[10/28/2022] Jour 15: Plaidoirie de la partie civile

Le Président a débuté cette nouvelle journée d’audience en rappelant que la Cour était saisie par la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris pour (i) des actes de complicités de crime contre l’humanité concernant les faits de viols dont ont été victimes RSK et EFNS, (ii) des actes de torture et de barbarie simples et aggravés concernant DN, SFC, KT, LSM et JTC et enfin (iii) des actes de complicité d’actes de torture et de barbarie aggravés au préjudice de RSK et EFNS.

Le Président a indiqué que les premières questions de l’acte de saisine contenaient une erreur matérielle s’agissant de la période visée et a proposé d’uniformiser la datation, ce que les parties ont accepté. Le Président a également proposé de diviser la question numéro 6, qui vise des actes sur personne vulnérable, en deux questions : l’une portant sur la commission d’actes de torture et de barbarie au préjudice de KT et l’autre concernant la vulnérabilité apparente de la victime et la connaissance de cette vulnérabilité par les auteurs. 

En l'absence de remarques des parties, le Président a déclaré que les autres questions sur lesquelles la Cour était amenée à se prononcer étaient conformes et ne nécessitaient pas de changement. 

Plaidoirie de la partie civile : 

L’avocate des parties civiles a commencé sa plaidoirie en rappelant le contenu des deux textes sur le fondement desquels l’accusé comparaissait devant la Cour. Le premier est la Convention de New York, dont l’avocate des parties civiles a donné lecture d’une partie du préambule et de la définition du terme « torture ». Le second texte porte sur les crimes contre l’humanité réprimés par le Code pénal français. L’avocate des parties civiles a déclaré que ces deux textes décrivaient les crimes les plus graves, mais parlaient aussi d’humanité, de famille humaine, de dignité et de justice. 

L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué la compétence universelle et rappelé que le Colonel Reiland en avait longuement parlé. Elle a également rappelé les propos d’Alain Werner qui a mis en exergue les difficultés politiques qui accompagnent cette forme de justice et ceux de John Stewart qui a souligné son importance pour les victimes dans un contexte d’impunité et déclaré que les droits de l’homme n’avaient pas de frontières. Selon l’avocate des parties civiles, la compétence universelle a aussi ses détracteurs, qui soutiennent que l’État s’arroge la compétence de juger des crimes qui n’ont aucun lien avec son territoire. L’avocate des parties civiles a reconnu que les liens entre la France et le Libéria, mis à part le Paris-Saint-Germain, n'étaient pas très évidents. Selon elle, la compétence universelle se passe néanmoins parfaitement de liens historiques ou culturels entre le pays où les faits sont commis et celui où ils sont jugés. Il s’agit simplement de donner aux juridictions françaises la possibilité de juger « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale », indépendamment des liens historiques avec le pays considéré. L’avocate des parties civiles a rappelé que la compétence universelle avait permis de juger le génocide des tutsis, qu’elle permettait de juger Kunti Kamara aujourd’hui et permettra de juger demain les tortionnaires syriens, les génocidaires rohingas et les mercenaires impliqués dans la guerre en Ukraine. Selon l’avocate des parties civiles, la compétence universelle est d’autant plus importante au Libéria, car l’impunité dans ce pays reste totale. Il n’y a pas de possibilité de juger les criminels de guerre et l’impunité empêche le pays de se reconstruire. L’avocate des parties civiles a ajouté que c’était Massa Washington qui en avait le mieux parlé notamment en insistant sur le fait que cela donnait de l’espoir aux Libériens. 

