[10/24/2022] Jour 11 : Tabey
Audition LSM en tant que partie civile
LSM a indiqué qu’il était né le 22 avril 1972 à Monrovia et qu’il était agent de sécurité privée. Avant de lui laisser la parole, le Président a précisé que LSM avait été entendu par le procureur fédéral suisse le 28 janvier 2016, puis par le juge d’instruction Raffray le 7 janvier 2020 dans le cadre de la procédure judiciaire d’information. Il a ensuite été confronté à SS devant le juge d’instruction le 13 janvier 2020.
LSM a débuté sa déclaration spontanée en remerciant la Cour de lui avoir permis d’être présent. Il a raconté qu’à cause de la guerre, sa famille avait été déplacée à Kolahun dans le cadre d’une mission de la Croix-Rouge. Comme ils manquaient de nourriture, sa mère l’a envoyé dans la ferme de sa tante à Foya. Ils y ont passé deux nuits, puis des personnes sont venues à leur rencontre pour leur dire de ne pas aller à Foya. A la suite de cela, des troupes ULIMO ont envahi les villages avoisinants, dont celui où ils se trouvaient, et ont rassemblé les habitants pour les envoyer à Foya. LSM a expliqué que les soldats ULIMO les avaient séparés en trois files, hommes, femmes et enfants, et qu’ils ont examiné la situation personnelle de chacun. LSM a été placé sur le côté avec six autres personnes, dont deux de ses cousins. Ils ont été accusés par les troupes de l’ULIMO d’être des rebelles, alors qu’ils leur disaient qu’ils étaient des étudiants.
Les soldats les ont emmenés au bureau S2 à proximité de la piste d’atterrissage et du marché. Arrivés sur place, Alieu Kosiah a ordonné à Kundi de pratiquer le tabé sur chacun d’entre eux. Pendant que les soldats les attachaient, LSM n’est pas resté silencieux : il a crié qu’ils n’étaient pas des rebelles et qu’ils étaient innocents. Alieu Kosiah a alors donné l’ordre à Kundi de dire à ses soldats d’attraper LSM par les jambes et de le traîner par terre sur une longue distance. LSM a raconté qu’il avait commencé à saigner et que sa peau se déchirait alors qu’il se faisait traîner par terre. Il a ressenti une forte douleur une fois ramené à l’endroit initial, mais a continué de dire qu’ils n’étaient pas des rebelles.
LSM a ensuite raconté que les soldats avaient pris une grosse pierre et avaient fracassé la tête de l’un des six autres hommes. LSM était terrifié et a fermé les yeux. Il a entendu des cris, puis les cris se sont arrêtés et il y a eu un moment de silence. Lorsqu’il a rouvert les yeux, il a vu une mare de sang sur le sol, mais il n’y avait plus personne. Deku est venu et a dit aux soldats qu’il ne fallait pas traiter les gens de cette manière.
LSM a montré à la Cour et aux parties sa cicatrice dans le dos. Il a expliqué qu’il avait été tiraillé de part et d’autre par Kundi à sa droite et Kosiah à sa gauche, alors qu’il était tabé. Soudain, ses liens se sont détachés et il a reçu un coup de couteau dans le dos. Sur question du Président, LSM a indiqué qu’il ignorait l’identité de celui qui lui avait infligé cette blessure.
A l’arrivée de Deku, LSM a été emmené au bureau S2 et interrogé avant d’être ramené chez lui pour se faire soigner par sa cousine infirmière. Il a raconté qu’il devait se rendre tous les matins au bureau S2 pour faire le ménage et rentrait le soir pour se faire soigner. Après deux semaines, alors que ses plaies commençaient à guérir, les gens du S2 l’ont réquisitionné avec d’autres civils pour porter du café jusqu’à Solomba. LSM a raconté avoir été contraint à porter du café sur sa tête jusqu’à la frontière et qu’après que les soldats ont terminé leur business, ils les ont ramenés à Foya.
LSM a ensuite raconté que sur conseil de sa cousine, il avait quitté Foya avec sa fiancée pour se rendre à Tubmanburg, afin d’être en sécurité. En chemin, ils sont montés dans le pick-up truck d’une entreprise américaine active dans le commerce du bois. A Tubmanburg, LSM a été recruté par l’ULIMO et a suivi une formation militaire de 3 mois avant d’être envoyé à Foya. Il a indiqué avoir été assigné à un commandant Krahn et précisé qu’il y avait également un autre commandant du nom de Jackson.
Le lendemain, Jackson a ordonné à LSM d’escorter un convoi jusqu’à Solomba et est parti chercher des civils dans la ville. Selon LSM, il y avait du café, du cacao, un générateur et un grand camion dépourvu de moteur que les civils devaient pousser. Il y avait aussi un autre petit camion qui appartenait à TT et qu’il fallait pousser. Selon LSM, le convoi était long, il y avait beaucoup de civils et tout le monde était présent, dont CO Kosiah, Deku et les hommes du S2. Kundi était également présent d’après lui, mais il ne l’a pas vu.
LSM a indiqué qu’il était soldat et ne craignait rien, alors que lors de sa première marche forcée, il avait eu peur car il était frappé par les soldats quand il ne marchait pas assez vite. Il a ajouté qu’en tant que soldat, il avait lié des amitiés avec les civils, car il était lui-même civil auparavant. Il a raconté que Kosiah avait un garde du corps qui a exécuté un civil qui s’était plaint d’être fatigué lors de la marche forcée. LSM a rapporté cette exécution à Jackson et ce dernier lui a dit de se taire en lui assurant qu’il ferait un rapport une fois rentré à Foya.
A Solomba, LSM était chargé d’accompagner les civils jusqu’à l’endroit où les marchandises devaient être déposées et de les surveiller pour qu’ils restent en sécurité étant donné que le NPFL combattait dans la brousse. Selon LSM, le commandant Jackson est revenu de Guinée avec du pain qu’il a partagé avec les civils. Ils sont ensuite rentrés à Foya et ont raccompagné les civils chez eux.
LSM a poursuivi en indiquant qu’un matin, ils avaient reçu des informations au sujet d’une attaque à Zorzor. Kosiah avait pris des hommes pour se battre à Zorzor et avait informé Mami Wata que son frère avait été tué au front. Ils ont appelé ce jour “Black Friday”. LSM a précisé que Ugly Boy habitait près de chez lui et que Mami Wata était à Kolahun Road. Suite à cette nouvelle, Mami Wata a tué et pris des cœurs humains. LSM s’est rendu au checkpoint où il a vu le corps de son cousin. Il a déclaré que Ugly Boy pouvait tuer quelqu'un, prendre son cœur, le cuire et le manger. Il a ajouté que Deku était fâché car il n’aimait pas ce genre de choses, et que CO Jackson était également en colère contre Mami Wata et Ugly Boy. LSM a déclaré : « C’est le jour qu’on appelait Black Friday à Foya, demandez à n’importe qui. Si vous entendez Black Friday, c’est le jour où ils ont tué beaucoup de civils. A chaque fois que je pense à ce jour, je pleure car ils ont tué le fils de ma tante et mangé son cœur ».
