[10/31/2022] Jour 16 : Le ministère public et la défense plaident
La matinée a été consacrée aux réquisitions des deux avocates générales et l’après-midi aux plaidoiries des avocats de la défense.
La première avocate générale a déclaré prendre la parole après trois semaines d’un procès très dense et de récits complexes et difficiles à écouter compte tenu de l’horreur des crimes commis. Elle a rappelé aux jurés leur devoir de juger un homme selon leur intime conviction. L’avocate générale a proposé de revenir sur les faits et le rôle de Kunti Kamara dans l’ULIMO avant d’aborder les crimes commis, leur qualification juridique et enfin la peine proposée.
L’avocate générale a commencé par expliquer la raison pour laquelle Kunti Kamara était jugé en France et la notion de juridiction universelle. Elle est brièvement revenue sur le mouvement de justice pénale internationale et sur la compétence des autorités françaises dans le cas d’espèce, laquelle est fondée sur la présence de Kunti Kamara, depuis deux ans, sur le territoire français. Elle a expliqué que la règle de compétence universelle ne s’appliquait qu’aux crimes les plus graves, soit les crimes contre l’humanité et les actes de torture, et constituait un instrument indispensable pour lutter contre l’impunité. L’avocate générale a déclaré que la France ne devait pas être une terre d’asile pour les tortionnaires. Selon elle, il ne s’agit pas ici de se substituer à la justice d’un pays mais de pallier l’absence de réponse judiciaire, qu’elle soit due à une absence de volonté ou à un défaut de capacité d’un pays donné. A cet égard, elle a rappelé l’impunité des crimes commis au Libéria. En effet, en dépit de la liste non exhaustive d’auteurs de crimes établie par la Commission Vérité et RéconciliationTRC), sur laquelle le nom de Kunti Kamara ne figure pas, d’anciens chefs rebelles continuent d’être actifs en politique, obligeant ainsi les victimes à vivre à côté de leurs bourreaux. Selon l’avocate générale, cette situation est révélatrice de l’impunité qui règne au Libéria.
L’avocate générale a ensuite rappelé les propos de John Stewart concernant la volonté des victimes d’être reconnues comme telles et d’obtenir justice. Elle a ajouté que les procès comme celui de Kunti Kamara étaient le seul moyen pour les victimes libériennes de connaître la justice dans la mesure où aucun tribunal international n’avait été créé. Elle a expliqué que le procès de Kunti Kamara était le premier procès en France concernant les crimes commis au Libéria et que d’autres juridictions avaient également été amenées à en connaître, tel que les Pays-Bas, les États-Unis et la Suisse. Elle a précisé que la procédure en Suisse contre Alieu Kosiah était d’importance particulière car elle concerne la même période et, pour certains, les mêmes faits que ceux reprochés à Kunti Kamara. Elle a ajouté que la procédure contre Kunti Kamara trouvait son origine dans la procédure suisse, dans la mesure où Alieu Kosiah avait fait citer Kundi comme témoin à décharge.
L’avocate générale est ensuite revenue sur les raisons pour lesquelles Kunti Kamara était jugé trente ans après les faits. Elle a expliqué que la justice française avait eu connaissance des faits en 2018 dans le cadre du procès d’Alieu Kosiah, et cela s'était précisé en 2019 suite au dépôt de plainte de Civitas Maxima. L’avocate générale a rappelé que la défense s’était étonnée de ce dépôt de plainte tardif et a déclaré qu’il suffisait de comprendre la situation au Libéria à l’époque, à savoir un pays dévasté à l’issue de la guerre civile qui a provoqué l’exode d’un million et demi de personnes. Elle a ajouté que les témoins et les parties civiles avaient été découragés par la culture de l’impunité et a cité à cet égard les efforts vains de la CVR, dont les recommandations n’ont pas été suivies. Elle a en outre cité MN et SFC qui ont évoqué les coûts trop conséquents liés au dépôt de plainte au Libéria.
L’avocate générale a poursuivi en reprochant à l’accusé lui-même ce délai de 30 ans pour aboutir à un procès, puisqu’il n’avait eu de cesse de dissimuler son parcours au sein de l’ULIMO. Il a tout fait pour fuir ses responsabilités, d’abord en Guinée, puis au Pays-Bas qu’il a quittés pour la Belgique avant de rejoindre la France. L’avocate générale a rappelé que la France n’était pas sa dernière étape, puisqu’il a été arrêté la veille de son départ pour Lisbonne. Elle a déclaré que Kunti Kamara n’avait jamais eu l’intention de se présenter devant la justice, ce dont il ne s’était d’ailleurs pas caché. L’avocate générale a également salué le travail d’enquête de Civitas Maxima et souligné l’importance du rôle des organisations non-gouvernementales dans de tels dossiers.
L’avocate générale a également rappelé aux jurés qu’ils n’étaient pas les premiers à se pencher sur les notions complexes de crimes contre l’humanité. Elle a expliqué que depuis la création du pôle national crimes contre l’humanité, six procès avaient eu lieu en lien avec les crimes au Rwanda. Elle a ajouté que ces audiences avaient toujours soulevé les mêmes embûches, mais que l'œuvre de justice avait toujours pu être réalisée. L’avocate générale a également rappelé aux jurés qu’ils n’étaient pas les premiers à se pencher sur les notions complexes de crimes contre l’humanité. Elle a expliqué que depuis la création du pôle national crimes contre l’humanité, six procès avaient eu lieu en lien avec les crimes au Rwanda. Elle a ajouté que ces audiences avaient toujours soulevé les mêmes embûches, mais que l'œuvre de justice avait toujours pu être réalisée.
L’avocate générale a reconnu qu’il n’était pas aisé de juger Kunti Kamara pour des crimes commis à 5’000 kilomètres de Paris. A cet égard, elle a précisé qu’il n’était pas possible d’appréhender le dossier de la même manière que pour un crime classique. En effet, selon elle, bien que la procédure française soit applicable, il n’est pas possible de s’attendre au même type de preuves. Pour illustrer son propos, l’avocate générale a rappelé qu’à l’époque des faits, le gouvernement du Libéria était défaillant. Elle a notamment cité l’absence de dates de naissance et de registres d’état civil et évoqué les déclarations de la psychologue Amal Hachet, qui a indiqué que le rapport au temps et aux dates était différent, qui plus est dans un pays en proie à une guerre civile, ce qui expliquait pourquoi les témoins et les parties civiles n’avaient pas pu donner leur âge. Elle a ajouté qu’il n’y avait ni certificat de décès ni médecins ni hôpitaux ni police, et qu’il existait donc très peu de preuves matérielles. L’avocate générale a déclaré qu’exiger des preuves matérielles comme l’a fait la défense revenait à « nier la réalité et ériger l’impunité des auteurs sous prétexte que sans preuve matérielle, il est impossible de juger ».
Concernant les preuves testimoniales, l’avocate générale a déclaré qu’il ne s’agissait pas de sous-preuves et qu’elles restaient la preuve centrale dans les dossiers de crimes contre l’humanité, en particulier lorsqu’elles étaient rapprochées à des éléments de contexte. Elle a précisé que son propos ne consistait pas à dire que le témoignage était la preuve parfaite, dans la mesure où certains témoins pouvaient mentir et se contredire. Il ne fallait donc pas s’attendre à des déclarations parfaitement concordantes, mais plutôt prendre en compte le contexte chaotique de la guerre ainsi que le traumatisme subi par les témoins et les victimes. Ces éléments perturbent la mémoire et la perception du temps, mais ces difficultés ne doivent pas disqualifier les témoignages selon l’avocate générale. Au contraire, il convient de recouper les témoignages et les comparer en faisant preuve de discernement pour distinguer les approximations – compréhensibles en raison du temps écoulé – des mensonges. Concernant l’argument de la manipulation ou de l’achat de témoins par Civitas Maxima, l’avocate générale a souligné l’absence de preuves produites par Kunti Kamara et déclaré que le Ministère public faisait confiance à la Cour pour juger de la réalité de cette soi-disant manipulation.
L’avocate générale a ensuite brièvement évoqué les difficultés d’identification et de localisation des témoins, auxquelles s’ajoute l’impunité au Libéria et la peur de dénoncer les crimes et leurs auteurs. A cet égard, elle a rendu hommage aux témoins et aux parties civiles ayant eu le courage de venir témoigner.
Bien que les témoignages restent l’élément central du dossier, l’avocate générale a expliqué qu’ils avaient été consolidés par les investigations. A titre d’exemple, elle a rappelé que Kunti Kamara avait été entendu à dix reprises, confrontations incluses, et que 44 témoins avaient été entendus. Elle a ajouté que des remises en situation avaient été effectuées en présence des conseils de l’accusé, qui n’ont alors formulé aucune critique. Elle a également évoqué les expertises psychologiques et déclaré que tout le travail d’investigation consistait à apporter d’autres preuves au dossier. Elle a également précisé que la situation au Lofa avait été moins documentée puisque peu d’observateurs internationaux s’y étaient déplacés, notamment parce qu’ils en avaient été empêchés par les groupes armés. Malgré cela, l’avocate générale a rappelé que la Cour disposait d’articles de presse, de rapports d’ONG, de photographies, des travaux de la CVR et des déclarations de hauts gradés de l’ULIMO. En somme, l’ensemble de ces éléments ont permis selon elle de confronter les témoignages et d’asseoir leur valeur probante afin que la Cour puisse rendre son verdict.
S’adressant aux jurés, l’avocate générale leur a expliqué qu’il était bientôt temps pour eux de se retirer afin de se prononcer sur la culpabilité de Kunti Kamara. Elle a déclaré qu’il s’agira pour chacun de se forger une intime conviction dans son for intérieur et rappelé que qui dit intime conviction, dit dépassement d’un doute. Elle a expliqué que le doute judiciaire était le questionnement leur permettant d’avancer collégialement dans l’analyse des faits et qu’il ne devait pas les empêcher de se prononcer. Elle leur a rappelé que leur décision était rendue au nom du peuple français, qu’ils représentaient, et qu’elle était la plus noble qui soit, d’autant plus en cas de crimes contre l’humanité et actes de torture. Elle a précisé qu’il s’agissait de garantir l’état de droit et de reconnaître la dignité des victimes. S’agissant du rôle du Ministère public, elle a rappelé qu’il n’avait ni mission politique ou diplomatique, ni instructions, mais qu’il défendait l’intérêt général. Ainsi, elle a expliqué que le Ministère public était là pour éclairer les jurés s’agissant de la responsabilité de Kunti Kamara et que sa mission n’était pas de soutenir l’invraisemblable, mais de soupeser les éléments et tirer des conclusions. Elle a rappelé que cette démarche avait amené les avocates générales à requérir des non-lieux pour certaines infractions, lesquels ont été confirmés par le juge d’instruction et la Cour.
La seconde avocate générale a ensuite pris la parole et est revenue sur le contexte des faits reprochés à Kunti Kamara. Elle a déclaré que trois semaines plus tôt, la Cour avait plongé au Libéria, un pays à l’histoire singulière et oubliée que peu de gens connaissaient. Elle a expliqué que le Libéria était un pays d’Afrique de l’ouest, bordé par l’océan Atlantique d’une part, et par la Guinée, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire d’autre part. Elle a ensuite rappelé que le pays avait deux saisons : une saison des pluies (de mai à octobre) et une saison sèche. Elle a ajouté que le Libéria comptait parmi les pays les plus pauvres et les moins développés au monde, avec notamment une espérance de vie de 60 ans, précisant qu’elle s’élevait à 40 ans seulement à l’époque des faits. L’avocate générale a ensuite expliqué que la population était composée de 16 ethnies (avec notamment les Mandingues et les Kissis), auxquelles venaient s’ajouter les esclaves affranchis. S’agissant de l’histoire du Libéria, elle a indiqué qu’il s’agissait de l’un des rares pays d’Afrique à n’avoir jamais été colonisé et que le Libéria avait été créé par des anciens esclaves affranchis. Selon l’avocate générale, l’administration du pays s’est construite sur les intérêts personnels des décideurs.
L’avocate générale a ensuite abordé les guerres civiles en expliquant qu’elles trouvaient leur fondement dans le coup d’état de Samuel Doe, responsable de l’assassinat du Président Tolbert et du meurtre public de 13 dirigeants. La première guerre civile a débuté en décembre 1989 avec l’invasion du NPFL depuis la Côte d’Ivoire. L’avocate générale a expliqué que la terreur avait été très vite revendiquée et a invité la Cour à se remémorer les circonstances de l’assassinat de Samuel Doe, qui a été torturé et dont le corps a été exhibé dans les rues de Monrovia.
L’avocate générale a décrit les grandes étapes des guerres civiles libériennes, qu’elle a qualifiées de complexes tout en rassurant les jurés sur le fait qu’il n’était pas nécessaire de tout maîtriser. Elle a d’abord expliqué qu’à la suite de l’invasion du NPFL, le pays s'est enlisé dans une lutte entre groupes armés. En réaction, d’autres groupes ont été créés dont l’ULIMO, qui rassemblait initialement des combattants Krahns et Mandingues. L’avocate générale a renoncé à détailler toutes les étapes et a demandé à la Cour de garder à l’esprit qu’en mars 1994, l’ULIMO s’était divisé entre l’ULIMO-K avec à sa tête Kromah de l’ethnie Mandingue, et l’ULIMO-J, avec Johnson de l’ethnie Krahn. L’avocate générale a indiqué que la guerre civile s'était terminée en 1997 avec l'élection de Charles Taylor et l’émergence d’un nouveau groupe rebelle, le LURD. La deuxième guerre civile a duré de 1997 à 2003 et s’est terminée avec la démission de Charles Taylor sous la pression internationale.
L’avocate générale est ensuite brièvement revenue sur la thèse du complot Kissi avancée par Kunti Kamara pour expliquer les accusations à son encontre. Elle a rappelé les déclarations de Thierry Paulais, à teneur desquelles les ethnies avaient été instrumentalisées par les chefs des groupes armés pour mobiliser la population, et précisé que les civils étaient considérés comme des alliés ou des ennemis en fonction de leur ethnie. Elle a souligné qu’en réalité, l’objectif de chacun était d’accéder au pouvoir et de s’approprier le pays et ses ressources, en particulier les ressources naturelles, les infrastructures, les femmes et les enfants.
