Jour 6 – Reprise du procès, requêtes et audition d’une partie plaignante

15.02.2021

Le procès d’Alieu Kosiah se poursuit devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. Kosiah est accusé d’avoir commis ou ordonné des crimes de guerre comprenant des actes de violences sexuelles, de meurtres, de cannibalisme, de recrutement d’enfants soldats, de pillage, de contrainte de civils à travailler dans des conditions cruelles, et de transports forcés de biens pillés, d’armes et de munitions.

En raison de la propagation du COVID-19, le procès a été scindé en deux parties. Pour cette deuxième partie, le Tribunal procèdera à l’audition des sept parties plaignantes, des 9 témoins et aux plaidoiries des différentes parties.

Le procès est présidé par un collège de trois juges fédéraux, Jean-Luc Bacher, Président de la Cour des affaires pénales du Tribunal Pénal Fédéral, David Bouverat et Stephan Zenger. Le juge Bacher préside et son rôle sera de mener les débats.

Le Procureur Andreas Müller représente le Ministère public de la Confédération lors des débats, il est assisté du procureur fédéral assistant Julien Wenger, leur rôle étant de prouver la culpabilité du prévenu concernant les infractions énumérées dans l’acte d’accusation. En plus du Tribunal, des Procureurs et du prévenu, les parties plaignantes participent également à la procédure. Elles sont représentées par Me Alain Werner, Me Romain Wavre, Me Raphaël Jakob, Me Hikmat Maleh et Me Zena Wakim.

Quant à Alieu Kosiah, ce dernier est représenté par Me Dimitri Gianoli.

La deuxième partie de ce procès devrait durer trois semaines. A l’issue des plaidoiries, les juges fédéraux se retireront pour délibérer du cas et statueront sur la culpabilité ou l’innocence du prévenu, les éventuelles sanctions ainsi que les prétentions civiles.

[Requêtes]

Le Tribunal revient dans un premier temps sur les requêtes parvenues durant la suspension des débats.

La première concerne la demande de Me Werner et Me Wavre d’auditionner le Colonel Eric Emeraux de la gendarmerie française comme témoin. La Cour rappelle avoir déjà refusé cette requête. Me Wavre a plaidé l’expérience de terrain de M. Emeraux et son implication dans une mission d’enquête dans le Lofa, au Libéria, et sa connaissance du Global Justice and Research Project et ses fonctions avec les autorités françaises. La Cour conclue au refus de la requête expliquant qu’elle est d’un intérêt trop relatif et n’est pas assez proche des faits liés à la cause.

La deuxième requête, de Me Werner et Me Wavre, a trait au dossier d’asile du prévenu sur territoire français où ce dernier était initialement arrivé après son départ d’Afrique. La Cour conclue également au refus de cette requête car elle n’apporterait que peu d’information relative aux crimes de guerre.

La troisième requête concerne la modification du procès-verbal (PV) d’interrogatoire du prévenu. La Cour accepte de corriger les coquilles et erreurs manifestes, mais rejette la demande d’amélioration du PV, notamment par l’ajout de mots que le traducteur n’aurait pas traduit. La Cour invite les parties à signaler leurs demandes en ce sens sur le champ pendant les audiences.

La cour accepte la quatrième requête, de Me Werner, de verser une photo d’un village libérien avec une maison car cette photo est en rapport à la cause soulevée par la procédure.

Concernant la demande de Me Jakob de verser les enregistrements vidéo au dossier, la Cour statue selon le Code de Procédure Pénale suisse (CPP) : seules les bandes audios doivent être versées au dossier. Concernant la vidéo, la Cour accepte de la verser au dossier tout en précisant les limitations imposées par le CPP. Ces limitations concernent le cadre dans lequel ces vidéos pourront être consultées.

La sixième requête émane de Me Jakob et porte sur l’obtention du PV des débats de première partie. Le Tribunal indique qu’il remettra un PV intégral aux parties à la fin des débats et en un seul morceau, selon la pratique du Tribunal Pénal Fédéral.

La septième requête a trait à l’obtention des PV des débats de la deuxième partie et vient de Me Jakob également. La Cour explique ne pas pouvoir finaliser les PV dans le même temps que les audiences et rejette par conséquent la requête.