LSM a terminé sa déclaration spontanée en indiquant que lorsque Kosiah est parti à Zorzor, il y est resté longtemps et ils ont été informés de la scission entre les mandingues et les krahns. Comme il était assigné à un commandant krahn, LSM a pris peur et a décidé de s’enfuir en Sierra Leone pour sauver sa peau. Pour lui, la guerre était alors terminée.
La Cour questionne LSM :
Le Président a demandé à LSM quelques précisions sur sa situation personnelle à l’époque des faits et sur sa capture à la ferme. LSM a confirmé qu’il avait environ 20 ans en 1992 et indiqué qu’il était étudiant et habitait avec ses parents. Il a précisé qu’il était allé à la ferme de sa tante pour chercher à manger. Il a par ailleurs confirmé avoir été capturé à la ferme de sa tante et ramené à Foya avec sept autres personnes, dont deux de ses cousins et quatre autres garçons du village. Il a précisé qu’il était le plus âgé des sept. Interrogé sur l’ethnie des autres garçons, LSM a indiqué qu’il l’ignorait. A la question de savoir s’il y avait des rebelles dans le groupe de personnes arrêtées par l’ULIMO, LSM a répondu qu’il ne savait pas, mais qu’il n’avait pas vu ces gens avec des armes.
Le Président a ensuite interrogé LSM sur le moment où il a été ramené à Foya et en particulier s’il se souvenait d’un puits. LSM a confirmé qu’ils avaient été soumis tous les sept au tabé à proximité du puits. Il a ajouté qu’ils étaient les sept par terre et que l’un d’eux avait été frappé sur la tête. Quant à lui, il saignait et a été emmené ailleurs pour être soigné.
Le Président a rappelé que lors de son audition devant les autorités suisses, LSM a indiqué avoir été trainé sur 60m à l’aller et 60m au retour, soit sur une distance de 120m au total, ce que LSM a confirmé. Sur question, LSM a indiqué avoir été traîné par Kundi et un autre soldat sur ordre d’Alieu Kosiah. Interrogé sur la raison pour laquelle il avait été la cible d’un tel traitement, LSM a déclaré que c’était parce qu’il était devenu le porte-parole du groupe en disant qu’ils n’étaient pas des rebelles.
Le Président a rappelé à LSM que lors de son audition devant les autorités suisses, il a déclaré qu’il avait fermé les yeux, puis entendu des cris et un coup de feu. Le Président a relevé qu’aujourd’hui, LSM n’a pas mentionné de coup de feu. L’intéressé a déclaré qu’il avait fermé les yeux quand les soldats ont commencé à frapper la tête de l’un d’entre eux et qu’il avait entendu des coups de feu. Lorsqu’il a rouvert les yeux, il a vu du sang.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles il a été épargné alors que les autres ont été tués, LSM a déclaré que seul Dieu pouvait le dire. Le Président lui a demandé s’il était plus grand et plus musclé que les autres et LSM a dit qu’il ne connaissait que ses deux cousins et qu’il ne s’était jamais tu.
Interrogé sur l’intervention de Deku, LSM a précisé qu’il pensait que Deku était le grand commandant à Foya et a confirmé qu’il n’était pas content de ce qu’il avait vu. Il a ajouté qu’une dispute avait éclaté entre Deku, Kosiah et Kundi et que Deku l’avait emmené au bureau S2.
Questionné sur le coup de couteau qu’il a reçu dans le dos, LSM a expliqué que Deku se disputait avec les autres et leur a ordonné de couper ses liens. C’est à ce moment-là que l’intéressé a senti le coup de couteau dans son dos alors que Kundi se trouvait à sa gauche et Kosiah à sa droite. Le Président a demandé à LSM si le coup était volontaire ou s’il était intervenu au moment de couper les liens. LSM a répondu : « ça pourrait être ça, mais ils voulaient vraiment que je sois mort ». Il a par ailleurs confirmé qu’ils auraient pu le tuer avec les six autres.
Interrogé sur le bureau S2, LSM a expliqué qu’il s’agissait d’un bureau de liaison entre soldats et civils. Ce bureau était sous le contrôle du grand commandant Deku. Questionné sur Fine Boy, LSM a indiqué que Fine Boy rédigeait les rapports et était commandant du S2. Interrogé sur la relation entre Fine Boy et sa cousine, il a déclaré que Fine Boy était le fiancé de sa cousine, car tout le monde cherchait quelqu'un pour se protéger. Le Président lui a ensuite demandé s’il avait été épargné grâce au fait que sa cousine était fiancée à Fine Boy. LSM a répondu que Fine Boy était un sous-officier et qu’il pensait plutôt que c’était Deku qui l’avait protégé, en précisant que tout le territoire était sous son autorité.
Le Président est ensuite revenu sur ses déclarations selon lesquelles il faisait le ménage au bureau S2 après sa convalescence. A cet égard, LSM a précisé que comme il était soupçonné d’être un rebelle, il faisait le ménage et la lessive tous les matins.
Interrogé sur les marches forcées, LSM a indiqué que les soldats demandaient aux civils de transporter des marchandises jusqu’à la frontière quand ils recevaient l’ordre du quartier-général. Selon lui, ces marches avaient lieu deux à trois fois par semaine.
Sur question, LSM a précisé qu’une période de 4 mois s’était écoulée entre l’incident du tabé qu’il a relaté et son recrutement au sein de l’ULIMO. Questionné sur la marche forcée qu’il a escortée, LSM a déclaré qu’il avait une arme et que l’ULIMO avait pillé les pièces de la centrale électrique de Foya, notamment en extrayant certains éléments de la machine « Blackstone ». Selon lui, les ULIMO ont aussi pris des sacs de cacao dans un dépôt de cacao situé à Foya. Sur question, il a confirmé qu’un garde du corps de Kosiah avait tué un civil qui était fatigué. Il a précisé que le garde du corps avait mis le civil sur le côté de la route et lui avait tiré dans la tête. Concernant les commandants présents lors de ce convoi, LSM a précisé que tous les commandants étaient à l’arrière et les soldats à l’avant. Il a ajouté qu’il s’était rendu à l’arrière du convoi pour prévenir Jackson de l’exécution du civil par le garde du corps d’Alieu Kosiah et que Jackson lui avait dit qu’il ferait un rapport sur cet incident, mais il n’a rien fait.
Interrogé sur ses déclarations lors de ses précédentes auditions à teneur desquelles il avait vu une brouette remplie de corps humains, LSM a indiqué qu’il s’agissait du Black Friday et déclaré : « On avait deux tueurs de masse à Foya : Ugly Boy et Mami Wata. Ce sont eux qui ont commis ce génocide ». A la question de savoir s’ils étaient capables de découper des corps humains, LSM a répondu que cela était commun. Il a ajouté qu’Ugly Boy était également surnommé Saah Chuey et qu’il pouvait extraire le cœur. Il a déclaré à propos d’Ugly Boy : « Si vous étiez en bons termes avec lui et qu’il vous invitait chez lui, vous ne saviez pas que vous étiez en train de manger un cœur humain. C’était la seule partie du corps humain qu’il mangeait ».
