logé.
A la question de savoir si Kundi était un garde du corps de Kosiah, Abraham Towah a répondu par la négative en indiquant que Kundi, comme Kosiah, commandait une compagnie et était capitaine. Il a ajouté que Kosiah avait été promu de capitaine à colonel et que Kundi avait été promu major.
Le Président a conclu en précisant que l’intéressé avait reconnu Kromah, Mohammed Tebbe, Alieu Kosiah et un certain Cobra sur photo. Des photographies d’enfants soldats lui ont également été présentées et il a indiqué que le plus âgé avait 13 ans et le plus jeune 9 ans.
La partie civile procède à la lecture de certains passages de l’audition d’Abraham Towah par les autorités suisses :
Interrogé sur Alieu Kosiah, Abraham Towah a déclaré que ce n’était pas le seul commandant présent et qu’il y avait d’autres commandants au-dessus de lui, y compris le bataillon commander Jungle Jabah. Selon lui, Kosiah a joué un rôle important pour qu’ils aient la vie sauve. Abraham Towah a raconté qu’après les combats, les commandants de l’ULIMO ont fait sortir 100 à 200 personnes des bâtiments et les ont alignées dehors. Ils ont posé des questions à tout le monde. Selon l’intéressé, les gens qui répondaient bien étaient mis d’un côté et les autres d’un autre côté. Les commandants de l’ULIMO leur demandaient qui étaient les commandants du NPFL et si quelqu'un avait des liens avec eux. Abraham Towah a expliqué que c’était pour savoir si les personnes étaient membres ou non du NPFL, puisqu’ils les avaient trouvées dans une des principales casernes. Ceux qui ne voulaient pas répondre correctement aux questions étaient torturés. Parfois, les commandants de l’ULIMO leur attachaient les bras avec une corde derrière le dos, parfois ils les couchaient par terre et les battaient avec la crosse de leur arme. Selon l’intéressé, ils voulaient savoir qui était qui et s’il y avait des soldats NPFL parmi les civils. Sur question, Abraham Towah a indiqué que la manière dont ils étaient attachés s’appelait aussi tabé et qu’il avait assisté à l’arrivée de l’ULIMO à Camp Todi. Il a précisé qu’il n’avait pour sa part été ni attaché ni battu et ignorait pourquoi il avait été épargné, mais que c’était peut-être Dieu qui l’avait voulu ainsi. Selon lui, Alieu Kosiah est arrivé pendant que les ULIMO posaient des questions.
Abraham Towah a ensuite précisé qu’il n’était pas assigné à un frontline commander spécifique et qu’il y avait différents frontline commanders.Selon lui, cela pouvait changer d’un jour à l’autre, en fonction de la ligne de front sur laquelle ils se rendaient, dans la mesure où chaque front avait son commandant. Il a précisé qu’il avait eu Abu Keita et Pyj et qu’il avait aussi été sur le front aux côtés de Pepper & Salt qui était frontline commander.
Interrogé sur son rôle auprès d’Alieu Kosiah, Abraham Towah a déclaré qu’il était son garde du corps et que lorsqu’ils allaient au front ou à n’importe quel autre endroit, il s’y rendait en premier pour inspecter la zone. De même, il prenait la nourriture que les femmes avaient préparée pour Kosiah et la goûtait avant que Kosiah la mange. En somme, son travail consistait à garantir qu’Alieu Kosiah soit en sécurité.
Questionné sur les acronymes « SBU » et « RTO », l’intéressé a indiqué que « SBU » signifiait « small boy unit » et « RTO » désignait les bodyguardsIl a précisé qu’il ignorait la signification de l’acronyme « RTO ». Sur question, il a indiqué que les SBU étaient aussi des combattants et que toutes les factions, NPFL et ULIMO, avaient des SBU. Selon lui, tous les adolescents au sein de l’ULIMO étaient considérés comme des SBU. Il a confirmé qu’il avait lui-même été classé comme SBU, car il était un enfant, et précisé que tous les enfants tombaient dans la catégorie des SBU. Il était donc SBU avec la fonction spécifique de RTO. Selon lui, tous les SBU n’étaient pas RTO, mais ils étaient tous soldats.
Interrogé sur les marches forcées, Abraham Towah a indiqué qu’il n’avait jamais vu cela et n’en avait jamais entendu parler, avant de déclarer que toutes les factions l’avaient fait.
L’avocate de la défense est intervenue pour donner lecture d’un élément de la réponse donnée par Abraham Towah concernant les marches forcées. Ce dernier a déclaré que les transports s’étaient fait en voiture et que les générateurs étaient déjà à Foya et Zorzor. Selon lui, les civils les ont seulement aidés à charger les générateurs dans les voitures à Zorzor ou Foya, puis le transport s’est fait en véhicule par la route.