Le Tribunal rejette la huitième requête de Me Gianoli ayant trait à une photo d’un village libérien prise par un journaliste arguant qu’elle n’est pas assez en lien avec la cause.

Une neuvième requête concerne la demande de Me Gianoli que des confrontations puissent avoir lieu pendant les débats. La Cour accepte lorsque ce sera utile.

Me Wakim porte la dixième requête qui a trait à trois modifications de PV du prévenu. La troisième modification est acceptée par la Cour. Les autres sont rejetées car jugées non pertinentes.

La onzième requête, de Me Gianoli, porte sur la modification du PV d’une partie plaignante pendant la procédure d’instruction. La Cour rejette cette requête arguant que le PV provient du Ministère public de la confédération, ce n’est donc pas à la Cour de le modifier.

Le Tribunal rejette la requête de Me Gianoli demandant à ce que le PV d’interrogatoire du prévenu puisse être modifié par lui-même en audience.

La dernière requête émane de Me Jakob et à trait à l’ajout de coupures de presse au dossier. La Cour accepte au motif qu’elles sont en lien avec les propos du prévenu lors des débats en décembre 2000.

Organisation des débats

Le Président de la Cour informe les parties des comptes rendus publiés par Civitas Maxima et indique que cela n’est pas compatible avec le bon déroulement de la procédure. Selon le Tribunal, les parties pourraient être influencées par la publication des déclarations faites lors des débats et cela représente un obstacle à la recherche de la vérité. Il informe que la direction de la procédure envisage d’interdire à toutes les parties la diffusion du contenu des débats avant l’administration des preuves. Il invite les parties à s’exprimer à ce propos.

Le Ministère public de la confédération n’a pas d’objection. Les parties s’accordent avec le Tribunal et Me Werner accepte au nom de Civitas Maxima de ne rien publier avant la fin des débats. Me Jakob rappelle toutefois sur le principe la décision de la Cour des Plaintes du TPF du 10 février annulant la décision de la Cour des affaires pénales du TPF du 17 décembre 2020, qui avait interdit à Me Werner et Civitas Maxima de diffuser le contenu des audiences de décembre 2020. La Cour est satisfaite de ne pas devoir prononcer de décision formelle.

Le Président de la Cour expose le programme des débats de cette deuxième partie. Outre les parties plaignantes, neuf témoins seront appelés à donner des renseignements.

Me Jakob demande l’application de l’art. 78 al.5 CPP, qui octroi la possibilité à son client de relire les procès-verbaux d’interrogatoire à l’issue de chaque journée. Le président refuse, indique qu’il faudra intervenir sur le champ pour discuter des questions linguistiques. Le président accepte que l’interprète s’entretienne avec la partie plaignante pour se familiariser avec son anglais.

Un délai est accordé aux avocats des parties plaignantes concernant l’état des frais.

Me Wakim requiert que les vidéos puissent être visionnées par sa cliente qui n’a pas pu se rendre en Suisse. Le président n’a pas encore statué sur la question.

Me Jakob souhaite que les parties plaignantes puissent avoir l’occasion de réagir aux déclarations d’Alieu Kosiah, le présent répond que quelques questions pourront être intercalées, mais que le programme devra être respecté, ainsi aucune promesse n’est faite.

La cour autorise Me Wakim à sortir du pays avec les enregistrements vidéo, mais elle doit les ramener et en a la responsabilité.

Le Tribunal procède à l’audition de la partie plaignante G.S.

Après avoir adressé quelques questions sur sa situation personnelle au plaignant, le juge lui demande à quelle occasion a-t-il rencontré Alieu Kosiah. Ce dernier a répondu l’avoir rencontré à Zorzor, près de la station-service, lorsque celui-ci a tué sept personnes. Il a affirmé ensuite l’avoir revu lors du transport forcé à Salayea, dans le Lofa.

Sur question, le prévenu a affirmé qu’il vivait à Zorzor durant la première guerre civile au Libéria. Il est ensuite parti en Guinée, mais ne sait pas exactement à quelle date il est parti, n’ayant pas reçu d’éducation.

