[10/26/2022] Jour 13: Civitas Maxima


Délibéré de la Cour sur l’incident de procédure relatif à la prescription soulevé par la défense 

La Cour a rendu son délibéré sur l’incident de procédure visant la prescription de l’action publique soulevé par la défense. Le Président a précisé que la Cour avait statué de façon contradictoire hors la présence du jury.

S’agissant de la forclusion de l’exception invoquée par l’avocate des parties civiles, la Cour a relevé que la forclusion vise les exceptions qui peuvent être soulevées devant le magistrat instructeur. En l’espèce, l’exception a été justement invoquée devant le juge d’instruction et a donné lieu à une ordonnance. Selon la Cour, l’exception demeure recevable devant la Cour d’assises nonobstant la décision rendue par le juge d’instruction, dans la mesure où la Cour reste compétente pour analyser les conditions de sa saisine. Du reste, si la Chambre d’instruction avait eu à statuer, une décision contraire n’aurait pas empêché la Cour de se prononcer sur la prescription de l’action publique, étant donné que la Cour d’assises demeure compétente pour apprécier les conditions de l’extinction éventuelle de l’action publique. Il appartenait ainsi à la Cour d’examiner si cette exception pouvait donner lieu à une suspension ou une interruption du délai de prescription. 

Concernant la suspension de l’action publique, le Président a rappelé que celle-ci visait uniquement les actes de torture et de barbarie reprochés à l’accusé, portant sur les années 1993-1994. La Cour a vérifié les conditions d’une éventuelle suspension de la prescription au titre de l’article 9-3 du Code de procédure pénale, dont le Président a rappelé la teneur. Après avoir entendu les témoins de contexte, la Cour a constaté que le pays avait subi, entre 1989 et 1997, puis de 1999 à 2003, deux guerres civiles successives particulièrement meurtrières. La Cour a relevé que le cessez-le-feu provisoire et le désarmement partiel en 1997 n’ont pas eu pour effet de restaurer les institutions policières et judiciaires permettant de rechercher les auteurs et de les traduire en justice. Nonobstant les accords de paix signés à Accra en 2003 et l’établissement de la MINUL, la Cour a considéré que la situation générale au Libéria en matière de sécurité demeurait précaire. Le Président a donné lecture d’un passage du rapport du Secrétaire général des Nations-Unies à cet égard. La Cour a déduit de l’ensemble de ces éléments que le délai de prescription devait être considéré comme suspendu au moins jusqu’au 17 mars 2005.

S’agissant des causes d’interruption du délai de prescription de l’action publique, la Cour s’est penchée sur l’établissement de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) et sur l’article 9-2 du Code de procédure pénale, qu’il s’agit d’interpréter à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation. A cet égard, la Cour a relevé que la loi du 12 mai 2005 a créé la CVR et lui a donné le mandat d’enquêter sur les divers crimes et violations des droits humains, d’en identifier les auteurs, de recueillir les doléances des victimes et enfin de recommander les mesures à prendre pour la réhabilitation des victimes dans un esprit de réconciliation nationale. La Cour a considéré que la CVR disposait de prérogatives particulières, telles que la saisine d’un juge indépendant. Dans son rapport final, la CVR a entre autres recommandé l’engagement de poursuites contre certains membres de l’ULIMO pour les exactions commises notamment dans le Lofa. Selon la Cour, les travaux de la CVR peuvent ainsi être considérés comme des actes interruptifs de la prescription, de sorte que le délai de prescription a recommencé à courir à partir du 30 juin 2009, date du dernier acte de la CVR. L’action publique n’était donc pas prescrite au moment de l’engagement des poursuites en 2018. 

Concernant l’ouverture de l’instruction contre Alieu Kosiah par le Ministère public de la Confédération Suisse, la Cour a considéré que cet acte était également de nature à interrompre le délai de prescription de l’action publique en raison des similitudes avec la procédure diligentée contre Kunti Kamara. La Cour a relevé une connexité entre les différents actes, pour lesquels Alieu Kosiah et Kunti Kamara sont traités en qualité de coauteurs. La Cour a relevé en outre que Kunti Kamara avait été cité dans le procès d’Alieu Kosiah, et inversement. 

La Cour a ainsi conclu au rejet de l’exception soulevée par l’accusé au motif que les actes de torture et de barbarie qui lui sont reprochés n’étaient pas prescrits. 

Point de situation concernant l’audition de EFNS

L’avocate des parties civiles a informé la Cour que EFNS ne souhaitait pas se présenter à nouveau à la barre, car cela était trop douloureux pour elle. L’avocate des parties civiles a procédé à la lecture d’un mot que EFNS a souhaité adresser à la Cour, dont la teneur est la suivante : « Je ne veux plus rentrer dans cette salle parce qu’à chaque fois que je parle, cela me fait trop mal, je ne veux plus revoir cet homme. Je ne suis pas venue du fin fond de Foya jusqu’ici pour mentir. Si Kundi dit qu’il n’a rien fait de mal à Foya, amenez-le aujourd'hui à Foya et regardez si les gens l’acclament. La Bible dit : "Dis la vérité et la vérité te libérera". Tout ce qui est arrivé, Kundi en a connaissance. Je suis certaine que c’est Kundi, je l’ai reconnu. Aujourd'hui je souffre toujours de ce qui est arrivé à l’époque. Je dois être opérée, mais je n’ai pas l’argent pour le faire. Je demande à la Cour que justice soit faite ». 

Le Président a ensuite proposé de donner la lecture complète de l’audition de EFNS par la police nationale du Libéria le 30 avril 2019. 

Lecture de l’audition de EFNS par la police nationale du Libéria le 30 avril 2019

EFNS a commencé sa déposition en déclarant qu’en 1993, elle se trouvait à Fassapoe dans le district de Foya lorsqu’elle a appris que les soldats de l’ULIMO étaient entrés à Foya. La plupart des civils ont alors pris peur et se sont réfugiés dans la brousse. Elle a précisé avoir alors commencé à travailler dans une ferme et avoir entendu un homme dire : « Pendant que vous travaillez ici, l’ULIMO vient de prendre le contrôle de la ville de Foya ». Elle a alors pris la fuite avec son fils, sa mère et le fils de sa sœur. Les soldats les ont trouvés et ont décidé de tous les emmener dans la ville de Foya. 

EFNS a expliqué qu’en chemin, un soldat du nom de Jigger-in-the-toe a ordonné aux autres soldats de lui livrer les civils. A Foya, il y avait un grand groupe de personnes qui criaient, pleuraient et qui étaient dans un état de confusion. Le lendemain, les soldats ont séparé toutes les personnes, hommes, femmes et enfants, qui faisaient partie du groupe de EFNS et de sa famille. EFNS a expliqué que toutes les femmes avaient été emmenées pour battre le riz et trouver de la nourriture, tandis que les hommes ont dû porter sur leurs têtes des marchandises qui avaient été pillées à Foya pour les emmener jusqu’à la frontière guinéenne en passant par Solomba. 

EFNS a ensuite raconté qu’un jour, alors qu’elle avait terminé de battre le riz, ses mains ont commencé à lui faire mal. C’est alors qu’elle a rencontré un soldat dénommé AG, qui lui a proposé de venir chez lui. EFNS a refusé car elle ne souhaitait pas laisser seuls sa mère et les autres membres de sa famille. EFNS et AG sont devenus amis. Un soir, AG lui a dit qu’il devait partir et se rendre dans sa zone de mission près de la frontière sierra-léonaise, car s’il dormait sur place, cela pouvait lui coûter la vie. Plus tard cette nuit-là, un grand nombre de soldats mandingues ont cerné la maison de AG et y sont entrés pour le chercher. Selon EFNS, les soldats ont crié qu’il y avait une femme dans la maison qui « cachait ce chien krahn ». EFNS a déclaré que si les soldats les avaient trouvés, ils les auraient tué tous les deux. Elle a ajouté que des civils qui se tenaient près d’elle avaient pointé un des soldats du doigt en disant qu’il s’agissait de Kundi. C’était la première fois qu’elle le voyait. 

Après cet évènement, EFNS a pris peur et décidé de se rendre dans sa ville natale, à Fassapoe. Elle y est restée environ trois ou quatre jours, puis un autre groupe de l’ULIMO est arrivé. Elle a indiqué que l’un des soldats s’appelait B. Elle s’est souvenue que B faisait partie de ceux qui étaient venus chercher AG. EFNS a raconté que B est venu vers elle et lui a dit qu’il allait l’emmener avec lui en ville. Elle a ajouté se souvenir que B et ses soldats, ainsi que d’autres combattants de l’ULIMO, se servaient d’intestins humains comme « poste de contrôle ». 

EFNS a également raconté qu’un jour, elle et les autres filles avaient grimpé sur une colline et avaient vu des hommes pousser des brouettes. Les soldats de l’ULIMO qui étaient derrière eux les forçaient à crier aux gens : « Qui veut acheter de la viande de bœuf ? » pour les faire venir. Les civils se sont précipités vers eux, puis ont constaté qu’il s’agissait de morceaux de corps humains. Elle a expliqué qu’un soldat l’avait forcée à prendre deux mains qui avaient été tranchées à la hauteur du poignet, qu’elle avait ensuite remises dans la brouette. Elle ne se doutait pas que parmi ces corps se trouvait celui de l’un de ses frères. 

EFNS a raconté que plus tard dans la journée, B les avait ramenés en ville et les avait séparés. Le frère de EFNS, T, est allé dans une autre direction avec certains soldats. Lorsque T est rentré à la maison, il s’est plaint d’être malade et a raconté que les soldats de l’ULIMO l’avaient forcé à boire une tasse de sang humain. EFNS a déclaré que son frère est mort peu de temps après.

EFNS a ensuite indiqué que son père et sa mère étaient régulièrement frappés par B, ce qui a entraîné leur mort à tous les deux. 

En ce qui la concerne, EFNS a raconté qu’un soir, B est venu dans sa maison et lui a ligoté les bras derrière le dos. Il les a serrés si fort que EFNS arrivait à peine à respirer. B l’a ensuite déshabillée intégralement, sorti sa baïonnette, mis du sel dessus, lui a ouvert les jambes et lui a enfoncé de force une partie du couteau dans la vagin, ce qui l’a fait saigner. B est ensuite allé aux toilettes et EFNS en a profité pour s’enfuir en pleurant et en appelant à l’aide. EFNS a alors rencontré le frère cadet de B et a commencé à lui raconter ce qui s’était passé. D’autres personnes se sont approchées, dont Kundi. Selon EFNS, tout le monde a déclaré que c’était le garde du corps de Kundi qui l’avait attachée. B est arrivé au même moment et a dit quelque chose à Kundi. Selon EFNS, Kundi a répondu : « Oh ! Je croyais que c’était pour quelque chose de grave que ces gens m’avaient appelé » après que B lui a expliqué ce qui s’était passé en mandingue. Le frère de B a ensuite imploré Kundi de détacher EFNS et Kundi a accepté.  

Suite à cet incident, EFNS a été violée par B à chaque fois que ce dernier fumait sa drogue, alors qu’elle souffrait de fortes douleurs. Elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas se plaindre car elle avait peur de mourir. Un soir, B lui a dit que l’ULIMO avait besoin de lui sur le front et elle ne l’a plus jamais revu. EFNS a finalement rejoint son amie RSK dans la brousse et cette dernière lui a préparé des herbes à boire pour la soulager de ses douleurs. EFNS a terminé sa déclaration spontanée en indiquant qu’elle souffrait aujourd'hui encore de douleurs intenses, particulièrement au ventre. 