L’avocate des parties civiles a poursuivi les lectures sur les marches forcées. Abraham Towah a déclaré que les civils transportaient jusqu’à Solomba, jusqu’au bord de la rivière Makona, et des bateaux type canoë venaient chercher la marchandise pour l’amener de l’autre côté. L’avocate des parties civiles a poursuivi les lectures sur les marches forcées. Abraham Towah a déclaré que les civils transportaient jusqu’à Solomba, jusqu’au bord de la rivière Makona, et des bateaux type canoë venaient chercher la marchandise pour l’amener de l’autre côté.
Les avocates générales ont cité un passage complémentaire dans lequel Abraham Towah a indiqué que les canoës étaient très grands et qu’il était possible d’en mettre deux ensemble pour transporter une voiture. Selon lui, les canoës étaient manœuvrés à la rame et étaient fabriqués à partir de troncs d’arbres creusés qui flottaient.
L’avocate des parties civiles a poursuivi les lectures. Interrogé sur son rôle lors des marches forcées, l’intéressé a déclaré qu’il n’allait pas mentir et a confirmé qu’il y avait participé. Il a indiqué se souvenir de transports faits de Foya à Solomba et a ajouté qu’à l’époque, ils devaient se débrouiller eux-mêmes car ils n’étaient pas payés et étaient pauvres.
Questionné sur les atrocités commises par l’ULIMO consistant à découper des cadavres et déposer les morceaux dans des brouettes en obligeant les civils à en acheter, Abraham Towah a indiqué avoir entendu parler de ces faits, mais ne pas y avoir assisté. Il a rappelé être arrivé à Foya 2 ou 3 mois après la prise de la ville.
A la question de savoir si lorsque les ULIMO étaient en opération, les civils pouvaient connaître le nom du commandant responsable, Abraham Towah a répondu que pendant les combats, les civils fuyaient et ne s’occupaient pas de savoir qui commandait. En revanche, lorsque les ULIMO avaient capturé une ville depuis une ou deux semaines, tout le monde connaissait le nom du commandant. Sur question, il a indiqué que durant les transports de marchandises, les civils ne pouvaient pas se souvenir des noms de tous les commandants qui organisaient ces transports. A la question de savoir si lors des transports de marchandises, les soldats ULIMO traversaient la frontière guinéenne avec leurs armes, l’intéressé a répondu par la négative et précisé qu’ils ne pouvaient pas traverser avec les armes et qu’ils les laissaient avant la frontière à d’autres soldats ULIMO. Il a ajouté qu’ils ne combattaient pas en Guinée et que les soldats guinéens les fouillaient avant qu’ils puissent traverser la frontière. Il a précisé que Solomba était le dernier point avant la frontière depuis Foya.
A la question de savoir si d’autres big men a Lofa avaient small soldiers leur groupe, Abraham Towah a répondu que tous les big men a Lofa avaient small soldiers qui leur étaient assignés, y compris Alhaji Kromah. Selon lui, tous les commandants de l’ULIMO avaient des small soldiers small soldiers avec eux.
Interrogé sur le temps qu’il a passé à Foya, il a indiqué qu’il ne s’en rappelait pas exactement, mais pensait y être resté 4 mois. Il a précisé qu’il faisait des allers-retours et que c’était en 1994-1995 pendant la période des pluies. Sur question, il a précisé qu’il lui arrivait de rester quelques jours à Foya lors de cette période d’allers-retours, parfois même entre 1 et 2 mois. Il a également indiqué que pendant qu’il était à Foya, Deku était le commandant et que Deku était plus haut gradé que Kosiah.
Le Ministère public procède à la lecture de certains passages de l’audition d’Abraham Towah par les autorités suisses :
L’intéressé s’est exprimé sur les effets que la guerre a eu sur les enfants soldats. A cet égard, il a indiqué que la guerre avait affecté beaucoup de Libériens, y compris lui-même. A cause de la guerre, beaucoup de jeunes au Libéria ne peuvent rien faire par eux-mêmes. Il a ajouté : « Nous, la jeunesse libérienne, nous sommes en colère contre ceux qui ont amené la guerre, y compris les commandants qui nous ont emmenés au front car ils nous ont utilisés et, nous, nous ne savions pas ce que nous faisions. Nous sommes victimes de gens qui ont abusé de nous et qui ont profité. Prenez-moi-même comme exemple. Regardez quel âge j’ai, je suis handicapé à cause de la guerre. La guerre au Libéria n’a pas été bonne pour nous ».