L’avocate générale a rappelé qu’il était établi, notamment par le rapport de la CVR, que tous les groupes armés avaient commis des crimes contre les civils. S’agissant des tentatives de la défense de mettre en relief le nombre d’exactions commises par le NPFL par rapport à l’ULIMO, l’avocate générale a estimé que cette hiérarchisation était sans objet, en insistant sur le fait que chaque groupe armé recrutait des civils. Certains civils intégraient le groupe volontairement, mais d’autres étaient forcés, en particulier les enfants. L’avocate générale a également rappelé que la hiérarchie au sein des groupes armés n’empêchait pas une autonomie locale sous l’autorité des commandants locaux. Elle a ajouté que les soldats n’étaient pas payés et que l’expression “pay yourself” avait laissé la porte ouverte à toutes les exactions commises sur les civils. Elle a ensuite indiqué que la guerre civile s’était terminée en 2003 et que la reconstruction du pays était inachevée à ce jour. A cet égard, elle a précisé que la CVR avait comptabilisé entre 250’000 et 300’000 morts et 1 million de déplacés pour une population totale de 2 millions d’habitants. Elle a déclaré que le bilan en termes de développement était critique et que les ruines de l’ancienne centrale électrique de Foya, qui n’a jamais été reconstruite, symbolisaient ce retard.
Avant d’examiner la position de Kunti Kamara au sein de l’ULIMO, l’avocate générale a souhaité donner des précisions sur la région du Lofa. Elle l’a décrite comme un comté rural d’un peu moins de 10'000 km2 dans lequel la majorité des villes étaient privées d’eau courante et d’électricité. Elle a ajouté que les habitants étaient des cultivateurs et précisé que le comté était peuplé de nombreuses communautés dont notamment les Kissis, les Gbandis et les Mandingues. L’avocate générale a indiqué qu’à l’époque, la région du Lofa était plus vaste et se divisait en six districts comprenant une ville principale, des villages et de la brousse. Elle a précisé que la ville de Foya se trouvait aux confins du comté dans le district du même nom et était située à plus de 13 heures de route de la capitale Monrovia.
L’avocate générale a ensuite expliqué le caractère stratégique de la ville de Foya qui découle de sa proximité de la frontière avec la Guinée et la Sierra Leone, avant d’évoquer la conquête du comté de Lofa par l’ULIMO. Elle a indiqué qu’initialement le comté était entre les mains du NPFL, jusqu’à l’arrivée d’un bataillon dirigé par Pepper & Salt. Elle a cité les anciens combattants en poste dans la région, dont Jungle Jabbah et Alieu Kosiah. L’avocate générale a précisé que les étapes de la conquête du comté de Lofa par l’ULIMO étaient documentées et que Foya avait vraisemblablement été conquise en juillet 1993. A partir de cette date, l’ULIMO était le seul groupe armé qui contrôlait le district. Au sujet de la question de savoir si les habitants de Foya étaient en mesure de distinguer la période NPFL de celle ULIMO, l’avocate générale a souligné que tous les témoins et parties civiles avaient répondu par l’affirmative et que certains avaient précisé que sous le NPFL, il était possible de vivre sans pour autant que la vie soit « agréable ».
Concernant les autorités locales, l’avocate générale a expliqué qu’il n’y en avait plus dès la prise de contrôle de la région par l’ULIMO et au moins jusqu’à fin 1994. Les chefs de village étaient devenus des porte-paroles puisque les membres du gouvernement et de la police avaient fui. L’avocate générale a souligné qu’il était apparu clairement lors du procès que les habitants de Foya n’étaient pas des rebelles du NPFL, mais de simples civils, et qu’ils n’avaient jamais pris les armes ni même envisagé de le faire. Elle a ajouté que cela ne les avait pas empêchés d’être assimilés à des sympathisants du NPFL et d’être désignés comme des ennemis, et rappelé que le terrible sort réservé à la population civile avait été expliqué par les témoins et parties civiles.
L’avocate générale a ensuite abordé les outils de contrôle absolu mis en place par l’ULIMO, à savoir le couvre-feu (dont la violation entraînait la mort et qui permettait de s’assurer de la localisation des habitants pour aller les chercher directement chez eux pour les marches forcées), le bureau S-2 (installé dans les anciens bureau de police et lieu de passage obligé pour recenser et enregistrer les habitants), les checkpoints checkpoints sanglants où des têtes étaient placées sur des pieux, les réunions visant à rassembler la population ou encore les traques incessantes dans la brousse. L’avocate générale a rappelé les propos de FG qui a déclaré : « Ils étaient là pour nous détruire ».
Selon l’avocate générale, ces outils traduisent un mode opératoire, à savoir la terreur comme mode de gouvernance. Elle a également cité les rassemblements des habitants, l’appropriation des maisons, la fourniture forcée de nourriture, les pillages systématiques, l’exploitation des habitants, les femmes réduites en esclaves sexuelles et domestiques, les hommes obligés de porter des charges lourdes, les exécutions publiques, les actes de torture et de cannibalisme, l’usage de la méthode du tabé, les cœurs humains arrachés, les cadavres mis dans les brouettes et l’obligation d’en acheter des morceaux. L’avocate générale a rappelé que l’épisode des brouettes avait été relaté par de nombreux témoins de manière identique, et était également documenté dans le rapport de la CVR et la presse de l’époque. Selon l’avocate générale, ces exactions sont autant d’outils de terreur utilisés par tous les groupes armés. Elle a souligné que le comté de Lofa, occupé par l’ULIMO, figurait à la troisième place du point de vue du nombre de victimes selon le rapport de la CVR. Elle a ajouté que le caractère systématique et généralisé des exactions a été évoqué par Alain Werner dans le dossier Kosiah et déclaré que les victimes étaient principalement des civils. L’avocate générale a invité la Cour à retenir d’une part l’horreur et le caractère massif des crimes commis, et d’autre part l’autorité hégémonique de l’ULIMO qui exerçait des fonctions quasi-régaliennes dans le Lofa entre 1993 et 1995.
L’avocate générale a poursuivi en expliquant que la mission de la Cour n’était pas de juger la première guerre civile, mais de juger un homme à hauteur de sa responsabilité individuelle. Elle a précisé que cet homme, c’était Kunti Kamara ou CO Kundi et qu’il n’en y avait pas d’autre.
S’agissant de la position de l’accusé dans l’ULIMO, l’avocate générale a indiqué qu’au Libéria, les commandants étaient des « C.O. »Commanding Officeret qu’il était possible de le devenir très jeune, en raison notamment de la faible espérance de vie à l’époque. S’agissant des commandants de Foya, elle a cité les noms prononcés par les témoins et parties civiles, à savoir CO Deku, Fine Boy, Ugly Boy (ou Saah Chuey), Mami Wata, et l’accusé, CO Kundi. Elle a ajouté Alieu Kosiah alias Physical Cash, en précisant qu’il semblait porter un grade plus élevé que CO Kundi. Sous les ordres des commandants précités se trouvaient des combattants et des gardes du corps. L’avocate générale a ensuite décrit la chaîne de commandement, du niveau national au niveau local, selon les informations à disposition : Kromah, Dombuyah (chef d’état-major), Pepper & Salt (chef du comté du Lofa), Deku et les autres commandants au sein du comté de Lofa. Elle a précisé que bien que Deku semblait avoir de l’autorité, chaque commandant gardait une autorité sur ses hommes. Selon l’avocate générale, au-delà de ce circuit formel, les commandants sur le terrain avaient une liberté de manœuvre, ce qui a engendré des exactions massives sur les habitants du Lofa.
L’avocate générale s’est ensuite penchée sur la position de Kunti Kamara au sein de l’ULIMO au moment des faits. Dans un premier temps, elle a expliqué qu’à teneur des déclarations de l’accusé et des anciens membres de l’ULIMO, tout le monde connaissait Kundi, que ce soit en bas ou en haut de l’échelle. L’avocate générale a également évoqué les déclarations des témoins, qui ont expliqué reconnaître les commandants puisqu’ils étaient en uniforme et armés. Elle a ajouté qu’en 2008, JS a cité le nom de Kundi comme commandant à Foya devant la CVR. Selon elle, il ressort de l’ensemble de ces éléments que Kunti Kamara a intégré volontairement l’ULIMO et grimpé les échelons jusqu’à être promu colonel. L’avocate générale a ensuite souligné les nombreuses zones d’ombre sur les attributions concrètes de l’accusé, tout en relevant deux constantes. La première est qu’il était basé à Foya la majeure partie du temps. A cet égard, l’avocate générale a rappelé que l’accusé avait reconnu avoir contribué à la conquête de Foya et participé à la traque de TT. Qui plus est, Alieu Kosiah a déclaré que Kunti Kamara se trouvait 80% du temps à Foya et a réaffirmé l’y avoir vu. Finalement, plusieurs témoins et parties civiles l’ont vu dans la ville de Foya et certains ont même déclaré qu’il y était domicilié. L’avocate générale a ajouté que la naissance de la fille de Kunti Kamara à Foya en 1995 constituait une indication temporelle supplémentaire. Sans contester le fait que l’accusé ait parfois dû s’absenter de la ville de Foya, l’avocate générale a soutenu qu’il y était basé.
Quant à la deuxième constante, l’avocate générale a affirmé que Kunti Kamara n’était pas un soldat de rang mais un commandant reconnu par tous et que son grade correspondait à celui de battlefield commander. Elle a rappelé que Kunti Kamara n’accusait personne de mentir sur ce point. Bien qu’il soit resté confus, il commandait des hommes et a dit lui-même avoir sous ses ordres deux pelotons, équivalant à 88 hommes, ainsi que des gardes du corps, ce qui a été confirmé par LSM et Alieu Kosiah. Par ailleurs, Kunti Kamara a évoqué son pouvoir de sanction en expliquant qu’il pouvait donner des coups de bâton à ses soldats. Au vu de tous ces éléments, l’avocate générale a considéré que l’accusé avait la position suivante au sein de l’ULIMO : un commandant local doté d’une responsabilité certaine, investi de la mission d’amener des hommes au combat et de contrôler de Foya. A ce titre, il disposait sur ses hommes et sur les civils d’une certaine autorité, ce qui a d’ailleurs été confirmé par les témoins qui ont affirmé ne pas avoir vu Kunti Kamara recevoir des ordres.
Des faits commis au préjudice de DN
L’avocate générale a ensuite abordé la responsabilité de Kunti Kamara en lien avec la mise à mort de DN. A cet égard, elle a rappelé qu’il était impossible de dater les faits, mais que DN avait bel et bien été exécuté, probablement dans les premiers mois qui avaient suivi l’occupation de l’ULIMO. L’avocate générale a également cité l’article de presse mentionnant l’assassinat de DN. Elle est ensuite revenue sur le témoignage de JTC, lequel a été entendu à trois reprises et confronté à l’accusé ainsi qu’à la veuve de DN. Elle a ajouté que le témoignage de JTC était précis et détaillé, en concordance avec ses déclarations précédentes. L’avocate générale a expliqué que la « mise à mort » de DN trouvait son origine dans la destruction par l’ULIMO de la Borma Mission et dans la discussion que DN a eue avec des humanitaires blancs en leur indiquant que l’ULIMO était responsable des dégâts causés. Bien que l’identité de l’ONG soit inconnue, la rencontre est établie dans la mesure où un policier était présent lors de cet entretien. La défense a remis en question les supposées déclarations de DN, mais l’avocate générale a déclaré qu’il n’était pas dans le caractère de DN de mentir et que ce dernier avait pu croire que les humanitaires venaient libérer les habitants de Foya.
De plus, l’avocate générale a rappelé que JTC avait toujours relaté le même déroulement des évènements, ainsi que la participation active de Kunti Kamara dans la mise à mort de DN, y compris avant l’arrestation de ce dernier. L’avocate générale a expliqué que Kunti Kamara avait participé à l’arrestation armée de DN, puis à son transport jusqu’au poste de police, et avait contribué à l’attacher selon la méthode du tabé. Elle a ajouté qu’il avait lui-même porté des coups de pieds à DN alors qu’il était au sol et toujours entravé. Elle a finalement évoqué la mise à mort sur le airfield et les jubilations des commandants “Try ULIMO, your heart”. L’avocate générale a ensuite rappelé les déclarations de JTC, qui a décrit le coup de hache porté par Ugly Boy et l’extraction du cœur de DN. S’agissant de Kunti Kamara, il était resté à proximité et jubilait. Finalement, l’avocate générale a rappelé la « suite cannibale » des événements puisque tous les commandants, y compris Kunti Kamara, ont mangé un morceau du cœur de DN devant la maison d’Ugy Boy.