L’avocate des parties civiles a ensuite abordé ce qu’elle considère comme étant le cœur du sujet, à savoir la parole des victimes. Elle a déclaré que les faits étaient certes anciens et que le passage du temps donnait le vertige, mais que l’ancienneté des faits n’enlevait toutefois rien à leur atrocité et n’avait pas apaisé les victimes. L’avocate des parties civiles a ajouté que ce procès tenait sur la parole des victimes, car dans la furie de la guerre, les autres preuves étaient rares, et a souligné que les preuves testimoniales allaient aussi disparaître compte tenu de la faible espérance de vie au Libéria. L’avocate des parties a déclaré que l’on retrouvait là tout le sens du travail de documentation et de recueil de la parole effectué par Civitas Maxima et le GJRP. Elle a rappelé que ces deux organisations avaient mis en place un protocole de recueil de la parole des victimes avec une retranscription intégrale de leurs propos et précisé qu’une appréciation de la crédibilité du témoin était effectuée dès le début. L’avocate des parties civiles a également insisté sur le fait que les enquêteurs appréciaient la volonté des témoins et victimes sans jamais les forcer à témoigner. Elle a expliqué que les enquêteurs de l’OCLCH prenaient ensuite le relais en faisant des enquêtes de voisinage, en allant rechercher et entendre les témoins sur le terrain. Elle a souligné la grande expertise des enquêteurs de l’OCLCH dans les techniques du recueil de la parole, développées notamment grâce à l’expérience du génocide rwandais.

L’avocate des parties civiles s’est ensuite livrée à quelques observations sur l’enquête, qui a été largement critiquée par la défense, notamment en raison de l’absence de preuves ADN et d’excavation des cadavres. Elle a rappelé que dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, le juge d’instruction et les enquêteurs français ne peuvent procéder qu’à des auditions. Pour le reste, ils apportent un appui technique aux autorités locales, qui ont très peu, voire pas de moyens. Selon l’avocate des parties civiles, il convient d’être réaliste dans la mesure où le Libéria est un pays en désuétude, si ce n’est un des pays les plus pauvres du monde, qui compte 18 procureurs au total, dont un seul dans le Lofa. Elle a rappelé que les autorités locales n’avaient visiblement même pas le matériel pour prendre des photographies. L’avocate des parties civiles a également rappelé qu’il n’y avait ni registres ni archives, ce qui a rendu l’enquête d’autant plus difficile. Selon elle, cela ne signifiait pas qu’il était impossible de mener une enquête à son terme, mais plutôt qu’il ne pouvait être reproché au juge d’instruction d’avoir omis de procéder à des actes d’enquête irréalisables. L’avocate des parties civiles a ensuite rappelé que les actes d’enquêtes devaient être nécessaires et utiles à la manifestation de la vérité et que la défense pouvait faire des demandes d’actes pour autant que ces actes soient réalisables. Elle a relevé que la défense n’avait néanmoins fait aucune demande en ce sens. Selon elle, réaliser une expertise scientifique sur des restes humains enterrés précipitamment il y a 28 ans paraît compliqué en l’absence de scellés. Elle a ajouté que les excavations étaient souvent traumatisantes pour les proches des victimes et ne devaient intervenir qu’en dernier recours. L’avocate des parties civiles s’est demandé quelle aurait été l’utilité de creuser la tombe de KT à Foya Dundu alors que FG, NS, TK, FP et EzP disaient tous que la personne tuée par Kundi est KT, la sœur de FG et l’épouse de NS. Il en va de même concernant la suggestion de la défense, selon laquelle il aurait fallu déterrer le corps de DN, d’autant plus que MN a expliqué que son mari était probablement enterré sous la Palava Hut, à savoir le lieu où la communauté se réunit pour apaiser les conflits. L’avocate des parties civiles s’est demandé ce que l’obtention d’un profil génétique aurait apporté aux débats. 