Sur les raisons pour lesquelles il a rejoint l’ULIMO, Abraham Towah a expliqué qu’il n’avait pas été le seul à avoir eu la vie sauve après avoir été capturé par les ULIMO. Ils ont été nombreux et plusieurs, dont lui-même, ont rejoint volontairement les ULIMO en raison des avantages. Selon lui, les avantages étaient de ne pas voir sa sœur se faire violer sous ses yeux, de ne pas voir son frère se faire tuer sous ses yeux, de ne pas devoir porter des charges. Il a ajouté que c’était aussi plus sûr pour sa propre vie de porter une arme.
La défense procède à la lecture de certains passages de l’audition d’Abraham Towah par les autorités suisses :
Sur question, Abraham Towah a indiqué qu'il n'avait ni été recruté par les NPFL ni été membre des NPFL et qu’il avait uniquement été recruté par les ULIMO. Selon lui, quand les NPFL arrivaient dans les villages, il leur arrivait de tuer des poules, de battre et violer les civils ou encore de les obliger à transporter des charges sur leurs têtes. Il a ajouté qu’il se souvenait qu’un commandant NPFL voulait avoir une relation sexuelle avec sa grande sœur. Compte tenu du refus de cette dernière, le combattant l’a battue sous ses yeux. Il a ajouté qu’ils étaient de simples civils et ne pouvaient rien faire contre les NPFL. Il a lui-même été forcé à 5 ou 6 reprises à porter des charges par les NPFL, car ils étaient armés.
Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à prendre les armes contre le NPFL, Abraham Towah a expliqué qu’il voulait défendre son pays contre les destructions, les viols et les meurtres perpétrés par le NPFL.
Point de situation sur l’audition du témoin NS
S’agissant du témoin NS qui a été hospitalisé, le Président a précisé que selon l’association Paris Aide aux Victimes, l’état de santé du témoin n’était pas en voie d’amélioration et qu’un retour rapide au Libéria était préconisé. L’avocate des parties civiles a demandé un délai de quelques jours, afin de déterminer si NS souhaitait être entendu. Le cas de NS a donc été réservé.
Lecture de l’audition du témoin Omaru Musa Kelleh
L’avocate de la défense a proposé de procéder aux lectures concernant Omaru Musa Kelleh. Le Président a acquiescé et précisé qu’il existait deux documents concernant ce témoin : le procès-verbal de l’audition réalisée par le juge d’instruction le 12 janvier 2020, ainsi que le procès-verbal de l’audition réalisée le 9 septembre 2017 par les autorités suisses.
Le Ministère public procède à la lecture intégrale du procès-verbal de l’audition de Omaru Musa Kelleh réalisée par le juge d’instruction le 12 janvier 2020 :
Sur question, Omaru Musa Kelleh a confirmé qu’il était dorénavant aveugle et qu’il avait été commandant du bataillon Alligator. Interrogé sur le rôle de Kunti Kamara au sein de l’ULIMO, il a indiqué que Kunti Kamara était un enfant soldat, en précisant qu’il était petit mais pouvait combattre. Questionné sur ses déclarations aux autorités suisses selon lesquelles Kunti Kamara était un commandant, Omaru Musa Kelleh a déclaré qu’il n’avait pas dit que Kunti était un commandant, mais qu’il avait été appelé pour être auprès du commandant.
Le juge a ensuite indiqué au témoin que Kunti Kamara avait expliqué qu’il était battlefield commander. Le témoin a déclaré qu’en 1992, Kundi était venu en tant que soldat de l’ULIMO pour défendre une religion maltraitée. Comme il l’a défendue, il est devenu commandant et Omaru Musa Kelleh était son commandant car Kundi était dans son bataillon. Selon lui, Kundi a obtenu le grade de 4ème ème colonel dans ses rangs. En 1994, Kundi était commandant et a été envoyé à Gbarnga pour une mission, car c’était l’endroit où se trouvait la base de Taylor. Durant le combat, l’ULIMO a manqué de munitions et Kundi a été envoyé pour en chercher. Il a donc quitté Gbarnga pour se rendre à Voinjama dans le Lofa. Il est ensuite revenu à Gbarnga avec des armes et des munitions, ce qui a permis à l’ULIMO de sécuriser le terrain. Kundi a alors demandé la permission de retourner dans le Lofa pour se reposer. Il est parti vers Kolahun avant de rentrer à Foya. Selon Omaru Musa Kelleh, lorsque le RUF a attaqué l’ULIMO à Foya, Kundi était là pour mettre la situation sous contrôle.