Le Président est ensuite revenu sur la mort du cousin de LSM et lui a demandé s’il avait vu le corps de son cousin avec le cœur arraché. LSM a indiqué ne pas avoir assisté à la mort de son cousin, mais avoir été prévenu qu’il avait été tué. Une fois sur place, il a découvert le corps de son cousin allongé sur le dos et sans cœur. Le Président lui a demandé s’il avait vu des corps avec le thorax ouvert. LSM a déclaré : « Tous les corps allongés par terre sur le dos, vous pouviez vous dire qu’on leur avait enlevé le cœur ».
Sur question, LSM a confirmé qu’il avait pris peur lors de la scission de l’ULIMO et a précisé qu’il avait été pris pour cible car il s’était opposé à la mort de son cousin. Il a par ailleurs confirmé être parti en Sierra Leone et ne pas y avoir vu les commandants qu’il a évoqués précédemment. Sur question, il a indiqué que Kundi et Kosiah se comportaient de façon « très moche » quand il était soldat de l’ULIMO.
Interrogé sur ses ressentis par rapport à cette période, l’intéressé a déclaré non sans émotion qu’à chaque fois qu’il y repensait, il se sentait très mal et que sa tante n’avait pas vécu longtemps. Questionné sur les raisons qui l’ont poussé à se constituer partie civile, LSM a indiqué qu’il ne parvenait pas à se reposer car il rêvait de son cousin et qu’il avait besoin de justice.
Un juge assesseur est ensuite revenu sur la temporalité en indiquant que LSM avait passé un mois en convalescence après avoir été tabé, puis avait effectué 3 mois de formation militaire. A la question de savoir si Kundi était toujours là lorsque LSM a intégré l’ULIMO en tant que soldat, LSM a répondu que Kundi était là quand il a été tabé. Il a ensuite expliqué que Kundi était basé à Foya en tant que commandant au front et que Kosiah faisait des allers-retours. Le juge assesseur lui a alors demandé s’il avait vu Kundi lorsqu’il était soldat de l’ULIMO. LSM a répondu qu’ils étaient sur le front vers Solomba, alors que lui [LSM] était à Foya Tenga.
Sur question du juge assesseur, LSM a indiqué qu’il avait commencé l’école tard et qu’il était en 6ème à l’époque, alors qu’il avait environ 20 ans. Il a raconté que son père travaillait dans un hôtel à Monrovia et que sa mère était commerçante, de sorte qu’ils avaient un niveau de vie correct. Interrogé sur les raisons ayant conduit l’ULIMO à le considérer comme un rebelle, LSM a déclaré que c’était parce que l’ULIMO combattait les rebelles NPFL qui ont fui dans la brousse.
Questionné sur le type d’armes qu’il a appris à manier lors de sa formation au sein de l’ULIMO, LSM a indiqué qu’il avait appris à utiliser des AK47, des RPG et d’autres armes. Sur question, il a précisé que le camp se trouvait à Tubmanburg. Interrogé sur le contenu de la formation et en particulier si on lui avait expliqué les finalités de la guerre, LSM a répondu qu’on lui avait dit que l’ULIMO défendait le peuple contre le NPFL. S’agissant du traitement des civils, l’intéressé a indiqué qu’il avait reçu l’instruction de ne pas tuer le chef de rebelles si ce dernier venait à être capturé et d’être ami avec les civils, pour qu’ils les informent des dangers et leur évitent des embuscades. Sur question, il a précisé qu’il avait été sensibilisé aux sanctions encourues, telles que l’emprisonnement, en cas de mauvais comportement. A la question de savoir s’il était fréquent qu’un commandant frappe ses soldats lorsque ces derniers ne respectaient pas les instructions, LSM a répondu qu’un militaire ne frappait pas un autre militaire, mais pouvait l’emprisonner. Interrogé sur la manière dont les viols sur les civils étaient sanctionnés, LSM a indiqué que cela faisait partie du code de conduite. Il ajouté que si les viols étaient commis dans la brousse, cela ne posait pas de problème. En revanche, les soldats qui commettaient des viols à Tubmanburg étaient punis, car ils étaient identifiés. Selon lui, les militaires qui ont commis des viols ont été emprisonnés. Ceux qui ont tué ont été mis en prison pour 3 ou 4 mois. Il a déclaré que deux crimes étaient graves : le viol et le fait de tirer sur un militaire. Dans les deux cas, les auteurs pouvaient être emprisonnés. Il a ajouté que c’était durant sa formation militaire qu’il avait appris cela.
Le Président est ensuite revenu sur l’audition de LSM par les autorités suisses en 2016 lors de laquelle il avait refusé d’être confronté à Alieu Kosiah, mais l’avait vu à travers un écran. LSM a précisé que les enquêteurs voulaient vérifier s’il reconnaissait Kosiah et lui ont présenté des photos en noir et blanc. Il a précisé qu’il avait décrit Kosiah, en particulier ses yeux car les yeux ne changent pas, avant qu’on ne lui présente les photos. Il a ajouté qu’aussi bien lorsqu’on lui a présenté les photos que lorsqu’il a vu Kosiah à travers la vitre, il l’a reconnu.
Le Président a indiqué que LSM avait reconnu Kunti Kamara sur la planche photo lors de son audition et a demandé à l’intéressé s’il le reconnaissait aujourd'hui dans le box des accusés. LSM a confirmé qu’il reconnaissait Kundi et a déclaré que la dernière fois qu’il l’avait vu à Bellinzone, il était plus costaud.
La partie civile questionne LSM :
L’avocate des parties civile a demandé à LSM s’il savait qui dirigeait le NPFL avant l’arrivée de l’ULIMO à Foya et LSM a répondu qu’il l’ignorait car il était à Kolahun. Sur question, il a confirmé avoir entendu parler du général Fayah.
Interrogé sur la raison pour laquelle il avait pensé que Kundi était le garde du corps spécial d’Alieu Kosiah la première fois qu’il l’a rencontré, l’intéressé a déclaré qu’en tant que civil à l’époque, il ne pouvait pas faire la différence entre garde du corps et garde du corps spécial. L’avocate des parties civiles lui a alors demandé pourquoi il avait pensé que Kundi était assigné à Kosiah et LSM a déclaré que lorsque Kosiah donnait des ordres, Kundi les exécutait.
Interrogé sur le sort réservé aux six autres civils, LSM a indiqué qu’on lui a rapporté que tous les six avaient été tués et jetés dans un puits, qui avait par la suite été fermé par les villageois en raison des odeurs et des mouches.