L’avocate générale a conclu que même si Kunti Kamara n’était pas l’auteur du coup de hache, il a participé en tant qu’auteur actif à la mise à mort de DN, qui n’aurait pas été menée à son terme sans la participation de chaque commandant. L’avocate générale a expliqué que ce qui faisait la force du témoignage de JTC, c’était que ce dernier avait été questionné pendant deux ans sans changer ses déclarations. Elle a évoqué les quelques divergences, soit notamment le passage au poste de police et la durée de l’arrestation de DN. A cet égard, elle a rappelé que les faits s’étaient déroulés il y a 29 ans et que la remise en situation avait permis de constater d’une part que JTC se trouvait effectivement à proximité et qu’il était possible de voir ce qui se passait contrairement à ce qu’a tenté de plaider la défense, et d’autre part la faisabilité des différentes étapes. S’agissant des autres éléments au dossier, l’avocate générale a mentionné le témoignage de DFB qui n’a pas assisté à la scène mais a vu le cadavre de DN sur le airfield et participé à son ensevelissement. Elle a rappelé que les précisions de DFB sur l’état de putréfaction du cadavre et ses constatations sur le corps correspondaient aux circonstances évoquées par JTC et révélaient l’indignité du sort réservé au corps de DN. Finalement, l’avocate générale a relaté les témoignages de la veuve et de la fille de DN qui sont venues exprimer leur douleur et faire revivre les souvenirs, sans pour autant être des témoins directs. Elle a rappelé que la seule réaction de Kunti Kamara face à ces témoignages a été de relever la demande d’aide formulée par MN qu’il considère comme une motivation financière. L’avocate générale a déclaré que l’acte de barbarie commis sur DN était un élément fondateur et un message de terreur sans équivoque : quiconque défiait l’ULIMO devait en payer le prix. L’avocate générale a regretté l’absence d’autres témoins directs en rappelant les difficultés à trouver des témoins, en raison notamment de la situation du pays et de l’impunité qui y règne. Elle a rappelé que les juridictions suisses avaient condamné Alieu Kosiah en se fondant sur le témoignage de JTC qu’elles ont jugé crédible. Elle a ensuite proposé à la Cour d’élargir la perspective afin de prendre en compte le fait que la pratique du tabé et l’extraction de cœur avaient été mises en œuvre par d’autres factions armées et documentées par les photographes de guerre et les ONG. De plus, RSK et LSM ont tous deux déclaré avoir vu Ugly Boy s’adonner à cette pratique, ce qui accrédite la scène. Elle a conclu que Kunti Kamara avait participé activement et de manière décisive à la mise à mort de DN et invité la Cour à le déclarer coupable de ces faits.
Des faits commis au préjudice de KT
L’avocate générale a poursuivi avec le deuxième complexe de faits, à savoir la mise à mort de KT à Foya Dundu en 1993. Elle a rappelé que les dépositions de quatre témoins directs avaient été lues ou entendues, soit celles de FG, le frère de KT, NS, son mari, TK, l’ancien chef du village et FP, un voisin. Les dépositions de ces quatre témoins ont été confrontées à l’épreuve de la réalité lors de remises en situation. Selon l’avocate générale, il ressort de ces divers témoignages une chronologie concordante.
L’avocate générale a expliqué que Foya Dundu se trouvait à cinq kilomètres de Foya et était un hameau constitué de quelques maisons de terre. Elle a ajouté que KT, d’ethnie Kissi, était mariée à NS et était très malade. L’avocate générale a ensuite brièvement rappelé les faits : le décès de l’enfant malade de KT, l’enterrement organisé le lendemain et l’arrivée de Kunti Kamara et ses hommes. Dans un premier temps, Kunti Kamara a donné un peu d’argent au chef du village avant de repartir. Ensuite, il est revenu en demandant à ses hommes de sortir KT de la maison avant de lui tirer une balle en pleine tête avec un fusil d’assaut G3. Le coup a été d’une violence telle que le cerveau de KT a explosé. Après cette exécution traumatisante, Kunti Kamara a ordonné d’enterrer le corps et de le brûler. L’accusé a ensuite proféré des menaces de mort, tel que cela a été rapporté par FG qui s’est alors caché derrière un bananier avant de prendre la fuite.
L’avocate générale a précisé que la remise en situation avait permis de localiser l’endroit où se trouvait FG et attester qu’il pouvait bel et bien être témoin de la scène. Elle a ensuite rappelé que tant FG que FP avaient reconnu formellement Kunti Kamara comme l’auteur du crime. L’avocate générale a finalement décrit les constantes sur l’implication de Kunti Kamara : l’extrême violence et la gratuité de cette mise à mort, ainsi que l’autorité de Kunti Kamara sur ses soldats. A cet égard, elle a rappelé que FG et FP ont tous deux affirmé que Kunti Kamara était le chef et qu’il n’était pas possible de s’opposer à lui. L’avocate générale a déclaré que l’accusé avait un rôle central et personnel. Elle a ensuite rappelé le témoignage de TK, lequel a indiqué n’avoir rien à reprocher à Kunti Kamara, à l’exception de la mort de KT. L’avocate générale est ensuite revenue sur les quelques divergences dans les témoignages, notamment la façon dont KT avait été tirée hors de la maison et ses supplications. A cet égard, elle a rappelé que l’enchaînement des événements avait été très rapide et qu’il fallait être indulgent sur la reconstitution de souvenirs traumatisants, en particulier pour un mari et un frère. L’avocate générale a conclu en demandant à la Cour de retenir la culpabilité de l’accusé.
Des faits commis au préjudice de JTC et de SFC
L’avocate générale a ensuite évoqué les marches forcées imposées notamment à JTC et SFC en 1993 à Foya et ses environs. Elle a expliqué que l’ULIMO a fait du pillage de la région une priorité selon l’expression “pay yourself. Elle a souligné que de nombreux témoignages et autres éléments de preuves avaient été collectés en ce sens, notamment par la CVR, la presse et les ONG, en dépit du fait que Kunti Kamara a toujours nié les faits. Elle a rappelé que d’anciens membres de l’ULIMO (notamment Kwamex Fofana et Abraham Towah) ont confirmé l’exploitation des civils dans le cadre de ces marches en raison de la rareté des véhicules et ont également évoqué le transport des marchandises sur la rivière Makona grâce à des pirogues. De même, de nombreux témoins et parties civiles ont décrit l’organisation de ces marches par l’ULIMO selon un même mode opératoire : l’arrestation des civils à tout moment soit à leur domicile pendant le couvre-feu soit lors de leurs déplacements en ville, puis l'obligation d’acheminer de lourdes charges jusqu’à la frontière guinéenne en passant par la ville de Solomba. Ils ont tous daté ces faits dans les premiers mois de l’occupation de l’ULIMO (deuxième moitié de l’année 1993) au cours de la saison des pluies, lorsque l’état des routes rend illusoire l’utilisation de véhicules. Ils ont tous déclaré que les soldats de l’ULIMO encadraient les marches et que les civils risquaient d’être contraints de porter des charges également sur le chemin du retour. Ils ont tous décrit la terreur qui régnait lors de ces marches, en raison des coups de crosse ou de branches d’arbre portés à ceux qui se plaignaient d’être fatigués, des morts régulières dues à l’épuisement ou aux coups reçus et des exécutions sommaires. Outre ces violences, tous ont évoqué les menaces proférées par les soldats, notamment l’expression “Till Go,” que Kunti Kamara a déclaré connaître en précisant qu’elle était utilisée sur le front pour motiver les soldats. Selon l’avocate générale, la profération de ces expressions lors des marches forcées illustre la confusion entre le front militaire et l’autre front, celui des villages et de leurs habitants, considérés comme des ennemis. L’avocate générale a rappelé que les civils réquisitionnés marchaient pendant plusieurs heures, sans eau ni nourriture, terrorisés et affamés. Ils n’étaient évidemment pas rémunérés et n’avaient aucune possibilité de s’échapper, à moins de fuir dans la brousse.
S’agissant de la mise en cause de Kunti Kamara, l’avocate générale a commencé par évoquer les faits concernant JTC. Ce dernier a relaté deux marches organisées par l’ULIMO et pour lesquelles il mettait en cause Kundi. La première concerne le pillage de la centrale électrique de la ville de Foya et le transport du générateur, évoqué par plusieurs témoins. Tous ont déclaré que le générateur avait été pillé dans les premiers mois suivant la prise de Foya par l’ULIMO. L’avocate générale a déclaré qu’il n’y avait aucune divergence concernant le groupe armé responsable de ce pillage et qu’il s’agissait bel et bien de l’ULIMO. Selon l’avocate générale, JTC a été précis sur la localisation du générateur, le nombre de civils réquisitionnés et les commandants impliqués, dont CO Deku, Alieu Kosiah, Ugly Boy, Mami Wata et Kundi. JTC a décrit minutieusement le mode de transport des pièces du générateur et la manière dont elles ont été soulevées. Il a détaillé les différentes étapes de la marche jusqu’à l’arrivée à Solomba et estimé la durée totale du trajet à 6 ou 7 heures. Il a également décrit le déchargement des pièces à la frontière et le transport de l’autre côté de la rivière grâce à des pirogues.
Selon l’avocate générale, la remise en situation effectuée en avril 2019 a permis d’attester de la crédibilité des déclarations de JTC. A cela s’ajoute que JTC a été constant sur la mise en cause de Kunti Kamara. Il a précisé l’avoir vu tout au long du transport, y compris au début près de la centrale électrique, et déclaré qu’il dirigeait des soldats et faisait des allers-retours en exerçant ses prérogatives de commandant. Il a également indiqué l’avoir vu menacer des civils et précisé ne pas avoir discerné de hiérarchie entre les commandants de l’ULIMO, ce qui a poussé les juridictions suisses à acquitter Alieu Kosiah sur le chef d’organisation de la marche. L’avocate générale a rappelé l’existence d’autres témoignages, tels que celui de TFT, qui a déclaré avoir assisté au pillage de la centrale et avoir vu Kundi, et celui de LSM qui a encadré la marche et entendu que Kundi était présent.
JTC a également mis en cause Kunti Kamara en rapport avec une seconde marche destinée à l’acheminement de denrées alimentaires jusqu’à Solomba. Il a expliqué avoir été arrêté en pleine journée avec vingt autres civils pour effectuer cette marche. Il a évoqué les coups reçus par les civils lorsqu’ils n’avançaient pas assez vite et estimé avoir porté une charge de 60 kg sur plusieurs kilomètres. Selon l’avocate générale, JTC a toujours été affirmatif quant au fait que ce transport avait été organisé dans le seul intérêt de Kundi, qui dirigeait seul cette marche.
L’avocate générale a ensuite évoqué les faits concernant SFC et indiqué que celui-ci avait mis en cause Kunti Kamara pour la marche du générateur de la Borma Mission, ainsi que pour une autre marche concernant le transport de denrées alimentaires. SFC a relaté avoir été arrêté à son domicile pour participer à la marche du générateur électrique de l’hôpital de la Borma Mission. Il a décrit la façon dont le générateur a été démantelé puis chargé sur une remorque, ainsi que son acheminement par une cinquantaine de civils jusqu’à la frontière guinéenne. Selon l’avocate générale, SFC a distingué les différentes étapes de la marche en indiquant la maison dans laquelle les civils avaient dormi et le lieu où la remorque s’est cassée.
L’avocate générale a rappelé que la défense s’était étonnée de la faisabilité d’un tel transport au vu des difficultés qu’il présente, et a déclaré que c’était là le propre de l’esclavage. L’avocate générale a ensuite rappelé les chants menaçants évoqués par SFC, ainsi que les coups de crosse et les coups de branches de manguier que Kundi et ses soldats lui avaient infligés tout au long du trajet. SFC a déclaré que Kundi instiguait la crainte en lui. Comme un rappel des faits concernant DN, SFC s’est souvenu que Kundi le menaçait de lui arracher son cœur. SFC a également évoqué les ordres donnés par Kundi à ses soldats à leur arrivée à Solomba pour décharger les pièces et organiser la traversée de la rivière sur les pirogues. Il a précisé que la traversée était un privilège des commandants et des soldats.
L’avocate générale a ensuite évoqué la seconde marche pour laquelle SFC avait mis en cause Kunti Kamara. Il s’agissait d’un transport de café et d’huile de palme dirigé par CO Kundi, dont SFC a parfaitement détaillé le rôle. Selon SFC, Kundi proférait des menaces telles que “If you get tired, I kill you.
L’avocate générale a indiqué que Kunti Kamara a nié ces faits, mais plusieurs témoins et parties civiles ont donné une description physique correspondant à l’accusé. L’avocate générale a souligné le grand degré de précision de l’ensemble des déclarations, dont les remises en situation ont permis de confirmer la cohérence. Elle a indiqué qu’aucune volonté de revanche ou d’exagération n’était ressortie des témoignages – ce qui a également été confirmé par l’expert psychologue –, puisque les témoins et parties civiles ont incriminé Kunti Kamara à hauteur de sa participation en distinguant les marches organisées par d’autres commandants. L’avocate générale a invité la Cour à se fier à son ressenti vis-à-vis des différents témoins et déclaré que malgré leur solidité, SFC et JTC conservaient des séquelles physiques et psychologiques.
L’avocate générale a affirmé qu’il résultait des divers témoignages et remises en situation une implication directe et personnelle de Kunti Kamara dans l’organisation des deux marches concernant JTC et des deux marches concernant SFC, y compris en ce qui concerne les violences à l’encontre SFC. Elle a donc demandé à la Cour de retenir la culpabilité de l’accusé.
Des faits commis au préjudice de LSM
L’avocate générale est ensuite revenue sur les faits relatifs à LSM. Selon l’avocate générale, l’ensemble de la documentation a permis de comprendre que la torture, notamment la méthode du tabé, était pratiquée par tous les groupes armés. Selon elle, les déclarations de LSM à cet égard sont cohérentes. En effet, il a expliqué avoir été arrêté par les soldats de l’ULIMO alors qu’il tentait de se réfugier dans la brousse et avoir été accusé d’appartenir au NPFL. Il a alors été ramené à Foya avec d’autres civils et attaché selon la méthode du tabé. Il a déclaré avoir été le seul à protester et avoir été traîné au sol sur plusieurs mètres. Il en conserve des séquelles physiques, puisqu’il n’a pas retrouvé l’usage complet de son bras. Il a également expliqué avoir assisté au meurtre d’un civil, tué à coups de pierre. Il a toujours mis en cause Alieu Kosiah et Kunti Kamara, et a formellement reconnu ce dernier sur une planche photographique. Selon l’avocate générale, LSM a toujours maintenu que Kunti Kamara était CO Kundi et lui avait infligé ces blessures. En revanche, il est incertain sur l’identité de celui qui l’a tiré au sol, mais a précisé que Kundi avait ordonné à ses soldats de le faire. Il a toujours été très clair sur l’autorité hiérarchique dont disposaient Kosiah et Kundi, qui étaient les plus hauts gradés selon lui, raison pour laquelle il les considéraient comme co-auteurs. L’avocate générale a également rappelé que ces faits avaient été confirmés par SS et que les seules divergences entre les témoignages de LSM et de SS portaient sur le nombre de civils arrêtés et sur les raisons pour lesquelles LSM avait été épargné. SS a déclaré qu’elle se trouvait dans une maison depuis laquelle elle avait assisté à la scène. Elle a indiqué avoir vu Kundi donner l’ordre à ses soldats de soumettre les civils au tabé et de traîner LSM au sol. A cela s’ajoute que SS a reconnu formellement l’accusé sur une planche photographique.