Omaru Musa Kelleh a poursuivi en déclarant que lorsque le plus vieux de Foya, nommé TT, a été arrêté, tout le Libéria le connaissait. Quand les Nations Unies sont allées le chercher pour l’amener à Monrovia, Kundi a dit que la mission était accomplie. Foya était sécurisée et Kundi est parti trouver Omaru Musa Kelleh à Gbarnga. Kundi lui a dit : « Général il y a eu un incident à ton insu mais je l’ai mis sous contrôle. Je veux partir à Voinjama pour rentrer en Guinée et voir ma famille pour un moment ». Selon Omaru Musa Kelleh, Kundi est parti à Voinjama et est rentré en Guinée pour voir sa famille. Le président de la république de Guinée Lanssana Conte a appelé personnellement Kundi et le général Langasa. Quand les rebelles du NPFL ont traversé Guéckédou, Kundi était commandant et est parti avec les militaires guinéens pour combattre avec succès les rebelles du NPFL. Le Président guinéen les a appelés à Conakry et leur a demandé ce qu’il pouvait faire pour eux pour les récompenser. Certains ont dit qu’ils voulaient voyager, d'autres ont demandé de l’argent. Kundi a décidé de quitter le pays et de voyager, ce qui l’a amené en France.
Le témoin est ensuite revenu sur les années 1992-1993 et a indiqué que Kundi était spécialement avec lui dans le comté de Bomi. Il a précisé qu’il avait été lui-même chargé par l’ULIMO de prendre le district de Todi et que cette mission avait duré 6 mois. Ses combattants au front, dont Alieu Kosiah, étaient avec lui. Kundi et Kosiah étaient ses battlefield commanders. Ils ont pris les villages de Neyma et de Kantan, puis les 3 camps de Todi. Ils ont pillé des armes automatiques et des camions et ont décidé d’ouvrir la route bitumée qui était barrée par le NPFL. Ils se sont battus avec les forces de l’ECOMOG pendant une journée et une nuit, puis ont négocié car les troupes de l’ECOMOG étaient mieux équipées.
Ils ont ensuite reçu l’ordre de prendre la ville de Kakata, mais ont objecté que leur chef Alhaji Kromah devait être informé et que la décision devait lui revenir. Ils sont allés à la base de l’ECOMOG au port et Alhaji Kromah s’est entretenu avec le chef de l’ECOMOG. A l’issue de la réunion, Kromah leur a ordonné de faire ce que l’ECOMOG avait demandé. L’ECOMOG s’est donc déployée à Kakata.
Le témoin a raconté que Kundi et Kosiah lui avaient demandé la permission de faire des affaires et il a accepté. Ils lui ont expliqué que leurs poches étaient vides et qu’ils souhaitaient prendre l’huile de palme pour l’emmener en ville et la vendre. Omaru Musa Kelleh leur a donné le feu vert en leur disant de ne pas prendre d’armes car la région était pacifiée.
Interrogé sur la promotion de Kundi en tant que 4ème colonel, le témoin a indiqué que c’était Kromah qui décidait des promotions et que lui avait simplement recommandé Kundi. Sur question, il a confirmé que Kundi était un bon soldat.
Questionné sur la personnalité de Kundi, Omaru Musa Kelleh a déclaré qu’il était très obéissant et avait bon caractère. Il avait une bonne attitude et était respectueux. Il a ajouté que Kundi ne s’était jamais arrêté devant lui pour l’insulter et qu’aucun civil n’était jamais venu le voir pour se plaindre de Kundi. Selon lui, Kundi n’a jamais harcelé des gens.
Invité à expliquer le rôle de Kundi en tant que batteflied commander, Omaru Musa Kelleh a indiqué que Kundi a toujours demandé à partir avec les militaires pour mettre les zones sous contrôle. Il a précisé que parfois, il y avait des combattants intenables, d’autres étaient peureux, et d’autres encore disaient qu’ils n’emploieraient jamais d’armes. Selon Omaru Musa Kelleh, Kundi était là pour tenir la situation sous contrôle et défendait la position de commandant en chef du témoin. Il a ajouté qu’un colonel ne pouvait jamais attaquer un groupe ou un individu sans en avoir reçu l’ordre de son commandant.
Interrogé sur les actes de torture auxquels Kundi se serait livré sur des civils à Foya en 1993-1994, Omaru Musa Kelleh a déclaré : « Entre 1993 et 1994, si quelqu'un te dit que Kundi a fait de tel mal, il t’a menti. C’est moi qui était le commandant de Kundi. ».
Questionné sur ses déclarations selon lesquelles Kundi aurait collaboré avec l’ennemi, le témoin a expliqué qu’il y avait eu un incident dans l’organisation et que certains militaires avaient eu l’intention de former leur propre groupe. Kundi a été envoyé pour mettre la situation sous contrôle. Selon le témoin, cela avait poussé TT à quitter la brousse. Il a ajouté que Kundi n’avait jamais quitté l’ULIMO et que ceux qui avaient voulu quitter l’ULIMO et former leur propre groupe à Foya ont fui en Guinée lorsque Kundi est arrivé. Parmi les traîtres, il y avait Pepper & Salt, le général Varmuya Sherif. Kundi a été envoyé pour les chasser du pays et il l’a fait. Omaru Musa Kelleh a ajouté qu’il ne comprenait dès lors pas à quelle trahison il était fait référence puisque Kundi n’avait jamais trahi.