Sur question, EFNS a précisé qu’elle était âgée de 16 ans lorsque l’ULIMO est entré dans Foya et qu’elle vivait à Sodu avec ses parents. Interrogée sur les noms des soldats dont elle se souvenait, EFNS a cité C.O. Dagu, C.O. Pepper, Ugly Boy, Black Devil, B et C.O. Kundi. Elle a indiqué avoir été torturée par B dans la maison de ce dernier à Foya pendant la guerre civile. 

Questionnée sur les autres crimes dont elle aurait été témoin, EFNS a indiqué qu’elle n’avait vu personne tabasser, violer ou tuer quelqu'un. Elle a précisé qu’elle avait été violée et fortement tabassée par B à plusieurs reprises et qu’elle avait vu le cadavre d’une personne tuée par les soldats de l’ULIMO, mais qu’elle n’avait pas assisté au meurtre. Sur question, elle a indiqué qu’elle et sa famille avaient été forcés à de nombreuses reprises à porter des charges. Elle a ajouté que son oncle T avait été tué. 

Interrogée sur le nombre de viols qu’elle a subis et leurs conséquences, EFNS a répondu que B l’avait violée « tellement de fois » et qu’elle souffrait d’importantes douleurs au ventre et à la poitrine. Sur question, elle a indiqué qu’elle n’allait toujours pas bien et qu’elle ne s’était jamais rendue à l’hôpital. 

Questionnée sur B, EFNS a déclaré qu’il recevait des ordres de son commandant C.O. Kundi. Elle a ajouté que lorsque B l’avait maltraitée, un jeune homme qu’elle pensait être le frère de B a supplié Kundi en son nom. C’est à ce moment-là que Kundi est arrivé et qu’il a posé des questions à B. B lui a expliqué la situation en mandingue et Kundi n’a rien fait. Selon EFNS, Kundi se fichait de la manière dont B l’avait attachée et de toutes les horreurs qu’il lui faisait subir. EFNS a ajouté que, selon elle, C.O. Kundi approuvait ce que B faisait. 

Invitée à donner une description physique de B, EFNS a indiqué qu’il était jeune, mince, âgé d’un peu plus de 20 ans, grand avec de grosses lèvres. Elle a ajouté qu’il n’avait pas de cicatrices et qu’il portait parfois un uniforme militaire de camouflage, parfois un jean avec un t-shirt et des bottes. Selon elle, il avait toujours des nattes. 

Invitée à donner une description physique de Kundi, EFNS a déclaré que Kundi était plus âgé que B et avait les yeux qui louchaient. Elle a ajouté qu’il était petit et avait le teint clair. Parfois, il portait un uniforme militaire de camouflage, un jean et un t-shirt rouge. EFNS a indiqué qu’il était toujours habillé de manière normale et qu’elle ne l’avait jamais vu porter des vêtements de femme. Elle l’a vu une fois avec des nattes, puis toujours avec les cheveux coupés courts. 

Sur question, EFNS a indiqué qu’elle avait Kundi plus de six fois, notamment quand elle allait battre le riz à des endroits comme New Foya. Elle a précisé que la dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était lorsqu’elle avait été attachée. Interrogée sur le comportement de Kundi, EFNS a indiqué qu’elle ne l'avait jamais vu d’humeur agressive ou violente en sa présence. Sur question, elle a déclaré ignorer si Kundi recevait des ordres de quelqu'un d’autre. Invitée à désigner Kunti Kamara sur la planche photographique qui lui a été présentée, EFNS a identifié deux photographies, dont l’une était celle de Kunti Kamara. 

A la question de savoir si elle avait vu des soldats tuer des gens, EFNS a répondu par l’affirmative et indiqué que la première fois, les soldats avaient rassemblé des gens et tué son oncle, le révérend TKo. La seconde fois, les soldats ont également demandé aux gens de se rassembler et ont tué les mères de plusieurs de ses amis. Interrogée sur d’autres victimes de viol qu’elle connaissait, EFNS a déclaré qu’une amie de Fassapoe avait également été violée par les soldats, jusqu’à ce qu’ils aient dû la mettre dans une brouette. 

Interrogée sur le lieu de résidence de Kundi, EFNS a indiqué qu’elle ignorait où Kundi vivait, car il avait énormément de femmes et plusieurs foyers. Elle a précisé qu’elle ignorait si Kundi forçait ces femmes et ajouté que la plupart était des femmes Gbandi. 

Sur question, EFNS a indiqué avoir vécu plus d’un mois avec B et que ce dernier fumait régulièrement de la marijuana. Elle a ajouté qu’il lui sautait dessus, la tabassait et la violait, mais qu’elle ne l’avait jamais vu boire de l’alcool. 

Audition de EzP en qualité de témoin cité par le Ministère public à la demande des parties civiles 

Sur question, EzP a indiqué être né le 2 février 1976 et travailler dans la sécurité à Foya. Il a confirmé que c’était la première fois qu’il était entendu dans cette procédure et précisé que EP était son frère aîné.

EzP a débuté sa déclaration spontanée en racontant qu’un matin de 1993, des hommes armés et vêtus de t-shirts rouges étaient venus pour capturer Foya. EzP a déclaré que son père est mort en 1989 et que son frère aîné était devenu le chef du village. Lorsque les soldats sont arrivés, ils ont rassemblé tout le monde au centre du village. Ils ont dit aux civils de prendre leurs affaires pour aller à Foya. Selon EzP, les soldats ont pris deux hommes qu’ils ont ligotés et ont décidé d’aller dans un autre village pour arrêter d’autres gens. Ils ont ordonné aux civils de les suivre. En chemin, EzP a vu environ 7 personnes gisant sur le sol et a reconnu le corps d’un des deux hommes ligotés. Il a ajouté que le chef de clan était TT et que ce dernier avait fui dans la brousse. Sa maison avait été prise par CO Deku. EzP a ensuite précisé que ce groupe de soldats de l’ULIMO s’appelait « Black Devil » et que les soldats portaient des t-shirts et des bandeaux rouges. Parmi eux, il y avait un soldat dénommé Ugly Boy, qui portait une hache et était connu pour découper les gens. EzP a poursuivi en indiquant que les soldats avaient rassemblé les civils sur l’ancienne piste d’atterrissage pour éviter qu’ils se fassent repérer par les soldats de Charles Taylor. 

Le lendemain, les soldats de l’ULIMO ont à nouveau rassemblé tout le monde et ont demandé à une femme de désigner les personnes qu’elle connaissait. Les personnes désignées ont été mises de côté. Selon EzP, les soldats ont mis des personnes en prison, dont une femme qui portait un bébé sur son dos. Le bébé est décédé en cellule. EzP a ajouté qu’un homme avait été égorgé par Chinese Killer et que les ULIMO avaient ordonné à TT de déplacer le corps alors que l’homme n’était pas encore mort. Des anciens étaient présents, dont SP qui s’est demandé s’ils n’allaient pas finir par tuer tout le monde. De retour chez lui, SP est mort en raison du choc de ce qu’il avait vu. 

EzP a ensuite évoqué une autre réunion près de l’ancien poste de police. Kundi était armé d’un RPG et accompagné d’un autre soldat. Selon EzP, ils ont tué un Papay car ils craignaient que des informations soient communiquées au NPFL.

EzP a également indiqué se souvenir d’un homme du nom de Mami Wata, dont la sœur, qui faisait partie des soldats de l’ULIMO, avait été tuée au front. A son retour, Mami Wata était en colère et a arrêté deux hommes qu’il soupçonnait d’être des rebelles du NPFL. Il les a tués, découpés en morceaux et mis dans des brouettes. Ils ont ensuite pris les brouettes et fait du porte à porte en disant : « Achetez de la viande ! ». Selon EzP, ceux qui n’en voulaient pas étaient forcés à en acheter. Il a ajouté que Kundi était commandant et que c’était lui qui supervisait cet endroit. Les soldats ont ensuite ordonné aux civils de repartir dans leurs villages respectifs et ont envoyé dix hommes à Foya Dundu. 

EzP a terminé sa déclaration spontanée en déclarant qu’une femme était malade et que Kundi avait entendu dire que c’était une sorcière. Selon EzP, la femme malade était dans sa chambre avec une couverture lorsque Kundi est entré et lui a tiré dessus. Il l’a ensuite fait sortir et a pris des choses dans la cuisine pour enterrer la femme avant de mettre le feu. 

La Cour questionne EzP : 

Le Président a demandé à EzP s’il avait souvent vu Kundi à Foya et s’il savait où il habitait. EzP a répondu avoir connu Kundi pendant la guerre et qu’en 1993, Kundi habitait à New Foya. Interrogé sur l’emplacement de la maison de Kundi, EzP a indiqué qu’il y avait une vallée à côté de la mosquée et que les ULIMO se trouvaient dans ce quartier.

Sur question, EzP a confirmé qu’il reconnaissait Kundi dans le box des accusés et précisé qu’il avait les jambes arquées et les yeux qui louchent. EzP a ajouté que Kundi chantait une chanson à la gloire d’Ugly Boy (« Ugly Boy, Ugly Boy, ULIMO »). 

Sur question, EzP a indiqué que Deku était le commandant en charge à Foya et que Kundi était sur le front. EzP a confirmé que Kundi allait au front et revenait à Foya. Il a ajouté qu’il était muni de RPG et était chargé de faire avancer le front.  

Interrogé sur les tueries qu’il a évoquées, EzP a déclaré avoir assisté au meurtre de l’homme dont la gorge avait été coupée. Le Président est ensuite revenu sur l’épisode des brouettes impliquant Mami Wata et a demandé à EzP s’il en avait été témoin. EzP a répondu qu’il n’était pas présent lors de ces meurtres, mais que tout le monde en parlait. 

Questionné sur les réputations des commandants ULIMO, EzP a indiqué que certains étaient bons et d’autres mauvais. Il a précisé qu'il n'avait pas vu CO Blacky tuer quelqu'un ni entendu des gens dire qu’il avait tué l’un des leurs. EzP a ajouté qu’un garçon nommé Young Major, qui était son ami, habitait avec CO Blacky. Interrogé sur Deku, EzP a déclaré qu’il ne l’avait pas vu commettre des actes répréhensibles. 

Invité à donner des précisions sur l’histoire de la sorcière tuée par Kundi, EzP a indiqué qu’il s’agissait d’une femme dénommée KG ou KF. Il a précisé avoir assisté à l’enterrement. Le Président lui a demandé s’il avait vu Kundi se rendre à cet enterrement puis repartir. EzP a déclaré que Kundi est passé, a sympathisé avec les gens, puis a continué son chemin. 

La partie civile questionne EzP : 

Interrogé sur le rôle de son frère EP pendant la guerre, EzP a expliqué que son frère était le maire de la ville. Selon EzP, EP faisait du bien aux gens pendant la guerre et défendait la cause de ceux qui se faisaient attraper. EP disait qu’on pouvait le tuer lui au lieu de ces gens. Sur question, EzP a indiqué que son frère n’avait pas eu de problème avec l’ULIMO. Il a été détenu quelques fois puisqu’il était le chef, mais n’avait pas peur de dire la vérité. 

Interrogé sur la présence de son frère à Foya Dundu le jour de la mort de KT, EzP a indiqué que son frère se trouvait dans un village juste à côté. Selon EzP, EP n’a pas essayé de parler aux commandants de l’ULIMO, car la femme était déjà morte et il n’y avait plus rien à faire. 

Questionné sur les marches forcées, EzP a déclaré qu’il n’avait jamais été obligé à porter des charges car il était ami avec Young Major. 

A la question de savoir si, selon lui, Kundi serait susceptible de le reconnaître, EzP a répondu qu’ils n’étaient pas du même quartier et qu’il était donc possible que Kundi ne le connaisse pas. EzP a ajouté que quand quelqu'un fait quelque chose de mal, tout le monde le reconnaît.