En décrivant l’atmosphère à Zorzor entre 1993 et 1995, le plaignant a expliqué que c’était une période très intense, qu’il avait peur, et qu’il se sentait toujours en danger, d’autant plus dans cette période où n’importe qui pouvait tuer n’importe quand.

A la question de savoir quelles factions étaient impliquées dans la première guerre civile au Libéria, GS a indiqué que c’était celle de Charles Taylor et qu’elle se battait contre le gouvernement de Doe. Il a expliqué que les ULIMO se sont joints aux combats lorsque le groupe de Charles Taylor est venu dans le Lofa. Il a également expliqué que les forces du NPFL avaient d’abord capturé la ville, avant que les ULIMO ne la reprennent.

Ainsi, suite à la prise finale de Zorzor par les ULIMO, il a indiqué que la personne la plus importante des troupes lui semblait être Alieu Kosiah, car les gens l’appelaient « chief » et prenaient leurs ordres de sa part. Il a cependant dit ne pas se souvenir de la date approximative à laquelle Zorzor a été prise et a expliqué plutôt avoir une mémoire visuelle.

Continuant de répondre aux questions du juge, GS a expliqué avoir vu des enfants soldats dans toutes les différentes factions impliquées dans la guerre. Selon lui, ils devaient avoir dix, douze ou treize ans. Il a précisé que les soldats, de manière générale, se comportaient mal et essayaient d’être effrayants auprès des civils.

Le Président de la Cour lui a demandé s’il avait participé ou s’il avait soutenu l’une des factions impliquées pendant la guerre. Le plaignant a répondu négativement. Pour reconnaître les groupes de rebelles, il a précisé que ceux-ci écrivaient le nom de leur faction sur les murs à leur arrivée, criaient leurs noms, et le nom de leurs commandants.

Le Président de la Cour a ensuite questionné le plaignant sur le « Black Monday ». Celui-ci a déclaré qu’il s’agissait d’une journée noire pour toute la région du Lofa, où beaucoup, beaucoup de gens ont été tués. Répondant au juge, il a poursuivi en expliquant que ce terme s’entendait également en Guinée, et que ces meurtres de masse s’étaient produits à Voinjama, comme à Foya et à Kolahun. À propos du lien entre Alieu Kosiah et le « Black Monday », le plaignant a indiqué que le nom de Kosiah faisait toujours partie des rumeurs qui entouraient cet événement. Suite aux questions du Tribunal, il a précisé avoir entendu cette histoire par beaucoup, beaucoup de gens, et qu’ils avaient des larmes en l’évoquant.

GS a ensuite expliqué que le pillage était une pratique courante des ULIMO et des NPFL. Il a précisé qu’il fallait parfois aller chercher de la nourriture pour eux, et que refuser revenait à risquer sa vie. Il a ajouté que parfois, les civils eux-mêmes devaient aller chercher de la nourriture pour les soldats. Il a également indiqué que les soldats prenaient les femmes, et les obligeaient à avoir des relations sexuelles, qui acceptaient par peur pour leur vie. Il a ajouté que même M. Kosiah a donné l’ordre qu’une femme soit apportée à sa maison.

Interrogé sur les pratiques de cannibalisme des ULIMO, le plaignant a déclaré qu’il n’en avait jamais été témoin, mais que beaucoup d’histoires lui étaient parvenues, dont celle de quelqu’un ayant mangé un cœur cru. Ces pratiques concernaient également les NPFL. Il a affirmé avoir vu une vidéo sur laquelle un enfant mange un cœur en expliquant que cela le rendra plus fort.

Suite aux questions du Tribunal, il a ensuite expliqué qu’il était commun que plusieurs personnes portent le même nom et le même prénom au Libéria. Au sujet du prévenu, le plaignant a indiqué qu’il le connaissait sous le nom de « chief Kosiah » jusqu’à ce qu’il entende son prénom pour la première fois, à Berne, lors de son audition par le Ministère public de la confédération. Il ne connaissait pas son grade, mais a conclu que c’était d’un « big man », car il donnait les ordres et les soldats les exécutaient. Il a également affirmé que M. Kosiah faisait partie de la faction ULIMO. Il ignore s’il y avait quelqu’un de hiérarchiquement supérieur à Kosiah, mais que, comme les soldats écoutaient ses ordres, il le considérait comme leur « boss ».