A la question de savoir si Kundi avait des gardes du corps, le témoin a répondu qu’il en avait et que les bons combattants avaient beaucoup de gardes du corps, contrairement aux mauvais combattants.
Interrogé sur l’utilisation par Kundi de la méthode du tabé, le témoin a répondu : « Sur qui ? Quand il y a la guerre, tous les civils s’enfuient dans la forêt ». Il a ensuite déclaré devant Dieu que Kundi n’avait jamais utilisé la méthode du tabé et n’avait jamais autorisé un militaire à attacher un civil avec la méthode du tabé. Selon lui, Kundi avait pitié des gens.
Questionné sur Ugly Boy et Pepper & Salt, Omaru Musa Kelleh a indiqué qu’ils étaient morts tous les deux. Il a précisé que le nom de famille d’Ugly Boy était Sherif et que Pepper & Salt avait quitté l’ULIMO et rejoint le NPFL, qui l’avait conduit dans sa tombe. Quant à Ugly Boy, il est parti harceler des gens en Guinée et a été tué à N’Zerkore.
Interrogé sur l’âge des gardes du corps de Kundi, le témoin a indiqué qu’ils avaient entre 18 et 26 ans.
Questionné sur les commandants Deku et Fine Boy, Omaru Musa Kelleh a déclaré qu’il connaissait Deku et que Fine Boy était un commandant 4ème colonel. Selon lui, Deku, Fine Boy et Kundi n’étaient pas ensemble, car Kundi ne faisait pas partie de leur groupe. Il a ajouté que Fine Boy et Deku harcelaient les gens à Foya, embêtaient constamment les civils et n’avaient jamais assisté à un combat sur le front. Il a indiqué qu’ils étaient morts tous les deux et précisé que Deku avait été tué par les troupes de Taylor.
A la question de savoir où se trouvaient Abraham Towah et Lamine Kenneh, Omaru Musa Kenneh a indiqué qu’il pensait qu’ils avaient quitté Monrovia.
Le juge a mentionné au procès-verbal que le témoin chantait une chanson à sa propre gloire dans laquelle il prétend qu’il dit toujours la vérité.
La Cour procède à la lecture de certains passages de l’audition d’Omaru Musa Kelleh par les autorités suisses :
Invité à décrire l’apparence d’Alieu Kosiah, Omaru Musa Kelleh a déclaré qu’il avait des yeux plutôt grands et qu’il était un peu plus grand que lui. Il était très musclé et avait une carrure imposante. Il a ajouté qu’il jouait au football et avait les cuisses musclées.
L’intéressé a ensuite expliqué son rôle pendant la guerre et indiqué que sa mission portait sur 3 comtés (Bomi, Bong et Margibi). Il a instruit ses fighting commanders, dont le général Kosiah en leur disant que si un ennemi était capturé, il ne fallait pas lui tirer dessus, mais le lui amener. Selon lui, tous les territoires capturés étaient gardés sous contrôle pendant 7 jours avant de les remettre aux forces de maintien de la paix de l’Afrique de l’ouest. Une fois les territoires remis aux forces de maintien de la paix, les ULIMO n’avaient plus le commandement sur les civils. S’ils souhaitaient faire travailler les civils pour eux et que ces derniers refusaient, ils étaient punis par les forces de maintien de la paix s’ils les forçaient. Un jour, Kosiah lui a dit qu’il voulait déposer les armes et redevenir civil. Omaru Musa Kelleh lui a dit qu’il ne lui donnerait l’ordre de déposer les armes que s’il lui ramenait des "boys" de la brousse, ce que Kosiah a fait.
Interrogé sur Kundi, l’intéressé a expliqué que Kundi était “commander”, mais qu’il avait collaboré avec l’ennemi, le général Langassa. Kundi et Mohamed Sheriff voulaient renverser le général Alhaji Kromah. Kundi a néanmoins pris peur et s’est enfui en Guinée. Sur question, l’intéressé a précisé que c’était Mohamed Sheriff qui avait convaincu le colonel Langassa de se retourner contre les ULIMO. Ils devaient former leur propre faction pour tuer Alhaji Kromah, mais ils se sont dit qu’il fallait d’abord tuer Omaru Musa Kelleh sinon ils n’auraient aucune chance.