L’avocate des parties civiles a demandé à EzP s’il avait vu Kundi fréquemment entre 1993 et 1997. EzP a précisé que Kundi était venu uniquement entre 1993 et 1994 et qu’il ne l’avait pas revu après 1994. 

Le Ministère public questionne EzP : 

Sur question, EzP a confirmé que Kundi était bien basé à Foya entre 1993 et 1994 et précisé qu’il allait parfois au front puis revenait. EzP a par ailleurs confirmé que Kundi vivait à New Foya. Les avocates générales ont demandé à EzP de situer New Foya par rapport à la piste d'atterrissage et l’ancien poste de police. Le témoin a déclaré que la piste d’atterrissage se situait désormais à un endroit différent. 

Les avocates générales ont également demandé à EzP s’il connaissait Kundi sous le nom de battlefront ou battlefield commander battlefront ou battlefield commander et le témoin a répondu qu’il le connaissait sous le nom de C.O. Kundi ou « RPG man ».

La défense questionne EzP : 

Sur question, EzP a confirmé que les soldats du groupe ‘Black Devil’ portaient des bandeaux et t-shirts rouges lors de leur entrée dans Foya. Interrogé sur sa première rencontre avec Kundi, le témoin a indiqué que l’ULIMO avait convoqué une réunion et que Kundi était sur une estrade avec son RPG. L’avocate de la défense a demandé à EzP comment il savait qu’il s’agissait de Kundi. Le témoin a répondu qu’il était là depuis un mois et qu’il avait entendu le nom de Kundi. Selon EzP, tout le monde disait que Kundi était là et le montrait du doigt. 

L’avocate de la défense est ensuite revenue sur l’exécution KT et a déclaré que le témoin avait donné beaucoup de détails. A la question de savoir s’il était présent au moment des faits, EzP a répondu qu’il avait assisté à l’enterrement. Sur question, il a précisé qu’il s’agissait de l’enterrement d’un petit enfant. L’avocate de la défense lui a demandé à quelle distance il se trouvait lorsque KT a été tuée. EzP a répondu que K se trouvait dans sa chambre sous une couverture et que Kundi est entré et lui a tiré dessus. L’avocate de la défense a demandé à EzP de confirmer qu’il était présent dans la chambre de KT lorsque Kundi lui a tiré dessus. EzP a répondu : « Si quelqu'un passe devant vous, entre dans une maison et tire, puis prend la personne dehors et l’enterre avec des feuilles, vous pensez que cela peut-être quelqu'un d’autre ? ».

L’avocate de la défense a ensuite demandé à EzP s’il était bien sûr de reconnaître Kundi dans le box, étant donné que Kunti Kamara n’a pas les yeux qui se croisent selon l’avocate de la défense. EzP a déclaré qu’il l’avait reconnu immédiatement et que ses yeux étaient identiques à ceux qu’il avait à l’époque. 

Audition d’Alain Werner, fondateur de l’ONG Civitas Maxima, en tant que partie civile

Alain Werner s’est présenté en indiquant qu’il était avocat au barreau de Genève et habilité à plaider en Suisse, au Sierra Leone, au Sénégal (Dakar) et au Cambodge. Le Président a précisé qu’Alain Werner était entendu à des fins de simples renseignements. 

Alain Werner a débuté sa déclaration spontanée en expliquant qu’il commencerait par se présenter avant d’expliquer ce qui avait mené à la création de Civitas Maxima en 2012. Il a indiqué qu’il parlerait ensuite du partenariat avec le GJRP au Libéria, du rôle de Civitas Maxima dans le dossier et enfin de la procédure en Suisse. 

S’agissant de son parcours professionnel, Alain Werner a indiqué avoir prêté serment en 1999 à Genève et avoir vécu hors de Suisse pendant 10 ans. Il est diplômé de l’université de Colombia, où il a rencontré Reed Brody qui a joué un rôle central dans sa carrière. Alain Werner a raconté avoir vécu pendant 5 ans à Freetown et y avoir travaillé en tant que procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) de 1998 à 2003. Selon lui, la communauté internationale ne voulait plus dépenser autant d’argent que pour le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). L’idée était de baser le tribunal sur place et d’aller rechercher les auteurs au degré de responsabilité le plus élevé.

Alain Werner a expliqué que Charles Taylor avait été envoyé au Nigéria pour échapper à ses crimes, mais a finalement été arrêté en 2006 et livré au TSSL à Freetown. Occupé avec les procès des RUF, le bureau du Procureur était en sous-effectif, mais le Procureur a déclaré être prêt pour juger Taylor, ce qui n’était pas le cas. Selon Alain Werner, il fallait prouver que Taylor avait tout piloté depuis Monrovia pour échanger des diamants contre des armes, alors qu’il n’avait jamais mis les pieds en Sierra Leone. C’est à cette occasion qu’Alain Werner a été envoyé au Libéria afin de trouver des témoins à charge contre Taylor. Alain Werner a déclaré que la seule façon d’obtenir des preuves consistait à « retourner » des témoins contre Taylor et que cela était particulièrement aisé avec les anciens soldats de l’ULIMO qui avaient dû se battre pour le NPFL, car c’était pour eux l’occasion de prouver qu’ils n’étaient pas des traîtres.

Alain Werner a poursuivi en indiquant qu’en 2008, il a passé 12 mois en audience à La Haye et entendu plus de 100 témoins, dont les “insiders”. Le procès a été délocalisé à La Haye en raison des rumeurs selon lesquelles les hommes de Taylor planifiaient d’attaquer le centre de détention. Charles Taylor a dès lors été exfiltré de Sierra Leone pour être emmené à La Haye. Le dossier d’accusation a été terminé en janvier 2009. Le principal témoin de la défense était Charles Taylor lui-même, puisqu’il a témoigné durant 18 mois pour sa propre défense. L’ancien avocat de Charles Taylor, Karim Khan, est désormais Procureur de la Cour pénale internationale. Alain Werner a déclaré que Karim Khan est devenu son ami et lui a demandé de se rendre à Phnom Penh au Cambodge pour représenter les parties civiles dans le procès des Khmers rouges. Alain Werner a ainsi passé toute l’année 2009 au Cambodge avant d’être contacté par Reed Brody au sujet de la procédure engagée contre Hissène Habré. 

Alain Werner a expliqué que Reed Brody et Human Rights Watch avaient réussi à contraindre l’Union africaine de mettre sur pied un tribunal à Dakar pour juger Hissène Habré, l’ancien président du Tchad qui a trouvé refuge au Sénégal avec tout l’argent du trésor de son pays. Selon Alain Werner, l’arrestation de Pinochet à Londres en 1998 grâce au juge Baltasar Garzon a rendu possibles ces procès extraterritoriaux. Il a ajouté que dans les années 80, Hissène Habré était soutenu par la France et les États-Unis et qu’il n’y avait par conséquent aucune volonté politique de le traduire en justice. C’est le nouveau président du Sénégal qui a permis de mettre sur pied un procès sans la participation de l’ONU. Alain Werner a déclaré que la condamnation d’Hissène Habré lui avait donné beaucoup d’espoir, car justice avait été obtenue par la volonté des victimes et celle des avocats tchadiens, sans l’intervention de l’ONU. 

Alain Werner a ensuite précisé que son domaine d’expertise était celui des guerres en Sierra Leone et au Libéria. A ce titre, il est brièvement revenu sur le témoignage de Patrick Robert qui a déclaré que la guerre en Sierra Leone avait été plus terrible que celle au Libéria. Alain Werner a déclaré qu’il ne souscrivait pas aux propos de Patrick Robert et que selon lui, la guerre au Libéria a été tout aussi cruelle et sanguinaire que la guerre en Sierra Leone. 

La suite du parcours professionnel d’Alain Werner s’est écrite à Londres en 2010 auprès de l’ONG Aegis Trust où il a travaillé pendant deux ans. C’est à cette période qu’il a rencontré HB, le futur directeur de GJRP, pour la première fois. HB était témoin à charge dans le procès de Charles Taylor. Selon Alain Werner, HB est une légende au Libéria. Il a été torturé sauvagement par Taylor en 2002, car il était journaliste, et son cas a été repris par Amnesty International. Alain Werner a ajouté que le héros de HB était Georges W. Bush car il a obtenu de Taylor la libération de HB. Selon Alain Werner, HB s’est donné pour mission de témoigner dans tous les procès concernant les crimes commis au Libéria et a notamment témoigné à Miami dans le cadre du procès contre le fils de Taylor, Chuckie, condamné à 97 ans de prison, ainsi qu’aux Pays-Bas contre un homme d’affaires qui faisait du commerce de bois avec Taylor. Alain Werner a indiqué que le Libéria était tout aussi dévasté que la Sierra Leone, mais aucun centime n’a été déboursé par la communauté internationale. Il était par ailleurs clair que la CPI ne ferait rien, car elle est compétente pour les faits commis à compter du 1er juillet 2002. Selon Alain Werner, les gouvernements se sont assis sur le malheur des victimes. A titre d’exemple, Ellen Johnson, première femme présidente du Libéria, s’est bien gardée de prendre en considération le rapport de la CVR. 

Persuadé qu’il n’y aurait pas de justice pour le Libéria, Alain Werner a contacté HB afin de documenter les crimes commis. Ils ont également documenté le trafic des diamants du sang et ont commencé à monter des dossiers sur des hommes d’affaires européens, dont Michel Desaedeleer, décédé quelques mois avant son procès alors qu’il était détenu par les autorités belges. 

Alain Werner a ensuite déclaré que Kunti Kamara avait raison lorsqu’il disait que toutes les procédures visaient des mandingues, tels que Jungle Jabah, Alieu Kosiah ou lui-même. Alain Werner a tenu à préciser qu’avec HB, ils travaillent aussi, et depuis toujours, sur les anciens membres du NPFL et les crimes de Charles Taylor, sans pour autant obtenir le même succès. A titre d’exemple, Martina Johnson a été arrêtée en 2014, avant d’être libérée sous caution par les autorités belges en raison de son état de santé. La date de son procès n’a pas encore été fixée car les juridictions sont surchargées. Quant à Agnes Taylor, elle a passé deux ans en prison avant d’être libérée sur un point très technique. Alain Werner a déclaré que son activité consistait à documenter les crimes et à transmettre les informations recueillies aux autorités de poursuite pénale. Le fait que certains dossiers aboutissent et d’autres non ne ressort pas de sa responsabilité. 

Alain Werner a poursuivi son récit en indiquant qu’en 2012, il était conscient qu’il n’allait pas pouvoir continuer son activité auprès d’Aegis Trust en raison du manque de financement. Il ne voulait néanmoins pas abandonner ses dossiers et est parvenu à convaincre la fondation Pro Victimis à soutenir son effort de documentation sur les diamants du sang. Grâce à ces fonds, HB a créé le GJRP et Alain Werner a fondé Civitas Maxima quelques mois plus tard. L’effort de documentation était fondamental, en particulier pour des pays comme le Libéria où l’espérance de vie est inférieure en raison du système de santé. Alain Werner a déclaré qu’il avait compris que la seule façon de s’assurer d’obtenir justice un jour, c’était la documentation. Selon lui, l’effort de documentation permet de préserver la possibilité d’engager des poursuites. Il a expliqué qu’il y avait une grande volonté de la part des victimes de démarrer des procédures au lieu de mettre en place une énorme base de données.

Alain Werner a déclaré avoir toujours pensé qu’il serait irresponsable de déposer une plainte pénale en Europe sans travailler main dans la main avec des collègues au Libéria. Le but était de créer une structure pérenne et de donner la possibilité aux gens sur place de décider ce qu’ils voulaient faire en leur apportant le soutien nécessaire. Alain Werner a expliqué que Civitas Maxima, et en particulier sa directrice Emmanuelle Marchand, ont formé les enquêteurs du GJRP au recueil de la parole. Il a précisé que le GJRP comptait 17 enquêteurs issus de différentes ethnies. 