L’avocate générale a déclaré que la défense rétorquera que LSM a varié dans ses déclarations, ce qui est possible selon elle 29 ans après les faits. Selon l’avocate générale, il est possible que LSM ne se souvienne plus de la teneur des échanges entre Alieu Kosiah et Kunti Kamara ni du moment précis où il a été libéré de ses liens. Aux yeux de l’avocate générale, il s’agit néanmoins de points périphériques et LSM a été constant concernant Kunti Kamara. Il a en revanche hésité à mettre en cause Fine Boy, mais on sait que ce dernier se trouve au Libéria et que LSM a déjà subi une agression suite à son témoignage en Suisse. S’agissant du coup de couteau, LSM a toujours déclaré avoir été blessé à l’arme blanche au niveau du dos, ce qui est attesté par sa cicatrice. Il a indiqué ignorer qui de Kunti Kamara ou d’Alieu Kosiah lui avait infligé cette blessure et n’a fait que rapporté des propos. L’avocate générale a invité la Cour à garder à l’esprit que Kunti Kamara n’était pas accusé d’avoir porté un coup de couteau à LSM, mais de l’avoir traîné au sol sur plusieurs mètres. Elle a déclaré que la défense tentera peut-être d’arguer que Kundi était sous le commandement de Kosiah, ce qui est faux puisqu’il n’y avait pas de hiérarchie entre eux et Kundi était parfaitement autonome. L’avocate générale a rappelé à cet égard que tous les témoins auditionnés s’accordaient pour dire que Kundi était indépendant, ce qui a été confirmé par l’accusé lui-même puisqu’il a affirmé n’avoir jamais été sous les ordres d’Alieu Kosiah. Par ailleurs, l’avocate générale a rappelé que Kundi avait quitté l’ULIMO avec un grade plus élevé qu’Alieu Kosiah.
Au vu des déclarations constantes de LSM, confirmées par SS, l’avocate générale a invité la Cour à retenir la culpabilité de Kunti Kamara pour sa participation aux tortures subies par LSM.
Des faits commis au préjudice de RSK et de EFNS
L’avocate générale a abordé le dernier complexe de faits, qui porte sur la complicité des viols commis à l’encontre de RSK et de EFNS. L’avocate générale a rappelé que le viol des femmes et des jeunes filles était pratiqué de manière systématique par tous les groupes rebelles. Les femmes ont été réduites en esclaves domestiques et sexuelles. L’avocate générale a précisé que les infractions à caractère sexuel faisaient parties des crimes recensés par la CVR et que 47% des personnes entendues par la CVR étaient des femmes qui ont dénoncé des faits de viols (notamment incestueux sous la contrainte) ayant conduit à la destruction des femmes, des familles et des communautés entières. Selon l’avocate générale, l’utilisation d’armes lors des viols confirme la volonté de détruire les femmes, puisque leurs blessures les empêchaient d’avoir des enfants. L’avocate générale a ajouté que les femmes avaient été considérées comme des objets sexuels, dont les soldats se servaient selon leur bon vouloir. Elle a déclaré que ces éléments avaient été attestés par de nombreux témoins, dont AN, violée dans la brousse à l’âge de 12 ans, la nièce de SFC ou encore M, l’ex-compagne de JTC, et que c’était dans ce contexte de viols généralisés que les récits de EFNS et de RSK devaient se comprendre.
L’avocate générale a ensuite insisté sur le fait que les viols commis sur RSK et EFNS n’étaient pas des faits isolés, mais un échantillon de ce qu’avaient vécu les femmes à l’époque. Contrairement à ce qu’allègue l’accusé, les troupes de l’ULIMO n’étaient pas placées sous un commandement strict qui condamnait fermement les viols, puisque les commandants eux-mêmes commettaient de telles atrocités.
L’avocate générale a ensuite rappelé que RSK et EFNS étaient deux jeunes filles à l’époque et s’étaient réfugiées ensemble dans la brousse pour échapper à l’ULIMO. Elles ont été capturées, mais ont bénéficié de la protection d’un soldat, AG. Selon l’avocate générale, AG a monnayé sa protection contre des faveurs sexuelles que EFNS a acceptées pour mettre sa famille à l’abri. Les deux femmes ont expliqué qu’AG avait pris la fuite après la scission de l’ULIMO, ce qui avait mis fin à leur protection.
L’avocate générale a commencé par évoquer les faits concernant EFNS, en rappelant que la Cour avait entendu ses mots, ses cris et ses pleurs. EFNS a d’abord expliqué avoir été la cible de Kundi et ses hommes qui ne retrouvaient pas AG. Puis, elle a été capturée par B, un soldat sous les ordres de CO Kundi. Elle a décrit du mieux qu’elle a pu les viols sordides et inhumains dont elle a été victime, alors qu’elle était nue et attachée selon la méthode du tabé. Elle a évoqué cette baïonnette saupoudrée de sel, ses séquelles, son infertilité et son traumatisme encore présent. L’avocate générale a indiqué que EFNS n’avait pas été en mesure de terminer son récit, tant elle avait été débordée par la violence et le choc. Elle a dit avoir reconnu Kundi lors de l’audience dans le mot qu’elle a remis à son avocate.
Selon l’avocate générale, il convient également de se reporter à ses premières déclarations qui ont été lues durant l’audience. EFNS a expliqué être parvenue à s’échapper de la maison de B, nue. Ses hurlements avaient réuni un groupe de personnes dans la rue, dont le frère de B. Une fois à l’extérieur, EFNS a expliqué au frère de B ce qui lui était arrivé et Kundi s’est approché pour s’enquérir de la situation. Selon EFNS, Kundi n’a eu comme seule réponse « Oh, je croyais que c’était pour quelque chose de grave qu’on m’avait appelé ». Elle a précisé que le frère de B était parvenu à la faire libérer et expliqué qu’elle avait ensuite été séquestrée et violée jusqu’à ce qu’elle se réfugie dans la brousse où RSK l’a soignée. Selon EFNS, Kundi n’a pas participé aux viols, mais a laissé faire son subordonné alors qu’il aurait pu réagir en sa qualité de supérieur hiérarchique. L’avocate générale a également rappelé que EFNS a donné une description physique correspondante de l’accusé, à savoir un homme de petite taille, vêtu d’une tenue militaire. Sur la planche photographique qui lui a été présentée, elle a désigné deux photos, dont une représentant Kunti Kamara. L’avocate générale a reconnu qu’il n’y avait pas eu d’expertise médico-légale sur EFNS, mais cela s’expliquait par l’absence de personnel formé à l’époque des faits. Il faut donc se contenter du certificat médical imparfait, mais qui a le mérite d’exister et dont on ne peut exclure que les séquelles dont souffre EFNS sont en lien avec les faits. Selon l’avocate générale, aucun élément ne permet par ailleurs de remettre en doute la sincérité et la crédibilité de EFNS, d’autant plus compte tenu de la marginalisation dont font l’objet les femmes victimes de viols au Libéria.
S’agissant des faits relatifs à RSK, l’avocate générale a déclaré que RSK s’était illustrée par la constance de ses déclarations tout au long de la procédure. La jeune femme a expliqué avoir appris la capture de son amie EFNS après le départ d’AG et avoir tenté de rendre visite à cette dernière. C’est à cette occasion qu’elle a été capturée à son tour par deux soldats de Kundi. Elle a supplié Kundi de lui venir en aide car il était un chef important, mais elle n’a recueilli qu’un rire et une indifférence totale. Elle a ainsi été trainée au sol et violée dans une maison voisine. Par la suite, RSK a expliqué que chacune de ses visites à EFNS était un prétexte pour la violer et la frapper à coups de crosse, ce qui l’a poussée à fuir en Guinée en laissant son amie EFNS aux mains de B. Selon l’avocate générale, RSK a inscrit ces faits dans un récit plus large en expliquant que de nombreuses femmes avaient subi le même sort. L’avocate générale a ensuite rappelé que RSK a donné une description de Kunti Kamara : commandant, basé à Foya, âgé d’une vingtaine d’années, tenue militaire et taille moyenne. Selon l’avocate générale, la défense fera remarquer que Kundi est de petite taille, mais l’appréciation de RSK peut s’expliquer par le fait qu’elle n’était elle-même pas très grande au moment des faits, en raison de son jeune âge, et avait peut-être été impressionnée par Kundi. L’avocate générale a également souligné que RSK avait reconnu Kunti Kamara avec émotion à l’audience. Elle a décrit la maison de l’accusé, les surnoms qui lui étaient donnés, ou encore les chants déclamés par ses soldats à sa gloire. L’avocate générale a rappelé que la crédibilité des propos de RSK a été soulignée par l’experte-psychologue Amal Hachet, qui a indiqué que le récit de RSK était très clair et que cette dernière n’a montré aucun signe d’exagération. RSK s’est montrée mesurée dans ses propos en faisant bien la distinction entre les auteurs directs et Kunti Kamara, qui ne l’avait pas touchée, mais avait la possibilité de sanctionner. L’experte a également indiqué que RSK souffrait d’un syndrome post-traumatique important et souligné qu’en dépit de la grande résilience dont elle faisait preuve, elle restait enfermée dans ce moment douloureux de sa vie. L’avocate générale a ensuite reconnu l’absence d’examen médico-légal sur RSK et relevé que ce type d’examen n’avait aucun intérêt compte tenu de l’écoulement du temps. Ici encore, l’avocate générale a précisé que RSK n’avait aucun intérêt à livrer un faux témoignage vu la marginalisation dont font l’objet les femmes libériennes victimes de viol, ce qui a d’ailleurs été expliqué à l’audience par Massa Washington.
L’avocate générale a invité la Cour à se rappeler que EFNS et RSK ont mis en cause Kunti Kamara de manière précise et constante, et mis en évidence sa position hiérarchique ainsi que le fait qu’il n’a pris aucune mesure pour faire cesser ou empêcher les viols. Au contraire, il a manifesté son indifférence. L’avocate générale a demandé à la Cour de déclarer Kunti Kamara coupable de l’ensemble des faits. Elle a précisé qu’il ne s’agissait pas de condamner Kunti Kamara aveuglément, car un travail de tri (« tamis de la justice ») avait été effectué en amont et avait résulté à écarter d’autres crimes pour lesquels l’accusé avait été mis en cause, faute de preuves suffisantes. Selon l’avocate générale, le Ministère public doit faire la part des choses entre les faits caractérisés et ceux qui, bien que possibles, sont considérés comme pas suffisamment détaillés ou établis.
De certains arguments de la défense
L’avocate générale a ensuite tenu à revenir sur certains des arguments invoqués par Kunti Kamara et ses conseils. Elle a d’abord rappelé que Kunti Kamara était demeuré inflexible tout au long de la procédure, avait clamé son innocence et démenti avec vigueur toute forme d’exaction commise par l’ULIMO. En s’exprimant sur la guerre civile, il a évoqué la peur de mourir, mais a nié l’évidence lorsqu’il s’est agi de parler du sort des civils. Selon l’avocate générale, Kunti Kamara s’est enfermé dans la négation de tous les éléments de preuve. Il a nié la responsabilité de l’ULIMO et la sienne dans la commission d’exactions contre les civils. Il a opposé les mêmes réponses s’agissant des viols, des pillages, des meurtres, des checkpoints, etc. Il a voulu faire croire à la Cour qu’il avait vécu la première guerre civile au Libéria sans avoir été témoin d’une seule exaction commise contre les civils. Selon l’avocate générale, ce déni ne peut qu’interroger sur la crédibilité des déclarations de l’accusé.
L’avocate générale est ensuite revenue sur la critique virulente formulée par la défense vis-à-vis de l’instruction, en particulier sur le déroulé de l’enquête et le recueil des témoignages. L’avocate générale a rappelé qu’un travail de corroboration avait été effectué et a indiqué qu’en matière de crimes contre l’humanité, il convient d’investiguer de façon différente, d’autant plus 30 ans après les faits. Selon l’avocate générale, il faut faire preuve de pragmatisme, car les moyens d’enquête ne sont d’aucune utilité sans scène de crime et sans scellés. S’agissant plus précisément des faits commis au préjudice de DN et de KT, la défense a fait grand cas de l’absence d’exhumation des cadavres. L’avocate générale a relevé à titre liminaire que la demande d’exhumation était intervenue bien tardivement et qu’aucune demande n’avait été formée en ce sens pendant les deux ans qu’a duré l’instruction. Elle a ajouté que ces exhumations n’auraient pas permis d’acquitter ou de condamner Kunti Kamara puisqu’il n’aurait pas été possible de retrouver son ADN au vu du temps écoulé. Cela aurait simplement permis de confirmer la mort de DN et KT, ce qui revenait à remettre en doute la parole d’une veuve ou d’un frère. L’avocate générale s’est appuyée sur le témoignage de l’adjudant-chef Peruggia, qui a déclaré n’avoir jamais procédé à des exhumations lors de ses 27 déplacements internationaux. S’agissant de l’exhumation du corps de l’enfant de KT évoquée par la défense, l’avocate générale s’est demandé si NS s’était inventé un fils. Quant au corps de DN, enterré sous la Palava Hut avec d’autres cadavres, les fouilles auraient peut-être permis de retrouver les câbles électriques avec lesquels ce dernier avait été attaché. Il aurait néanmoins été difficile d’affirmer avec certitude qu’il s’agissait de DN sans disposer de ses ossements. Selon l’avocate générale, il n’y a pas eu d’exhumation car il ne s’agit pas de prouver la mort des victimes, mais d’établir la culpabilité de Kunti Kamara. L’argument de la défense doit ainsi être écarté.