Questionné sur Deku, Omaru Musa Kelleh a déclaré qu’il s’appelait Action Deku et que son nom complet était Action Deku Musa Kamara. Son nom de guerre était Deku. L’intéressé a également indiqué qu’il était décédé et qu’il était un combattant de l’ULIMO qui ne faisait pas partie des forces spéciales regroupées au Sierra Leone. Il a ajouté que Deku avait rejoint l’ULIMO au pont de la Po River entre Bomi et Monrovia lorsque les gens de Monrovia étaient venus pour les saluer. Selon Omaru Musa Kelleh, les commandants Varmuyan Sheriff et Steven Dorley, qui était alors commanding general, l’ont accueilli dans la base de Clay Junction. Sur question, il a précisé que Deku était général.
A la question de savoir si Kosiah était déjà général à l’époque de la capture de Todi, l’intéressé a répondu que Kosiah avait été nommé général après la capture de Gbarnga, lorsqu’il a apporté la nouvelle de cette capture. Au moment de la capture de Todi, Kosiah était frontline commander, expecting generalCela signifie qu’il se faisait appeler général quand le général n’était pas là, et que cette appellation cessait quand le général revenait. Selon Omaru Musa Kelleh, expecting general était une personne qui aspirait à devenir général.
Interrogé sur la Lofa Mission, l’intéressé a déclaré qu’elle avait commencé en novembre 1993 et était dirigée par le commanding general Steven Dorley, qui avait sous ses ordres Pepper & Salt et son bataillon Strike Force.. Selon lui, il y avait également Mami Wata, Deku, Cobra, Small Donzo et Big Donzo. Il a précisé qu’il ne faisait pas partie de la Lofa Mission
Questionné sur les endroits par lesquels l’ULIMO était passé pour capturer le Lofa, Omaru Musa Kelleh a indiqué qu’ils étaient d’abord passés par Bo Waterside avant de capturer Tubmanburg dans le Bomi. De là, ils ont envoyé leurs forces à travers le pays, y compris vers le Lofa en passant par le Lofa Bridge. Il a précisé qu’à partir du Lofa Bridge, ils ne pouvaient pas prendre de véhicule et qu’il fallait marcher sur des centaines de miles pour arriver à Kolahun, Vahun, Foya, puis Voinjama.
Sur question, il a indiqué que Zorzor faisait partie du Lofa et que Foya, Voinjama et Zorzor étaient proches de la frontière avec la Guinée. Il a ajouté que Zorzor avait été capturé durant la Lofa Mission. Il a précisé sur question que Zorzor avait été la première ville capturée dans l’Upper Lofa. La seconde était Kolahun, puis Foya, puis Vahun et enfin Voinjama. Selon lui, l’ennemi était faible.
Omaru Musa Kelleh a ajouté qu’après la capture du Lofa, il s’y était rendu lui-même parce que le chief of staff y était. Il a déclaré que comme il n’aimait pas prendre de véhicule dans une guerre de guérillas, il avait préféré y aller à pied en passant par les chemins de brousse. Il est arrivé à Gondolahun et était si épuisé que des hommes avaient dû le porter dans un hummer et le transporter jusqu’à Kolahun. Il avait ensuite pris un truck pour aller jusqu’à Voinjama.
Sur question, Omaru Musa Kelleh a indiqué que Kosiah était toujours avec Dombuyah à Voinjama. Selon lui, Kosiah n’avait pas le pouvoir de décider où il allait. C’était le chief of staff qui lui donnait des ordres. Interrogé sur l’endroit où Kosiah se trouvait lors de la scission de l’ULIMO, l’intéressé a indiqué que la scission avait eu lieu à Tubmanburg dans le comté de Bomi. Les Krahns et les Mandingos ont commencé à se tirer dessus et c’était là qu’ils se trouvaient tous. Selon lui, dans un moment pareil, on ne cherche pas à savoir où sont nos amis, on lutte pour sa vie et pour échapper aux balles. Il a ajouté que cela s’était passé à la brigade des ULIMO, où tout le monde se trouvait et personne ne comprenait ce qui se passait.
Interrogé sur TT, Omaru Musa Kelleh a indiqué que TT n’était pas un prophète. Selon lui, c’était l’homme le plus âgé du Libéria. Il avait atteint l’âge de 115 ans et c’était la raison pour laquelle il était respecté par le gouvernement. Sur question, il a indiqué que TT était Kissi et vivait dans le district de Foya sous la période ULIMO. Il a ajouté que TT n’avait pris part à aucun groupe armé à sa connaissance et qu’il était protégé par les Kissis.