En 2013-2014, Alain Werner a été informé de la présence d’un ancien commandant de l’ULIMO d’origine mandingue sur le territoire suisse. Il a contacté HB pour voir sa réaction, étant donné qu’il s’agissait d’un dossier concernant sa propre ethnie. Alain Werner a déclaré que HB était pour lui un héros, car il n’a pas hésité une seule seconde à se saisir de ce dossier, malgré les menaces qu’il subit de son propre groupe. 

Alain Werner a ensuite déclaré qu’il s’était affranchi de la tradition juridique prônée par sa famille, selon laquelle la justice doit être au service des justiciables qui résident dans le lieu où elle est rendue. En effet, dans certains cas de figure, il n’est pas possible d’obtenir justice dans le pays où les crimes ont été commis. C’est notamment le cas du Libéria aujourd'hui selon Alain Werner.  

S’agissant de la procédure en Suisse, Alain Werner a indiqué qu’il avait déposé une plainte pénale contre Alieu Kosiah en 2014 et qu’il représentait 4 ou 5 parties plaignantes. Kosiah a été arrêté très rapidement. Il a expliqué qu’en Suisse, il n’y a plus de jury depuis bientôt 15 ans et le procureur mène l’instruction à charge et à décharge. L’affaire Kosiah est complexe selon Alain Werner, car au moment de l’arrestation d’Alieu Kosiah, Ebola sévissait au Libéria et les autorités suisses ne voulaient pas s’y rendre. Le procureur a averti qu’il devrait libérer Alieu Kosiah si aucune preuve à charge n’était apportée. Civitas Maxima a donc mis en place un système de quarantaine fin 2014 assurant l’isolement de trois victimes d’Alieu Kosiah durant un mois. Elles sont arrivées en Suisse en janvier 2015 et ont été entendues par les autorités. Selon Alain Werner, Alieu Kosiah aurait été libéré sans le travail de Civitas Maxima. 

Il a ajouté qu’il était très inquiet en raison du fait qu’un seul témoignage avait pu être recueilli pour les faits commis à Zorzor et Kolahun. D’autres preuves ont été recueillies, notamment des dépêches des journaux The The Inquirer et The Eye dans des microfilms de la bibliothèque du Congrès américains, qui ont permis d’identifier d’autres victimes. 

En mars 2019, Alieu Kosiah a été renvoyé en jugement. En raison de la pandémie de Covid-19, l’audience s’est déroulée en deux parties. Alieu Kosiah a été entendu pendant 40 heures, puis les parties civiles sont venues en Suisse en mars 2021. Alieu Kosiah a été condamné et a formé appel. Il a été reconnu coupable directement ou indirectement de plusieurs crimes, dont des meurtres, des viols, des actes de torture, de cannibalisme, etc. Alain Werner a expliqué que l’application de la lex mitior avait empêché le procureur suisse de requérir plus de 20 ans de réclusion criminelle. Cette condamnation reste historique pour le Libéria et la Suisse, car il s’agit de la première condamnation d’un libérien pour crime de guerre. 

Alain Werner est ensuite revenu sur l’indemnisation des parties civiles et a confirmé que des compensations financières avaient été demandées à hauteur de 6'000 à 8'000 francs suisses. Néanmoins, aucune partie civile n’a reçu la moindre indemnité, étant donné que la réparation incombe au prévenu, non à l’État, et qu’Alieu Kosiah n’a pas d’argent. 

S’agissant de Kunti Kamara, Alain Werner a expliqué avoir entendu le nom de Kundi dans le cadre de la procédure contre Kosiah, lorsqu’en 2014, l’avocat de ce dernier a sollicité une analyse du téléphone portable de son client afin d’identifier les témoins à décharge. En 2015, le procureur a informé les parties que Mohamed Soumawolo, alias Kundi, avait été identifié et que les autorités suisses allaient envoyer une commission rogatoire aux Pays-Bas. L’un des avocats des parties civiles, Me Raphaël Jakob, a demandé aux autorités suisses de ne pas entendre Kunti Kamara comme témoin, mais de dénoncer les faits aux autorités néerlandaises afin qu’il soit poursuivi. Me Raphaël Jakob a réitéré sa requête lorsque les parties ont appris que Kundi résidait en Belgique, puis en France. En 2018, Civitas Maxima a porté plainte contre Kunti Kamara par l’intermédiaire de Me Simon Foremann et Me Sabrina Delattre. Alain Werner a déclaré que sans l’acharnement d’Alieu Kosiah, il n’y aurait pas eu de procédure contre Kunti Kamara, car tout le monde ignorait qu’il était en Europe. Kunti Kamara a témoigné en mars 2021 et a déclaré qu’Alieu Kosiah se trouvait à Foya lorsque la ville a été prise par l’ULIMO. 

Alain Werner a ensuite précisé que Civitas Maxima travaillait avec 9 unités de crimes de guerre partout dans le monde et que les autorités françaises ont été les premières à débloquer la situation en lien avec les enquêtes au Libéria. Avant 2019, personne ne pouvait se rendre sur place pour enquêter, car les demandes d’entraide internationale restaient lettre morte. Seuls les Américains y sont allés, mais sans demander l’autorisation. Alain Werner s’est demandé si c’était l’élection de George Weah, ancien joueur du PSG, ou l’insistance du juge d’instruction français qui avait permis de débloquer la situation. Il s’est dit extrêmement reconnaissant envers les autorités françaises et a tenu des propos élogieux à l’égard de l’OCLCH. Selon lui, les Libériens ont accepté d’autoriser des enquêteurs à venir sur leur territoire grâce au travail des autorités françaises. 

Alain Werner s’est ensuite exprimé sur la compétence universelle. Il a déclaré que ce procès était à la fois le premier procès non-rwandais pour crimes internationaux en France, mais aussi le procès de cette forme de justice universelle. Selon Alain Werner, ce type de procès est le plus grand espoir de rendre justice, compte tenu du fait que le travail de la CPI a mené à cinq condamnations en 20 ans. Alain Werner a déclaré qu’il croyait en la compétence universelle et qu’il serait reconnaissant de pouvoir obtenir justice ailleurs si son propre pays était sous une junte militaire. Pour lui, « la compétence universelle n’est pas un problème mais une grande chance ». Il a ajouté avoir été impressionné par la qualité du système français, en particulier par l’expérience et la diligence des policiers et des procureurs. Il s’est également dit reconnaissant envers le système français qui permet à une organisation de se constituer partie civile et de se faire représenter par des avocats. 

Alain Werner a terminé sa déclaration spontanée en remerciant, au nom de Civitas Maxima, les membres de l’association Paris Aide aux Victimes pour leur gentillesse, leur humilité et leur disponibilité.

La Cour questionne Alain Werner : 

Le Président a rappelé les propos de l’accusé, selon lesquels Alain Werner et son équipe avaient suggéré des témoignages, et demandé à Alain Werner de quelle manière il pouvait garantir que des éléments de réponse n’étaient pas induits aux témoins. Alain Werner a répondu que son équipe se rendait dans les hatay shops, qui sont des lieux de réunion où les hommes parlent de football, de politique et de la guerre, pour écouter les conversations. Il a ajouté que la règle n°1 était de ne pas donner des noms et de ne rien induire aux témoins. Il a également précisé que ses équipes se rendaient fréquemment au Libéria pour former les enquêteurs et avaient établi des protocoles d’interrogatoire. Il a indiqué que s’il perdait la confiance d’un parquet national, ce serait la fin de Civitas Maxima. 

Interrogé par un juré sur le mécanisme d’indemnisation des victimes en droit français, Alain Werner a indiqué qu’il n’avait jamais promis de l’argent aux victimes. Il s’est dit traumatisé par le procès d’Hissène Habré, car les victimes devaient recevoir entre 20'000 et 30'000 euros, mais n’ont toujours rien reçu à ce jour. 

Le Président a ensuite évoqué la liste des principaux auteurs des crimes établie par la CVR et a demandé son avis à Alain Werner sur le fait que Kunti Kamara n’y figure pas. Alain Werner a déclaré que plus de la moitié de ses dossiers concernaient des personnes ne figurant pas sur cette liste. Il a ajouté que le nom de Kundi ainsi que d’autres noms avaient été évoqués en audience publique, sans pour autant avoir été intégrés à la liste par la CVR en raison de la méthodologie décrite par John Stewart et Massa Washington. C’est notamment pour cette raison que Civitas Maxima a souhaité faire un effort de documentation. 

Sur question d’un juge assesseur, Alain Werner a déclaré qu’il avait la conviction profonde que les témoins n’attendaient rien d’autre que justice soit rendue. 

Interrogé sur les éventuelles menaces qui pèsent sur lui, Alain Werner a expliqué qu’Alieu Kosiah avait déposé une plainte pénale à son encontre ainsi qu’à l’encontre de HB et de toutes les parties civiles en Suisse. Quant à Agnes Taylor, elle a déposé plainte au Libéria contre le GJRP et HB, et Alain Werner craint une condamnation. 

Le juge assesseur a ensuite rappelé les propos de Patrick Robert selon lesquels la guerre au Libéria n’était pas une guerre ethnique contrairement au Rwanda, et demandé son avis à Alain Werner. Ce dernier a indiqué que des politiciens comme Charles Taylor ont utilisé les ethnies les unes contre les autres et instrumentalisé cette fragmentation ethnique. Comme Alieu Kosiah et Kunti Kamara, Alain Werner considère que Taylor est à l’origine de cette guerre.

Interrogé sur les faits de viols et en particulier sur la question de savoir s’ils s’inscrivent dans le projet des groupes armés ou si les femmes sont des victimes collatérales, Alain Werner a précisé que Emmanuelle Marchand serait plus à même de répondre à cette question. Il a déclaré que toutes les factions, y compris l’ULIMO, considéraient les civils comme des objets. Les femmes ont été utilisées pour battre le riz et forcées à avoir des relations sexuelles, y compris par les hommes d’affaires blancs. Il a ajouté avoir été touché par ce qui s’était passé la veille (ndlr. en référence au témoignage de EFNS) et indiqué que Civitas Maxima était guidée par le principe “no harm” et essayait toujours de travailler avec des personnes capables de témoigner.

Un juré a enfin demandé à Alain Werner pourquoi il avait demandé une compensation financière pour les parties civiles en Suisse, alors qu’il savait que cela était susceptible de remettre en cause leurs témoignages et leurs motivations. Alain Werner a expliqué que lui et les autres avocats des parties civiles avaient pensé que personne ne comprendrait si aucune compensation n’était requise. En effet, ils craignaient d’envoyer un mauvais message en accusant Alieu Kosiah des pires atrocités sans demander aucune réparation. Alain Werner a ajouté que le fait qu’Alieu Kosiah soit indigent aujourd'hui ne signifiait pas qu’il le serait demain. S’agissant enfin du montant de la compensation, il a indiqué qu’il avait été très compliqué de le quantifier et qu’il avait eu une discussion à cet égard avec les avocats des autres parties civiles. 

La partie civile n’a pas eu de questions.

Le Ministère public questionne Alain Werner :

Les avocates générales ont cherché à obtenir des précisions sur le travail de documentation concernant Alieu Kosiah et demandé à Alain Werner comment il expliquait le fait qu’un seul témoin ait été retrouvé dans chaque ville pour raconter les crimes qui y avait été commis, alors que ces crimes ont été commis publiquement. Alain Werner a expliqué qu’au Libéria, tout était compliqué et qu’il était difficile de faire circuler l’information et d’accéder aux témoins, tout en soulignant le travail du journaliste Anthony Stephens présent dans la salle. A cela s’ajoute non seulement les menaces et la peur des représailles, mais aussi le traumatisme dont souffrent les victimes. A cet égard, Alain Werner a évoqué sa rencontre avec M, l’esclave sexuelle d’Ugly Boy, et indiqué qu’il ne lui aurait jamais demandé de témoigner car elle était beaucoup trop traumatisée. 