L’avocate des parties civiles est ensuite revenue sur la parole des victimes et des témoins dans la mesure où ce procès tenait uniquement sur la preuve testimoniale. Elle a déclaré qu’aucun témoin ou partie civile n’avait exagéré les faits ou invectivé Kunti Kamara dans un esprit de vengeance. Au contraire, ils ont toujours été mesurés et dans la différenciation, en précisant par exemple que certains commandants avaient des comportements plus modérés. Selon l’avocate des parties civiles, ils ont seulement rapporté des faits et n’ont pas généralisé. L’avocate des parties civiles a déclaré qu’elle espérait que la Cour avait remarqué la mesure dont les témoins et les parties avaient fait preuve. 

S’agissant des contradictions et des différences dans les divers témoignages, l’avocate des parties civiles a admis qu’il y en avait et bien heureusement selon elle, car cela prouvait que les récits n’étaient pas téléguidés. Elle a ajouté que la mémoire était imparfaite, d’autant plus 28 ans après des faits qui se sont déroulés dans un contexte de guerre sanglante. Elle a rappelé à cet égard le témoignage de l’expert psychologue Amal Hachet, qui a indiqué que les personnes les plus traumatisées avaient des mécanismes de mémoire différents, tels l’hypermnésie, les flashbacks ou l’amnésie, qui influencent leur rapport au temps et leurs facultés mnésiques et cognitives. L’avocate des parties civiles a déclaré qu’on ne se souvenait ainsi pas des dates, mais des détails, tels que des cris, des bruits ou d’une scène à laquelle on a été obligé d’assister. On se souvient d’une chanson, mais pas forcément de l’âge qu’on avait. Selon l’avocate des parties civiles, il faut tenir compte des contradictions et re-situer les récits dans leur contexte traumatique. 

L’avocate des parties civiles a ensuite abordé la problématique de la reconnaissance de l’accusé sur les planches photographiques et le fait que certains témoins et parties civiles ne l’ont reconnu que lorsqu’ils ont été confrontés à lui. L’avocate des parties civiles a déclaré que lors des confrontations, l’accusé avait déjà confirmé qu’il était bien CO Kundi et qu’il était commandant à Foya en 1993-1994. Elle a ajouté que si tout le monde l’avait reconnu sur photo, la problématique de témoignages téléguidés aurait été soulevée. Elle a rappelé ce qu’a expliqué l’expert Christian Ballouard, à savoir qu’une photographie ne retranscrit pas tout et qu’il est parfois plus facile de reconnaître quelqu'un grâce à son attitude ou son langage corporel. L’avocate des parties civiles a déclaré à cet égard que tous les témoins et victimes avaient reconnu formellement l’accusé après avoir été confrontés à lui. Elle a invité la Cour à prendre en considération le fait que CO Kundi était un rebelle de l’ULIMO qui terrorisait la population de sorte que certains témoins ont déclaré qu’ils ne le regardaient pas dans les yeux et évitaient de se retrouver face à lui. Elle a également rappelé que la plupart des témoins et parties civiles ont donné une description physique concordante de l’accusé avant qu’on ne leur présente des photos, en précisant notamment qu’il était petit et mince et qu’il avait les jambes arquées et le teint foncé.

S’agissant du rapport au temps, l’avocate des parties civiles a rappelé l’importance de prendre en considération la réalité du Libéria à cette époque, soit un pays dans lequel il n’y avait pas de registre d’état civil. La plupart des Libériens ignorent leur date de naissance, certains ne savent pas se repérer dans le temps. A cet égard, l’avocate des parties civiles a évoqué le témoignage de FG qui a déclaré se repérer avec la position du soleil. Elle a ajouté que les âges n’avaient pas de sens pour eux en citant l’exemple de l’école où l’on retrouvait dans un même classe des personnes de tous les âges, y compris des adultes. Selon l’avocate des parties civiles, les dates ne sont pas des marqueurs temporels pour eux. Il faut se rendre compte que tous les marqueurs logiques dont nous sommes familiers sont différents, voire parfois inexistants, pour eux. 