Interrogé sur les crimes commis par l’ULIMO contre la population civile, l’intéressé a reconnu qu’il en avait connaissance en précisant que les soldats de l’ULIMO qui s’en prenaient aux civils en payaient les conséquences. Selon lui, ceux qui commettaient des viols étaient exécutés. Le viol était le crime le plus fréquent et le seul pour lequel des soldats étaient exécutés. Il a indiqué que les soldats qui étaient restés longtemps dans la forêt voulaient avoir des relations sexuelles et si les femmes refusaient, ils les violaient. Dans ce cas, ils étaient exécutés. Il a ajouté qu’il y avait des « S.O.P. » très forts chez les ULIMO.
Interrogé sur les viols commis par l’ULIMO dans le Lofa, Omaru Musa Kelleh a indiqué qu’un soldat avait commis un viol et avait été arrêté et emprisonné jusqu’à l’arrivée du Chief of Staff Dombuyah. Selon lui, la décision devait être prise par tous les généraux. Un message leur était envoyé les avertissant qu’un soldat avait commis un viol. Selon les « S.O.P. », il devait être exécuté, mais il n’était pas tué par balle. Il devait creuser sa propre tombe, dans laquelle on l’enterrait.
Interrogé sur la pratique du tabé, Omaru Musa Kelleh a indiqué que de son côté, les soldats étaient très disciplinés. Sur question, il a ajouté qu’il y avait un homme avec eux qui avait des pouvoirs magiques. Il s’appelait Zina. Un jour, il a dit à Omaru Musa Kelleh de le taber et de le jeter dans un marais en pariant que, le temps que l’intéressé rentre à son bureau, il serait déjà devant la porte. Omaru Musa Kelleh a indiqué qu’il l’avait attaché solidement et jeté dans l’eau. Quand il est retourné à son bureau, il a vu l’homme qui dansait devant la porte. Il a ajouté que c’était le seul tabé qu’il avait pratiqué.
Questionné sur le fait qu’Alieu Kosiah, surnommé « Physical Cash », avait prévu de se livrer au commerce d’huile de palme, l’intéressé a déclaré que c’était lui qui avait donné ce surnom à Kosiah quand ce dernier lui avait dit qu’il voulait faire du business dans l’huile de palme. Selon lui, Kosiah s’entendait bien avec les civils. Parfois il partait et restait dormir dans les villages. Omaru Musa Kelleh trouvait cela risqué, mais Kosia lui disait que la région était calme, que la guerre était terminée et qu’il avait toujours un ou deux hommes avec lui pour l’escorter, ce qui avait rassuré l’intéressé. Sur question, Omaru Musa Kelleh a indiqué que Kosiah prenait l’huile de palme du village et l’emmenait à Monrovia.
Interrogés sur les bataillons « Zebra » et « Alligator », il a déclaré que « Zebra » était l’unité mère des ULIMO à leur arrivée du Sierra Leone au Libéria et que c’était cette unité qui avait donné naissance aux autres bataillons. Selon lui, quand les ULIMO se sont divisés, « Zebra » s’est aussi divisé et a donné naissance aux ULIMO-K avec les bataillons « Strike Force », « Alligator » et « Lo Pizo ». Sur question, il a déclaré que Kosiah était dans le bataillon « Alligator » avec lui. Kosiah n’était pas battalion commander bataillon commander, mais suivait les ordres de Omaru Musa Kelleh. Selon lui, les ULIMO-K et les ULIMO-J avaient chacun un bataillon « Alligator » et un bataillon « Zebra » : « Alligator A » pour l’ULIMO-K de Kromah et « Alligator B » pour l’ULIMO-J de Roosevelt. Il a ajouté que seul Strike Force était unique aux ULIMO-K.
La partie civile procède à la lecture de certains passages de l’audition d’Omaru Musa Kelleh par les autorités suisses :
Interrogé sur Pepper & Salt, Omaru Musa Kelleh a rigolé et déclaré : « Puisse-t-il reposer en paix ». Il a indiqué que Pepper & Salt était un grand commandant, un homme fort pour les ULIMO et que c’était lui qui avait capturé le Lofa avec ses hommes. Selon lui, son vrai nom était Ousman Konneh.
Questionné sur le rôle d’Alieu Kosiah au sein de l’ULIMO, l’intéressé a déclaré que son rôle était d’être un homme de frontline pour lui ou, en d’autres termes, un battlefront commander, soit l’homme qui dirige un groupe et lui indique où aller.
Interrogé sur son nom de guerre, Omaru Musa Kelleh a chanté « Zo Kele Kele you talking the truth » et déclaré que son nom était là-dedans, comme cela les enfants voulaient le suivre, car il disait la vérité.