Par la suite, GS a déclaré qu’au moment où la ville a été capturée, il n’a pas vu qui menait les combats. Il a expliqué avoir vu pour la première fois Alieu Kosiah au moment où il a demandé à tout le monde de se rassembler à la station-service à Zorzor.

Il a expliqué qu’il reconnaissait M. Kosiah notamment au teint de sa peau et à ses yeux perçants qui transmettaient un sentiment de peur. Il a également expliqué que sa voix s’est maintenant adoucie mais qu’à l’époque, quand il parlait et criait ses ordres, il faisait peur. Il a ensuite ajouté qu’il avait déposé plainte pour le meurtre de son frère, et le transport forcé dont il a été victime.

Sur question, GS a raconté qu’il allait régulièrement au centre de loisirs non loin de la station-service à Zorzor. Il était courant qu’il discute des évènements de la station-service, qui ont provoqué la mort de certaines personnes. C’est alors qu’un homme est venu lui indiquant comment il pouvait procéder pour porter plainte. C’est alors qu’il a rencontré Alain Werner à Monrovia, et qu’il a décidé de porter plainte et s’engager dans une procédure contre Alieu Kosiah. Il a reconnu avoir dit que c’est suite à la découverte d’une photo de M. Kosiah qu’il a déposé plainte, mais a cependant affirmé que c’était une erreur, qu’il était stressé quand il avait dit ça, et a conclu en disant qu’il n’a vu la photo seulement après avoir déposé plainte et que de toute façon n’aurait pas reconnu le prévenu.

Le président de la Cour a ensuite questionné le plaignant sur les contradictions entourant les circonstances de son dépôt de plainte, avant de lui demander s’il celle-ci avait bénéficié d’une relecture et d’une traduction. Le plaignant a déclaré qu’il était alors concentré sur ses études, et qu’il n’y avait pas d’interprète lorsqu’il s’adressait à son avocat qui avait rédigé la plainte. Il a également été question de comment le plaignant a été mis en relation avec Hassan Bility et Alain Werner. Avant d’en venir aux faits le plaignant a voulu clarifier qu’à l’époque il n’était pas lettré et n’avait pas été à l’école, et que donc, il ne pouvait se souvenir que de ce qu’il avait vu ou entendu, mais il ne se souvient pas des dates.

À propos du meurtre de sept civils à Zorzor

Pour rappel, il est reproché à Alieu Kosiah d’avoir, dans le contexte du conflit armé interne s’étant déroulé au Libéria de 1989 à 1996 et en qualité de membre de la faction armée ULIMO, ordonné les meurtres de sept civils à Zorzor, dont son frère, Y. S., en mars 1993.

Le plaignant a confirmé sa dénonciation à l’encontre d’Alieu Kosiah. Il a alors expliqué qu’il s’agissait d’une scène terrible. Il a affirmé ne pas savoir situer l’évènement dans le temps, mais savoir qu’il pleuvait. Un grand nombre de civils avait été rassemblé près de la station-service de Zorzor. Parmi les personnes présentes , M. Kosiah, entouré de beaucoup de soldats, dont des enfants soldats, en a désigné sept, dont le frère ainé du plaignant, qu’il soupçonnait à tort d’appartenir au NPFL. Il a alors donné l’ordre en hurlant d’exécuter ces civils. Il a indiqué se trouver à environ six mètres des soldats, et a expliqué que les soldats se plaçaient ainsi pour effrayer les civils.

Le juge a alors demandé au plaignant s’il y avait une erreur dans la plainte pénale déposée quant à la présence d’autres commandants que Kosiah à ce moment. Il a répondu que Kosiah était le seul chef présent. Il aurait hurlé l’ordre d’exécuter les civils en anglais.