L’avocate des parties civiles s’est ensuite concentrée sur la première guerre civile et son impact dans le comté de Lofa. Se référant au débat de la veille concernant la faction ayant commis le plus d’exactions, l’avocate des parties civiles a déclaré qu’elle ne pensait pas qu’il était nécessaire de comparer et de quantifier les crimes commis par les différentes factions. Selon elle, il ne s’agit pas d’arbitrer cette guerre, mais plutôt d’apprécier ce qui s’est passé à Foya en 1993-1994. Elle a rappelé que le Lofa était une zone stratégique, car ce comté partage une frontière avec la Guinée où l’ULIMO pouvait recevoir du soutien de ses alliés. Il s’agissait donc de remonter la frontière de Zorzor à Voinjama jusque dans le district de Foya où le passage de Solomba permettait d’obtenir des armes et de la nourriture. L’avocate des parties civiles a ajouté que Lofa était une province riche et fertile (cacao, café, huile de palme). L’invasion du Lofa par l’ULIMO s’expliquait ainsi aussi bien pour des raisons politiques qu’économiques.

L’avocate des parties civiles a ensuite déclaré que le calvaire des habitants de Foya avait débuté en juillet 1993, lorsque les troupes de l’ULIMO ont capturé la ville et commencé à régner en maîtres sur la région. A cet égard, l’avocate des parties civiles a rappelé la teneur du rapport de MSF, dans lequel il est écrit que la région est devenue un « no man’s land » où les ONG ne voulaient plus se rendre. Selon l’avocate des parties civiles, les victimes et les témoins sont venues raconter un dixième des horreurs vécues par les habitants de Foya en 1993-1994, tant les crimes étaient systématiques. 

S’agissant d’abord des pillages, l’avocate des parties civiles a déclaré que tout avait été pillé et que la famine était une conséquence très concrète de ces pillages. Les gens n’avaient d’autre choix que de manger de l’herbe pour tenter de se nourrir. JTC a d’ailleurs évoqué le fait que son frère était mort de faim. Selon l’avocate des parties civiles, lorsque les gens ne mouraient pas de mort violente, ils mouraient de faim, de malnutrition ou de maladies liées à l’absence d’accès à la nourriture et à l’eau. Elle s’est référée aux images d’enfants à des stades très important de malnutrition visionnées par la Cour et a déclaré : « La réalité du pillage, c’est aussi cela ». 

L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué le crime de réduction en esclavage en rappelant le témoignage de Thierry Paulet qui a expliqué le rapport très complexe qu’avait le Libéria avec l’esclavage. Elle a indiqué que le rapport des autorités suisses qualifiait l’esclavage comme une exploitation intégrale de la population. Selon l’avocate des parties civiles, l’esclavage consiste en une déshumanisation, une chosification des hommes, qui ne sont plus considérés comme des êtres humains. A Foya, cela matérialisait par le mépris des civils que l’on accusait d’avoir collaboré avec l’ennemi pour les réduire en esclavage. L’avocate des parties civiles a ajouté que les soldats de l’ULIMO étaient guidés par le« pay yourself »ou« help youself » et s’appropriaient tous les biens des civils, y compris leurs maisons.

Selon l’avocate des parties civiles, les femmes se trouvaient à l’intersection entre les crimes de pillage et de réduction en esclavage, puisqu’elles étaient considérées à la fois comme des objets que l’on pouvait piller et comme des esclaves sexuelles. Les femmes étaient des cadeaux qu’offraient les commandants à leurs soldats en leur donnant la permission de les violer. Les viols étaient commis sur des femmes de tous âges. A cet égard, l’avocate des parties civiles a rappelé le témoignage de AN, qui a raconté avoir été victime d’un viol alors qu’elle était une jeune fille, et celui de Massa Washington qui a évoqué le viol d’une femme âgée. Selon l’avocate des parties civiles, le sort des femmes a été atroce durant cette guerre. 