Questionné sur le dénommé HB, l’intéressé a déclaré qu’il savait peu de choses sur lui. Il a indiqué que HB était un petit journaliste criminel célèbre au Libéria. Selon lui, HB est venu en Europe pour trouver de l’argent en faisant souffrir les autres. Omaru Musa Kelleh croit avoir entendu parler de HB en 2015 et a fait référence à un article dans lequel HB aurait répandu des mensonges sur Alieu Kosiah. Selon l'intéressé, HB ne peut pas retourner facilement au Libéria, car d’autres combattants l’attendent. Omaru Musa Kelleh s’est demandé comment HB savait ce qu’il racontait, dans la mesure où il n’était jamais allé sur la ligne de front. Il a déclaré que HB s’est contenté de rester en ville et de demander à des civils de lui donner des informations, en étant même prêt à les payer.
Interrogé sur Mami Wata, il a indiqué que son vrai nom était Duana Kamara. Selon lui, c’était un excellent combattant du bataillon « Strike Force », qui est allé capturer le comté du Lofa, le plus grand comté du Libéria. Omaru Musa Kelleh a ajouté que Mami Wata était décédé. Questionné sur les autres combattants du bataillon « Strike Force », il a indiqué qu’il y avait Ugly Boy Sheriff et qu’il était appelé ainsi de manière ironique car il était plutôt beau et « tall bright ».Selon lui, Ugly Boy a été tué en Guinée à cause de son mauvais comportement.
Interrogé sur les circonstances dans lesquelles le chant “Zo Kele Kele” était chanté, l’intéressé a indiqué que cette chanson venait de lui et était destinée à motiver les combattants au moment d’un déplacement vers l’ennemi, puisqu’il n’avait pas d’argent pour les payer.
A la question de savoir si le nom Skyface Kabbah lui disait quelque chose, Omaru Musa Kelleh a répondu : « Ah ! Scarface ? Scarface, comme Al Pacino. Scarface Kabbah était colonel chez les ULIMO. C’était un très bel homme ».
Interrogé sur l’identité des anciens soldats qui attendaient HB au Libéria, l’intéressé a déclaré qu’il avait lui-même été contre HB dès le moment où il avait pris connaissance de son article de journal. Il s’est demandé comment ce dernier avait pu s’en prendre à un frère en répandant des mensonges sur lui. Selon l’intéressé, beaucoup de gens étaient contre HB et même lorsqu’on parle de lui dans les « hatay shops », des voix s’élèvent pour demander sur quelle ligne de front il était allé pour pouvoir parler ainsi d’un frère. Omaru Musa Kelleh a ajouté que HB était seulement resté assis à Monrovia et avait cherché à obtenir la reconnaissance des occidentaux avant de partir là-bas.
Sur question du Président, la directrice de l’ONG Civitas Maximas, Emmanuelle Marchand, a précisé qu’un hatay shop était un lieu de rencontre pour discuter, comme un café.
Invité à se déterminer sur les déclarations de Kosiah selon lesquelles Foya n’avait pas encore été prise à son arrivée à Voinjama, Omaru Musa Kelleh a déclaré que Foya était à la frontière avec la Guinée et que TT se trouvait dans cette zone, près de la frontière avec le Sierra Leone, où les RUF le protégeaient. Les RUF traversaient la rivière à Solomba et l’ULIMO n’avait pas assez d’hommes à Foya pour les repousser. Selon lui, la route principale allait de Kolahun à Voinjama et Foya se situait dans une zone de combat très active. On lui avait demandé d’y aller, mais il avait refusé d’aller s’enfermer dans ce piège. Selon lui, Pepper & Salt est passé à l’ennemi et Dombuyah a dû se baser à Voinjama pour soutenir les hommes.
Interrogé sur le type de travail que les civils étaient forcés d’effectuer, Omaru Musa Kelleh a indiqué qu’il pouvait s’agir de cuisiner pour lui, faire du nettoyage, laver ses vêtements ou polir ses chaussures. Il a précisé qu’il le demandait toujours poliment et que les gens n’étaient pas des esclaves.
Les avocates générales ont souligné la mention de l’expression “till go” dans une note au procès-verbal.
Questionné sur la rémunération des civils pour les services rendus, l’intéressé a déclaré qu’il n’était pas payé pour venir sauver les civils et que quand les civils le servaient, ils étaient payés avec un peu de riz ou de la soupe.
Ni les avocates générales ni l’avocate de la défense n’ont sollicité des lectures complémentaires.
Le Président a ajouté que Omaru Musa Kelleh était visiblement un homme important au sein de l’ULIMO. L’avocate des parties civiles a précisé que le comté de Lofa avait été divisé en deux en 2003 avec le comté de Gbarpolu. Sur question d’un juré, le Président, l’avocate des parties civiles et les avocates générales ont indiqué que Omaru Musa Kelleh avait été entendu en qualité de témoin de la défense et du Ministère public deux ans auparavant à Monrovia. Il avait déclaré être né en 1965 et demeurer à Congo Town.