Interrogé sur la marche forcée qu’il a effectuée en tant que soldat, LSM a confirmé qu’elle avait eu lieu pendant la saison des pluies. Il a indiqué que le convoi était très grand et qu’il y avait beaucoup de monde. Il a par ailleurs confirmé que certains civils devaient pousser des camions sans moteur et d’autres devaient porter des choses sur leur tête. Sur question, LSM a admis qu’il était possible que dans la mesure où il se trouvait à l’arrière du convoi, il n’ait pas pu apercevoir Kundi qui se trouvait à l’avant. Il a par ailleurs indiqué que la marche avait débuté au bureau S2, non à la centrale électrique, et que les marchandises étaient transportées de l’autre côté de la frontière à l’aide de canoës et de ferrys. Il a précisé que sa mission consistait à protéger les civils et qu’il ne s’occupait pas de faire traverser les marchandises. Invité à donner des précisions sur le ferry qu’il venait d’évoquer, LSM a indiqué qu’il y avait des bidons vides sur le ferry et que des planches étaient placées sur les bidons.
Interrogé sur le domicile de Kundi à Foya, LSM a répondu que Kundi avait un domicile à Foya, mais qu’il ignorait où il se trouvait. Tout ce qu’il savait, c’est que Kundi était sur le front.
A la question de savoir si les soldats ULIMO portaient des perruques et des masques, LSM a répondu que les militaires portaient des perruques et que quand ils allaient au front, ils devaient se déguiser. Selon lui, tout le monde ne se déguisait pas, mais cela servait à ne pas se faire identifier. Sur question, il a indiqué que le jour où il avait subi le tabé, Kundi ne portait ni une perruque ni un masque.
L’avocate des parties civiles est ensuite revenue sur l’audition de l’intéressé par le juge d’instruction français à Monrovia, qui s’est manifestement mal passée. LSM a déclaré qu’il travaillait de nuit et qu’il voulait aller se reposer, mais le juge lui posait des questions. L’avocate des parties civiles a déclaré que cela était susceptible d’expliquer les problèmes de compréhension, ce que LSM a confirmé.
A la question de savoir s’il avait été menacé après avoir témoigné contre Alieu Kosiah, LSM a acquiescé et a précisé qu’il avait été attaqué. On lui a cassé une dent et volé son téléphone, son passeport et ses habits, ce qui l’avait amené à porter plainte.
Le Ministère public questionne LSM :
Invité à confirmer sa déclaration devant les autorités suisses selon laquelle lui et les autres civils avaient été capturés par l’ULIMO pour être emmenés à Foya et pour les faire travailler, LSM a indiqué que lors de la capture de Foya, les civils ont fui et les soldats ULIMO sont allés les chercher dans la brousse, car les civils sont importants dans une guerre. Les avocates générales ont donné lecture des déclarations de LSM à teneur desquelles les soldats étaient allés chercher les civils dans la brousse pour les ramener à Foya et pour les faire travailler pour eux, faire le ménage, la cuisine, battre le riz. LSM a déclaré que sans les civils, les militaires ne pouvaient pas vivre et qu’il avait lui-même été capturé en tant que civil et était devenu militaire à cause des maltraitances.
Interrogé sur l’existence de laissez-passer et d’un couvre-feu, LSM a précisé que les laissez-passer servaient à identifier les civils et les distinguer des rebelles. S’agissant du couvre-feu, l’intéressé a indiqué que personne ne pouvait sortir pendant le couvre-feu et que si quelqu'un, autre qu’un soldat, était dehors après 17h-18h, il n’était pas en sécurité.
Interrogé sur sa première rencontre avec Kundi, LSM a indiqué que quand il a été amené à Foya, on l’a emmené au bureau S2, puis au marché. C’était là qu’il avait entendu qu’il s’appelait Kundi. Il a confirmé l’avoir vu pour la première fois juste avant d’avoir été soumis au tabé.
Sur question, LSM a indiqué que Kundi commandait un peloton d’environ 36 hommes et que lorsqu’il n’était pas sur le front, il avait au moins trois gardes du corps et des RTO âgés de 10 à 16 ans avec lui. LSM a ajouté qu’un commandant ne se promenait jamais seul. Les avocates générales ont demandé à LSM s’il se souvenait des noms des soldats sous les ordres de Kundi, notamment Saddam et Babylone. L’intéressé a répondu qu’il avait entendu parler de Saddam et Babylone, mais qu’il n’était pas proche d’eux.
Interrogé sur sa dernière rencontre avec Kundi, LSM a déclaré l’avoir vu pour la dernière fois à Zorzor alors qu’Alieu Kosiah avait demandé des renforts de Foya.
Les avocates générales ont ensuite rappelé les déclarations de LSM devant les autorités suisses, selon lesquelles il avait peut-être reçu un coup de baïonnette lorsque Kundi et Kosiah se tenaient derrière lui. Des photographies lui ont été présentées par les avocates générales et LSM a identifié la baïonnette d’un AK47 comme l’arme ayant été utilisée pour le poignarder dans le dos.
Invité à confirmer ses déclarations selon lesquelles les véhicules poussés par les civils lors des marches forcées étaient dépourvus de moteur afin de ne pas alerter les soldats du NPFL, l’intéressé les a confirmées. Sur question, LSM a indiqué ignorer le nombre exact de civils et de soldats ULIMO présents lors de ces marches. Interrogé sur les chants et les menaces proférées lors des marches, LSM a déclaré que la seule expression qu’il avait entendue était « Till go » et que les chants étaient destinés à motiver les militaires.
Les avocates générales sont revenues sur l’exécution d’un civil lors d’une marche mentionnée par LSM et lui ont demandé s’il en avait parlé à Deku et si l’auteur avait été sanctionné. LSM a répondu qu’aucune sanction n’avait été prise et que Foya était un front, de sorte qu’il était possible de tuer quelqu'un sans que personne le sache.
La défense questionne LSM :
L’avocate de la défense a demandé à LSM si Alieu Kosiah avait donné l’ordre à Kundi de le taber et de le traîner, ce que LSM a confirmé. L’avocate de la défense s’est étonnée de cette réponse car devant les autorités suisses, LSM avait déclaré qu’il ignorait qui l’avait attaché et qui l’avait traîné dans la mesure où beaucoup de soldats étaient présents. LSM a répondu que Kosiah avait donné l’ordre et que lorsqu’il a été traîné, Kundi était là.
Le Président a indiqué que lors de son audition en 2015, LSM avait déclaré que c’était Kundi qui l’avait traîné par les jambes. Selon l’avocate de la défense, les déclarations de LSM sont contradictoires puisqu’il a dit lors de sa dernière audition devant les autorités suisses que ce n’était ni Kosiah ni Kundi qui l’avaient traîné. Les avocates générales et l’avocate des parties civiles ont manifesté leur désaccord avec cette affirmation en citant d’autres passages de l’audition de LSM, dans lesquels ce dernier a notamment affirmé que c’était Kosiah qui avait donné l’ordre à Kundi et que Kundi avait fait en sorte de l’exécuter. Quant à LSM, il a répété qu’il avait été tabé, puis traîné, et que les six autres avaient été exécutés. Il a déclaré que l’auteur des faits était le commandant qui avait donné l’ordre et que Kundi avait exécuté l’ordre de Kosiah avec les autres soldats. Interrogé sur la raison pour laquelle Kosiah n’avait pas donné l’ordre directement aux soldats, LSM a répondu que Kosiah avait donné l’ordre à Kundi qui a ensuite donné l’ordre aux autres soldats.