L’avocate des parties civiles est ensuite revenue sur l’enrôlement d’enfants soldats, bien que ce crime ne fasse pas partie des charges retenues contre l’accusé. Elle a déclaré que Kunti Kamara était le seul qui contestait le recours à des enfants soldats, alors que son ami Abraham Towah, soldat l’ULIMO, avait 12 ou 13 ans à l’époque. L’avocate des parties civiles a rappelé les propos d’Alieu Kosiah, qui a expliqué qu’il était normal de voir des enfants soldats, allant même jusqu’à dire que c’était « business as usual ». L’avocate des parties civiles a également évoqué la photo de couverture du livre de James Fasuekoi, sur laquelle figure un enfant muni d’une AK47 plus grande que lui et l’interview de Abu Bakr Kamara, colonel des escadrons de la mort de l’ULIMO, qui a déclaré que les enfants soldats étaient leurs fers de lance car ils n’avaient pas peur de mourir. 

Au titre des crimes systématiques commis durant la guerre, l’avocate des parties civiles a ensuite évoqué les meurtres, en précisant que 10% de la population libérienne avait été décimée en raison de la guerre civile. Elle a rappelé le témoignage de Patrick Robert, qui a déclaré que les corps dénudés jonchaient les bordures des routes. L’avocate des parties civiles a déclaré qu’il n’y avait pas un témoin ni une victime qui n’avait pas perdu au moins un de ses proches. Elle a cité AN et MN, qui ont perdu respectivement un père et un mari (DN), FG et NS qui ont perdu respectivement une sœur et une épouse (KT), TFT qui a perdu son frère lors de la traque de TT, Massa Washington qui a perdu son frère, LSM qui a perdu ses cousins, dont un a servi d’épouvantail au checkpointde l’ULIMO ou encore RSK et ThK qui ont perdu leur père dans des circonstances atroces. L’avocate des parties civiles a évoqué les retrouvailles heureuses entre MN et AN, dont elle n’avait pas connaissance, ainsi que le témoignage bouleversant de ThK en précisant avoir compris pendant l’audience que la jeune fille avait vu de ses propres yeux son père se faire torturer et tuer. L’avocate des parties civiles a déclaré qu’il était important de laisser les victimes s’exprimer et tirer les fils de leur mémoire.

L’avocate des parties civiles a ensuite déclaré que la population civile vivait dans un état de terreur permanent et que le crime le plus indicible était le cannibalisme. Elle est revenue sur la réponse hallucinante d’Alieu Kosiah, qui a expliqué qu’il était impossible que le cœur de DN ait été mangé cru en le comparant au cœur d’une chèvre. Selon l’avocate des parties civiles, ces actes de cannibalisme sont très difficiles à comprendre et on ignore s’ils s’inscrivent dans un rituel culturel ou s’il s’agit d’actes de folie. Elle a ajouté que c’était selon elle une manière de terroriser les gens, de profaner leurs corps et leurs entrailles et déclaré que le cannibalisme était la manifestation la plus terrible de ce qu’avait été la guerre au Libéria. 