Un autre argument de la défense a consisté à dénier toute force probante aux déclarations des témoins et parties civiles au motif qu’ils ne connaissaient pas leurs dates de naissance. Selon l’avocate générale, pour chaque personne qui n’a pas été en mesure de donner son âge précis, la défense a considéré qu’on ne pouvait ni être sûr qu’il s’agissait bien du témoin cité ni vérifier la réalité des liens avec l’accusé. L’avocate générale a déclaré qu’une telle ligne de défense consistait à contester l’existence même des témoins et la valeur de leur parole, au mépris de la diligence dont les autorités françaises ont fait preuve pour vérifier leur identité. Elle a rappelé qu’il n’existait pas de registre d’état civil au Libéria à l’époque et que le rapport des Libériens au temps était différent du nôtre.
L’avocate générale est revenue sur un autre point largement débattu : l’identification de l’accusé par les témoins et les parties civiles. Elle a rappelé que la défense a mis en évidence le fait que tous les témoins ne l’ont pas reconnu. L’avocate générale a souligné que tous avaient donné des descriptions physiques similaires de Kunti Kamara : petite taille, jambes arquées, léger strabisme, mâchoire édentée – ce que l’expert Philippe Oudy a également relevé. Sur ce dernier point, l’avocate générale a rappelé que Kunti Kamara a lui-même remercié la Cour pour les soins dentaires reçus en prison. Concernant le strabisme de l’accusé, l’avocate générale a laissé à la Cour le soin d’apprécier la planche photographique figurant au dossier. Quant aux témoins qui ne l’ont pas reconnu sur photo, l’avocate générale l’a expliqué par le fait que l’identification de Kunti Kamara était difficile en l’absence de signes non verbaux. Elle a également souligné le fait que certains témoins n’avaient pas hésité à dire qu’ils ne le reconnaissaient pas et qu’il ne s’agissait donc pas de reconnaissances de complaisance.
Le troisième argument qu’a souhaité aborder l’avocate générale concerne la prétendue absence de Kunti Kamara de Foya au moment des faits. L’avocate générale a souligné que les exemples n’avaient pas manqué pour soutenir que l’accusé avait bien vécu à Foya et qu’il n’a existé aucune confusion entre la ville et le district. Elle a relevé que l’accusé n’avait invoqué l’existence d’un front reculant jusqu’à la frontière à Mendekoma qu’à deux reprises alors qu’il avait été entendu une dizaine de fois. Elle a également souligné le fait qu’aucun témoin ou partie civil n’a évoqué des combats entre l’ULIMO et d’autres groupes armés après la prise de Foya et rappelé qu’Alieu Kosiah a déclaré qu’il n’y avait pas de front à Foya.
Le dernier argument sur lequel l’avocate s’est penchée est la thèse du complot, dont Kunti Kamara serait victime. Selon l’avocate générale, l’accusé en veut pour preuve le fait qu’il n’a jamais été incriminé avant que son nom soit révélé par Alieu Kosiah. Or, cela est faux puisqu’en 2008, le nom de CO Kundi a été prononcé devant la CVR. Kunti Kamara s’est également appuyé sur l’absence de dépôt de plainte à son encontre avant 2018. Selon l’avocate générale, la situation au Libéria et les coûts que représentent l’ouverture d’une procédure ont rendu illusoire le dépôt d’une plainte par les victimes. S’agissant des motifs qui sous-tendent ce prétendu complot, Kunti Kamara a repris les arguments d’Alieu Kosiah selon l’avocate générale, à savoir des considérations financières, la possibilité d’obtenir l’asile dans un pays occidental ou encore la vengeance ethnique. Or, aucun témoin ou partie civile n’a fait part de considérations ethniques ou communautaires. Selon l’avocate générale, si les personnes auditionnées sont majoritairement des Kissis, c’est parce qu’il s’agit du groupe majoritaire dans le district de Foya. Par ailleurs, aucun témoin ou partie civile n’a formé une demande d’asile. Selon l’avocate générale, les seuls qui ont menti pour obtenir l’asile sont Alieu Kosiah et Kunti Kamara. S’agissant des compensations financières, l’avocate générale a indiqué qu’aucun témoin ne touchera une indemnité. Les parties civiles peuvent quant à elles demander une indemnité en cas de condamnation de l’accusé, mais en France comme en Suisse, si l’accusé ne peut pas payer, l’indemnisation par l’État n’entre pas en ligne de compte si la victime ou le lieu de commission du crime se situe à l’étranger. In fine, selon l’avocate générale, la seule motivation des témoins et parties civiles qui sont venus déposer à 5'000 km de chez eux est leur soif de justice et leur espoir d’être reconnus en tant que victimes.
Au vu de ce qui précède, l’avocate générale a demandé le rejet pur et simple des arguments développés par la défense.
De la traduction en droit des crimes reprochés à l’accusé et de sa responsabilité pénale
L’avocate générale a ensuite opéré la traduction en droit des crimes décrits précédemment. Elle a commencé par rappeler les charges retenues contre de l’accusé, qui a été mis en accusation des chefs d’actes de torture et de barbarie simples et aggravés à l’encontre de DN, KT, JTC, SFC et LSM, de complicité d’actes de torture et de barbarie constitutifs de crimes contre l’humanité à l’encontre de RSK et EFNS, et de complicité d’actes de torture et de barbarie à l’encontre de RSK et de EFNS. L’avocate générale a expliqué que le chef de torture était poursuivi aussi bien en droit pénal français qu’en droit international (Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants signée à New-York en 1984). Elle a précisé qu’en 1993, l’infraction d’acte de torture n’existait pas en tant que telle dans la législation française et qu’il s’agissait plutôt d’une circonstance aggravante des crimes et des délits. Ce crime a été introduit plus tard dans le Code pénal.
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la réalisation de l’infraction d’acte de torture suppose un élément matériel (i.e. i.e. la commission d’un ou plusieurs actes qui dépassent les simples violences et qui occasionnent des souffrances particulières) et un élément moral (i.e. la volonté de nier la dignité de la personne humaine). L’avocate générale a expliqué que d’autres critères étaient également pris en compte, tels que l’intensité de la violence, la vulnérabilité des victimes, ou encore le caractère répété et durable des sévices. Selon l’avocate générale, à l’issu de l’exposé de l’ensemble des faits, la qualification de torture ne souffre aucune contestation. Elle a rappelé que DN avait été soumis à la méthode du tabé et roué de coups avant que son cœur soit extrait de sa cage thoracique à l’aide d’une hache. Selon elle, au-delà de l’extrême souffrance infligée à DN, l’acte dénote une perversité et une cruauté particulières. Concernant l’exécution de KT, l’avocate générale a évoqué une jeune femme affaiblie, qui venait de perdre son enfant et qui était malade. Cette dernière a été traînée au sol et tuée d’une rafale en plein visage. Selon l’avocate générale, la vulnérabilité particulière de KT renforçait l’horreur et consistait une circonstance aggravante. S’agissant des marches forcées, l’avocate générale a déclaré que JTC et SFC avaient été contraints de porter de très lourdes charges sur de longues distances, de manière répétée. Elle a évoqué les douleurs intenses qui s’en suivaient ainsi que la violence et le climat de terreur qui régnait lors des transports. Concernant enfin LSM, l’avocate générale a rappelé que ce dernier avait été attaché selon la méthode du tabé et traîné au sol sur plusieurs mètres. Il avait également assisté à l’assassinat du reste du groupe. L’avocate générale a indiqué que pour chacun de ces faits, Kunti Kamara a pris une part active en tant qu’auteur ou coauteur.
A la question de savoir si ces faits pouvaient être qualifiés de torture sous l’angle du droit international, l’avocate générale a expliqué que l’article premier de la Convention de New York rejoignait la définition dégagée par la jurisprudence française en y ajoutant deux éléments. La Convention de New York impose d’une part que l’acte de torture ait pour objectif d’obtenir des renseignements ou des aveux, de punir, d’intimider ou de faire pression sur une personne ou tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. L’avocate générale a déclaré que cette condition était réalisée compte tenu du climat de terreur instauré pour contrôler la population civile et compte tenu du fait que les Kissis étaient visés spécifiquement puisqu’ils étaient soupçonnés d'être de connivence avec le NPFL. D’autre part, la Convention de New York exige que l’acte de torture soit infligé par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel. A cet égard, l’avocate générale a estimé que Kunti Kamara avait commis ces crimes en sa qualité de commandant officiel de l’ULIMO. Elle a ajouté que cette qualité devait s’apprécier concrètement au regard des faits et qu’en l’espèce, il fallait considérer l’ULIMO comme une autorité officielle compte tenu du contrôle que ce groupe armé non étatique exerçait sur le comté de Lofa. Selon l’avocate générale, le contrôle de l’ULIMO dépassait le simple contrôle militaire. En effet, l’ULIMO était la seule autorité à Foya de 1993 à 1995 et était en charge de l’administration (mise en place d’un couvre-feu et du bureau S2 permettant le recensement et le traçage de la population). Ainsi, l’avocate générale a considéré que cette seconde condition était remplie et que Kunti Kamara s’était rendu coupable d’actes de torture et de barbarie simples et aggravés à l’encontre de DN, KT, JTC, SFC et LSM.
L’avocate générale a ensuite examiné la responsabilité de l’accusé pour les faits de complicité d’actes de torture constitutifs de crimes contre l’humanité, commis en 1994 au préjudice de EFNS et de RSK. L’avocate générale a rappelé que les viols subis par EFNS et RSK ont été particulièrement violents et dénotent une perversité particulière chez les auteurs. erL’avocate générale a précisé que le crime contre l’humanité avait été introduit à l’article 212-1 du Code pénal français le 1er mars 1994 et qu’auparavant, seuls les crimes contre l’humanité commis dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale pouvaient être poursuivis. En vertu de cette disposition, le crime contre l’humanité consiste notamment en la déportation, la réduction en esclavage, la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, l’enlèvement de personnes, ou la torture et les actes inhumains et dégrandants. A l’aune de sa définition, le crime contre l’humanité est commis dans un contexte particulier et spécifique visant à terroriser la population civile pour la soumettre. On retrouve également l’élément du plan concerté. Selon l’avocate générale, il ne s’agit pas d’une entente préalable entre les auteurs. Le plan concerté s’apprécie concrètement et se constate. La préparation des actions meurtrières se déduit de la manière dont ces actions se déroulent sur un territoire.
L’avocate générale a évoqué un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 24 novembre 2021. Cet arrêt est venu préciser les conditions de la double incrimination en matière de compétence universelle au regard du crime contre l’humanité. A ce titre, a notamment été exigée l’identité de l’ensemble des éléments constitutifs entre les dispositions françaises et étrangères. L’avocate générale a rappelé que cette décision n’était pas définitive et qu’il appartiendra à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation de statuer à ce sujet.
L’avocate générale a déclaré que Kunti Kamara s’était rendu complice des crimes commis au préjudice de EFNS et de RSK et que trois questions se posaient. La première est de savoir si les débats ont mis à jour une pratique massive et systématique de torture contre la population civile par l’ULIMO. Dans l’affirmative, il convient de se demander si les faits commis à l’encontre de RSK et EFNS se sont inscrits dans une telle pratique. La dernière question tient à déterminer la responsabilité de Kunti Kamara concernant ces faits.
S’agissant de la première question, l’avocate générale a rappelé que le propre des crimes contre l’humanité était de viser les populations civiles. Elle a expliqué que la documentation rassemblée sur la guerre civile au Libéria et les explications des témoins de contexte ont permis d’établir que les crimes ciblaient les civils en raison de leur ethnie ou de leur situation, indépendamment de leur participation aux hostilités. Selon l’avocate générale, les témoignages ont convergé sur le fait que les habitants de Foya ont été réduits en esclavage selon le même mode opératoire que celui appliqué dans d’autres territoires contrôlés par l’ULIMO. En effet, l’ULIMO a mis en place un programme sommaire visant à contrôler les territoires et asseoir sa mainmise sur la population. L’avocate générale a rappelé que les crimes contre l’humanité n’étaient pas nécessairement le fait d’un État, mais pouvaient être le fait d’un groupe armé. En ce sens, l’avocate générale s’est référée à l’arrêt rendu par la Cour pénale internationale le 7 mars 2014 dans l’affaire Katanga, qui a abouti à la condamnation de cet ancien responsable de groupe armé pour les crimes contre l’humanité commis par son groupe. Selon l’avocate générale, la qualification de crimes contre l’humanité est ainsi parfaitement appropriée pour qualifier les crimes commis par l’ULIMO dans le Lofa, et plus particulièrement à Foya.
S’agissant de la question de savoir si les faits commis au préjudice de RSK et EFNS se sont inscrits dans le cadre de crimes systématiques et massifs commis à l’encontre de la population civile, l’avocate générale a déclaré qu’il était documenté que les femmes avaient été particulièrement violentées et maltraitées sous l’occupation de l’ULIMO. Selon elle, ces crimes étaient systématiques dès l’arrivée de l’ULIMO dans un village et s’inscrivaient dans le programme d’exploitation des populations. Elle a précisé que le crime contre l’humanité ne se définissait pas par le nombre de crimes commis, mais par le fait qu’il s'inscrit dans une pratique. En l’occurrence, il n’y a pas de doute sur le fait que les crimes commis ont été plus nombreux que ceux dont la Cour est appelée à connaître. L’avocate générale a affirmé que les viols perpétrés au préjudice de RSK et EFNS, au-delà de leur exceptionnelle gravité, s’étaient inscrits dans le cadre des actions criminelles menées par l’ULIMO et devaient être qualifiés de crimes contre l’humanité.
Enfin, l’avocate générale a invité la Cour à se pencher sur la responsabilité de Kunti Kamara, et en particulier sur sa complicité par aide ou assistance à la commission des crimes commis au préjudice de RSK et EFNS. L’avocate générale a rappelé que l’article 121-7 du Code pénal français exige ni que le complice partage l’intention des auteurs, ni qu’il adhère ou approuve le plan concerté. La loi impose que le complice ait eu connaissance de l’intention de l’auteur de commettre le crime, et que la présence du complice facilite le passage à l’acte criminel. L’avocate générale a indiqué qu’en matière de complicité, la jurisprudence a développé une conception large, en ce qu’elle a admis que la simple présence d’un individu sur le lieu de commission d’un crime permet de caractériser une complicité. La participation à la commission peut constituer en une abstention si le complice dispose d’un pouvoir quelconque pour s’opposer au crime. Le complice doit savoir qu’un crime va être commis et que sa contribution en facilite la commission.