L’intéressé a ensuite été questionné par l’avocate de la défense à propos de ses blessures. L’avocate de la défense s’est étonnée que LSM n’ait pas indiqué avoir été blessé aux bras, alors que de telles blessures auraient dû être induites par sa position (tabé) lorsqu’il a été traîné. Son dos aurait dû être protégé et ses avant-bras blessés selon l’avocate de la défense. LSM a répondu qu’il avait été poignardé dans le dos et qu’il avait encore mal aux bras.
L’avocate de la défense a ensuite relevé que LSM n’avait vu ni les six autres hommes se faire exécuter ni l’endroit où leurs corps avaient été déposés, de sorte qu’il avait supposé qu’ils avaient été jetés dans le puits. LSM a répondu que des civils ont été témoins de l’exécution et lui ont raconté que les soldats avaient déposé les corps dans le puits.
Sur question, LSM a confirmé avoir rejoint l’ULIMO pour sa sécurité sur conseil de sa cousine. L’avocate de la défense a alors relevé que lors de son audition devant les autorités suisses, LSM a déclaré que c’était Fine Boy qui lui avait conseillé de rejoindre l’ULIMO, alors que Fine Boy avait indiqué aux autorités suisses qu’il ne connaissait pas LSM. L’intéressé a rétorqué que Fine Boy faisait partie du bataillon Strike Force à Voinjama et qu’il ne mettrait jamais en cause Kosiah et Kundi. Il a ajouté qu’il ne pouvait pas forcer Fine Boy à dire qu’ils se connaissaient, mais que tel était bien le cas. L’avocate de la défense a répliqué que Fine Boy n’était sous les ordres de personne lorsqu’il a témoigné en Suisse et que LSM avait adapté son témoignage en fonction des déclarations de Fine Boy devant les autorités suisses. LSM a rétorqué qu’il avait dit que Fine Boy et sa cousine discutaient entre eux sur le fait qu’il rejoigne les ULIMO.
Interrogé sur sa position au sein du convoi lors de la marche forcée du générateur, LSM a déclaré que les commandants étaient à l’arrière et lui patrouillait entre l’avant et l’arrière. Il a par ailleurs confirmé avoir ramené les civils à Foya à la fin de la marche. L’avocate de la défense s’est étonné que LSM n’ait pas vu Kundi alors qu’il avait effectué de nombreux aller-retours entre l’avant et l’arrière du convoi. Elle a affirmé que cela voulait peut-être dire que Kundi n’était pas là. LSM a indiqué qu’il n’avait pas cherché Kundi et qu’on lui avait dit que Kundi faisait partie du convoi. Sur question, il a confirmé ne pas avoir vu Kundi.
L’avocate de la défense s’est ensuite étonnée du rôle de LSM, qui aurait consisté à protéger les civils, alors qu’au cours de deux dernières semaines d’audience, les personnes entendues ont déclaré que les soldats ULIMO s’en prenaient aux civils. LSM a déclaré que les soldats n’avaient pas tous le même comportement et que malgré la guerre, il avait de la sympathie pour tous les Libériens et ne cautionnait pas qu’un Libérien soit maltraité. Il a ajouté qu’il partageait la nourriture avec les civils et que les civils lui donnaient de l’argent pour qu’il achète des choses pour eux.
L’avocate de la défense a souligné le fait que, pendant la marche, LSM n’avait pas aidé les civils, mais s’était assuré qu’ils transportent les marchandises jusqu’à la frontière, et qu’en somme il avait fait la même chose que Kundi. LSM a rétorqué qu’il n’avait pas frappé les civils avec son fusil et qu’il les avait autorisés à se désaltérer. Il a ajouté qu’il n’avait pas exécuté les ordres qu’il considérait comme préjudiciables aux civils.
Sur question, LSM a confirmé avoir revu Kundi plusieurs fois après avoir été tabé. L’avocate de la défense a alors confronté LSM à ses précédentes déclarations en 2015 lorsqu’il a affirmé ne plus avoir revu Kundi après l’incident du tabé à Foya. L’intéressé a expliqué qu’il ne se sentait plus menacé par Kundi et ne cherchait pas à le voir, mais que des gens lui avaient dit qu’il était assigné à Foya.
L’avocate de la défense a ensuite demandé à LSM de confirmer que si le corps d’une personne était retrouvé ouvert par derrière, cela signifiait que le cœur en avait été extrait. LSM a déclaré : “Lorsque le corps d’une personne de peau claire était allongé sur le dos, ils avaient enlevé le cœur par le dos”. Le Président est intervenu et lui a demandé comment il était possible d’ouvrir le dos si la personne était tabée. Selon LSM, si une personne avait toujours les mains attachés, son cœur n’avait pas été arraché, en revanche si une personne avait le dos ouvert, son cœur avait été extrait.
Présentation de pièces et documents tirés du dossier.
Le Président a présenté des photographies en noir et blanc de la cicatrice que LSM a dans le dos.
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L’avocate de la défense a informé le Président qu’elle avait déposé des conclusions d’incident concernant la prescription de l’ensemble des infractions, à l’exception de l’infraction de crime contre l’humanité. L’avocate des parties civiles a rétorqué que ces questions avaient d’ores et déjà été abordées lors de l’instruction. L’avocate de la défense a déclaré que les conclusions sur prescription pouvaient être soulevées en tout état de cause et le Président a confirmé qu’elles étaient recevables en la forme. Le Président a informé l’avocate de la défense que les conclusions seraient plaidées le lendemain à 9h30, afin de permettre aux parties de prendre connaissance de l’incident.
Audition de SS en qualité de témoin cité par le Ministère public (visioconférence)
Sur question du Président, SS a déclaré ne pas se rappeler de sa date de naissance et être de nationalité libérienne. Elle a confirmé être domiciliée à Lofa et déclaré connaître Kunti Kamara, mais n’avoir aucun lien de parenté ou d’alliance avec ce dernier.
SS a débuté sa déclaration spontanée en indiquant qu’en 1993, l’ULIMO était à Lofa. Elle a été emmenée à Kolahun avec d’autres personnes. Elle a expliqué que les ULIMO avaient pris toutes les femmes à Foya comme épouses et que partout où ils allaient, ils prenaient tout. Une fois, Kundi est passé à proximité de sa maison. Elle a précisé qu’il attachait et frappait les gens avant de les mettre dans un puits. SS a ajouté que les ULIMO demandaient aux jeunes hommes de rejoindre la faction pour se battre à leurs côtés. Elle a ensuite déclaré : « Pendant qu’ils étaient en train discuter, ils ont pris d’autres gens et les ont jetés dans le puits. J’étais cachée, mais j’ai pensé que cela aurait pu être moi. Ils avaient des têtes dans leurs mains ».