[Pause de midi]

En réponse aux questions du Tribunal, M. GS a indiqué les mots utilisés par Alieu Kosiah « Ce sont des rebelles. Exécutez-les. Tuez-les ». Toutefois, il n’a pas précisé comment les soldats devaient procéder, ainsi les soldats ont éclaté la tête des civils à coup de marteau. Il a ensuite indiqué le nom de certains soldats et civils, dont sa mère, son frère ainé et son petit frère, présents à ce moment-là. Les civils ont dû enterrer les corps laissés sur la route. Le plaignant a ensuite souligné qu’en perdant son grand frère, il perdait un modèle, un guide, un gardien et une présence protectrice pour la famille. Il a expliqué que maintenant, ils se sentent misérables et faibles, d’autant plus que son père avait investi beaucoup d’argent en son frère pour qu’il puisse aller à l’école.

À la question de savoir si le plaignant est rentré en contact avec d’autres personnes présentes à cet incident, il a indiqué que oui, mais que ces personnes refusent de participer à cette procédure, car elles avaient trop peur de témoigner, craignant des représailles de retour au Libéria. Quant à sa mère elle était toujours vivante, mais craignait que son fils, le plaignant, se fasse tuer s’il témoignait. Elle lui avait ainsi demandé de laisser à Dieu le soin de rendre justice. Le plaignant est donc venu en Suisse sans son consentement. Il a lui-même indiqué avoir terriblement peur de la vie qui l’attendait de retour au Libéria.

À propos du transport forcé de Zorzor à Salayea

Pour rappel, il est reproché à Alieu Kosiah d’avoir, dans le contexte du conflit armé interne s’étant déroulé au Libéria de 1989 à 1996, et en qualité de membre de la faction armée ULIMO, ordonné et dirigé un transport forcé de biens (parmi lesquels des munitions et des armes) de Zorzor à Salayea, par des civils, entre mars et décembre 1993 ou entre mars 1994 et fin 1995.

Le plaignant a confirmé sa dénonciation à l’encontre d’Alieu Kosiah. M. GS a expliqué que ce transport avait été ordonné un peu de temps après le meurtre des civils. Le matin, le prévenu, avec l’aide d’enfants soldats, a réquisitionné entre 25 et 30 personnes, dont le plaignant. Ils ont été rassemblés près de la station-essence par des soldats. Le groupe de civils comportait des femmes et des enfants, âgés de douze ou treize ans pour les plus jeunes d’entre eux. Il leur a donné l’ordre, en criant en anglais, de porter des charges. Il se trouvait à environ six mètres de lui. Le plaignant a ajouté que, parmi les nombreux soldats présents, personne n’était hiérarchiquement supérieur au prévenu. Il a expliqué que les civils étaient des instruments de transport pour les factions, et qu’il fallait obéir, face à des gens sans pitié et sanguinaires. Il a indiqué que le risque encouru suite à un refus est la mort. Il a ajouté que tuer des civils étaient le menu quotidien pour eux, et qu’ils tuaient sans hésiter. Le Président de la Cour l’a ensuite questionné sur le déroulement du transport forcé. Le plaignant, qui avait entre 15 et 16 ans à l’époque, a décrit la présence d’enfants soldats pendant le convoi. Tout au long du trajet, c’est Alieu Kosiah qui dirigeait le transport jusqu’à Salayea. Les soldats, armés de fusils, se trouvaient autour des civils, de sorte qu’ils ne puissent pas s’enfuir. Si les civils trainaient, ils se faisaient battre par les soldats à coups de crosse de fusil. Lors de ce transport, M. GS a expliqué qu’il portait des munitions sur sa tête, et que d’autres portaient des sacs sans connaître leur contenu. Les charges étaient lourdes mais personne ne se plaignait, les soldats étant très durs et ne montrant aucune empathie. La marche a duré presque une journée, sur une route non asphaltée, et le convoi ne faisait des pauses que lorsqu’un cours d’eau permettait de s’abreuver, ne recevant aucune nourriture. Il a ajouté que le prévenu faisait peur aux civils comme aux soldats, et qu’il ne portait pas d’arme. Il a ajouté que les soldats faisant toutes sortes de remarques agressives, et qu’ils ne pouvaient que prier pour avoir assez de forces pour avancer et ne pas être victime des menaces qui étaient proférées. Selon le plaignant, les ULIMO et les NPFL se battaient en direction de Salayea. C’est pour cette raison que de la marchandise devait y être amenée. Le Président de la Cour lui a alors demandé s’il avait subi des violences. Le plaignant a répondu que tous les civils recevaient des menaces et des coups. Lui-même en a reçu plusieurs : un des « boys » lui a dit qu’il avait la tête de quelqu’un qui voulait s’enfuir et que s’il fuyait, il le tuerait, ou encore, alors qu’il avait une charge lourde sur la tête, un des soldats le tapait avec un cross de fusil en lui disant « avance, avance, avance ». Le plaignant a donné les noms des civils et soldats qu’il a pu identifier sur ce transport.