Interrogé sur le retentissement du procès de Kunti Kamara au Libéria, Alain Werner a indiqué que le canal principal d’information au Libéria était la radio et que, selon John Stewart, le procès avait un retentissement énorme dans le pays. 

La défense questionne Alain Werner :

Questionné sur le financement de Civitas Maxima, Alain Werner a indiqué avoir fait le pari de ne pas accepter l’argent du gouvernement et avoir réussi à convaincre des donateurs privés. Il a précisé que la plus grande partie du budget était financée par cinq ou six fondations et que le plus grand défi consistait à assurer la pérennité du financement. 

A la question de savoir s’il recevait des mandats des juridictions internationales, Alain Werner a répondu par la négative et a précisé qu’il ne travaillait pas uniquement sur le Libéria, mais également sur le Soudan et la Côte d’Ivoire en évoquant des difficultés à coopérer avec la CPI.

L’avocate de la défense est ensuite revenue sur l’expression « retourner les témoins » utilisée par Alain Werner et lui a demandé d’en préciser la signification. Alain Werner a expliqué que lorsqu’il travaillait au TSSL, il ne disposait initialement que des témoignages des villageois et avait besoin de témoignages de personnes intégrées dans le système de Charles Taylor. L’expression « retourner les témoins » signifie que ces témoins ont accepté de parler en contrepartie de la garantie qu’aucune poursuite ne serait engagée à leur encontre. L’avocate de la défense a alors demandé à Alain Werner si le fait de témoigner contre Taylor leur donnait une immunité. Alain Werner a expliqué que le mandat du TSSL était de toute manière trop réduit pour pouvoir les poursuivre de sorte que la question de l’immunité devant le TSSL était théorique. La question d’une immunité au Libéria s’était en revanche posée, mais tout le monde savait aussi que rien n’allait être fait au Libéria pour poursuivre les auteurs. 

*           *           *

Le Président a indiqué qu’il allait procéder à la lecture des auditions de NS dans la mesure où l’état de ce dernier ne s’était pas amélioré. Le Président a expliqué que NS avait été auditionné à trois reprises. La première audition a été menée par Civitas Maxima le 29 avril 2018. NS a ensuite été entendu par la police nationale du Libéria le 30 avril 2019, puis a été confronté à TK et FG en raison de divergences dans les témoignages des uns et des autres. 

Lecture des notes de l’entretien entre NS et les enquêteurs de Civitas Maxima du 29 avril 2019

NS a d’abord expliqué de quelle manière il avait rencontré le GJRP. Il a déclaré qu’un certain Maxwell avait probablement été informé qu’il était l’époux de la femme décédée et l’a cherché lors de sa visite à Foya Dundu, mais NS n’était pas en ville. Un jour, Maxwell a rencontré FP en ville et lui a demandé s’il se souvenait de NS. FP a répondu par l’affirmative et a appelé NS. C’est ainsi qu’il a rencontré Maxwell et ce dernier lui a demandé s’il était disposé à raconter son histoire et à venir à Monrovia. 

S’agissant des événements à Foya Dundu, NS a raconté qu’il se trouvait à Foya Dundu à l’époque de l’ULIMO et que 10 soldats avaient été affectés à la ville. Selon NS, il était environ 18h00 lorsque le bébé est mort. NS a ajouté que celui avait provoqué les problèmes et tué sa femme se nommait Kundi. Kundi n’était pas affecté à Foya Dundu et se trouvait à Foya en tant que commandant avant cet incident. NS a précisé que Foya Airfield et Foya Dundu étaient proches l’une de l’autre. 

NS a déclaré que Kundi venait de Foya Airfield et était passé par Foya Dundu pour aller à Kornobenu. Il se déplaçait en marchant avec un uniforme, des armes et cinq gardes du corps. La tombe de l’enfant mort se situait derrière la maison et quelques personnes étaient sur place pour l’enterrer. NS a précisé que lorsque Kundi et ses gardes du corps sont arrivés, il se trouvait devant la maison et les a vus venir de Foya Airfield. Selon NS, Kundi était un homme important qui attribuait des missions aux soldats. Il est venu lors de la cérémonie mortuaire, s’est arrêté et a exprimé sa compassion avant de partir pour Kornobenu.

Sur question, NS a indiqué qu’il pensait que Kundi était un homme important en raison de son rang. Les soldats l’appelaient S3 du bataillon et c’était lui qui donnait les affectations aux soldats. Les enquêteurs ont ensuite questionné NS sur la compassion exprimée par Kundi. NS a précisé que Kundi leur avait donné un peu d’argent. Selon la tradition, lorsque quelqu'un meurt, le chef du village reçoit de l’argent et le donne à la famille du défunt à la fin de la journée. NS a déclaré que Kundi avait donné de l’argent au commandant de Foya Dundu, Mohammed Saryon. NS a précisé que lorsque Saryon est parti, Mohammed Kamara est devenu commandant. NS s’est souvenu d’autres noms de soldats, tels que Musa Blodu et Mohammed Jah. 

Selon NS, Kundi est ensuite revenu où il les avait laissés et a dit aux soldats qu’il avait des informations sur la mort du bébé, à savoir que la femme avait fait de la sorcellerie sur le bébé et que cela avait causé sa mort. Kundi a envoyé deux soldats dans la maison afin d’en extraire la femme. NS a précisé que la femme était atteinte d’une maladie qui lui donnait la pelade. Les soldats sont entrés dans la maison et ont vu la femme enroulée dans des couvertures. Ils n’étaient pas en mesure de la faire sortir en raison de son état et sont retournés auprès de Kundi pour lui rendre compte de la situation. NS a indiqué que cela faisait deux mois que sa femme était malade. 

Selon NS, Kundi s’est mis à parler de cette histoire de sorcellerie lorsqu’il est revenu. NS a indiqué qu’il ignorait pourquoi Kundi avait pensé que sa femme était une sorcière, mais supposait que c’était un de ses soldats qui le lui avait dit. Kundi a ensuite crié sur ses soldats en leur disant : « Je vous ai donné des ordres, vous êtes incapables de les suivre, retournez-y et sortez cette femme de là ! ». Il s’est mis en colère, a pris le G3 de l’un des soldats et a déclaré : « Puisque vous êtes incapables de la faire sortir, moi je vais m’en charger. Cette femme pratique la sorcellerie, mais aujourd'hui c’est le dernier jour où elle aura pratiqué la sorcellerie ». NS a raconté que Kundi, furieux, est entré dans la maison et a tiré la femme jusqu’à la porte avant de donner l’ordre de creuser la tombe. Il a explosé la tête de la femme avec son arme sur le pas de la porte. Sur question, NS a précisé que Kundi lui avait tiré dessus, à une reprise, et a déclaré qu’il avait assisté à la scène, laquelle a duré moins de deux minutes. Selon NS, la femme était incapable de se tenir debout et était allongée sur le sol lorsqu’elle a été tuée. 

NS a ajouté que Kundi avait ordonné à des civils de creuser la tombe et que le cadavre avait été recouvert de feuilles de palmier avant d’être inhumé. Sur question, NS a précisé que les feuilles de palmier venaient de la cuisine de FG. Kundi a ensuite ordonné de recouvrir la tombe de poussière. Selon NS, les villageois ont dit à la mère de la femme décédée de se cacher et cette dernière a pris la fuite. Kundi a déclaré que s’il voyait la vieille femme qui était la mère de la femme qu’il venait de tuer, il la tuerait à son tour. 

NS a raconté qu’au moment du meurtre beaucoup de personnes ont paniqué et ont quitté la ville, mais lui est resté sur place et a aidé à enterrer le corps de la femme. Cette femme était son épouse et la sœur de FG. Il a ajouté qu’il n’avait pas été témoin d’autres meurtres, mais que les soldats battaient souvent les civils. 

NS a ensuite été invité à donner une description de Foya Dundu. Il a indiqué qu’en venant de Foya Airfield, il y avait un pont et juste après le pont se trouvait Foya Dundu. La maison de FP se situait après la mairie et avait été transformée en bureau par les soldats affectés à la ville. Il a ajouté que sa femme était dans la maison de FG et qu’il s’y rendait quotidiennement. Invité à décrire la maison de FG, NS a indiqué qu’il y avait quatre lits et un endroit appelé « palor » devant l’entrée de la maison. C’était là que la femme avait été tuée. NS a également précisé que la maison était en terre et le toit en zinc. 

Interrogé sur Kundi, NS a indiqué qu’il connaissait son nom car il le lui avait demandé. Selon NS, Kundi était plutôt un gringalet. Il était petit et mince et semblait jeune en raison de son apparence de petit garçon. Il portait une tenue de camouflage et un G3. Parfois, il portait aussi des vêtements civils et des bottes de montagne. Il avait des pantalons militaires, parfois des jeans. Ce jour-là, il portait une tenue de camouflage. NS a ajouté que lorsque Kundi est revenu, son RTO portait le G3. Sur question, NS a précisé qu’un RTO était un garde du corps et qu’il ne se souvenait plus des noms des gardes du corps. 

Interrogé sur les factions armées, NS a déclaré que les NPFL étaient les premiers, puis il y avait eu les ULIMO. NS connaissait leurs noms car c’était ainsi qu’ils se présentaient. NS a précisé que Kundi faisait partie de l’ULIMO. Le premier groupe de l’ULIMO qui a pris Foya Dundu était dirigé par C.O. Polu, puis le NPFL a repris la ville. L’ULIMO est revenu et a affecté dix soldats à Foya Dundu. Selon NS, environ deux mois se sont écoulés entre l’affectation des dix soldats à Foya Dundu et le meurtre de la femme. 

Questionné sur les autres témoins du meurtre, NS a indiqué que le chef du village TK était présent, de même que FG et FP. D’autres personnes avaient également assisté à la scène, mais NS ne se souvenait pas de leurs noms.

Interrogé sur les autres événements dont il a été témoin ou victime, NS a raconté qu’un jour, alors qu’il portait des charges pour les soldats, ces derniers ont arrêté le fils d’une femme. Selon NS, la vieille femme a commencé à crier et s’est enfuie dans la brousse. Mohammed Jah l’a ramenée en ville et lui a tiré dans le pied alors qu’il jouait avec son arme. 

NS a également raconté qu’ils étaient cinq à porter des charges chaque jour. Toutes les factions leur demandaient de le faire et ils ne pouvaient pas y échapper. Sur question, NS a déclaré que s’ils s’échappaient et étaient attrapés, les soldats les battaient. Il a précisé que les marchandises à transporter étaient des noix de coco, du café, de l’huile ou du riz et qu’ils devaient parfois les transporter jusqu’en Guinée pour les vendre. NS a indiqué être allé jusqu’à la frontière à trois reprises. La dernière fois, il s’est échappé et est resté presque deux semaines à la frontière. Sur question, il a indiqué se souvenir d’Ugly Boy, de Fine Boy et de Bangalee Kamara. 

NS a enfin autorisé les enquêteurs à raconter son histoire à des avocats et procureurs. 

Lecture du procès-verbal de l’audition de NS par la police nationale du Libéria du 30 avril 2019

NS a débuté sa déclaration spontanée en indiquant qu’à l’époque où l’ULIMO a chassé le NPFL et pris la ville de Foya, il vivait à Foya Dundu avec son épouse K. Cette dernière était malade depuis près de trois mois. Ils s’étaient cachés dans la brousse, mais ont entendu dire qu’un des commandants de l’ULIMO, qui s’appelait Ugly Boy, avait dit que tous ceux qui se cachaient dans la brousse devaient rentrer dans leurs foyers. NS est rentré à Foya Dundu. Il a expliqué qu’à cette époque, sa femme et son fils étaient gravement malades. Un matin, son fils est décédé et NS a demandé aux habitants de la ville de l’aider à enterrer son enfant. Alors qu’ils étaient rassemblés dans sa maison, Kundi s’est arrêté chez NS. Il a présenté ses condoléances, donné 100 dollars libériens et est parti. 