La Cour questionne SS :
Sur question, SS a confirmé qu’elle était dans le Lofa lorsqu’elle a été capturée et emmenée à Kolahun, puis amenée à Foya. A la question de savoir si elle avait été elle-même prise pour épouse, SS a acquiescé et déclaré que le soldat qui l’avait prise pour épouse, un dénommé Fan, était décédé pendant la guerre.
Le Président a ensuite indiqué que SS avait dit au juge d’instruction le 7 janvier 2020 qu’elle était la femme de ménage et la cuisinière de Fine Boy, ce que SS a confirmé. Le Président a demandé à SS si la cousine de LSM était avec Fine Boy et SS a répondu : « On n’était pas avec eux tout le temps. On allait nulle part ». Sur question, elle a indiqué qu’elle n’était pas payée pour faire ce travail et qu’ils ne leur donnaient rien. Elle a ajouté : « Ils coupaient les gens en morceaux et, nous, on les cuisinait. Ils nous forçaient à les manger ». Interrogée à cet égard, SS a confirmé avoir vu Fine Boy et Ugly Boy couper des gens en morceaux. Le Président a indiqué que c’était effectivement ce que SS avait déclaré devant le juge d’instruction.
Questionnée sur le nombre de fois où elle avait vu CO Kundi ramener des hommes et les taber, SS a répondu qu’ils avaient tué plusieurs fois et qu’elle avait vu des gens se faire tuer et jeter dans le puits. Le Président a indiqué que devant le juge d’instruction, SS a parlé de 8 hommes attachés en tabé et traînés vers le marché à proximité de la Palava Hut. Sur question, SS a confirmé qu’il y avait un puits près de la Palava Hut, en bas du marché (« down the market way”). Invitée à préciser à quelle distance elle se trouvait de la scène, elle a déclaré qu’elle n’était pas loin. Elle a confirmé qu’elle s’était cachée dans la maison où elle habitait et a précisé qu’elle était en compagnie d’une copine qui est décédée depuis.
Questionnée sur ce qu’elle a vu, SS a expliqué que des hommes avaient été tirés au sol et étaient attachés aux pieds, aux jambes et aux mains de sorte qu’ils ne pouvaient pas bouger. Elle a mimé la position du tabé. Le Président lui a demandé si ces hommes avaient été tués sous ses yeux. SS a déclaré qu’on leur avait tiré dessus avant de les mettre dans le puits.
Elle a ensuite confirmé que l’un des hommes avait été épargné et indiqué qu’il était musclé et fort. Elle a ajouté que l’un des commandants avait dit que c’était un bon candidat pour rejoindre les rangs de l’ULIMO, mais elle ignorait si l’homme en question avait rejoint ou non l’ULIMO. Sur question, SS a dit ne pas connaître le nom de cet homme et indiqué qu’il était grand et n’avait pas la peau claire.
Interrogée sur CO Kundi, elle a expliqué qu’il était présent et avait donné des ordres à ses soldats que ces derniers avaient exécutés. Elle a confirmé qu’elle connaissait Kundi et qu’elle l’avait déjà vu à Foya. Le Président a précisé qu’une planche photographique lui avait été présentée et qu’elle avait identifié Kunti Kamara. Sur question, SS a confirmé avoir revu Kundi après les faits, car ils vivaient dans la même communauté. Elle a précisé que la maison de Kundi se trouvait tout en haut alors que la sienne était en bas et qu’il devait passer devant chez elle pour aller chez lui.
Sur question, SS a confirmé se souvenir d’avoir été entendue par le juge d’instruction et confrontée à LSM. Le Président a indiqué que le juge d’instruction a posé des questions à SS sur la blessure de LSM. Le Président a demandé à SS si elle se souvenait si l’homme musclé avait reçu un coup de couteau dans le dos. SS a acquiescé. Sur question, elle a déclaré que c’était CO Kundi qui avait poignardé LSM. Le Président lui a demandé de confirmer qu’elle avait vu Kundi donner le coup de couteau. SS a déclaré qu’elle était partie quand ils étaient en train de discuter et que par conséquent, elle n’avait pas vu.
Le Président a ensuite indiqué que SS avait dit que la copine de Fine Boy s’appelait Sia. SS a affirmé que Sia était le prénom d’une femme qui habitait avec Fine Boy. Interrogée sur ses précédentes déclarations selon lesquelles Sia vivait désormais aux États-Unis, SS a indiqué qu’elle l’ignorait, mais avait entendu le nom Sia.
Questionnée sur la tenue des commandants de l’ULIMO, notamment s’ils portaient des perruques ou des uniformes, SS a indiqué qu’ils portaient des uniformes vert kaki.
La partie civile n’a pas eu de question. Le Ministère public non plus.
La défense questionne SS :
Sur question, SS a indiqué être âgée de 40 ans. L’avocate de la défense lui a demandé comment elle connaissait son âge, alors qu’elle ignorait sa date de naissance. SS a répondu que c’était sa tante qui lui avait dit son âge. Interrogée sur son âge à l’époque des faits, SS a estimé qu’elle avait 14 ou 15 ans. L’avocate de la défense a précisé qu’en faisant le calcul, SS avait plutôt 11 ans et lui a demandé si ses souvenirs étaient clairs. SS a répondu qu’elle n’était pas une petite fille à l’époque, car elle avait des seins.
Invitée à décrire Kunti Kamara, SS a indiqué qu’il était petit et avait des yeux croisés.
Interrogée sur les faits, elle a expliqué que les hommes étaient tous attachés et qu’un seul avait survécu, mais il saignait. Elle a ajouté que les soldats se disputaient pour savoir quoi faire du survivant et qu’elle était partie à ce moment-là. L’avocate de la défense a demandé à SS comment elle était parvenue à comprendre ce qu’ils disaient et SS a répondu qu’ils parlaient parfois en anglais.
L’avocate de la défense a ensuite relevé que Fine Boy avait indiqué aux autorités suisses qu’il ne connaissait pas SS. SS a déclaré qu’elle allait dans leur maison et qu’elle le connaissait. Elle a ajouté qu’il avait une coupe afro et qu’il la forçait à cuisiner des parties de corps humain.
Interrogée sur l’endroit où se trouvait le puits, SS a indiqué que le puits se situait devant la Palava Hut et que le marché était de l’autre côté. A la question de savoir si elle avait revu LSM après les faits, elle a déclaré qu’elle ne le connaissait pas et qu’il était grand et noir. Elle a précisé sur question qu’elle ne l’avait pas non plus revu après la guerre.
L’avocate de la défense a ensuite indiqué que lors de sa confrontation avec LSM, le juge d’instruction a demandé à SS comment elle avait su que Kundi avait donné le coup de couteau et non Kosiah et SS a déclaré qu’ils étaient tous masqués et avaient des perruques sur la tête. L’avocate de la défense a alors demandé à SS de confirmer que Kundi était masqué et portait une perruque au moment des faits. SS a répondu qu’ils s’habillaient différemment, mais que Kundi ne portait pas de masque ce jour-là. Le Président a précisé qu’il avait demandé auparavant à SS si les commandants portaient des perruques et que cette dernière avait répondu par la négative. Selon le Président, SS avait donc peut-être fait allusion aux soldats lors de sa confrontation avec LSM.