L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué l’administration mise en place à Foya, concrétisée par diverses mesures telles qu’un couvre-feu, des checkpoints ou le bureau S2. Elle a déclaré que la chaîne de commandement au sein de l’ULIMO n’était pas limpide, mais qu’il avait été possible de déterminer la hiérarchie suivante dans le Lofa (par ordre d’importance) : Pepper & Salt qui dirigeait les opérations de la conquête du comté de Lofa, Alieu Kosiah le H&H du comté de Lofa, basé à Voinjama, Deku le ground commander, puis au même niveau Kundi, Ugly Boy, Mami Wata, Blackie. Ils étaient tous placés sous le haut commandement de Dombuyah, Kromah et Fofana. Selon l’avocate des parties civiles, le haut commandement n’a toutefois pas fait grand-chose pour éviter le déchaînement de violence des commandants basés dans le Lofa, si l’on pense notamment à l’épisode du Black Friday , évoqué tant de fois par les témoins et parties civiles. Cet événement a été si retentissant (i) qu’il a fallu cacher à Pepper & Salt ce qui se passait, notamment en brûlant les corps ou en les enterrant de manière plus discrète, (ii) qu’une enquête a été réclamée par la communauté internationale et (iii) qu’Alhaji Kromah a présenté ses excuses à la population à la fin de la première guerre pour tenter d’obtenir des suffrages. Selon l’avocate des parties civiles, l’accusé ne peut pas être suivi lorsqu’il prétend que le général Dombuyah n’aurait jamais laissé ses hommes commettre des exactions sur la population civile. Il suffisait de se remémorer le témoignage de Massa Washington qui a déclaré avoir rédigé un article sur le quartier-général de l’ULIMO où elle avait vu des cordes faites d’intestins humains aux checkpoints et des têtes sur des pieux, et évoqué les menaces proférées à son égard par le général Dombuyah. Selon l’avocate des parties civiles, la hiérarchie savait parfaitement ce qui se passait et ne punissait pas les exactions, elle en commettait elle-même.

Sur Kundi, l’avocate des parties civiles a livré qu’en sortant de ce procès, elle avait l’impression de rien savoir de plus sur lui que ce qui figurait déjà au dossier. Elle a déclaré que Kundi avait dit peu de choses et que ce qu’elle retenait, c’était « ses dénégations ad nauseam ».“.

S’agissant de la distinction entre Foya City et Foya District, l’avocate des parties civiles a souligné le caractère tardif de cette explication, donnée par l’accusé dix jours après l’ouverture des débats sur question de son conseil. Or, il n’est pas contesté que Kundi était battlefront commander et pouvait se rendre au front puis rentrer à Foya. Selon la compréhension de l’avocate des parties civiles, il n’y avait pas de ligne de front déterminée puisque la brousse était infestée de rebelles de Taylor. Elle a déclaré être persuadée que Kunti Kamara avait vécu à Foya dans la mesure où plusieurs témoins l’avaient placé dans ce décor en précisant qu’il avait une maison à Foya à proximité du vieux marché. L’avocate des parties civiles a ajouté que selon elle, cette distinction entre Foya City et Foya District était une tentative bien tardive de l’accusé d’échapper aux accusations portées contre lui.

L’avocate des parties civiles est ensuite passée rapidement sur la thèse du complot en supposant que la Cour en avait déjà assez entendu à ce sujet. Elle a simplement rappelé que HB était mandingue et que l’aspect ethnique était un discours propre à Kunti Kamara et Alieu Kosiah, qui étaient les deux seuls à parler de cette haine contre les Mandingues. Selon l’avocate des parties civiles, Kunti Kamara et Alieu Kosiah ont conservé le même référentiel qu’il y a 28 ans. 

Sur la prise de Foya, l’avocate des parties civiles a déclaré que tous les témoins et parties civiles ont raconté la même chose, à savoir qu’ils se sont enfuis dans la brousse, puis ont été traqués par l’ULIMO et ramenés à Foya où des réunions étaient organisées et où ils ont été traités comme des esclaves. Selon l’avocate des parties civiles, tout le monde a décrit ce système de prédation totale. L’ULIMO n’ayant pas les moyens de payer ses soldats, ces derniers pouvaient tout piller, tout prendre, tout vendre.

Concernant les victimes, l’avocate des parties civiles a commencé par évoquer le témoignage de LSM, qui a été accusé d’être un rebelle du NPFL et torturé selon la méthode du tabé avec six autres hommes, qui ont ensuite été tués et jetés dans un puits. Quant à LSM, il a été traîné au sol sur plusieurs mètres et a vu un autre homme se faire fracasser la tête avec une pierre. Plus de vingt ans après les faits, il garde encore des séquelles, puisqu’il n’a pas retrouvé l’usage de son bras. L’avocate des parties civiles a souligné que le fait que le récit de LSM était corroboré en tous points par le témoignage de SS, qui a également reconnu Kunti Kamara sur une planche photographique. Elle a déclaré que pour tenter de contester la crédibilité de leurs récits, la défense a remis en question l’existence du puits, alors même qu’il a été localisé par les autorités suisses. L’avocate des parties civiles a répété ce qu’elle avait déjà expliqué, à savoir que les civils ont été contraints de condamner ce puits à cause de l’odeur des corps en putréfaction qui en émanait. 