NS a déclaré que quand Kundi est revenu, il s’est arrêté dans la zone où certains soldats étaient postés. Quelques minutes plus tard, deux soldats de l’ULIMO sont venus et ont demandé à NS où se trouvait la femme qui était malade. Selon NS, les soldats sont entrés dans la maison, ont vu dans quel était la femme et sont retournés auprès de C.O. Kundi. NS a raconté qu’ensuite, Kundi est entré dans la maison et a fait sortir sa femme de force. Il lui a tiré dessus devant la porte, puis a demandé à NS et aux autres villageois d’enterrer le corps. Une fois le corps placé dans la tombe, Kundi a pris du chaume de feuilles de palmier séchées pour le recouvrir et a ordonné aux villageois de mettre du chaume dans la tombe. Kundi a mis le feu à la tombe et a brûlé le corps. Avant de partir, il a ordonné à NS et aux autres villageois de mettre de la terre sur le corps. 

Sur question, NS a déclaré qu’il ne se souvenait pas de l’année lors de laquelle l’ULIMO a pris le contrôle de Foya. Il a indiqué que son épouse était décédée lors de la saison sèche. Interrogé sur l’identité du chef des soldats de l’ULIMO, NS a répondu qu’il ignorait qui était le chef, mais qu’il connaissait Ugly Boy, car il était très effrayant et mauvais. Questionné sur la fonction de Kundi, NS a répondu que les soldats de l’ULIMO l’appelait bataillon S-3, mais qu’il ignorait la signification de cette fonction. Selon NS, Kundi était responsable d’affecter les soldats dans les villages. 

Sur question, NS a confirmé qu’il savait que Kundi était un soldat au moment où l’ULIMO contrôlait Foya. Il a déclaré qu’il avait vu Kundi à plus de dix reprises et qu’il a compris que c’était quelqu'un de mauvais le jour où il a tué sa femme. 

Sur question, NS a indiqué que Kundi venait de Foya et allait à Kundobondu le jour où il s’est arrêté devant sa maison. NS a précisé qu’il était à la maison, mais que sa femme avait été emmenée chez son frère à cause de sa maladie. Elle y a séjourné pendant plus de six mois avant sa mort. A la question de savoir s’il était resté dans sa maison lorsque Kundi est parti, NS a répondu qu’il était resté chez son beau-frère jusqu’à la fin. Interrogé sur la raison pour laquelle Kundi s’était rendu à la maison de son beau-frère, NS a expliqué que Kundi y était allé pour présenter ses condoléances après avoir été informé par le bureau de l’ULIMO de Foya Dundu. Sur question, NS a précisé que le bureau de l’ULIMO se trouvait sur la route principale, après la colline, et qu’il y avait une maison entre la sienne et le bureau de l’ULIMO. 

Questionné sur le retour de Kundi, NS a déclaré que Kundi était revenu de Kundobondu entre 16h et 17h. Il a confirmé qu’il avait vu Kundi revenir de Kundobondu alors qu’il était assis devant la maison de son beau-frère. Sur question, NS a indiqué que Kundi ne s’était pas arrêté à la maison à son retour de Kundobondu et que cela avait pris deux minutes avant qu’il envoie les deux soldats dans la maison de son beau-frère. Interrogé sur le comportement des deux soldats, NS a déclaré qu’ils ont demandé où se trouvait la femme malade en précisant qu’ils avaient été envoyés par leur chef Kundi. Après l’avoir vue, les soldats ont déclaré qu’ils allaient informer leur chef de l’était de la femme. Sur question, NS a indiqué que Kundi est revenu à la maison peu de temps après. 

A la question de savoir si Kundi avait dit quelque chose à son arrivée, NS a répondu qu’il n’avait rien dit. Il a précisé que Kundi est entré dans la maison et a traîné la femme malade à l’extérieur par les jambes, alors qu’elle était nue et que ses gardes du corps étaient dehors. Selon NS, Kundi a ensuite tiré dans la tête de la femme sans dire un mot. 

A la question de savoir si la femme avait dit quoi que ce soit lorsqu’elle a été tirée à l’extérieur, NS a répondu qu’elle n’avait rien dit et que les gens ont commencé à s’enfuir lorsque Kundi l’a abattue. C’est à ce moment-là que Kundi a appelé tous les hommes et leur a dit d’enterrer le corps. Sur question, NS a indiqué que Kundi est parti après avoir mis le feu au corps. 

Interrogé sur le type d’arme dont Kundi se servait, NS a indiqué qu’il avait un fusil d’assaut G3 avec une poignée en caoutchouc et un long embout gris foncé. Questionné sur la raison pour laquelle Kundi avait tué la femme après avoir présenté ses condoléances, NS a déclaré qu’il l’ignorait. Selon lui, les gens répétaient les accusations proférées par les rebelles qui accusaient sa femme d’être une sorcière car ils faisaient des cauchemars. Sur question, NS a indiqué que tous les villageois étaient présents lors du meurtre de sa femme, car lorsque quelqu'un mourait dans le village, tout le monde pouvait être présent. 

Interrogé sur le nombre de soldats de l’ULIMO postés à Foya Dundu, NS a indiqué qu’ils étaient dix et qu’il se souvenait de Mohammed Saryon, Mohammed Kamara, Musa Blodu, Mohammed Jah et Mohammed Vally. Il a confirmé que les soldats ordonnaient aux civils de porter des charges. Sur question, NS a indiqué qu’aucun des soldats qu’il avait nommés se trouvaient toujours à Foya Dundu et que la plupart d’entre eux étaient mandingues. 

Interrogé sur la maladie dont sa femme était atteinte, NS a indiqué qu’il ignorait de quelle maladie il s’agissait, car il n’y avait pas d’hôpital qui aurait pu établir un diagnostic à l’époque, à cause de la guerre. Il a précisé que sa femme lui disait que son corps lui faisait mal. Elle pelait, souffrait de malnutrition et ne pouvait rien faire toute seule. Selon NS, sa femme a été malade pendant neuf mois. 

Questionné sur les contradictions entre ses déclarations et celles de FG et de TK concernant l’emplacement de la maison de FG, NS a indiqué qu’il ne se souvenait pas avoir vu le chef du village TK lors de l’enterrement de sa femme. 

Lecture du procès-verbal de la confrontation entre NS, TK et FG devant le juge d’instruction du 10 janvier 2020

Sur question, NS, TK et FG ont déclaré qu’ils ne possédaient ni des photographies ni un certificat attestant du décès de KT et qu’il n’existait pas de registre recensant les décès survenus à Foya Dundu en 1993-1994. 

Le juge d’instruction a ensuite précisé que lors de la reconstitution, FG et NS ont indiqué que KT se trouvait dans la maison de FG lors de l’arrivée de Kunti Kamara, alors que TK a déclaré qu’elle se trouvait dans la maison de son père. NS et FG ont tous deux maintenu que KT se trouvait dans la maison de FG. TK a quant à lui maintenu que KT se trouvait dans la maison qu’il avait désignée lors de la reconstitution. TK a précisé qu’il s’agissait de la maison de FG, mais qu’elle était différente de celle d’aujourd'hui et qu’elle avait été construite par le père de KT. Sur question, FG a déclaré que les déclarations de TK étaient fausses, car en 1993, il n’y avait pas de maison à l’emplacement désigné par TK. FG a ajouté qu’il avait lui-même construit la maison désignée par TK après la guerre. NS a confirmé qu'il n'y avait pas de maison en 1993 à l’emplacement désigné par TK. 

Le juge d’instruction a alors demandé à TK s’il était possible que sa mémoire le trompe. TK a admis que la maison qu’il avait désignée avait été construite après la guerre, mais a déclaré qu’il y avait une maison à cet endroit à l’époque des faits et que KT s’y trouvait. Le juge d’instruction a ensuite demandé à TK comment il expliquait le fait que FG et NS affirmaient tous deux que KT se trouvait dans la maison de FG. TK a indiqué qu’il avait été appelé par NS et FG après le décès du fils de KT. Il a reconnu qu’il se trompait peut-être car FG et NS étaient là, alors que lui avait été appelé. 

Invité à se déterminer sur les déclarations de TK, FG a déclaré que TK était âgé. Il a ajouté que son ancienne maison comptait quatre chambres. Selon FG, lorsque Kunti est venu, il a donné 100 dollars libériens en guise de geste de sympathie pour la mort du fils de sa sœur. FG a ensuite appelé le chef du village, car c’était à lui qu’il fallait s’adresser en cas de problème, et a insisté sur le fait qu’il était vieux. 

Invité à son tour à se déterminer sur les déclarations de TK, NS a indiqué qu’il était le mari de la femme et qu’il maintenait qu’elle avait été extraite de la maison de FG. Il a ajouté qu’il lui rendait visite tous les jours dans la maison de FG, car elle était gravement malade, tout comme leur fils qui est mort le même jour. NS a également précisé que TK était âgé. Sur question, FG a confirmé que NS venait rendre visite à sa femme tous les jours. Interrogés sur l’âge de TK, FG et NS ont indiqué qu’ils ignoraient son âge, mais qu’il était le plus vieux du village. 

Le juge d’instruction a ensuite interrogé FG, NS et TK au sujet des soldats qui sont entrés dans la maison où se trouvait KT. Le juge d’instruction a rappelé à NS qu’il avait déclaré que Kundi avait sorti lui-même la femme de la maison, car les soldats qu’il avait dépêchés pour le faire y avaient renoncé au vu de l’état de santé de celle-ci. Le juge d’instruction a ensuite indiqué que FG avait quant à lui affirmé que les soldats dépêchés par Kundi s’étaient chargés de faire sortir KT en précisant que NS n’était pas présent lorsque les gardes du corps sont arrivés. Invité à se déterminer sur les déclarations de FG, NS a indiqué qu’il était devant la maison lorsque Kunti a envoyé ses gardes du corps et demandé où se trouvait la femme qui était une sorcière. Selon NS, Kunti est entré dans la maison et a sorti la femme, puis lui a tiré dessus à deux reprises. 

Le juge d’instruction a demandé à NS ce qu’il pensait du fait que FG ait indiqué que les soldats, et non Kunti, avaient sorti KT de la maison. NS a déclaré avoir vu de ses propres yeux Kunti prendre sa femme de force et lui tirer dessus. Sur question, FG a maintenu que selon lui, les deux gardes du corps sont entrés dans la maison et ont tiré KT à l’extérieur. Il a indiqué qu’il avait assisté à la scène. 

Le juge d’instruction a ensuite indiqué à TK qu’il avait quant à lui varié dans ses déclarations et lui a demandé ce qu’il en était. TK a déclaré que Kunti n’était pas entré dans la maison, mais qu’il était devant la porte lorsqu’il a ordonné aux deux soldats de faire sortir la femme. 

Interrogé sur les modalités de l’exécution de KT, FG a déclaré que Kunti avait tiré en rafale dans la tête de sa sœur. FG a fait un geste saccadé mimant un tir en rafale. Sur question, NS a confirmé qu’il y avait eu un tir en rafale. Le juge d’instruction a ensuite rappelé à TK qu’il avait initialement déclaré se souvenir de deux détonations et l’a invité à se déterminer sur les déclarations de NS et FG. TK a indiqué qu’il avait également entendu des tirs en rafale. 