Poursuivant ses réponses au Tribunal, il a déclaré que Kosiah pouvait voir et entendre que les civils se faisaient battre ou menacer, et qu’il n’avait rien fait pour empêcher les mauvais traitements. Personne n’a été tué à sa connaissance à ce moment-là. Craignant beaucoup pour sa vie,GS a affirmé ne même pas avoir imaginé de fuir. La forme et taille du convoi a été abordé. Le convoi est arrivé dans la soirée à Salayea, les marchandises ont été déposées dans une école luthérienne. Concernant le retour, il a affirmé être rentré directement pour rassurer sa famille. Il a déclaré n’avoir reçu aucune forme de rémunération. Le Président de la Cour lui a demandé s’il avait tenté de convaincre d’autres participants au transport de donner leur témoignage. Il a répondu que non, la seule personne à laquelle il avait pensé est décédée, et une autre ne voulait pas, par peur, avoir de lien avec cette procédure. Le plaignant a indiqué que c’était courant pour les ULIMO de réquisitionner des civils pour transporter de la marchandise. Il explique que les civils étaient de simple instrument de transport, et qu’ils ne les considéraient même pas comme des êtres humains. Il ignore pourquoi ils n’utilisaient pas de véhicule, mais explique que c’était peut-être pour les faire sentir comme « rien », comme de simples propriétés.

Dernières questions du Tribunal

Le Président de la Cour a demandé qui lui a reporté qu’Alieu Kosiah était impliqué dans le Black Monday. Il a déclaré qu’il s’agissait de rumeurs colportées par les gens, et qu’il ne pouvait pas rattacher cela à une personne. Selon l’interprétation du plaignant, après avoir vu M. Kosiah tuer sept civils, cela l’a convaincu sur le fait qu’il était un acteur principal du Black Monday. Il a ajouté que pour le prévenu, tuer n’était pas quelque chose de difficile.

Le Président de la Cour lui a ensuite demandé pour quels motifs il avait déposé une plainte pénale en Suisse. Le plaignant lui a répondu qu’une telle Cour n’existait pas au Libéria, et qu’il voulait que la justice prévale. Il a ajouté ne pas avoir subi d’intimidations, mais qu’il avait peur pour lui et sa famille au Libéria, indiquant que les meurtres secrets y étaient monnaie courante.

Les questions sont adressées au plaignant par le procureur du Ministère public de la confédération

Le procureur a commencé par lui poser des questions sur l’arrivée d’Alieu Kosiah et de « chief Dorley » à Zorzor. En réponse, le plaignant a indiqué qu’il ne savait pas qui était arrivé avant l’autre, mais que la première personne qu’il avait vue était Alieu Kosiah, lors du rassemblement à la station-service. Le Ministère public de la confédération lui a ensuite soumis une photo de la station-essence, lui demandant d’indiquer les positions des soldats et des civils lors du meurtre des  sept personnes, ce que le plaignant a fait. Une deuxième photo lui est soumis pour qu’il inscrive le nom des routes, ce que le plaignant fait également.

Enfin, le procureur a souhaité obtenir des précisions sur la saison du transport forcé. Le plaignant a expliqué ne pas pouvoir répondre de manière précise.