S’agissant des marches forcées et la réduction en esclavage, l’avocate des parties civiles a rappelé que tous les témoins et les parties civiles en ont parlé, y compris Alieu Kosiah. Tout le monde en connaît ainsi l’existence, à l’exception de Kunti Kamara, qui reconnaît tout de même connaître Solomba. L’avocate des parties civiles a ensuite invité la Cour à s’imaginer l’état de terreur dans lequel se trouvaient les civils lors de ces marches forcées, puisqu’ils avaient compris que s’ils n’arrivaient pas à destination, ils seraient tués. L’avocate des parties civiles a précisé que les commandants organisaient à la fois des « petites marches » pour les transports de café ou de cacao, et des marches plus importantes, notamment la marche du générateur électrique. Concernant la marche du générateur, l’avocate des parties civiles a rappelé l’existence de deux témoignages concordants, à savoir celui de JTC en tant que victime et celui de LSM en tant que bourreau. Selon l’avocate des parties civiles, leurs récits sont très précis. Elle a rappelé que JTC avait même nommé les villages qu’il fallait traverser pour arriver à Solomba. 

L’avocate des parties civiles s’est ensuite brièvement attardée sur JTC, en expliquant que ce dernier avait dépassé son traumatisme grâce à une conversion religieuse et qu’il était aujourd’hui apaisé et animé par un devoir de témoigner, conscient que l’espérance de vie est faible au Libéria et que la parole va disparaître. Le seul traumatisme qu’il n’a pas peut-être pas surmonté a trait aux atrocités subies par M, prise par Ugly Boy comme esclave sexuelle. 

Quant à SFC, autre victime des marches forcées, il a fait preuve d’une grande résilience selon l’avocate des parties civiles et a été nommé chef de son village. L’avocate des parties civiles a tenu à rappeler les déclarations de SFC, qui a remercié la Cour pour les dispositions prises en précisant que les faits commis pendant la guerre étaient minimisés au Libéria. 

L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué le meurtre de KT et exprimé sa déception quant au fait que la Cour n’avait pas pu entendre NS. Selon l’avocate des parties, le meurtre de KT a été une onde de choc dans le district de Foya. EP aurait même essayé de s’en plaindre auprès du bureau S2 ou du ground commander. L’avocate des parties civiles a déclaré avoir été frappée par le fait que les témoins aient relaté ce qui s’était passé avant le meurtre, à savoir l’enterrement de l’enfant et les 100 dollars donnés par Kundi en faveur de la famille. Elle a invité la Cour à imaginer ce qu’avait dû ressentir KT juste avant que Kundi l’exécute, alors qu’elle était à l’agonie et venait de perdre son enfant. L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué le témoignage de FG, qui doit vivre avec sa culpabilité et son chagrin. 

Elle a ajouté que l’autre meurtre du dossier concernait les faits relatifs à DN. Elle a évoqué la présence d’un seul témoin direct tout en soulignant le fait qu’il était rare d’avoir plus d’un témoin direct pour de tels faits en raison de l’espérance de vie limitée et la peur des représailles. A cet égard, l’avocate des parties civiles a rappelé l’existence de réseaux d’anciens combattants et le témoignage de LSM qui a raconté avoir été violemment agressé. L’avocate des parties civiles a déclaré qu’en plus de JTC, il y avait également toute une série de témoins indirects, ainsi que les journaux de l’époque, pour documenter le meurtre de DN. Même si le mobile est flou, reste que DN a été arrêté, frappé, tabé et exécuté. Ce sont sa fille AN et sa femme MN qui ont raconté ces faits devant la Cour. Selon l’avocate des parties civiles, la Cour a entendu toute la douleur de ces deux femmes pendant l’audience, en précisant qu’AN était certes plus pudique, mais tout un chacun avait néanmoins compris les conséquences désastreuses que le meurtre de son père a eues sur sa vie. 