Le juge d’instruction a ensuite invité NS à se déterminer sur les déclarations de TK, selon lesquelles KT avait supplié Kunti de ne pas la tuer. NS les a réfutées et a précisé que KT ne pouvait pas parler à cause de sa maladie. A la question de savoir s’il avait entendu KT supplier Kunti, FG a quant à lui déclaré que ce jour-là, Dieu avait ouvert la bouche de KT car elle a dit à Kunti de ne pas la tuer. Selon FG, KT ne parlait pas, mais ce jour-là, elle a parlé et a dit en Kissi : « Ne me tue pas, ne me tue pas ». Confronté aux déclarations contradictoires de NS, FG a indiqué qu’il était plus proche de KT alors que NS se trouvait sous l’arbre, ce que NS a confirmé sur question du juge d’instruction. NS a également confirmé qu’il était possible qu’il n’ait pas entendu KT supplier Kunti et que FG était plus proche de KT que lui. 

Confronté aux déclarations de NS selon lesquelles il n’était pas présent lors de l’enterrement de KT, TK a déclaré qu’il était présent, mais que NS ne l’avait pas vu. Invité à se déterminer à ce sujet, NS a indiqué qu’il y avait beaucoup de monde et que vu les circonstances, il ne pouvait pas savoir si TK était présent ou non. 

Le juge d’instruction a questionné FG sur l’heure du meurtre en lui rappelant qu’il avait déclaré précédemment que sa sœur avait été exécutée tôt le matin, alors que NS et TK semblaient dire que le meurtre avait eu lieu en fin de journée. FG a déclaré que Kunti est venu le matin et a donné 100 dollars. Il est ensuite parti et est revenu moins d’une heure après. Il était fâché et a envoyé ses gardes du corps pour tirer KT. Selon FG, l’exécution de sa sœur a eu lieu le matin, non l’après-midi. Invité à se déterminer sur les déclarations de FG, NS a indiqué que l’exécution n’avait pas eu lieu le matin, car c’était le moment où son fils a été enterré. Selon NS, Kunti a donné 100 dollars, est parti, puis il est revenu dans l’après-midi, à savoir après 12h. Invité à se déterminer sur les déclarations de NS, FG a déclaré qu’il ne pouvait pas être précis sur la chronologie car lorsque quelque chose de tel arrive, on est confus et on ne peut pas se rappeler de tous les faits.

Sur question, FG a confirmé que lorsqu’il a été informé du décès du fils de KT, Kunti a remis 100 dollars libériens au chef du village, TK. Interrogé à son tour à ce sujet, NS a déclaré que le chef était la personne qui recevait tout l’argent pour le compte de la famille du défunt. Sur question, FG et NS ont confirmé avoir vu Kunti donner l’argent à TK. Le juge d’instruction a ensuite rappelé à NS qu’il avait déclaré précédemment que Kunti avait donné l’argent à un certain Mohammed Saryon. NS a précisé que Kunti avait donné l’argent à Mohammend Saryon, le commandant, qui l’avait ensuite remis à TK. Sur question, TK a indiqué avoir reçu de l’argent de Mohammed Saryon. 

Interrogé sur sa présence avant l’arrivée de Kunti et après son départ, TK a déclaré qu’il avait été appelé dès le matin et qu’il était resté sur place. 

*           *           *

Le Président a rappelé que la Cour a entendu FP et FG sur ces faits et procédé aux lectures des déclarations de TK. Le Président a également mentionné le témoignage de EzP et déclaré qu’avec NS, cinq personnes ont désigné l’accusé comme responsable de la mort de KT. Le Président a demandé à Kunti Kamara s’il maintenait ses déclarations, selon lesquelles il n’était pas présent lors du décès de KT et avait été mis en cause de manière mensongère et fallacieuse. Kunti Kamara s’est déclaré innocent et confus d’être accusé par des personnes qui ne le connaissaient pas.

Le Président est revenu sur le geste de compassion dont Kunti Kamara aurait fait preuve selon les témoins, en donnant 100 dollars libériens pour l’enterrement de l’enfant. Le Président a demandé à l’accusé quel était l’intérêt des témoins de mentionner le fait que Kunti Kamara aurait fait preuve de compassion dans un premier temps, pour ensuite l’accuser d’avoir exécuté une femme malade. Kunti Kamara a déclaré qu’il ne connaissait ni ces gens ni leur culture et que tout cela était impossible. 

Le Président a poursuivi l’interrogatoire de l’accusé sur les faits concernant RSK et EFNS.

Interrogatoire de Kunti Kamara sur les faits commis à Foya, entre le 1er mars 1994 et décembre 1994, au préjudice de RSK et EFNS

Le Président a d’abord interrogé Kunti Kamara sur le témoignage de RSK, qu’il a résumé de la manière suivante. Selon le Président, RSK a indiqué à la Cour qu’elle était dans la brousse, puis avait passé du temps dans la maison d’AG avec son amie EFNS, qui est devenue sa belle-sœur. RSK a ensuite rapporté l’épisode du Black Friday en février ou mars 1994 et le départ d’AG qui craignait les représailles de l’ULIMO. Elle a indiqué avoir été violée à répétition par deux gardes du corps de l’accusé. Selon le Président, l’élément important par rapport à Kunti Kamara réside dans le fait que RSK s’est adressée à lui et l’a supplié à plusieurs reprises de faire cesser les viols par ses subordonnés. Elle ne l’accuse pas de l’avoir violée, mais de ne pas être intervenu alors qu’il savait ce qui se passait. Le Président a ajouté que les déclarations de RSK laissaient penser qu’elle avait été traitée comme une esclave sexuelle qui pouvait être utilisée par les soldats quand ils en avaient envie. Le Président a demandé à l’accusé ce qu’il avait à dire à propos de ces déclarations. 

Kunti Kamara a déclaré qu’il était désolé pour ce qui était arrivé aux femmes, si cela leur était vraiment arrivé, et qu’il avait lui-même une sœur, une mère et une fille. Il a ajouté : « Comment pourrais-je regarder quelqu'un violer la sœur de quelqu'un d’autre ? C’est impossible ». 

Interrogé sur le surnom “Black Diamond” qu’il aurait donné à RSK et sur le fait que cette dernière l’avait imploré de faire cesser les viols en lui faisant remarquer qu’elle « petite » et « fragile », Kunti Kamara a répondu n’avoir aucun souvenir de cela et être accusé de manière fausse et mensongère. 

Questionné sur le témoignage de ThK, qui l’a impliqué dans la mort de son père TKo, Kunti Kamara a déclaré être choqué et étranger à tout cela. 

Le Président a ensuite abordé le témoignage de EFNS. Kunti Kamara a déclaré qu’il avait été touché lorsque EFNS s’est écroulée et qu’il n’avait pas dormi de la nuit, en précisant que les accusations portées contre lui étaient fausses. Sur question, il a déclaré qu’il ne remettait pas en question le fait que EFNS avait été victime de viol, mais a précisé qu’il ne la connaissait pas. 

Interrogé sur B, Kunti Kamara a expliqué qu’il le connaissait et que B était un ancien soldat de l’AFL. Il a ajouté qu’à l’arrivée des rebelles, de nombreux soldats mandingues ont rejoint l’ULIMO-K et qu’il avait combattu avec lui. Il a ensuite déclaré que B s’était peut-être rendu à Foya après son départ. 

Le Président est ensuite revenu sur les déclarations de EFNS selon lesquelles les faits s’étaient déroulés à New Foya et B était le garde du corps de Kundi. EFNS a indiqué qu’elle s’était plainte auprès de Kundi, mais que ce dernier avait déclaré : « Oh, je pensais qu’on m’avait appelé pour quelque chose de grave ». Kunti Kamara s’est dit confus et a affirmé qu’il n’habitait pas à Foya et n’en était pas le commandant. 

Le Président a demandé à l’accusé s’il avait déjà rencontré EFNS. Kunti Kamara a répondu qu’il ne la connaissait pas. Le Président lui a ensuite demandé comment il expliquait le fait que EFNS l’ait reconnu sur une planche photographique et ait donné une description physique précise, en indiquant notamment qu’elle l’avait vu une fois avec des nattes. Kunti Kamara s’est à nouveau dit confus et a indiqué qu’il n’avait jamais porté des tresses et qu’il s’était rasé la tête en arrivant en Europe. 

Questionné sur ses relations avec les femmes de l'ethnie Gbandi, Kunti Kamara a déclaré que la mère de son enfant était Gbandi. Le Président a indiqué que EFNS avait précisé lors de son audition que l’accusé avait des femmes Gbandi et demandé à Kunti Kamara comment EFNS pouvait être si bien renseignée s’ils ne se connaissaient pas. Kunti Kamara s’est dit surpris et a déclaré qu’il était facile de rassembler des informations. 

Le Président a ensuite demandé à Kunti Kamara si la chanson chantée par RSK à la gloire de l’accusé avait été inventée pour les besoins de ce procès. Kunti Kamara a d’abord indiqué qu’aucun soldat de l’ULIMO dirait qu’il y avait des chansons. Il a ensuite précisé que le seul moment où des chansons pouvaient être chantées, c’était pour encourager les soldats à aller sur le front, mais il ne s’agissait pas de chansons à la gloire des commandants. 

Le Président a demandé à Kunti Kamara pour quelle raison les villageois chantaient des chansons sur Ugly Boy ou sur lui. Kunti Kamara a déclaré : « Vous ne pouvez pas faire partie d’une société sans interagir avec les autres ». Il a ajouté que les villageois devaient avoir des informations sur l’ULIMO, mais en ce qui concerne les chansons, ils s’imaginaient des choses. Kunti Kamara a ajouté qu’il était choqué que les témoins accusent les ULIMO de tuer des êtres humains comme des poulets, alors que les commandants, tels que Deku, Pepper ou Dombuyah, ordonnaient de tuer les soldats qui se comportaient mal. Il a déclaré qu’il était possible que les soldats aient fait n’importe quoi dans les endroits où il n’y avait pas de commandants, mais pas à Foya, Kolahun, Zorzor ou Voinjama. 

Interrogé sur Ugly Boy, Kunti Kamara a déclaré qu’il ne pouvait rien dire à son sujet puisqu’il ne l’avait vu que deux fois. Il a ajouté que lorsque Foya a été prise, Ugly Boy est venu en renfort depuis la Guinée. Le Président a alors indiqué que Ugly Boy et Mami Wata avaient été cités à plusieurs reprises et décrits comme des personnes sanguinaires. Selon le Président, un témoin a déclaré qu’Ugly Boy était plus violent et sanguinaire que l’accusé, et TK a même déclaré entretenir de bons rapports avec l’accusé. Kunti Kamara a répondu qu’il ne cherchait pas à ce que les autres disent du bien de lui et qu’il n’avait aucun lien avec Ugly Boy. 

Le Président lui a rappelé que RSK a indiqué les avoir vus ensemble entre deux maisons à Foya et précisé que Kundi avait égorgé un homme retenu par Ugly Boy. Kunti Kamara a déclaré qu’il était innocent et qu’il se trouvait la plupart du temps à Mendekoma. Il a précisé avoir été beaucoup sollicité par son commandement car il était brave sur les champs de bataille. Kunti Kamara a ajouté que s'il avait commis des atrocités telles que découper des gens en morceaux et les mettre dans des brouettes, des informations auraient circulé sur ses agissements. Le Président lui a demandé s’il voulait dire que s’il avait réellement été un tueur, il aurait commis des meurtres en Europe. Kunti Kamara a répondu qu’il était en Europe depuis vingt-deux ans et qu’il n’avait rien fait de mal en Europe. 