L’avocate des parties civiles est intervenue au sujet de Fine Boy en précisant qu’il avait effectivement été entendu dans le cadre de la procédure suisse et qu’il avait tout nié en bloc. L’avocate des parties civiles a donné lecture d’un passage du procès-verbal d’audition de Fine Boy, dans lequel il a déclaré qu’il avait été prévenu par des ULIMO de faire très attention à ce qu’il disait, car il avait combattu pendant la guerre et qu’il s’agissait d’un cour pour crimes de guerre.
Audition de SB en tant que témoin cité par le Ministère public à la demande de la défense (visioconférence)
Sur question du Président, SB a indiqué qu’il ignorait sa date de naissance, avait 47 ans et exerçait la profession de cultivateur dans le Lofa. Avant de donner la parole à SB, le Président a précisé qu’il avait été entendu par le juge d’instruction le 10 janvier 2020.
SB a relaté qu’un jour, un “Papay” des ULIMO les a trouvés et leur a demandé d’accompagner les soldats de l’ULIMO avec des bagages jusqu’à la rivière. SB a expliqué qu’il ignorait ce qu’il y avait dans les sacs, mais qu’ils les avaient portés jusqu’à la rivière. En échange de ces sacs, ils ont reçu des sacs de sel qu’ils ont dû transporter en sens inverse. SB a raconté qu’en cours de route, il avait entendu des cris : « Feu! Un ami de SB l’a appelé pour lui dire qu’il avait été touché. SB a également été touché et a indiqué qu’il ignorait d’où les coups étaient partis. SB a terminé en racontant qu’un homme avait reçu une balle qui lui a transpercé la cuisse. Il a affirmé : « Je veux la justice, c’est tout ce que je veux ».
La Cour questionne SB :
Interrogé sur celui qu’il a appelé le “Papay” des ULIMO, SB a déclaré qu’il ne connaissait pas son nom. Selon lui, l’homme les a confiés à « ses enfants », qui étaient armés de fusils. SB a confirmé avoir été blessé au bras et à la poitrine par les coups de feu et précisé qu’il avait des cicatrices.
Le Président lui a demandé s’il pensait que les coups de feu avaient été tirés par des soldats de l’ULIMO ou par des soldats qui étaient cachés dans la brousse. SB a répondu qu’il l’ignorait et a expliqué avoir entendu crier « Feu ! », puis avoir été emmené à l’hôpital pour y être soigné par un médecin militaire.
Le Président a ensuite indiqué que lors de son audition devant le juge d’instruction, SB avait déclaré que la seule personne qu’il avait en tête parmi les attaquants, c’était CO Kundi, et que c’était lui qui avait donné l’ordre d’ouvrir le feu. SB a nié avoir dit cela et a déclaré qu’il n’avait pas vu qui avait tiré.
Le Président a précisé que SB avait indiqué devant le juge d’instruction qu’il ne voyait pas bien de l’œil gauche et qu’il ne voyait pas du tout de l’œil droit. SB a également indiqué au juge d’instruction que les gens qui transportaient le café avec lui avaient dit que c’était Kundi qui avait donné l’ordre, mais lui n’avait rien vu. SB a répondu qu’il ne connaissait pas Kundi. Il a ajouté qu’il avait quitté son village et que le lendemain, il avait été réquisitionné pour le transport. Il a précisé qu’il ne vivait pas à Foya et qu’il se rappelait seulement de l’homme qui lui avait dit de prendre les sacs.
Interrogé par un juré sur ses problèmes de vue, SB a indiqué qu’ils n’étaient pas récents et dataient de bien avant la guerre.
La partie civile n’a pas eu de question. Le Ministère public non plus.
La défense questionne SB :
Sur question, SB a maintenu qu’il n’avait pas dit au juge d'instruction qu’il avait entendu parler de Kundi. L’avocate de la défense s’est étonnée de ce changement de version, puisqu’il figurait expressément au procès-verbal que selon SB, CO Kundi avait donné l’ordre. Invité à confirmer qu’il n’avait jamais entendu parler de CO Kundi, SB a indiqué qu’il avait entendu des gens dire que c’était CO Kundi, mais lui ne le connaissait pas. Le Président a indiqué que SB s’était contredit lors de la même audition et l’avocate de la défense s’est étonnée qu’aujourd'hui, SB ne sache pas qui est CO Kundi.
Présentation de photographies tirées du documentaire de la BBC Africa Eye intitulé “Le virus de la torture”
A la suite de l’audition de SB, le Président a montré des photographies tirées d’un documentaire réalisé par la BBC sur la torture du tabé et invité LSM à les commenter.
Sur question du Président, LSM a confirmé avoir été attaché uniquement par les coudes selon le tabé authentique, ses jambes étant restées libres. Il a expliqué que ses mains avaient été attachées et que ses coudes se rejoignaient. LSM a également expliqué que lorsqu’il avait été tiré au sol, toute la surface de sa peau qui touchait le sol avait été déchirée.
Il a distingué sur les photos la variante du « tofa tabé », qu’il a qualifié de « tabé plus dur » car les jambes de la personne torturée étaient attachées dans son dos au niveau des coudes et des mains.
La partie civile n’a pas eu de question. Le Ministère public non plus.
La défense questionne LSM :
L’avocate de la défense a demandé à LSM s’il avait pratiqué le tabé sur d’autres personnes dans la mesure où il était soldat ULIMO. LSM a déclaré qu’il allait combattre sur le front et qu’il ne s’occupait pas des civils. L’avocate de la défense lui a demandé si les soldats au front n’avaient donc aucun lien avec la pratique du tabé sur les civils. LSM a répondu que les rebelles attrapés au front étaient exécutés. Il a précisé que si une personne du camp adverse se rendait, les soldats de l’ULIMO n’avaient pas le droit de lui tirer dessus en application des Conventions de Genève, comme il l’avait appris pendant sa formation militaire.
Projection du documentaire de la BBC Africa Eye intitulé “Le virus de la torture”.
Le documentaire évoqué précédemment a été visionné dans son intégralité par la Cour.
Interrogatoire au fond de l’accusé Kunti Kamara sur ces faits
La Cour interroge Kunti Kamara :
Interrogé sur les témoignages de LSM et SS, Kunti Kamara a déclaré qu’il ne connaissait pas ces personnes et n’avait aucun commentaire à faire. Le Président a déclaré que cela commençait à faire beaucoup de personnes que Kunti Kamara ne connaissait pas, mais qui elles, le connaissaient.
Le Président a demandé à l’accusé quel intérêt SS, qui n’est pas partie civile, pouvait avoir à le désigner lui. L’accusé a déclaré qu’il était confus et avait l’impression de regarder un film avec des acteurs jouant leurs rôles. L’accusé a pris l’exemple de LSM, qui dit avoir été militaire alors qu’il ne connaît ni le front, ni le nombre de soldats formant un peloton, ni le rôle d’un RTO. Kunti Kamara a déclaré qu’il n’allait pas entrer dans les détails, mais que tous ces gens étaient des « fabricants d’histoires ».