L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué les autres femmes du dossier, à savoir EFNS et RSK, qui représentent les femmes réduites en esclaves sexuelles. Selon l’avocate des parties civiles, il ressort des divers témoignages que les femmes s’offraient aux soldats les moins atroces pour obtenir une forme de protection. L’avocate des parties civiles a rappelé l’utilisation de nombreux euphémismes (ex. : « prendre pour épouse », “girlfriend”, etc) qui selon elle cache des viols permanents et démontre que la honte et le stigma sont encore très présents. Elle a également rappelé le témoignage d’EFNS qui a déclaré avoir été mise à nue, attachée et prise par un soldat, avant de s’écrouler dans la salle d'audience. Dans le même temps, Kundi est dépeint comme celui qui approuve, rigole et laisse faire. L’avocate des parties civiles a relu les mots que EFNS a adressés à la Cour, à savoir qu’elle ne souhaitait ni revenir dans la salle d’audience ni revoir Kundi, car c’était trop dur pour elle, et demandait que justice soit faite. L’avocate des parties civiles a ensuite évoqué le parcours magnifique de RSK, qui est devenue infirmière et a effacé sa propre histoire pour porter la voix des autres. Aujourd'hui, c’est en soignant les autres que RSK parvient à se réparer elle-même selon l’avocate des parties civiles. A ces deux récits bouleversants s'ajoutent celui de AN et l’histoire de M évoquée par JTC. 

L’avocate des parties civiles a déclaré que toute cette souffrance était inutile et qu’elle ne voyait pas en quoi une telle terreur pouvait servir les objectifs militaires de l’ULIMO. Selon elle, Kunti Kamara est dans le déni lorsqu’il dit qu’il est innocent, qu’il n’a rien vu, rien fait, et que tout le monde ment. Même Alieu Kosiah admet que la guerre a été horrible et qu’il y a eu des pillages, des viols, des meurtres et des enfants soldats. L’avocate des parties civiles a souligné le décalage entre le récit de Kunti Kamara et la réalité et déclaré avoir l'impression que l'accusé était toujours dans cette guerre et avait gardé le même discours du soldat de l’ULIMO qu’il était il y a 28 ans. Elle ajouté qu’il n’avait montré aucune empathie à l’égard des victimes et ramenait toujours tout à sa propre souffrance. L’avocate des parties civiles a regretté l'absence de paroles sincères de la bouche de Kunti Kamara, qui aurait au moins pu reconnaître selon elle que cette guerre avait été terrible pour tous les Libériens. A ce titre, elle a rappelé les constats du Dr Zagury, qui a indiqué que l’accusé se reconstruisait et se donnait à voir dans la négation de son passé, dans l’hypothèse où les accusations portées contre lui étaient confirmées. 

L’avocate des parties civiles a conclu sa plaidoirie en indiquant avoir plaidé pour neuf victimes et pour Civitas Maxima, qui a fait un travail remarquable. Elle a déclaré que sans ces ONG, rien ne serait possible, et que ce procès de trois semaines était un pas énorme pour les victimes, car il leur avait donné de l’espoir. L’avocate des parties civiles a terminé en citant TFT, qui a déclaré que la peur avait changé de camp, et Massa Washington qui a dit : « Ce procès donne de l’espoir aux Libériens. On espère qu’un jour, il y aura de la justice sur notre propre terre. En attendant, nous sommes reconnaissants ».


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