Les questions sont adressées par Me Werner

Me Werner lui a d’abord demandé s’il avait des raisons de mentir devant le Tribunal avant de le questionner sur les relations ethniques au Libéria. En réponse, le plaignant a déclaré n’avoir aucun motif de mentir. Concernant l’utilisation du terme « dingo » pour désigner les Mandingos lors de son audition à Berne au Ministère public de la confédération en 2017, il a affirmé que c’était un diminutif, sans sens péjoratif dans son esprit. Il a ajouté que si quelqu’un du groupe ethnique Lorma, qui est son propre groupe ethnique, avait commis de tels crimes, il l’aurait également dénoncé. Il a enfin précisé ne pas avoir de préjugés sur les Mandingos, et que les mariages inter-ethniques, bien que difficiles par le passé, étaient désormais un peu plus fréquents aujourd’hui au Libéria. Il a également été fait mention des conséquences de ne pas avoir pu donner de sépulture à son frère.

Concernant l’anglais et sa compréhension par la partie plaignante, notamment lors des ordres donnés par Alieu Kosiah, M. GS a affirmé pouvoir comprendre l’anglais standard et les mots simple. Lorsqu’il a grandi à Zorzor, le plaignant parlait Lorma. Il a expliqué la différence entre l’anglais colloquial et l’anglais standard. Me Werner a demandé pourquoi après le transport forcé il devait rentrer pour rassurer sa famille, il a répondu que cela était pour apaiser leur esprit quant au fait qu’il ne leur était rien arrivé, tout le monde sachant que des personnes étaient tuées sur ces transports.

Les questions sont adressées par Me Gianoli

L’avocat de la défense a demandé s’il connaissait une autre personne du même nom que lui, et s’il était imaginable qu’il existe un homonyme au Libéria. La partie plaignante a répondu qu’elle ne connaissait personne d’autre de ce nom, mais qu’il était possible qu’un homonyme existe. Me Gianoli a posé des questions d’ordre temporel, auxquelles GS n’a pas pu répondre. Ensuite, il a posé diverses questions sur les circonstances du transport forcé et du meurtre des sept civils. Il a ensuite questionné le plaignant sur l’identité de M. Keita, en lien avec le GJRP, lui demandant des explications sur les contradictions sortant de l’audience et de son interrogatoire, à Berne. En lien avec ses contacts avec le GJRP, Me Gianoli a également demandé des éclaircissements quant à la rencontre initiale du plaignant avec Hassan Bility, Directeur du GJRP. En réponse à ces questions, GS a expliqué qu’au moment de ses auditions il était stressé par la situation. Il a ajouté qu’il était normal de trouver des incohérences parce que tout était nouveau pour lui, et que c’était la première fois qu’il devait témoigner auprès d’une autorité à l’étranger.

Après une courte pause due à l’énervement du prévenu, la partie plaignante a demandé à être changé de place dans la salle d’audience. Le Président de la Cour lui demande s’il avait eu peur quand M. Kosiah s’était énervé. M. GS a répondu que oui, qu’Alieu Kosiah criait de la même manière pendant la guerre, et c’était pourquoi il ne voulait plus être assis au centre de la salle, assez près de M. Kosiah.

Ensuite, Me Gianoli a poursuivi ses questions, les saisons ont été abordés, des articles de journaux. Il a notamment demandé s’il était possible que l’exécution de son frère se soit déroulée le 9 février 1993, ce à quoi GS a répondu qu’il ne suivait pas les dates, n’ayant pas reçu d’éducation, mais il se rappelle qu’à ce moment-là, il y avait une grosse averse. Il a évoqué les tensions ethniques et demandé à M. GS des confirmations ou des précisions au sujet de l’identité de plusieurs acteurs de la guerre.

Dernières questions des parties

Le ministère public a demandé de clarifier ce qu’était le « hit and go » en lien avec la capture de Zorzor, ce que le plaignant a fait.

Me Wakim a enfin demandé au plaignant si, selon lui, Alieu Kosiah avait abusé sexuellement d’une jeune femme. Il a répondu affirmativement en indiquant le nom de cette personne et en expliquant qu’elle avait été retenue par le prévenu. Il a ensuite ajouté qu’après son retour de sa courte captivité aux mains du prévenu, elle s’était enfuie avec son petit ami.