Le Président a ensuite évoqué le témoignage du Dr Zagury, qui a expliqué que les grands criminels de guerre pouvaient être de bons pères de famille une fois la parenthèse de la guerre refermée. Kunti Kamara a déclaré qu’il ne niait pas les propos d’un expert tel que le Dr Zagury, mais qu’il parlait de sa propre expérience et des circonstances qui l’ont poussé à rejoindre les ULIMO, alors qu’il n’avait pas l’intention de devenir soldat. 

Le Président a enfin évoqué Alain Werner, en rappelant qu’Alieu Kosiah a expliqué qu’Alain Werner et HB faisaient partie d’un complot. Le Président a indiqué qu’Alain Werner a déclaré avoir beaucoup œuvré dans les procès contre le NPFL avec sa fondation, HB et le GJRP, et considérer que Charles Taylor était pour eux le pire criminel du Libéria. Alain Werner a également précisé que HB était d’origine mandingue. Le Président a demandé à l’accusé pourquoi il pensait qu’il y avait un complot contre lui au vu de ces éléments. Kunti Kamara a déclaré qu’il y avait beaucoup de rumeurs et a demandé au Président comment il expliquait que l’ancien général de l’ULIMO qui a témoigné contre Charles Taylor ne soit pas inquiété. Le Président a répondu que c’était à cause de ce genre de difficultés que ce procès avait été organisé en France.  

La partie civile interroge Kunti Kamara : 

L’avocate des parties civiles est revenue sur les déclarations de l’accusé concernant les événements de Foya Dundu, selon lesquelles il n’était pas dans sa culture de donner de l’argent à la famille du défunt. L’avocate des parties civiles a rappelé les propos de Layee Bamba, à teneur desquels son association était destinée à venir en aide à tous les Libériens, indépendamment de leur ethnie, par exemple en donnant la somme de 100 euros lors d’une naissance ou d’un décès. Kunti Kamara a réitéré qu’il ne connaissait pas la culture Kissi et précisé qu’en cas de décès d’un mandingue, chaque membre de la communauté préparait quelque chose à manger. 

Sur question du Président, l’avocate des parties civiles a confirmé que Layee Bamba était mandingue et précisé que son association était composée majoritairement de personnes d’origine mandingue. L’accusé a alors affirmé qu’il était en France depuis 2016 et qu’il n’avait pas connaissance des pratiques de cette association. Il a répété que chez les mandingues, il était de coutume de présenter ses condoléances à la famille en cas de décès, et précisé qu’il n’était jamais allé chez des Kissis en France. 

L’avocate des parties a ensuite relevé que l’accusé avait déclaré avoir passé tout son temps à Mendekoma, alors qu’il avait indiqué lors d’une précédente audition qu’il était passé à Foya Dundu en voiture. Kunti Kamara a rétorqué qu’il y avait plusieurs villes autour de Foya et que le fait de traverser une ville ne signifiait pas la connaître. L’avocate de la défense est intervenue pour indiquer que l’accusé avait dit qu’il passait par Foya Dundu pour aller en Sierra Leone. A la question de savoir s’il se rendait souvent sur le front en Sierra Leone, Kunti Kamara a répondu qu’à Foya Dundu, il y avait deux routes principales : l’une menait à Mendekoma et l’autre à Foya Tenga. Il a précisé que les deux routes étaient carrossables. L’avocate des parties civiles a répété sa question et Kunti Kamara a indiqué qu’il ne se rendait pas régulièrement à la frontière sierra-léonaise, mais allait souvent à Mendekoma.

L’avocate des parties civiles a ensuite interrogé l’accusé au sujet de B en indiquant qu’il avait l’air de savoir beaucoup de choses sur lui, quand bien même il a prétendu l’avoir vu une seule fois à Voinjama. Kunti Kamara a précisé qu’il avait déclaré l’avoir vu non pas une seule fois mais pour la première fois à Voinjama. Il a ajouté qu’il l’avait ensuite revu à plusieurs reprises. 

S’appuyant sur la thèse de l’accusé selon laquelle l’occupation de l’ULIMO à Foya s’était très bien déroulée, l’avocate des parties civiles a demandé à Kunti Kamara si Deku était allé à la rencontre des dignitaires religieux de la ville, comme le voulait la coutume en cas d’occupation d’une ville. L’accusé a répondu que les soldats qui étaient à la frontière avaient sécurisé la ville et qu’il n’était pas possible de s’absenter de Mendekoma, même deux jours, au risque que la ville soit prise par d’autres factions. L’avocate des parties civiles a demandé à Kunti Kamara s’il n’avait donc pas passé ne serait-ce qu’une journée à Foya. Ce dernier a indiqué qu’il n’avait pas le temps et que s’il s’absentait, même très peu de temps, il y avait des embuscades. A la question de savoir pourquoi il a déclaré avoir passé quatre mois à Foya, Kunti Kamara a précisé qu’il faisait référence au district de Foya et que Foya n’était pas son lieu de mission. L’avocate des parties civiles a ensuite indiqué que Deku se trouvait à Foya et a demandé à l’accusé de confirmer s’il fallait aller à Foya pour voir Deku. Kunti Kamara a répondu que Deku venait sur le front.

Questionné sur le général Fayah, Kunti Kamara a indiqué qu’il était responsable du district de Foya et avait 600 ou 700 hommes sous son commandement. Selon Kunti Kamara, le général Fayah est entré dans la ville pour demander 500 hommes. Il a sollicité TT pour réquisitionner des gens, puis ils sont allés dans la brousse à proximité de Mendekoma. L’accusé a ajouté que Deku avait ordonné que personne n’aille là-bas, car le général Fayah avait utilisé TT comme bouclier humain. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il était sur le point d’échouer, le général Fayah a rejoint les rangs du NPFL. Kunti Kamara a ajouté que 160 rebelles se sont rendus, alors que d’autres se sont dispersés en Guinée et Sierra Leone. Selon lui, une ONG a récupéré TT et l’a ramené en ville. L’avocate des parties civiles a demandé à l’accusé de confirmer qu’il n’avait donc jamais combattu le général Fayah. Kunti Kamara a répondu que les Kissis étaient au courant de la façon dont le général Fayah est décédé.

L’avocate des parties civiles a enfin interrogé l’accusé sur la phrase suivante qu’il a prononcée lors d’une conversion téléphonique : « Tu sais mon frère, on ne peut pas laver une partie du corps et dire que tout le corps est propre ». Selon l’avocate des parties civiles, alors qu’il cherchait à fuir au début de la procédure, l’accusé a semblé indiquer à son interlocuteur qu’il avait les mains sales. Kunti Kamara a répondu qu’il ne comprenait pas la question et qu’il ne se souvenait pas de cela. 

Le Ministère public interroge Kunti Kamara : 

Les avocates générales ont indiqué que, depuis le début du procès, de nombreuses personnes ont expliqué que lorsqu’une ville était prise par l’ULIMO, les soldats prenaient les femmes et les filles pour les utiliser comme esclaves sexuelles. Interrogé sur cette pratique, Kunti Kamara a déclaré ne pas en avoir connaissance. A la question de savoir comment il expliquait qu’il était la seule personne devant la Cour qui n’en a jamais entendu parler, l’accusé a répondu : « S’ils disent la vérité ou s’ils mettent, vous le savez. Je me considère comme un éléphant aujourd'hui, car quand vous tuez un éléphant, tout le monde veut une partie ». Il a ajouté que s’il avait commis de tels actes, il ne serait pas en vie, car les généraux ont tué beaucoup de soldats coupables de ce genre de comportements. Les avocates générales en ont tiré la conclusion que l’accusé avait bien entendu parler de ces pratiques et Kunti Kamara a déclaré qu’il avait effectivement entendu des rumeurs, notamment sur le général Varmuyan Sherif qui aurait tué un soldat. 

Les avocates générales ont indiqué que le général Varmuyan Sherif, ancien chef d’état-major de l’ULIMO, avait lui-même déclaré lors de son audition dans le cadre du procès de Charles Taylor que les soldats de l’ULIMO utilisaient des filles de 13-14 ans comme femmes. Kunti Kamara a déclaré qu’il n’était pas au courant de cela et confirmé qu’il connaissait le général Varmuyan Sherif. Sur question, il a indiqué qu’il l’avait revu en Belgique après la guerre alors qu’il logeait chez le frère d’un ami. 

Interrogé sur B, Kunti Kamara a indiqué qu’il se trouvait probablement à Monrovia. Il a ajouté qu’il ignorait s’il était vivant ou mort, mais que des rumeurs circulaient sur sa présence à Monrovia. Sur question, Kunti Kamara a affirmé qu’il n’avait eu aucun contact avec B après la guerre.

Les avocates générales ont interrogé l’accusé sur Pepper & Salt, qu’il avait présenté comme un chef très strict sur la discipline de ses soldats. Elles ont précisé que, selon un rapport de MSF datant de 1995, Pepper & Salt était surnommé ainsi car il aimait manger de la chair humaine assaisonnée, ce qui laissait planer le doute sur sa capacité à faire régner la discipline au sein de ses rangs. Kunti Kamara a rétorqué que selon lui, les personnes qui ont rédigé ce rapport n’avaient jamais vu Pepper & Salt commettre de tels actes. Il a ajouté qu’il ne l’avait lui-même jamais vu manger de la chair humaine et qu’il le connaissait comme quelqu'un qui protégeait les civils. 

Les avocates générales ont précisé que le rapport faisait état de témoignages de civils qui ont rapporté avoir vu Pepper & Salt commettre des actes de cannibalisme. Elles ont demandé à l’accusé s’il n’avait réellement aucune idée de la réputation de Pepper & Salt. Kunti Kamara a répondu que non et déclaré que si les mandingues décidaient de se venger des souffrances qu’ils ont subies, la guerre au Libéria ne serait toujours pas terminée. L’accusé a ensuite évoqué les massacres commis par le NPFL dans le comté de Lofa et expliqué que l’ULIMO n’avait pas été créé pour se venger, mais pour combattre Charles Taylor qui était un criminel. Les avocates générales ont précisé que les crimes commis par Charles Taylor n’étaient pas contestés, mais que le procès portait sur les agissements de l’accusé.

S’agissant enfin de la théorie du complot soutenue par l’accusé, les avocates générales lui ont demandé comment il expliquait le fait que l’origine ethnique de HB, qui est mandingue, ne l’empêchait pas de documenter les crimes commis aussi bien par le NPFL que l’ULIMO. Kunti Kamara a déclaré : « Je ne connais pas tous les blancs, mais ils peuvent tout faire pour avoir de l’argent quand on parle de sujets africains ». 

La défense interroge Kunti Kamara : 

La défense a tenu à préciser que dans le rapport de MSF datant de 1995, seul un témoin a incriminé Pepper & Salt pour des faits de cannibalisme. 

Court re-interviews Kunti Kamara:

Sur question, Kunti Kamara a précisé avoir passé son enfance dans le comté de Nimba. Le Président a interrogé l’accusé sur la signification de la chanson « Zo kele kele », qu’Alieu Kosiah a chantée sur demande de son avocat lors de l’audition de LSM devant les autorités suisses. Alieu Kosiah avait affirmé qu’il s’agissait d’un chant en dialecte Gio, parlé dans le comté de Nimba, que les soldats de l’ULIMO avaient repris du NPFL. Selon Alieu Kosiah, ce chant signifiait « Quand on touche les grosses fesses des femmes du Lofa, ça fait du bien ». Kunti Kamara a déclaré avoir entendu parler de cette chanson sans toutefois en connaître le sens. Il a ajouté que ces chansons avaient été reprises des soldats de Charles Taylor. Sur question, Kunti Kamara a indiqué qu’il ignorait si les soldats de l’ULIMO étaient particulièrement intéressés par les femmes du Lofa et réitéré qu’il ne connaissait pas le sens de cette chanson bien qu’il l’ait chantée avec les autres soldats.  

Laisser un commentaire