Selon l’avocate générale, les viols massifs commis au Libéria l’ont été au vu et au su de tous. Au vu de sa position et de ses responsabilités au sein de l’ULIMO, Kunti Kamara ne pouvait ignorer le caractère généralisé et systématique des viols contre les civils. L’avocate générale a affirmé qu’il avait nécessairement adhéré à cette pratique, puisqu’il n’avait pas eu un comportement de retrait ou une action de désolidarisation. De même, son positionnement durant le procès allait en ce sens. L’avocate générale a précisé que les tortures sexuelles commises au préjudice de RSK et de EFNS étaient le fait des subordonnés de Kunti Kamara et que ce dernier se situait à proximité immédiate des faits. En outre, les victimes lui ont demandé d’intervenir en sa qualité de supérieur hiérarchique. Or, dans les deux cas, sa seule réaction a été de rire et de banaliser leurs supplices. Les viols se sont reproduits, puisque l’accusé n’a pas pris les mesures nécessaires pour sanctionner les responsables pourtant placés sous ses ordres. Ainsi, selon l’avocate générale, Kunti Kamara s’est rendu complice par assistance de ces faits, étant précisé que sa responsabilité est celle d’un supérieur hiérarchique.
L’avocate générale s’est ensuite penchée sur le choix de deux qualifications pénales distinctes et sur le concours idéal d’infractions. Elle a expliqué qu’il était possible de choisir deux infractions pour autant qu’elles visent deux intentions différentes ou protègent des intérêts distincts. La jurisprudence avait néanmoins évolué par arrêt du 15 novembre 2021, puisqu’il était désormais interdit de cumuler deux qualifications juridiques pour un même fait, notamment lorsqu’une infraction constitue une circonstance aggravante de l’autre. En telle hypothèse, c’est l’infraction la plus large qui doit être retenue. Selon l’avocate générale, l’infraction de torture est incluse dans celle de crime contre l’humanité. Elle a ainsi demandé à la Cour d’acquitter Kunti Kamara de complicité d’actes de torture et de barbarie et de le reconnaître coupable de complicité d’actes de torture et de barbarie constitutifs de crime contre l’humanité.
De la fixation de la peine
L’avocate générale a rappelé que l’objectif poursuivi par la peine prononcée était d’éviter une récidive et de protéger et rééquilibrer l’ordre social. Elle a expliqué que la loi prévoyait une peine maximale pour chaque infraction. Pour l’infraction de crime contre l’humanité, la peine maximale est la réclusion criminelle à perpétuité à la fois pour les auteurs et les complices. C’est donc la peine encourue par Kunti Kamara pour les faits concernant RSK et EFNS. En ce qui concerne les actes de torture simples commis au préjudice de JTC, SFC, LSM et DN, Kunti Kamara encourt une peine de 15 ans de réclusion criminelle. S’agissant des actes de torture aggravés commis au préjudice de KT, il encourt une peine de 20 ans de réclusion criminelle.
L’avocate générale a déclaré que les peines maximales encourues paraissaient singulièrement basses au vu de l’extrême gravité des actes dont il est question et a donc tenu à citer quelques repères étrangers. Elle a expliqué que Mohammed Jabbateh avait été condamné à 30 ans de prison aux États-Unis pour parjure et qu’Alieu Kosiah avait été condamné à 20 ans de réclusion criminelle en Suisse, soit la peine maximale encourue au moment des faits en application de l’ancien code pénal militaire suisse.
L’avocate générale a déclaré que ce procès était une lueur d’espoir pour les victimes dans leur combat contre l’impunité et que leurs attentes étaient partagées par l’ensemble de la population libérienne. Elle a ajouté que la juste peine devait tenir compte du comportement global de Kunti Kamara et de sa responsabilité. Selon l’avocate générale, Kunti Kamara est un auteur direct, mais aussi un supérieur hiérarchique qui doit endosser les crimes commis par ses subordonnés. Elle a précisé que Kunti Kamara avait fait le choix de rejoindre l’ULIMO et d’y rester. Elle a souligné que son adhésion à l’ULIMO était encore intacte à ce jour.
S‘agissant de la personnalité de l’accusé, l’avocate générale a déclaré qu’il fallait prendre en compte le fait qu’il avait noué des relations superficielles en Europe, puisqu’il a dissimulé son passé. Son parcours de fuite a été marqué par le mensonge et la dissimulation, allant au-delà d’une simple minimisation. A cet égard, l’avocate générale a rappelé que l’accusé avait dupé les autorités néerlandaises afin d’obtenir l’asile puis la nationalité. Elle a soutenu que Kunti Kamara avait systématiquement banalisé et minimisé ses manœuvres mensongères, sans manifester aucun regret. Selon l’avocate générale, le parcours de vie de Kunti Kamara est un parcours de fuite qui n’en finit pas. S’agissant de son positionnement par rapport aux crimes commis et à la guerre civile, l’accusé n’a aucune distance par rapport à ces événements et ne regrette rien de son engagement au sein de l’ULIMO. Selon l’avocate générale, Kunti Kamara l’a dit lui-même : si la guerre reprenait demain, nul doute qu’il reprendrait les armes pour défendre sa communauté. L’avocate générale a également souligné le fait que l’accusé a contesté l’ensemble des faits qui lui sont reprochés en traitant les témoins et les parties civiles de menteurs, allant même jusqu’à contester tout crime commis par l’ULIMO. Selon l’avocate générale, une telle attitude est inquiétante en termes de récidive. Elle a ajouté qu’il n’avait jamais eu l’intention de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés. Pour preuve, il a tenté de prendre la fuite alors que les services de police étaient sur le point de l’interpeller. Elle a ajouté que la violation de ses obligations alors qu’il était sous contrôle judiciaire attestait de son mépris pour les décisions de justice. L’avocate générale a enfin souligné que la responsabilité de Kunti Kamara était pleine et entière puisqu’il ne présente pas d’anomalie psychique ou de dysfonctionnement de discernement. L’avocate générale a déclaré : « On peut être un homme ordinaire et commettre des crimes extraordinaires ».
L’avocate générale a ensuite rendu hommage aux victimes qui sont venues témoigner et qui sont toutes retournées à Foya avec leurs blessures et leurs peurs. Elle a souligné que les crimes dont Kunti Kamara s’est rendu coupable étaient les plus graves qu’il soit. Selon l‘avocate générale, ces crimes ont détruit des familles et la communauté de Foya, et ont porté atteinte à l’humanité toute entière. Selon elle, la virulence exprimée par l’accusé à l’égard des victimes et son opacité quant à sa responsabilité et celle de son groupe armé, dont il a nié les ravages, constituent un réel danger pour les victimes, la population de Foya et l’humanité tout entière.
L’avocate générale a invité la Cour à rendre une décision juste et a insisté sur le fait que celle-ci sera historique et scrutée, ici et ailleurs, puisqu’il s’agira de la première décision concernant des crimes contre l’humanité commis au Libéria. L’avocate générale a invité la Cour à adresser un message clair aux anciens tortionnaires qui prennent la fuite alors que l’étau se resserre, dans le but de se soustraire à leur responsabilité. Ce message est que la France ne doit pas être le dernier refuge des criminels contre l’humanité.
Au vu de ce qui précède, l’avocate générale a demandé à la Cour de condamner Kunti Kamara à la réclusion criminelle à perpétuité.
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Plaidoirie de Me Maryline Secci
L’avocate de la défense a débuté sa plaidoirie en soulignant que les faits de torture et barbarie et de crime contre l’humanité dont est accusé Kunti Kamara constituent des qualifications exceptionnelles et très graves, mais que cette gravité ne devait pas aveugler la Cour. Elle a déclaré qu’elle ne comprenait pas comment il était possible que son client se soit retrouvé devant une Cour d’assises. Elle a rappelé à la Cour ce qui lui a été dit et répété, à savoir qu’elle était amenée à juger un homme pour des faits commis au Libéria il y a presque 30 ans au nom de la compétence universelle. Or, selon l’avocate de la défense, il n’existe aucun lien entre la France et le Libéria et bien que le but de la compétence universelle semble très louable, le postulat de départ est compliqué compte tenu du décalage culturel et de notre propre ignorance. Selon l’avocate de la défense, il y a eu de nombreuses tentatives de combler ce fossé notamment grâce à des documentaires, des témoins de contexte et des remises en situation, mais la réalité était que personne dans la salle d’audience ne savait comment fonctionnait la société libérienne ni n’avait une compréhension précise de la première guerre civile. Elle a ajouté : « Nous avons appréhendé les débats sous notre propre prisme et avec nos codes culturels. Or, pour juger, il faut comprendre. Si on ne comprend pas le contexte ou si on a une vision partielle ou biaisée, on ne peut pas juger correctement une personne ». Elle a ajouté que la France se targuait d’avoir un système judiciaire capable de juger les crimes les plus graves et rappelé que Layee Bamba et Mohammed Kenneh avaient tenté de rassurer Kunti Kamara, car il allait être jugé en France, le pays des droits de l’Homme. C’est la raison pour laquelle Kunti Kamara est resté en France et a accepté de parler aux autorités. Or, selon l’avocate de la défense, son client n’a pas bénéficié d’un procès équitable et ce à plusieurs égards.
L’avocate de la défense a tout d’abord souligné le manque de moyens accordés à la défense, qui s’est vue octroyer les mêmes moyens que pour un crime de droit commun alors que les faits sont anciens et auraient été commis à des milliers de kilomètres. Elle a déclaré n’avoir eu à sa disposition aucun moyen financier ou logistique pour recueillir des preuves, alors que la partie civile a été aidée par le GJRP et les frais du Ministère public ont été pris en charge par l’État français. L’avocate de la défense a également évoqué le déplacement de sa consœur au Libéria, qui n’a reçu aucun dédommagement. Cette dernière a simplement demandé qu’une voiture et un chauffeur soient mis à sa disposition et a été accusée par la partie civile d’avoir pris des photos sur place, qui ont été effacées devant le juge d’instruction. L’avocate de la défense a relevé que le Ministère public en avait profité pour ouvrir une procédure contre le chauffeur de la défense, ce qui avait anéanti toute possibilité de trouver des témoins à décharge. Selon l’avocate de la défense, le dossier qui a été présenté à la Cour est biaisé puisqu’il contient uniquement des témoignages à charge contre l’accusé.
L’avocate de la défense a ajouté que l’équipe de défense de Kunti Kamara comptait seulement deux avocats, contraints de se partager l’aide juridictionnelle, malgré la gravité des charges pesant contre l’accusé et le fait qu’il ne s’agit pas d’un dossier de droit commun. L’avocate de la défense a ajouté que ni Me Tarek Koraitem ni elle-même ne disposaient de collaborateurs pour leur prêter main forte, ce qui expliquait le fait que l’incident de procédure sur la prescription a été soulevé tardivement.
L’avocate de la défense a relevé une autre entorse au principe du procès équitable, dans la mesure où les remises en situation se sont déroulées hors la présence de l’accusé. L’adjudant-chef Peruggia a invoqué des difficultés logistiques, mais selon l’avocate de la défense, tout le monde a estimé qu’il n’y avait pas besoin de Kunti Kamara sur place et qu’on pouvait très bien faire sans lui, car tous le considéraient déjà comme coupable. Selon elle, l’accusé aurait pu expliquer la distinction en Foya City et Foya District s’il s’était rendu sur place. Elle a rappelé que cette question n’a jamais été posée lors de l’instruction et déclaré : « Aucun de nous n’avait assez de connaissance pour penser que Foya pouvait signifier à la fois le district et la ville de Foya. Nous avons été induits en erreur par notre propre ignorance ».
L’avocate de la défense a soulevé un dernier point concernant le caractère inéquitable du procès de Kunti Kamara. Selon elle, les débats ont été marqués par une grande bienveillance à l’égard des victimes, mais surtout pas à l’égard de l’accusé. Elle a déclaré que tout le monde était agacé dès que l’accusé ouvrait la bouche, peu importe ce qu’il avait à dire. Quand il répondait aux questions, on ne voulait pas qu’il s’explique, mais qu’il avoue. Selon l’avocate de la défense, lorsqu’un témoin ou une partie civile n’est pas capable de donner des dates ou qu’il se contredit, tout le monde s’accorde à dire que c’est à cause du temps écoulé. En revanche, on attend de l’accusé un récit complet, précis et cohérent. Tout ce qu’il dit est considéré comme suspect et on lève les yeux au ciel quand il essaie de donner une explication. Selon l’avocate de la défense, on a voulu à tout prix écarter Kunti Kamara des débats.
L’avocate de la défense est ensuite revenue sur la théorie du complot. Elle a déclaré que ce n’était pas à l’accusé de répondre à la question de savoir pourquoi un tel ou un tel le désignait comme étant l’auteur des faits vu qu’il n’y était pour rien. Selon l’avocate de la défense, on a obligé l’accusé à justifier l’objet de son accusation, alors que ce n’est pas son rôle. Il appartient au Ministère public de prouver que Kunti Kamara a commis ces crimes.
Compte tenu de tous les éléments évoqués, y compris le mépris manifesté à l’égard de Kunti Kamara, dont les réponses ont sans cesse été remises en doute, l’avocate de la défense a demandé aux jurés s’ils considéraient que Kunti Kamara avait bénéficié d’un procès équitable dans un pays et une langue qui ne sont pas les siens.
L’avocate de la défense a ensuite abordé la question de la preuve et mis en lumière l’absence de preuves matérielles : pas de dates de naissance, pas de corps, pas de papiers d’identité. Elle a déclaré que nul ne pouvait se voir reprocher un crime sans preuve ou meurtre sans corps. L’avocate de la défense a pointé les lacunes de l’enquête, en particulier le peu d’efforts déployés pour retrouver des restes humains ou enquêter sur les destructions antérieures commises par le NPFL. Selon elle, les enquêteurs se sont contentés de témoignages et cela est insuffisant en 2022 car le témoignage n’est plus le seul moyen de preuve.