Le Président a demandé à l’accusé s’il maintenait son affirmation selon laquelle toutes les personnes qui l’accusaient dans ce procès étaient Kissis et qu’elles appartenaient à une même famille. Le Président a relevé à cet égard que LSM appartenait à l’ethnie Bangui et avait été soldat au sein de l’ULIMO. Kunti Kamara a demandé au Président s’il avait vu un Mandingue témoigner contre lui. Le Président a rappelé que des personnes d’ethnie mandingue étaient venues témoigner au début du procès et demandé une nouvelle fois à l’accusé de donner les raisons pour lesquelles LSM serait de mèche avec les Kissis selon lui. Kunti Kamara a répondu qu’il ne savait pas, mais qu’il y avait une connexion très forte entre les témoins.
Le Président a ensuite indiqué que 7 ou 8 personnes avaient décrit la même scène concernant les faits relatifs à LSM. Kunti Kamara a répété qu’il n’avait aucune idée et qu’il ne connaissait pas ces personnes, ni aujourd'hui ni demain.
Le Président a demandé à Kunti Kamara si, à sa connaissance, les troupes de l’ULIMO avaient enrôlé des civils, voire des rebelles, dans leurs rangs. L’accusé a répondu que tel n’était pas le but de l’ULIMO et que lors de la prise de Foya, Deku avait ordonné la libération de 600 personnes, dont 150 rebelles. A la question de savoir si des soldats passaient d’une faction à l’autre, l’accusé a indiqué que les NPFL ne venaient pas volontairement, mais étaient capturés par l’ULIMO. Il a déclaré ne pas se souvenir si des soldats ULIMO avaient rejoint le NPFL. Interrogé sur Pepper & Salt, Kunti Kamara a indiqué que ce dernier avait fait un coup d’état au sein de l’ULIMO, mais comme il avait été battu, il était passé chez Charles Taylor, qui lui a donné tous les moyens de combattre l’ULIMO.
Le Président a rappelé que LSM avait déclaré devant le juge d’instruction et les autorités suisses qu’il avait été recruté par l’ULIMO parce qu’il était un rebelle. Kunti Kamara a indiqué qu’il n’avait pas connaissance de cela et répété qu’ils avaient laissé partir 160 rebelles.
Interrogé sur sa présence lors de la capture des sept civils, dont LSM, Kunti Kamara a déclaré qu’il n’en avait aucune idée et qu’il avait passé 4 mois à Foya sur le front. Questionné sur le coup de couteau que LSM dit avoir reçu dans le dos alors qu’Alieu Kosiah et Kunti Kamara étaient derrière lui, l’accusé a répété qu’il n’avait aucune idée de ces faits.
Le Président a demandé à l’accusé s’il avait toujours aucune idée concernant les déclarations de SS, selon lesquelles il aurait donné l’ordre de tuer tout le monde, sauf le grand, à savoir LSM. Kunti Kamara a répondu qu’il était confus et qu’il ne les connaissait pas.
A la question de savoir si LSM et SS mentaient également quand ils ont dit l’un et l’autre qu’une dispute entre Kosiah, Kundi et Deku avait éclaté, l’accusé a demandé au Président si cette dispute avait été évoquée avec Alieu Kosiah lorsqu’il est venu témoigner.
Le Président a interrogé l’accusé sur les marches forcées évoquées par LSM. Kunti Kamara a répondu qu’il ne savait rien de tout cela et que la Cour connaissait les menteurs.
La partie civile interroge Kunti Kamara :
Interrogé sur les déclarations de SS, qui a indiqué, à l’instar d’Abraham Towah, que Kundi avait une maison à Foya, l’accusé a répondu qu’il n’avait pas de maison à Foya et que Foya n’était pas sa base.
L’avocate des parties civiles a ensuite relevé que LSM s’était trompé sur le nombre de soldats composant un peloton, mais que Kunti Kamara et Alieu Kosiah connaissaient parfaitement ce nombre. Elle a donc demandé à l’accusé s’il confirmait qu’il était commandant. Kunti Kamara a indiqué qu’un peloton comptait 44 hommes et non 36 comme l’a indiqué LSM, ce qui prouvait que LSM n’était pas un militaire.
L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué le front, qui n’était visiblement pas un front fixe puisque les rebelles du NPFL et du RUF se cachaient dans la brousse et tendaient des embuscades. Elle a demandé à l’accusé si le front était proche de Solomba, tel que cela ressortait des déclarations de LSM. Kunti Kamara a répondu qu’ils allaient à Foya et qu’après la prise de Mendekoma, le général Fayah a pris la fuite et a laissé 160 rebelles.
L’avocate des parties civiles est revenue sur les déclarations de l’accusé devant le juge d’instruction, lorsqu’il a indiqué qu’il avait trois personnes sous sa responsabilité, dont un ancien soldat du NPFL. Kunti Kamara a déclaré qu’ils avaient capturé un rebelle de Charles Taylor qui les a ensuite rejoint volontairement. L’avocate des parties civiles a cité un autre passage de l’audition de Kunti Kamara devant le juge d’instruction duquel elle a conclu qu’il était plutôt fréquent que les rebelles du NPFL passent chez les ULIMO. Elle a demandé à l’accusé pourquoi il le niait aujourd'hui. Kunti Kamara a indiqué que lorsque l’ULIMO capturait des rebelles, le but était d’obtenir des informations, non de les tuer. L’avocate des parties civiles a demandé à l’accusé s’il trouvait que cela était crédible de sous-entendre que l’ULIMO laissait les rebelles tranquilles alors que le NPFL les tuait. L’accusé a répondu que toutes les vidéos qui avaient été visionnées concernaient des brutalités commises par le NPFL. Selon lui, l’ULIMO avait un commandement très dur, qui condamnait fermement les exactions commises contre les civils.
L’avocate des parties civiles est revenue sur les déclarations de Kwamex Fofana, qui a expliqué que Foya était une affectation de Kundi et que tout ce qui s’y passait relevait de sa responsabilité, étant précisé que de nombreuses plaintes pour viols, pillages, torture, etc émanaient du comté du Lofa. Kunti Kamara a affirmé que Fofana n’était pas commandant à Foya et qu’il n’était pas présent lors de la capture de la ville puisqu’il se trouvait dans les mines de diamants à Lofa. Selon lui, il s’agissait donc de rumeurs. L’avocate des parties civiles a relevé que selon l’accusé, la hiérarchie au sein de l’ULIMO était très stricte et ne tolérait aucun acte répréhensible, mais qu’il n’était pas possible que la hiérarchie le désigne comme responsable. Kunti Kamara s’est dit confus et a déclaré que si Deku l’avait mis en cause, il aurait pu comprendre car Deku était son commandant. En revanche, il était possible que Fofana soit contre lui, car il a été sorti de l’ULIMO.
Le Ministère public n’a pas eu de question. La défense non plus.