L’avocate de la défense a souligné que ce procès reposait entièrement sur la parole des victimes, car le temps efface les preuves matérielles et les témoins sont rares. Il faut donc se contenter d’une poignée de témoignages pour condamner un homme à la peine maximale. Les témoignages sont les seuls éléments dont dispose l’accusation, de sorte qu’elle a voulu leur conférer la valeur de preuve irréfragable. Or, selon l’avocate de la défense, la plupart de ces témoignages font l’objet de contradictions. L’accusation et la partie civile ont tenté d’expliquer que ces contradictions donnaient de la crédibilité aux propos et ont systématiquement retenu la version mettant en cause Kunti Kamara. Cependant, la défense s’est offusquée à chaque fois de ces manquements et imprécisions, car le standard de preuve ne peut pas être modifié lorsque l’on parle de crime contre l’humanité. Le même niveau de preuve que pour n’importe quelle autre affaire doit être exigé. L’avocate de la défense a reproché à ces témoignages leurs contradictions en lien avec les mêmes faits. Elle a reproché à l’accusation de s’appuyer parfois sur un seul témoin direct et s’est demandé comment il était possible de condamner un homme pour un crime si grave en s’appuyant sur un seul témoin direct, près de 30 ans après les faits, alors qu’un tel témoignage ne vaudrait presque rien dans une affaire de droit commun. Elle a ajouté que tout ce que les témoins disaient a été pris pour argent comptant, alors que tout ce que disait Kunti Kamara était un mensonge. Pourtant, l’accusation et la partie civile étaient bien contents lorsque l’accusé a reconnu qu’il était un soldat de l’ULIMO. Selon l’avocate de la défense, l’accusation et la partie civile ont pris ce qui les arrangeait et tout le reste a été utilisé contre l’accusé. Un autre exemple est le témoignage d’Alieu Kosiah, auquel du crédit a été donné alors qu’il a été condamné en Suisse pour des faits similaires. L’avocate de la défense a déclaré que si la Cour estimait que la parole d’un témoin valait plus que celle de l’accusé, cela signifiait qu’elle présumait Kunti Kamara coupable, ce qui est contraire au bon fonctionnement de la justice.
S’agissant de l’attitude de l’accusé à l’égard des victimes, l’avocate de la défense a relevé qu’il n’était pas dans sa culture de montrer de la compassion, comme l’avait justement souligné l’expert, qui a noté une grande réserve dans l’expression des ressentis au sein de la culture africaine. Dans tous les cas, si Kunti Kamara avait fait preuve d’empathie envers les victimes, cela aurait été retenu contre lui et il aurait été considéré comme « génocidaire et menteur » selon l’avocate de la défense. L’avocate de la défense a également remarqué qu’à aucun moment, l’hypothèse a été émise que les témoins se trompaient compte tenu de l’ancienneté des faits. Elle a invité les jurés à tenter de se rappeler de faits vécus il y a plus de trente ans. L’avocate de la défense s’est demandé si les témoins et parties civiles avaient pu mentir ou se tromper lorsqu’ils pensaient reconnaître Kundi, puisqu’ils étaient conscients que leur besoin de justice et de reconnaissance en tant que victimes ne serait pas assouvi s’ils ne disaient pas que c’était lui. En effet, dans ce cas, personne ne s’intéresserait à leur souffrance. Selon l’avocate de la défense, il ne s’agit donc pas d’un complot, mais d’un énorme besoin de justice de personnes abandonnées par le pays.
Concernant l’identification de Kunti Kamara par les témoins, l’avocate de la défense a rappelé que la planche photographique n’avait été établie qu’en mars 2019 par les enquêteurs français. Certains témoins ont dû identifier l’accusé sur cette planche photographique, alors que d’autres l’ont vu seulement pendant l’audience ou ont été confronté à lui dans le bureau du juge d’instruction. Selon l’avocate de la défense, il est donc faux de soutenir que Kunti Kamara a été identifié par 20 personnes. MN et AN ont déclaré qu’elles ne l’avaient jamais vu, FG a donné une description de l’accusé et a été confronté à lui devant le juge d’instruction, et JTC et RSK ont été directement confrontés à lui. Quant à SFC et NS, aucune planche photographique ne leur a été présentée. L’avocate de la défense a déclaré que seuls LSM et SS ont reconnu Kunti Kamara sur la planche photographique. Elle a ajouté que ces conditions de reconnaissance étaient indignes d’une procédure pénale et induisaient nécessairement l’identification de l’accusé. L’avocate de la défense a déclaré être confortée dans l’idée que ces identifications étaient biaisées et hasardeuses par les descriptions physiques données par les témoins. Elle a mis en évidence les incohérences de ces descriptions, notamment en ce qui concerne la coupe de cheveux de l’accusé, sa couleur de peau ou encore son prétendu strabisme. Sur ce dernier point, l’avocate de la défense a affirmé avoir observé son client et qu’il était évident qu’il ne présentait aucun strabisme. La théorie du complot pouvait dès lors s’envisager à cet égard. L’avocate a déclaré qu’il n’y avait par conséquent pas d’identification claire, précise et concordante de Kunti Kamara par les témoins. Elle s’est également déclarée surprise qu’autant de crédit soit donné aux témoignages en invoquant l’absence d’exagération, alors que la Cour avait entendu parler pendant trois semaines de cœurs arrachés, de checkpoints being fabriqués avec des intestins, de viols atroces. Selon l’avocate de la défense, les crimes dénoncés sont graves et la non-exagération n’est pas un mode de preuve. Elle a ajouté qu’à ses yeux, les témoins avaient accablé Kunti Kamara et que ce dernier risquait de passer le restant de ses jours en prison.
Après ces remarques générales, l’avocate de la défense s’est adressée aux jurés en leur disant que leur tâche était difficile, car ils devaient procéder à une traduction des faits en droit pour chaque infraction. A cet égard, l’avocate de la défense a donné l’exemple du vol, que le Code pénal définit comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Elle a expliqué aux jurés que si l’un deux prenait son sac à main avec son autorisation, l’acte n’était pas constitutif d’un vol. Idem, si elle le jetait à la poubelle et qu’un des jurés s’en emparait par la suite. Si l’un deux s’en emparait et qu’on lui reprochait un braquage, le vol n’était pas la bonne qualification. L’avocate de la défense a expliqué aux jurés que leur tâche consistait à vérifier que chaque infraction reprochée à l’accusé correspondait à la définition prévue par la loi. A ce titre, elle a rappelé aux jurés le libellé de l’article 1er de la Convention de New York et a poursuivi en reprenant un à un les éléments en fait et en droit, en précisant que Kunti Kamara niait tous les faits.
S’agissant tout d’abord du meurtre de DN, l’avocate de la défense a souligné l’absence d’éléments matériels : absence de corps, d’acte de décès, de date précise. Elle a déclaré disposer de photographies d’un lieu où tout avait changé et d’un article de journal dont on suppose qu’il fait référence à DN. Elle a ajouté qu’il y avait les témoignages de MN et AN, qui n’étaient pas présentes lors du meurtre et qui n’ont donc rien vu. Le beau-frère de DN, DFB, n’a pas non plus assisté au meurtre, mais a déclaré que DN était en vie durant les trois jours suivant son arrestation et qu’il avait vu son cadavre gonflé avant de procéder à l’inhumation. Quant à TFT, il a indiqué que son oncle était présent lors de l’arrestation de DN. Enfin, SK a précisé lors de son audition que DN avait déclaré ignorer qui était responsable des destructions. L’avocate de la défense a souligné qu’à ce stade, il y avait donc cinq témoins, dont aucun n’avait assisté à la mort de DN. Le seul témoin oculaire de la scène est JTC. Selon l’avocate de la défense, celui-ci est néanmoins incapable de donner le nom d’autres personnes présentes lors de l’exécution de DN. Or, il est légitime de réclamer que ces noms soient donnés dans la mesure où les faits se sont déroulés dans la petite ville de Foya. L’avocate de la défense a déclaré qu’elle ne pouvait pas se satisfaire d’un seul témoignage direct. En outre, elle a souligné que JTC a déclaré s’être trouvé à 50m de la scène et a évoqué le tabé, l’ouverture du thorax de DN à coups de hache assénés par Ugly Boy et l’arrachage de son cœur. Elle a également soulevé le fait qu’il n’a pas été possible de procéder à une réelle remise en situation dans la mesure où les lieux avaient changé. L’avocate de la défense a dénoncé le fait de fonder une condamnation sur les paroles d’un seul témoin direct. Selon elle, le seul élément matériel est l’article de presse relatant cette exécution. Toutefois, cet article ne fait aucune mention de cœur arraché et indique que DN aurait été tué en raison de ses convictions religieuses puisqu’il portait une bible sur lui. Elle a ajouté qu’en reconstituant le dossier, on pouvait comprendre que le pillage de la Borma Mission et le meurtre de DN étaient concomitants. Pourtant, SFC n’a jamais évoqué la mort de DN. Quant à JTC, il a été constant sur le fait qu'il n'avait pas vu Kunti Kamara pratiquer le tabé sur DN et découper sa cage thoracique pour en extraire le cœur, mais l’avoir vu uniquement donner des coups de pied à la victime. Or, selon l’avocate de la défense, cet acte n’est pas constitutif d’un acte de torture ou de barbarie selon la Convention de New York, mais de violences. La Convention de New York étant inapplicable, il n’est pas possible de faire appel à la compétence universelle. Au vu de ce qui précède, l’avocate de la défense a invité la Cour à reconnaître Kunti Kamara non coupable du meurtre de DN.
S’agissant du meurtre de KT, l’avocate de la défense a déclaré qu’il n’y avait à nouveau aucun élément matériel : ni acte de naissance, ni acte de décès, ni corps, seulement des photos du lieu présumé du meurtre. Elle a également soulevé les contradictions entre les témoignages de FG, NS et TK, notamment en ce qui concerne le lieu du crime. L’avocate s’est dite surprise que FG ait été capable de décrire l’exécution de sa sœur avec autant de précision, alors qu’il était caché dans la bananeraie au moment des faits. Quant à EzP, il a formellement désigné Kunti Kamara en indiquant que ce dernier avait tué KT directement dans sa chambre contrairement à ce qu’ont dit les autres témoins. Selon l’avocate de la défense, tous ces témoignages sont discordants et imprécis. Elle a demandé à la Cour de faire preuve de rigueur, indépendamment du fait que les faits sont anciens. L’avocate de la défense est revenue sur deux détails supplémentaires qui l’ont interpellée. Premièrement, elle a été surprise par le fait que le corps de KT a été enterré, alors que Patrick Robert a expliqué qu’il était de coutume de laisser les corps à l’air libre pour effrayer la population. Deuxièmement, elle s’est étonnée que de simples feuilles de palme aient été de nature à consumer intégralement le corps en pleine saison des pluies. L’avocate de la défense a ajouté qu’il n’y avait aucune preuve de la présence de Kunti Kamara à Foya Dundu lors du meurtre. Elle a déclaré de ne pas souscrire à la qualification retenue par l’accusation, car le crime en question était un meurtre, non de la torture. Par ailleurs, la motivation du meurtre évoquée par FG est la sorcellerie, non la volonté d’affirmer l’autorité de l’ULIMO et maintenir un état de terreur. Ainsi, selon l’avocate générale, l’application de la Convention de New York doit ici encore être écartée et la culpabilité de l’accusé niée.
L’avocate de la défense a ensuite abordé les marches forcées. Concernant les éléments matériels, l’avocate de la défense a déclaré disposer uniquement de photos d’une centrale électrique vide et de dessins décrivant la manière dont les charges auraient été transportées. Elle a ajouté que lors de la remise en situation, il n’a pas été demandé aux témoins de porter des charges comme à l’époque, afin de se rendre compte de la manière dont les faits s’étaient déroulés. Par ailleurs, aucune vérification n’a été faite, notamment auprès de la société qui exploitait la centrale électrique, alors même que l’on sait que le NPFL était sur place avant l’ULIMO. Les enquêteurs se sont contentés des témoignages, étant précisé que seuls deux témoins ont évoqué la marche du générateur, à savoir JTC et LSM. L’avocate de la défense s’est dit surprise par le fait que tous les hauts gradés de l’ULIMO étaient présents lors de cette marche alors que la faction était en pleine guerre de position. Elle a souligné que LSM n’avait pas vu Kundi lors de cette marche, alors qu’il était présent et s’était déplacé à l’arrière et à l’avant du convoi. Selon l’avocate de la défense, LSM n’a aucune crédibilité lorsqu’il prétend avoir été un bon soldat à l’égard des civils. Il s’agit d’un témoin « retourné » pour assurer son immunité. L’avocate de la défense a ensuite relevé que ces marches ont été décrites comme massives, mais que les témoins ont été incapables de donner les noms d’autres personnes réquisitionnées. Elle a également remis en question la faisabilité de ce qui a été décrit, notamment le fait de faire avancer un camion sans moteur sur plus de 20 km sur des routes impraticables ou de faire traverser une rivière à une machine aussi lourde qu’un générateur électrique sur de simples planches de bois. A aucun moment, il n’a été démontré que cela était faisable. Il faut donc s’en remettre aux rares témoignages sans les contester. Selon l’avocate de la défense, les faits qui ont été décrits ne relèvent pas de la torture, mais du travail forcé, tel que prévu par le Code pénal français. Par ailleurs, le but poursuivi était purement économique, de sorte que les faits tels que présentés n’entrent pas dans le cadre de la Convention de New York.
S’agissant de la soumission de LSM à la méthode du tabé, l’avocate de la défense a indiqué disposer d’une photo satellite d’un puits, dans lequel on n’a jamais regardé s’il y avait des restes humains, ainsi qu’une photo du dos blessé de LSM, sans certificat médical. L’avocate de la défense a rappelé avoir des doutes quant à la véracité des propos de LSM, du fait notamment de sa position délicate en tant qu’ancien soldat de l’ULIMO et des fluctuations dans ses déclarations. Devant le juge suisse, LSM met en cause Alieu Kosiah et précise que Kunti Kamara ne l’a pas tabé et que plusieurs soldats étaient présents, tandis que devant le juge français, il est plus nuancé et déclare que Kosiah et Kunti sont tous deux responsables et que Kunti Kamara l’a tabé sur ordre de Kosiah. Selon l’avocate de la défense, LSM a peur d’être accusé et préfère accuser les autres. Quant à SS, elle a répété qu’elle ne connaissait pas LSM. Selon l’avocate de la défense, il n’a jamais été établi à quelle distance elle se trouvait de la scène, ce qui explique les imprécisions dans son récit. Concernant la qualification, il s’agit de savoir si Kunti Kamara a soumis LSM à des souffrances aiguës en le soumettant au tabé, ce qui n’est pas le cas selon l’avocate de la défense.
Concernant enfin RSK et EFNS, l’avocate de la défense a soulevé l’absence de document attestant de leurs dates de naissance, ainsi que l’absence de certificat médical ou d’expertise médicale constant leurs séquelles corporelles. Elle a précisé qu’il n’y avait pas d’expertise psychologique concernant EFNS, mais un certificat médical dépourvu de tampon officiel faisant état d’un kyste utérin et de multiples fibromes utérins causés par des douleurs abdominales. Elle a ajouté que ce document ne faisait aucune mention de blessures ou cicatrices. S’agissant des témoignages, l’avocate de la défense a précisé ne disposer que des deux témoignages des principales intéressées. RSK a déclaré avoir été violée sans indiquer les noms des auteurs des viols et précisé que Kunti Kamara lui avait ri au nez. Quant à EFNS, elle a expliqué avoir été violée par B et que Kunti Kamara avait minimisé les faits. Selon l’avocate de la défense, il ne s’agit une fois encore pas de la bonne qualification juridique, car il n’y a pas d’actes de torture et de barbarie au sens de la Convention de New York, mais des viols. Par ailleurs, il n’y a aucune preuve de la position d’autorité de Kunti Kamara sur les auteurs des viols. Il n’y a pas non plus d’expertise médicale. S’agissant de la définition de la complicité, l’article 121-7 du Code pénal prévoit qu’est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Or, en l’espèce, il est reproché à l’accusé d’avoir ri et de ne pas être intervenu. L’avocate de la défense a ajouté que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, les actes antérieurs ou concomitants au crime justifient le renvoi d’une personne en jugement à condition qu’ils soient positifs. Il faut donc une action pour être considéré comme complice. Selon l’avocate de la défense, si quelqu'un doit être condamné pour son inaction, il s’agit de l’infraction de non-assistance à personne en danger. Elle a donc invité la Cour à acquitter Kunti Kamara sur ces faits.
L’avocate de la défense a appelé le jury à faire preuve de rigueur pour vérifier si les faits correspondent aux qualifications juridiques. Elle a demandé à la Cour de ne pas accabler l’accusé pour tous les crimes commis durant la guerre civile au Libéria. Elle a déclaré que son propos n’était pas de nier les atrocités commises durant la guerre civile et la souffrance du peuple libérien, mais de dire que Kunti Kamara n’avait pas commis ces crimes. Elle a rappelé que ce procès n’était pas celui de l’ULIMO ou de la guerre civile au Libéria, mais celui de Kunti Kamara. Elle a réaffirmé qu’une condamnation devait impérativement reposer sur l’intime conviction des jurés, au-delà de tout doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé. L’avocate de la défense a conclu sa plaidoirie en demandant à la Cour d’acquitter Kunti Kamara parce que ce procès n’avait pas la rigueur que tout accusé pouvait attendre d’un procès et parce qu’il n’y avait pas de preuves concrètes de la culpabilité de Kunti Kamara. Elle a terminé en déclarant : « Je vous le demande parce que son innocence est mon intime conviction ».
Plaidoirie de Me Tarek Koraitem
L’avocat de la défense a pris la parole en indiquant qu’il mesurait amplement la souffrance du peuple libérien, devant laquelle la défense était obligée de s’incliner. Il a ensuite cité Jean-Paul Sartre en disant que la guerre n’était pas une maladie mais un mal insupportable parce qu’il venait aux hommes par les hommes. Il a ajouté que la guerre n’était pas un choix, mais quelque chose de subi et que Kunti Kamara l’a subie lui-même comme l’ensemble des Libériens et y a pris part avec son cortège de malheurs, de morts et d’atrocités. L’avocat de la défense a déclaré que l’ensemble des personnes présentes dans la salle d’audience n’avait jamais connu l’horreur de la guerre en France et mesurait la chance que cela était.
L’avocat de la défense a ensuite déclaré qu’aujourd'hui, séparés de plusieurs milliers de kilomètres d’un pays avec lequel la France n’avait aucun lien, les jurés devaient juger Kunti Kamara pour des faits qu’il aurait commis il y a trente ans. Ils doivent juger si Kunti Kamara a commis le crime le plus grave et dire si l’accusé a commis les actes de torture allégués contre EFNS et RSK, et si ces actes sont susceptibles de revêtir la qualifications de crime contre l’humanité. L’avocat de la défense a précisé que ce crime revêtait quelque chose de simple en ce qu’il s’agissait d'une attaque généralisée et systématique contre la population civile. Ce crime doit ainsi être d’une ampleur massive. Selon l’avocat de la défense, il ne s’agit donc pas pour les jurés de dire si un acte est intrinsèquement horrible, mais de savoir s’il s’intègre dans un contexte général d’une attaque massive. L’avocat de la défense a invité les jurés à mettre de côté le fait que Kunti Kamara a été un soldat, qu’il a combattu sur le champ de bataille et tué des ennemis, puisque ces éléments étaient intrinsèques à la guerre. La question est de savoir si ces actes ont été commis contre la population civile et si l’ULIMO a érigé comme politique les actes de torture et les viols.
S’agissant de la qualification retenue par l’accusation, l’avocat de la défense a soulevé qu’en 1994, la définition de crime contre l’humanité ne faisait pas référence au viol. Selon lui, c’est la raison pour laquelle le Ministère public a tenté d’expliquer que les actes de pénétration que RSK et EFNS ont subis sont des actes de torture et de barbarie, alors qu’ils revêtent en réalité la qualification de viols. Il convient également d’examiner si les chefs de l’ULIMO avaient la volonté d’ériger le crime de viol ou le crime d’acte de torture comme une politique à proprement parler. Selon l’avocat de la défense, le Libéria dans les années 90 est un pays où règne l’anarchie totale. Ce n’est pas l’Allemagne nationale socialiste avec une idéologie et une politique déterminée, c’est l’anarchie, la guerre civile, l’opposition des factions, les invasions. Il n’y a aucune logique. Selon l’avocat de la défense, il ne ressort pas des débats que l’ULIMO avait mis en place un plan concerté et une politique de viols ou de tortures systématiques sur la population civile. Au contraire, c’est le manque d’organisation qui a rendu cette guerre aussi atroce. L’avocat de la défense a rappelé que la qualification de crime contre l’humanité suppose une politique gouvernementale. A cet égard, il a donné divers exemples historiques, tels que la politique d’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, la politique d’apartheid ou encore la politique des pogroms. Il a répété que la question était de savoir si les viols de EFNS et de RSK s’inscrivaient dans une politique globale. Or selon lui, le Ministère public n’a pas apporté la preuve que ces viols ont été commis dans le cadre d’un plan concerté. A ce titre, l’avocat de la défense a relevé l’absence de réunions d’hauts dignitaires de l’ULIMO, d’enregistrements ou d’autres moyens de preuve attestant de la mise en place d’une telle politique. L’avocat de la défense a reconnu que cette guerre avait été horrible, même « la plus dégoutante qu’il soit », mais en aucun cas les viols et les actes de torture ont été érigés en politique systématique par l’ULIMO.
S’agissant du plan concerté, l’avocat de la défense a rappelé qu’il s’agissait de savoir si les dignitaires de l’ULIMO avaient ordonné à leurs soldats de commettre des viols sur une certaine catégorie de la population, par exemple sur les femmes Kissis. L’avocat de la défense a déclaré qu’aucun élément était de nature à le prouver et qu’aucune preuve permettait de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’actes isolés. Il a précisé à cet égard que pour retenir la qualification de crime contre l’humanité, les crimes commis devaient avoir un lien logique entre eux. Or, selon l’avocat de la défense, un acte isolé ne peut pas constituer un crime contre l’humanité dans la mesure où un viol reste un viol et est sanctionné par le droit commun. Il a reconnu que les actes commis étaient graves, mais a réfuté le fait qu’ils s’inscrivaient dans un mouvement de crime contre l’humanité. Il a ajouté que le viol répondait d’une perversion intrinsèque, de l’ordre du personnel et propre à celui qui l’a commis, et ne permettait pas en lui-même de caractériser le plan concerté. Par ailleurs, le fait que l’ULIMO n’ait pas empêché la commission de ces viols ne permet pas de déduire que ce groupe armé ait porté cette politique « comme un credo » dans le cadre de son attaque au Libéria. A cela s’ajoute que la politique menée doit être portée par un aspect philosophique, racial ou religieux. L’avocat de la défense a émis de sérieux doutes sur le fait que l’ULIMO, « cette bande de brigands », ait envahi le Libéria pour d’autres raisons que celle de renverser Charles Taylor. Il a ajouté qu’il y avait derrière le crime contre l’humanité une volonté maléfique, un côté obscur qui faisait que les personnes qui le commettaient ou s’en rendaient complice avaient une volonté de détruire la civilisation pour la remodeler. Aux yeux de l’avocat de la défense, Kunti Kamara n’a pas atteint ce niveau de réflexion et les actes qui lui sont reprochés ne visaient pas la communauté dans son ensemble.
Sur le volet de l’intention, l’avocat de la défense a affirmé que la personne qui aurait participé à un crime contre l’humanité doit aussi être consciente de faire partie de cette entreprise criminelle. Il aurait donc fallu que Kunti Kamara ait conscience de participer à une crime contre l’humanité et à la mise en place d’une politique de viols systématiques par ULIMO au moment où B a violé EFNS. Néanmoins, l’avocat de la défense a répété que : « l'ULIMO, c’est l’anarchie, il n’y a pas de politique, pas d’idéologie, ce sont des rebelles hirsutes ». Il s’est également appuyé sur les témoignages de Thierry Paulais et John Stewart, en insistant sur les motivations matérielles des soldats de l’ULIMO et sur le fait que les chefs de guerre « changeaient de camp comme de chemise ». Selon lui, la guerre au Libéria n’avait pas de dimension ethnique et les Kissis n’en ont pas été les seules victimes. Il a ajouté qu’il ne s’agit pas d’une guerre idéologique, mais d’une guerre visant l’appropriation des ressources et des diamants. Le simple fait d’être membre de l’ULIMO avec un grade de commandant ne permet pas de déduire que Kunti Kamara avait conscience de participer à un plan concerté. L’avocat de la défense a également déclaré que ce n’était pas parce que Kunti Kamara avait fait partie d’une des pires factions rebelles qu’il fallait « lui coller sur le dos la totalité des exactions commises au Libéria ». Il a donné l’exemple des soldats allemands de la Seconde Guerre Mondiale, qui n’étaient pas tous pro-Hitler, et cité Nietzsche (« Je suis nuance »). Il a demandé aux jurés de faire preuve de nuance et leur a dit qu’ils n’étaient pas les vengeurs du peuple libérien, mais des jurés français avec tout ce que cela comportait. Pour les aider à prendre leur décision, l’avocat de la défense a évoqué les trois grands procès pour crime contre l’humanité qui ont jonché l’histoire judiciaire française et qui, selon lui, n’ont rien à voir avec le procès de Kunti Kamara. L’avocat de la défense a ainsi cité les procès de Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon, condamnés du chef de crime contre l’humanité pour avoir, respectivement, envoyé 44 enfants et 7 adultes juifs dans les camps de la mort, ordonné la fusillade de personnes d’origine juive, et mis en place des fiches recensant les personnes d’origine juive afin de procéder à leur arrestation et les envoyer dans les camps de la mort. L’avocat de la défense a déclaré avoir le sentiment qu’on était bien loin de tout cela concernant Kunti Kamara.
Enfin, l’avocat de la défense est revenu sur la complicité. Il a affirmé que la complicité supposait un comportement positif et a admis que la jurisprudence citée par les avocates générales avait consacré certaines exceptions, notamment la simple présence physique lors de la commission des infractions. Or, en l’espèce, Kunti Kamara n’était pas présent au moment des viols de EFNS et de RSK. Ces dernières seraient venues se plaindre auprès de lui avant et après ces actes, mais pas sur le moment. Par ailleurs, Kunti Kamara n’a pas commis d’acte positif d’aide ou d’assistance à la commission de l’infraction. Selon l’avocat de la défense, Kunti Kamara ne peut donc pas être poursuivi pour ces faits de complicité.
L’avocat de la défense a conclu sa plaidoirie en rappelant aux jurés que leur décision revêtait une importance capitale. Selon lui, à l’heure où la guerre fait rage aux portes de l’Europe, il est important que le crime contre l’humanité et sa définition soient confinés aux faits les plus graves, derrière lesquels il y a une politique mise en place pour commettre des atrocités contre la population civile. Il a dit aux jurés que s’ils condamnaient Kunti Kamara pour crime contre l’humanité, ils ouvriraient la boîte de Pandore. Il leur a également dit qu’ils étaient les gardiens de cette borne qui empêchait tout un chacun de commettre plusieurs viols au lieu d’un seul. Il a demandé aux jurés de prendre leur décision en prenant en considération l’humanité, le signal qu’ils enverront aux auteurs de crimes et la justice française qu’ils représentent.
Le Président a clos l’audience en demandant aux interprètes d’indiquer à Kunti Kamara qu’il disposera de la parole en dernier le lendemain matin et qu’il réfléchisse bien au message qu’il entend faire passer.